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Décisions

CA Metz, ch. des urgences, 8 janvier 2013, n° 11/03743

METZ

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Lorraine Armatures (SARL)

Défendeur :

Villoutreix

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lebrou

Conseillers :

Mmes Soulard, Knaff

Avocats :

Mes Sebban, Barre

TGI Metz, du 4 avr. 2008

4 avril 2008

La SARL société Lorraine Armatures a signé le 15 avril 1997 avec Monsieur Claude Villoutreix un contrat d'agent commercial ayant pour objet les armatures pour béton armé, les produits sidérurgiques et les armatures standard dans les départements des régions Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne, moyennant une commission de 0,9 % du montant des factures HT de toutes les commandes directes et indirectes dont les livraisons sont effectuées dans ce secteur géographique.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 mars 2007, la société Lorraine Armatures a résilié le contrat pour faute grave avec effet un mois après la date de première présentation de la lettre.

Le 4 avril 2008, Monsieur Claude Villoutreix a assigné la SARL Lorraine Armatures devant la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Metz à l'effet de la voir condamner à lui payer les sommes de :

43 889,90 euros avec intérêt au taux légal à compter du 11 avril 2007 au titre des commissions dues pour les années 2004 à 2006,

32 818,24 euros à titre prévisionnel sur son indemnité de clientèle,

20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

et à lui communiquer sous astreinte de 500 euros par jour de retard les factures HT de toutes les commandes directes et indirectes dont les livraisons ont été effectuées dans son secteur géographique du 1er janvier au 29 juin 2007.

La société Lorraine Armatures a conclu à l'irrecevabilité et au mal fondé de ces demandes, au prononcé de la nullité de la convention du 15 avril 1997, à la condamnation de Monsieur Villoutreix à rembourser toutes les avances sur commissions payées, subsidiairement qu'il soit ordonné à ce dernier d'avoir à produire les commandes réalisées par lui sur son secteur depuis l'origine et à la condamnation de Monsieur Villoutreix aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en faisant valoir que les prestations de son agent commercial n'étaient pas réelles de sorte qu'il ne pouvait prétendre à des commissions et que le contrat, dépourvu de cause était nul ; qu'il incombait à ce dernier et non pas a elle de produire les commandes réalisées dans son secteur ;

Que Monsieur Villoutreix n'avait pas été loyal ni de bonne foi et lui avait fait une concurrence déloyale ;

Par jugement du 5 mai 2009, le tribunal a condamné la SARL Lorraine Armatures à payer à Monsieur Claude Villoutreix la somme de 43 889, 90 euros avec intérêt au taux légal à compter du 11 avril 2007 au titre des commissions et la somme de 3 000 euros au titre de l'indemnité de clientèle, à communiquer les factures HT de toutes les commandes directes ou indirectes dont les livraisons ont été effectuées dans le secteur de Monsieur Villoutreix du 1er janvier au 29 juin 2007 sous astreinte de 100 euros par jour de retard, a débouté Monsieur Villoutreix de sa demande de dommages et intérêts complémentaires et la société Lorraine Armatures de sa demande de nullité du contrat et ordonné le sursis à statuer sur tous autres chefs de demande dans l'attente de la production des pièces.

Pour statuer ainsi, le tribunal a relevé que le contrat n'exigeait pas que les rapports hebdomadaires de l'agent commercial fussent écrits, que la société Lorraine Armatures n'avait jamais formé une demande en ce sens pendant les dix ans de la collaboration et qu'elle-même ne justifiait pas plus avoir avisé son agent de l'évolution des tarifs et des conditions de vente de sorte qu'il ne pouvait être reproché à Monsieur Villoutreix de n'avoir pas établi de rapports écrits. Il a ensuite considéré qu'il incombait à la société Lorraine Armatures de produire les relevés de commissions et de donner à son co-contractant tous les éléments de calcul en vertu de l'article 8 du contrat et il a retenu que les attestations de clients produites par Monsieur Villoutreix démontraient la réalité des commandes passées par son intermédiaire de sorte qu'il avait droit au paiement des commissions réclamées. Il a encore considéré que les faits de concurrence déloyale allégués n'étaient pas clairement identifiés pas plus que le comportement fautif de Monsieur Villoutreix et il a enfin fixé l'indemnité prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce en considération de la durée du contrat et du montant moyen des commissions versées.

La SARL Lorraine Armatures a interjeté appel de ce jugement le 7 juillet 2009 et, après interruption de l'instance par arrêt du 27 septembre 2011 en suite de l'ouverte de la procédure de redressement judiciaire à son égard par jugement du 1er juin 2011, elle a repris l'instance le 1er décembre 2011 et elle conclut au rejet de l'appel incident, au débouté de Monsieur Villoutreix de ses demandes et à sa condamnation aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Monsieur Claude Villoutreix conclut à l'infirmation du jugement, à la fixation de ses créances aux sommes de 47 010,98 euros TTC avec intérêt au taux légal à compter du 11 avril 2007 au titre des commissions, de 32 818,24 euros à titre d'indemnité de cessation du contrat d'agent commercial, de 20 000 euros à titre de résistance abusive et de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et à la confirmation du jugement en ce qui concerne la communication de factures sous astreinte par la société Lorraine Armatures.

Sur ce :

Vu les conclusions de reprise d'instance de la société Lorraine Armatures du 30 novembre 2011 et les conclusions récapitulatives de Monsieur Villoutreix du 1er février 2012,

Sur la demande de commissions

Le contrat d'agent commercial a été signé par les parties le 15 avril 1997 et il y a été mis fin par la société Lorraine Armatures par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 mars 2007.

Il n'a été versé aux débats aucun courrier d'avertissement, de réclamation, de mise en demeure adressé à Monsieur Villoutreix au sujet de l'exécution de son mandat et notamment de l'insuffisance de son activité et de ses résultats. Il résulte au contraire des factures de commissions établies par Monsieur Villoutreix que, jusqu'à l'année 2005 inclue, il a perçu le montant minimum prévu par l'article 8 alinéa 3 du contrat et les attestations produites par Monsieur Villoutreix confirment que les commandes se faisaient par l'intermédiaire de ce dernier (Marchal pour la société SAEE, Licastro pour la société Amnéville Batilor Construction, Sangiorgio pour la société BTP Aciers Service) observation étant faite que, s'agissant d'établir la réalité d'un fait, la preuve de l'activité déployée peut être rapportée par témoins.

Dans ces conditions, le droit à commission de Monsieur Villoutreix conformément au contrat conclu avec la société Lorraine Armatures et à l'activité exercée par lui en exécution de ce contrat ne peut être utilement contesté.

En ce qui concerne le calcul des commissions et leur montant pour les années 2003 à 2006 incluses, il résulte des factures produites par Monsieur Villoutreix que pour les années 2003, 2004 et 2005 il a perçu le minimum prévu par l'article 8 alinéa 3 du contrat d'agent commercial tel qu'il l'avait lui-même facturé. Or, jusqu'à son décompte récapitulatif du 19 mars 2007 pour les années 2004 et 2005, Monsieur Villoutreix n'avait jamais exigé, ainsi que le prévoit l'article 8 alinéa 5 du contrat, un relevé des commissions dues établi par la société Lorraine Armatures mentionnant tous les éléments de calcul ni toutes informations complémentaires lui permettant de vérifier le montant des commissions dues de telle sorte qu'il doit être considéré que le paiement du minimum réclamé suppose que le relevé des factures et le relevé des commissions établis pour ces années-là n'ont pas permis de parvenir à un montant de commissions dues supérieur à ce minimum et que Monsieur Villoutreix a été rempli de ses droits au titre des années 2003 à 2005.

De plus, en ce qui concerne les années 2004 et 2005, pour lesquelles Monsieur Villoutreix calcule le montant des commissions dues en appliquant le taux de 0.9 % prévu par le contrat au chiffre d'affaires réalisé par la société Lorraine Armatures au cours de ces deux exercices, il doit être relevé que celui-ci ne démontre pas que le chiffre d'affaires retenu correspond à celui réalisé dans son secteur géographique de sorte que sa demande portant sur la somme de 47 010, 98 euros ne peut être accueillie.

Enfin, en ce qui concerne l'année 2006, il convient de lui accorder la somme de 16 409,12 euros seulement qui correspond au minimum facturé et dont la preuve du paiement n'est pas rapportée par la société Lorraine Armatures.

Sur l'indemnité de rupture :

La société Lorraine Armatures a rompu le contrat d'agent commercial par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 mars 2007 avec effet un mois à compter de la date de première présentation de cette lettre, pour faute grave et sans indemnité, en faisant valoir que Monsieur Villoutreix avait violé son obligation de loyauté et de bonne foi.

Elle produit trois attestations pour établir la réalité de cette violation.

Une première attestation émane de Monsieur Boz Mevmut, sous-traitant de la société Moselle Armatures, qui déclare que Monsieur Villoutreix s'est toujours comporté en patron, vérifiant le travail des ouvriers, gérant les relations avec les sous-traitants et que le 18 mai 2007 il lui avait redemandé de venir travailler comme sous-traitant chez Moselle Armatures et de ne pas accepter l'offre de la société Lorraine Armatures qu'il a dénigrée.

La deuxième attestation émane de Madame Zampieri, directeur commercial, qui déclare avoir rédigé l'attestation de Monsieur Boz à la demande de ce dernier et non pas de Monsieur Lombard, gérant de Lorraine Armatures.

Or, il résulte d'une lettre datée du 7 juin 2010 à l'entête de Lorraine Armatures, adressée à la société Setec, que Madame Zampieri, auteur de cette lettre, était responsable administrative et RH de la société Lorraine Armatures ce qui autorise à suspecter son impartialité.

De plus, l'attestation de Monsieur Boz, rédigée par Madame Zampieri, est contredite par celle de Monsieur Pilla, dirigeant de la société Moselle Armatures, qui déclare que Monsieur Villoutreix était un fournisseur régulier et qu'il ne voit pas comment il aurait pu intervenir dans le fonctionnement de Moselle Armatures. Elle l'est également par l'attestation de Monsieur Baroldi devenu le responsable de cette société à partir du mois de mai 2007 qui déclare avoir rencontré Monsieur Boz le 18 mai 2007 dans les bureaux de ladite société et lui avoir fait une proposition de poste de soudeur en sous-traitance et que Monsieur Villoutreix qui était présent ce jour-là n'avait fait aucune proposition de recrutement à Monsieur Boz.

Enfin, il est constant qu'à la date du 18 mai 2007, le contrat de Monsieur Villoutreix avec la société Lorraine Armatures était rompu depuis le 29 mars 2007 de sorte que le fait allégué et contesté serait insusceptible de caractériser le manquement de Monsieur Villoutreix à son obligation de loyauté et de bonne foi.

La troisième attestation émane de Monsieur Brancard, chef atelier au sein de la société Lorraine Armatures, qui relate avoir reçu deux appels téléphoniques de Monsieur Villoutreix le 23 mars 2007 au cours desquels celui-ci lui avait évoqué un projet de cession de parts au sein de la société, les difficultés futures de celle-ci en raison des actions qu'il avait l'intention de mettre en place à savoir demande d'un audit, création d'une société concurrente et débauchage de la clientèle; et qu'il lui avait fait comprendre qu'un futur poste lui serait confié dans la société à créer.

Cette attestation, dont rien ne permet de suspecter l'objectivité, relate des faits qui se sont déroulés dans le contexte du changement de gérant de la société Lorraine Armatures qui devait être évoqué lors d'une assemblée générale convoquée pour le 20 juin 2007. Cet événement a suscité une interpellation de l'épouse de Monsieur Villoutreix en sa qualité d'associée dans la société Lorraine Armatures à l'adresse du gérant démissionnaire, Monsieur Dedonder, par lettre du 19 juin 2007, qui révèle son hostilité et celle de son époux à la modification envisagée consistant à désigner Monsieur Lombard en qualité de nouveau gérant.

Un tel contexte fournit le motif des déclarations faites par Monsieur Villoutreix à Monsieur Brancard telles que relatées dans l'attestation rédigée par ce dernier et rend d'autant plus crédible le projet annoncé de créer des difficultés à la société Lorraine Armatures par les moyens évoqués.

Or, un tel projet constituait pour la société Lorraine Armatures une déclaration d'hostilité à son égard et caractérisait la volonté de son agent commercial d'œuvrer à son affaiblissement de sorte qu'elle a pu valablement, ayant été informée de tels faits par Monsieur Brancard, décider de rompre le contrat la liant à Monsieur Villoutreix pour faute grave et se prévaloir des dispositions de l'article L. 134-13 du Code de commerce qui exclut l'exigibilité d'une indemnité compensatrice dans un tel cas.

Sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive :

La résistance de la société Lorraine Armatures aux prétentions de Monsieur Villoutreix étant fondée pour l'essentiel en considération des motifs qui précèdent, la demande de dommages et intérêts formée par ce dernier doit être rejeté.

Sur les frais et dépens :

La demande de Monsieur Villoutreix étant fondée pour partie, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SARL Lorraine Armatures aux dépens mais de le réformer sur les frais irrépétibles en fixant la créance à la somme de 1 500 euros.

S'agissant de l'instance d'appel, chaque partie succombant partiellement dans ses prétentions, il convient de décider qu'elles supporteront chacune leurs dépens et frais irrépétibles.

Par ces motifs : LA COUR, statuant contradictoirement ; Réforme le jugement entrepris, Statuant à nouveau : Fixe à la somme de 16 409,12 euros avec intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2007 la créance de commissions de Monsieur Villoutreix sur la SARL Lorraine Armatures et à la somme de 1 500 euros la créance due sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de première instance, Déboute Monsieur Villoutreix de ses plus amples conclusions et de son appel incident, Dit que chaque partie supportera ses dépens et frais irrépétibles d'appel.