CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 16 janvier 2013, n° 10-09965
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Jap Transports (SAS)
Défendeur :
Iberia Lineas Aereas de Espana (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Roche
Conseillers :
M. Vert, Mme Luc
Avocats :
Mes Fisselier, Berry, Grappotte-Benetreau, Bensussan
Vu le jugement en date du 13 avril 2010, par lequel le Tribunal de commerce de Bobigny a condamné la société Iberia Aereas de Espana à payer à la société Jap Transports la somme de 17 068 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du 22 avril 2009, outre celle de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu l'appel interjeté le 5 mai 2010 par la société Jap Transports et ses conclusions du 6 septembre 2010, tendant à voir infirmer le jugement entrepris et condamner la société Iberia à lui payer la somme de 47 791,68 euros HT, outre intérêts au taux légal à compter du 22 avril 2008, au titre de dommages et intérêts pour rupture brutale de relations commerciales établies, outre la somme de 10 000 euros pour résistance abusive, ainsi que la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les conclusions de la société Iberia Aereas de Espana enregistrées le 11 mai 2012, demandant à titre principal d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et débouter la société Jap Transports de l'ensemble de ses demandes, et à titre subsidiaire de limiter l'indemnisation de la société Jap Transports à la somme de 2 608,32 euros et, en tout état de cause, condamner la société Jap Transports à verser à la société Iberia la somme de 4 000 euros pour procédure abusive, outre la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Sur ce
Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :
La société Jap Transports a pour activité le transport routier de fret de proximité, travaillant principalement pour des compagnies aériennes, s'agissant de la livraison des bagages.
Par acte sous seing privé en date du 24 mars 2003, la société Jap Transports et la compagnie aérienne Iberia Aereas de Espana (ci-après Iberia) ont conclu un contrat de prestation de services d'enlèvement de bagages sur les aéroports d'Orly et de Roissy-Charles De Gaulle jusqu'au domicile des clients. Le contrat, à effet au 1er avril 2003, a été conclu pour une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction.
Puis, par acte sous seing privé du 3 février 2006, les parties ont signé un nouveau contrat, conclu pour une durée de trois ans, renouvelable par tacite reconduction et assorti d'une faculté de dénonciation, avec préavis de 3 mois avant l'arrivée du terme convenu. La réalisation de la prestation était dorénavant prévue sur toute la France Métropolitaine.
Courant mars 2008, une note d'information indiquait, par affichage dans l'aéroport de Roissy, qu'à compter du 15 mars 2008, la société Skyroad serait en charge de la livraison des bagages pour le compte de la compagnie Iberia.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 avril 2008, la société Jap Transports signalait à la compagnie aérienne Iberia son étonnement face à cette "brusque rupture de relations contractuelles". Cette lettre étant restée sans réponse, le conseil de la société Jap Transports a mis en demeure la société Iberia, par courrier du 22 avril 2008.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 24 avril 2008 la société Iberia a signalé qu'il ne s'agissait pas d'une rupture de relations contractuelles, mais d'une " interruption consécutive à des difficultés internes de transmission des informations ". La société Iberia a également informé qu'elle envisageait désormais de recourir aux services d'un autre transporteur, pour les bagages à destination de la banlieue, de la province et les bagages urgents, la société Jap Transports demeurant en charge des bagages à destination de Paris.
Suite aux différents échanges qui ont suivi entre les parties, la société Iberia a résilié le contrat du 3 février 2006, à effet au 3 février 2009, par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 septembre 2008.
Par assignation du 24 juillet 2009, la société Jap Transports a saisi le Tribunal de commerce de Bobigny aux fins de voir condamner la société Iberia au paiement de la somme de 143 375,17 euros au titre du préjudice subi, outre la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, ainsi que celle de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le tribunal de commerce a condamné la société Iberia Aereas de Espana à payer à la société Jap Transports la somme de 17 068 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du 22 avril 2009, outre celle de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
C'est de ce jugement dont il a été présentement interjeté appel.
Sur ce
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6 du Code de commerce, "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...) 5° de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par les accords interprofessionnels (...). Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure" ; qu'en l'espèce, le caractère établi des relations commerciales entre les sociétés Iberia et Jap Transports est démontré ; que les deux sociétés sont liées contractuellement depuis le mois d'avril 2003 par un premier contrat d'une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction, suivi par un deuxième contrat conclu le 3 février 2006 pour une durée de trois ans ;
Considérant que, par lettre du 24 septembre 2008, la société Iberia a décidé de mettre fin, à effet au 3 février 2009, au contrat qui la liait à la société Jap Transports, décidant ainsi de ne pas renouveler ledit contrat qui arrivait à son terme à cette date ; que par cette lettre, la société Iberia a fait courir le délai de préavis de trois mois, conforme à l'article 4 du contrat du 3 février 2006 ; que toutefois, la circonstance que le non-renouvellement ait été régulier et le préavis contractuel respecté, n'empêche pas l'entreprise cocontractante d'exciper de la brutalité de la rupture ;
Considérant, qu'il convient de rappeler que l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce sanctionne la brutalité de toute rupture, qu'elle soit totale ou partielle ; qu'en l'occurrence, le contrat de prestation de service de livraison de bagage, conclu entre les parties le 3 février 2006, dans son article 5, intitulé " lieu de réalisation de la prestation ", stipulait que la réalisation de la prestation de services aurait lieu en France métropolitaine et plus particulièrement sur le site des aéroports d'Orly et Roissy-Charles De Gaulle, ainsi qu'exceptionnellement à l'étranger ; qu'en outre, d'après les termes du contrat, la livraison des bagages pouvait avoir lieu en France ou en Belgique en ce qui concerne les livraisons spéciales ; qu'ainsi, le périmètre des prestations s'étendait à la totalité du territoire national métropolitain ; que, par conséquent, en indiquant à la société Jap Transports, par lettre du 24 avril 2008, que désormais " les bagages à destination de la banlieue, de la province et urgents seront à la charge d'un autre transporteur ", la société Iberia a modifié unilatéralement le courant d'affaires entre les parties, dès lors que le périmètre de la prestation était réduit de la France métropolitaine à la seule ville de Paris, en excluant la banlieue, la province, ainsi que les bagages urgents ; que, malgré l'absence de fixation dans le contrat d'un volume minimum de livraison de bagages, cette modification de la zone géographique d'exécution du contrat est suffisamment importante pour être analysée en une rupture partielle des relations commerciales établies ; que le fait qu'aucune exclusivité territoriale n'ait été accordée à la société Jap Transports est sans conséquence, dès lors qu'en l'espèce il s'agissait d'évincer totalement la société Jap Transports d'une zone qui lui avait été attribuée, modifiant unilatéralement et de manière conséquente les conditions d'exécution du contrat au détriment de la société Jap Transports ; qu'enfin, l'absence de dépendance économique est sans conséquence sur l'appréciation de la brutalité de la rupture ; que la rupture des relations commerciales a donc été brutale et il convient de confirmer le jugement entrepris sur ce point ;
Sur la durée du préavis accordé
Considérant qu'il sera rappelé que le préjudice qui découle d'une rupture brutale de relations commerciales établies est constitué de la perte subie ou du gain dont la victime de la rupture a été privée ; que l'indemnité qui tend à réparer ce type de préjudice correspond à la perte de marge brute sur le chiffre d'affaires qui aurait dû être perçue si un préavis conforme aux usages du commerce avait été consenti ;
Considérant, en l'espèce, que si le volume d'affaires entre les deux parties a prétendument commencé à diminuer en mars 2008 et jusqu'à la notification du non-renouvellement du contrat, ce préjudice, au demeurant non chiffré, ne peut être pris en compte au titre de la brutalité de la rupture de septembre 2009 ; qu'en l'espèce, le délai de préavis de trois mois est suffisant et raisonnable, au regard de la durée des relations commerciales entretenues et du volume d'affaires entre les parties, du marché considéré, et de l'absence d'exclusivité de la société Jap Transports au bénéfice de la société Iberia ;
Considérant que ce préavis n'a pas été effectivement exécuté, puisque le volume d'activité entre les deux sociétés était déjà restreint du fait de la société Iberia ; que la société Jap Transports n'apporte, par ailleurs, aucun élément de nature à démontrer que son taux de marge brute était de 35 % au lieu des 25 % retenus par le tribunal ; que la cour fait donc siens les motifs pertinents, précis et détaillés retenus par les Premiers Juges pour procéder à l'évaluation du préjudice ; que le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a évalué le préjudice de la société appelante à 25 % de 3/12 de la moyenne des trois derniers chiffres d'affaires de la société, soit à la somme de 17 068 euros (25 % X 3/12 X 273 095 euros) ;
Considérant que la résistance abusive de la compagnie aérienne alléguée par la société Jap Transports n'étant pas démontrée, celle-ci ne pourra qu'être déboutée de sa demande de dommages et intérêts ; qu'en outre, il n'est pas inéquitable de laisser à sa charge les frais irrépétibles de l'instance d'appel ;
Considérant que la demande relative à des dommages et intérêts pour procédure abusive formulée par la société Iberia manque de fondements, étant donné que la société Jap Transports s'est bornée à faire usage de son droit d'ester en justice sans en abuser ; qu'elle sera donc rejetée ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris dans son ensemble et de débouter les sociétés Iberia et Jap Transports du surplus de leurs demandes ;
Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Déboute les parties du surplus de leurs demandes respectives, Condamne la société Jap Transports aux dépens d'appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile, Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.