CA Caen, 2e ch. civ. et com., 17 janvier 2013, n° 11-02841
CAEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
France Boissons Bretagne-Normandie (SARL)
Défendeur :
Ceyssel
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Christien
Conseillers :
Mmes Beuve, Boissel Dombreval
Avocats :
SCP Mosquet Mialon d'Oliveira Leconte, SCP Terrade, Dartois, Mes Sibillotte, Desdoits-Venturi
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 25 août 2004, Simon Ceyssel, exploitant en nom propre un bar sous l'enseigne "Le Bizon", concluait avec la société France Boissons Bretagne-Normandie (la société France Boissons) un contrat d'achat de boissons pour une durée de 5 ans comportant un engagement d'approvisionnement exclusif et minimal portant sur diverses catégories de boissons.
Prétendant que Monsieur Ceyssel ne respectait pas son engagement d'approvisionnement exclusif, la société France Boissons lui adressa le 16 novembre 2009 une mise en demeure d'avoir sous quinzaine à reprendre l'exécution normale du contrat et à atteindre les objectifs d'achat exclusif de boissons.
Alors que son cocontractant lui faisait observer que le contrat avait pris fin le 25 août 2009, elle manifestait le 9 décembre suivant l'intention de reprendre le matériel de tirage sous pression et l'enseigne dans les 15 jours, ce qui ne fut toutefois pas fait pour des raisons dont les parties discutent.
Puis, par acte du 13 août 2010 , la société France Boissons fit assigner Monsieur Ceyssel devant le tribunal de commerce d'Alençon aux fins de résiliation de la convention de fourniture de boissons aux torts de Monsieur Ceyssel, et en paiement d'une somme de 3 576,82 euros correspondant à l'indemnité de clause pénale ainsi qu'en restitution du matériel mis à sa disposition par le fournisseur.
Par jugement du 27 juin 2011, les premiers juges ont statué en ces termes :
"- Dit que le contrat sous seings privés n° 1400372626 d'achat exclusif de boissons conclu entre les parties en date du 25 août 2004 a été résilié de plein droit le 25 août 2009 ;
Déboute la société France Boissons Bretagne-Normandie de sa demande d'indemnité de rupture ;
Condamne Monsieur Ceyssel Simon à restituer à la société France Boissons Bretagne-Normandie le matériel mis à sa disposition par ses soins (enseigne, tirage pression, support à puce colonnette avec égouttoir) et tout autre matériel prêté au titre des conventions des mises à dispositions de matériels des 9 mai 2005, 7 juillet 1999 et 22 décembre 1999 ;
Dit que ce matériel devra être mis à la disposition de la société France Boissons Bretagne-Normandie, démonté et retiré par les soins de la société France Boissons Bretagne-Normandie à compter du 1er septembre 2011 sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 15 septembre 2011 pour Ceyssel Simon la faculté de retirer le matériel conventionné était interdite à la société France Boissons Bretagne-Normandie qui devra faire diligence et prendre soin du démontage ;
Dit que le tribunal de commerce se réserve la faculté de liquider l'astreinte ;
Déboute Monsieur Ceyssel Simon de sa demande au titre de dommage et intérêts ;
Ordonne l'exécution provisoire ;
Condamne la société France Boissons Bretagne-Normandie à payer à Monsieur Ceyssel Simon la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens."
La société France Boissons a relevé appel de cette décision le 12 septembre 2011 et elle demande à la cour de :
"- Infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce d'Alençon en ce qu'il a :
- débouté la société France Boissons Bretagne-Normandie de sa demande d'indemnité de rupture,
- condamné la société France Boissons Bretagne-Normandie à payer à Monsieur Ceyssel Simon la somme de 1 500 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens ;
Et, statuant de nouveau, prononcer et/ou constater la résiliation de la convention d'achat exclusif signé le 25 août 2004 entre la société France Boissons Bretagne-Normandie et Monsieur Simon Ceyssel aux torts exclusifs de Monsieur Simon Ceyssel ;
Condamner Monsieur Simon Ceyssel à régler à la société France Boissons Bretagne-Normandie la somme de 3 576,82 euros, au titre de la clause pénale prévue par l'article 7 de la convention d'achat exclusif de boissons pour non-respect de la clause de quota et non-respect du principe d'exclusivité ;
Condamner Monsieur Simon Ceyssel à régler à la société France Boissons Bretagne-Normandie la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner Monsieur Simon Ceyssel aux entiers dépens ;
Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce d'Alençon en ce qu'il a condamné Monsieur Simon Ceyssel à restituer le matériel qui a été mis à sa disposition par la société France Boissons Bretagne-Normandie (enseigne, tirage pression, support à puce colonnette avec égouttoir), et tout autre matériel qui lui aurait été prêté par la société France Boissons Bretagne-Normandie au titre des conventions des mises à disposition de matériels des 9 mai 2005, 7 juillet 1999 et 22 décembre 1999, et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard dès la signification du jugement à intervenir ;
Débouter Monsieur Simon Ceyssel de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société France Boissons Bretagne-Normandie, et notamment débouter Monsieur Simon Ceyssel de sa demande aux fins de condamner la société France Boissons Bretagne-Normandie aux fins de remettre en état les lieux ;
Dire que cette demande est nouvelle et tardive donc irrecevable ;
Dire et juger qu'en l'absence de règlement spontané des condamnations prononcées dans le jugement à intervenir, l'exécution forcée devra être réalisée par l'intermédiaire d'un huissier, le montant des sommes retenues par l'huissier par application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001, portant modification du décret du 12 décembre 1996 n° 96-1080 devront être supportées par le débiteur en sus."
Ayant formé appel à titre incident, Monsieur Ceyssel conclut en ces termes :
"- Condamner la société France Boissons Bretagne-Normandie à verser à Monsieur Ceyssel la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en application des dispositions de l'article 1382 du Code civil ;
Débouter la société France Boissons Bretagne-Normandie de sa demande de restitution du matériel conventionné s'agissant de l'enseigne ;
Condamner la société France Boissons Bretagne-Normandie à remettre les lieux en état après restitution du matériel ;
Débouter la société France Boissons Bretagne-Normandie de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;
En conséquence, confirmer pour le surplus le jugement rendu par le Tribunal de commerce d'Alençon le 27 juin 2011 ;
Subsidiairement, réduire substantiellement le montant de l'indemnité due à ce titre ;
En tout état de cause, condamner la société France Boissons Bretagne-Normandie à verser à Monsieur Ceyssel la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner la société France Boissons Bretagne-Normandie aux entiers dépens."
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour la société France Boissons Bretagne-Normandie le 11 septembre 2012, et pour Monsieur Ceyssel le 11 septembre 2012.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Sur l'indemnité de clause pénale
Il n'est pas discuté devant la cour que le contrat a pris fin à son terme du 25 août 2009.
Prétendant que l'exploitant du débit de boissons s'était, pendant toute la durée du contrat, abstenu de respecter les clauses d'approvisionnement exclusif portant sur certaines boissons et de minima l'obligeant à commander annuellement une quantité boissons déterminée, la société France Boissons entend lui appliquer une pénalité de 2 990,65 euros hors taxe, soit 3 576,82 euros toutes taxes comprises, correspondant à 20 % du chiffre d'affaires non réalisé sur chacune des catégories de boissons concernées.
Il est exact que le contrat de fourniture de boissons liant les parties stipulait qu'en contrepartie des avantages économiques et financiers que la société France Boissons lui accordait en se portant caution d'un emprunt contracté auprès d'un brasseur ainsi que du versement d'une ristourne trimestrielle, Monsieur Ceyssel s'engageait à s'approvisionner exclusivement auprès du fournisseur, sauf impossibilité de livraison, pour les eaux plates et gazeuses, la limonade, les colas, les sodas et tonics, les jus de fruit, les sirops, les alcools et les vins en bouteille en s'obligeant pour chacune de ces catégories de boissons, à commander annuellement une quantité déterminée.
Il est aussi exact que le contrat comporte une clause pénale aux termes de laquelle "en cas d'inexécution, de non-respect de l'exclusivité de fourniture, le revendeur devra, à titre de clause pénale, le paiement d'une indemnité forfaitaire de 20 % du chiffre d'affaires à réaliser jusqu'au terme normal du contrat, en application des quantités prévues à l'article 3 selon les prix pratiqués lors de la dernière livraison, compte tenu des quantités déjà livrées."
La société France Boissons soutient d'abord que Monsieur Ceyssel aurait violé son engagement d'exclusivité en s'approvisionnant auprès de fournisseurs concurrents, mais elle n'apporte pas la moindre preuve de ces allégations, étant au surplus observé que le revendeur était délié de son obligation d'approvisionnement exclusif en cas d'impossibilité de livrer pour rupture de stock et que les factures produites par l'intimé démontrent à plus suffire que cette situation s'est produite à de multiples reprises.
La société France Boissons prétend encore qu'il résulterait de sa comptabilité que Monsieur Ceyssel, qui aurait dû vendre durant les cinq années d'exécution du contrat 9 500 volumes d'eaux plates et gazeuses, 21 500 colas, 10 000 sodas et tonics, 10 000 jus de fruits, 1 500 sirops et 1 500 bouteilles de vins, n'aurait vendu que 5 160 volumes d'eaux plates et gazeuses, 3 768 colas, 9 829 sodas et tonics, 5 160 jus de fruits, 453 sirops, et 1 158 bouteilles de vins.
L'appelante rappelle que les dispositions de l'article L. 123-23 du Code de commerce l'autorise, s'agissant d'un litige entre commerçants, à établir au moyen de sa propre comptabilité les quantités de boissons fournies à l'intimé.
Cependant, le relevé de compte et les factures produits, qui ont pour l'essentiel trait à des fournitures postérieures à la date d'expiration du contrat d'approvisionnement, sont sans portée probante sur le calcul de l'indemnité de clause pénale.
Le "détail des volumes réalisés" de 2004 à 2006 puis d'août 2006 à octobre 2009 consiste quant à lui en de simples listes informatiques de fournitures pluriannuelles qui ne permettent nullement à la cour de rechercher, comme elle en a l'obligation, s'il s'agit d'extraits d'une comptabilité régulièrement tenue au sens de l'article L. 123-23 précité.
En outre, Monsieur Ceyssel, qui conteste avoir méconnu son obligation de commander annuellement une quantité de boissons déterminée, produit lui aussi un tableau des "montants des achats réalisés", duquel il ressort que la société France Boissons lui a facturé, au cours de la période d'exécution du contrat, des fournitures pour un montant total toutes taxes comprises de 157 602,86 euros, alors que, en tenant compte du prix moyen des boissons retenu par l'appelante pour chiffrer son indemnité de clause pénale, le chiffre d'affaires minimum qui aurait dû être réalisé sur la même période de cinq ans pour respecter globalement la clause de minima était de 60 975 euros hors taxe, soit 72 926 euros toutes taxes comprises.
La cour ne méconnaît, ni le fait que le document de Monsieur Ceyssel ne permet pas davantage de vérifier qu'il est extrait d'une comptabilité régulièrement tenue que les listes informatiques de l'appelante, ni que ce tableau ne distingue pas entre chacune des catégories de boissons soumises à l'obligation de commandes minimum, mais elle observe néanmoins qu'il rend plausible la contestation de Monsieur Ceyssel opposée à l'allégation de violation de la clause de minima invoquée par la société France Boissons.
Or, c'est à la société France Boissons d'apporter, conformément à l'article 1315 du Code civil, la preuve du manquement contractuel dont elle demande réparation par application de la clause pénale du contrat, ce qu'elle ne fait qu'en produisant des pièces insuffisamment probantes.
Les premiers juges, qui ont au surplus relevé à juste titre que la société France Boissons ne démontrait pas avoir mis Monsieur Ceyssel en demeure, pendant l'exécution du contrat, de respecter son engagement de commandes minimum, ont donc pertinemment débouté la société France Boissons de sa demande en paiement de l'indemnité de clause pénale.
Sur la restitution du matériel mis à disposition
La société France Boissons demande la condamnation de Monsieur Ceyssel à lui restituer :
- l'enseigne de l'établissement mise à sa disposition par le fournisseur en vertu d'une convention du 22 décembre 1999,
- le matériel de tirage de boissons sous pression mis à sa disposition par contrat du 7 juillet 1999,
- un "support à puce colonnette avec égouttoir" mis à sa disposition par contrat du 9 mai 2005.
Monsieur Ceyssel, qui prétend avoir lui-même pris en charge l'enseigne de son bar, fait observer que le document du 22 décembre 1999, relatif à la mise à disposition d'une enseigne, n'est pas signé.
Cependant, la société France Boissons produit la facture de fourniture et d'installation de l'enseigne démontrant qu'elle en est bien propriétaire et que Monsieur Ceyssel, qui en a accepté la livraison ainsi que l'installation et en eu la jouissance, n'en était que l'emprunteur et a donc l'obligation de la restituer.
De même, la circonstance que le contrat de mise à disposition du matériel de tirage de boissons sous pression serait selon l'intimé, "arrivé à terme, n'ayant jamais été reconduit" ne dispense nullement l'emprunteur de son obligation de restitution.
Il convient donc de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a ordonné la restitution du matériel mis à disposition de l'exploitant du bar sous astreinte de 100 euros par jour de retard, sauf à dire que l'astreinte courra à expiration d'un délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt si Monsieur Ceyssel faisait obstacle à la reprise au démontage et à la reprise du matériel par la société France Boissons, et qu'elle ne courra que pendant une période de trois mois à l'issue de laquelle il pourra le cas échéant être à nouveau fait droit.
Monsieur Ceyssel prétend par ailleurs que la société France Boissons assume les frais de remise en état des lieux après restitution du matériel mis à sa disposition.
Cette demande, bien que formée pour la première fois en cause d'appel, est néanmoins recevable en application de l'article 567 du Code de procédure civile dans la mesure où elle s'analyse en une demande reconventionnelle.
Elle n'est pas davantage tardive, dès lors qu'elle a été formée par conclusions signifiées le 11 septembre 2012 et que la partie adverse a eu jusqu'au 17 octobre 2012, date de la clôture, pour répliquer.
En revanche, elle n'est pas fondée, dès lors que les conventions de mise à disposition litigieuses doivent s'analyser, non comme un dépôt, mais comme un prêt à usage par lequel la société France Boissons livre du matériel à Monsieur Ceyssel pour qu'il s'en serve et qu'il le rende après usage, et qu'aux termes de l'article 1886 du Code civil, l'emprunteur ne peut obtenir du prêteur le remboursement des dépenses exposées pour l'usage de la chose prêtée.
Sur les dommages-intérêts pour procédure abusive
Monsieur Ceyssel ne démontre pas en quoi le droit de la société France Boissons d'agir en justice a en l'occurrence dégénéré en abus.
Le tribunal de commerce a donc à juste titre rejeté la demande de dommages-intérêts formée par Monsieur Ceyssel.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
La société France Boissons, qui succombe en sa demande en paiement de l'indemnité de clause pénale, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Il serait en outre inéquitable de laisser à la charge de Monsieur Ceyssel l'intégralité des frais exposés par lui à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une indemnité complémentaire de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement rendu le 27 juin 2011 par le Tribunal de commerce d'Alençon en toutes ses dispositions, sauf à dire que l'astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard courra à expiration d'un délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt si Monsieur Ceyssel faisait obstacle au démontage et à la reprise du matériel par la société France Boissons Bretagne-Normandie, et qu'elle ne courra que pendant une période de trois mois à l'issue de laquelle il pourra le cas échéant être à nouveau fait droit ; Déclare la demande reconventionnelle de remise en état des lieux après reprise du matériel en dépôt recevable, mais en déboute Monsieur Ceyssel ; Condamne la société France Boissons Bretagne-Normandie à payer à Monsieur Ceyssel une somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société France Boissons Bretagne-Normandie aux dépens d'appel ; Accorde à la société civile professionnelle Dartois le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.