CA Douai, 2e ch. sect. 1, 10 janvier 2013, n° 11-07686
DOUAI
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Sehaki (Epoux)
Défendeur :
Brasserie de Saint-Omer (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Parenty
Conseillers :
Mme Delattre, M. Brunel
Avocats :
SCP Deleforge-Franchi, Mes Benchetrit, Laurent, Letartre
Vu le jugement contradictoire du 26 octobre 2011 du Tribunal de commerce de Lille ayant dit l'opposition formée par la SAS Brasserie de St-Omer nulle et de nul effet, constaté l'existence et la validité du nantissement, constaté l'existence d'une indemnité contractuelle causée, condamné solidairement Monsieur et Madame Sehaki à payer à la SAS Brasserie de St-Omer la somme de 15 432,44 euro avec intérêts légaux depuis le 13 avril 2010, et 3 000 euro sur la base de l'article sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile, débouté les parties du surplus ;
Vu l'appel interjeté le 15 novembre 2011 par Monsieur et Madame Sehaki ;
Vu les conclusions déposées le 2 mai 2012 pour la société Brasserie de St-Omer ;
Vu les conclusions déposées le 5 juin 2012 pour Monsieur et Madame Sehaki ;
Vu l'ordonnance de clôture du 9 octobre 2012 ;
Monsieur et Madame Sehaki ont interjeté appel aux fins de réformation partielle du jugement ; ils demandent la confirmation sur la nullité de l'opposition effectuée par la SAS, la réformation sur leur condamnation ; ils demandent à la cour de constater l'inexécution contractuelle de la brasserie, de constater que leur obligation d'approvisionnement auprès d'elle a cessé à la date du remboursement anticipé de leur prêt, de dire qu'ils sont libérés de toute obligation, d'ordonnée la mainlevée de l'opposition sur la vente du fonds de commerce, la radiation du nantissement du 29 septembre 2003, la restitution des fonds séquestrés.
Subsidiairement, ils demandent à la cour de constater que l'engagement de la brasserie est dérisoire, de dire que le contrat d'approvisionnement est nul pour défaut de cause, de constater l'absence de droit de la brasserie à revendiquer une quelconque indemnité contractuelle de rupture, de dire que l'opposition a été faite sans titre ni cause, d'en ordonner la mainlevée ; à titre encore plus subsidiaire, ils demandent de modérer la clause pénale ; en toutes hypothèses, ils demandent la condamnation de la brasserie à leur payer 20 000 euro en réparation du préjudice subi par l'immobilisation pendant trois ans de la somme de 15 432,44 euro, les intérêts légaux sur la somme de 15 432,44 euro depuis la date de cession du fonds, 5 000 euro pour réparation du préjudice moral subi du fait de l'intention de nuire de la brasserie et de la société Erval Robert Frères, 15 000 euro sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'intimée sollicite la confirmation du jugement, le débouté des époux Sehaki de leur demande de mainlevée de l'opposition au paiement du prix de cession, et demande à la cour de constater que l'existence d'un nantissement empêche toute libération des fonds séquestrés correspondant au prix de cession du fonds de commerce ; elle réclame 5 000 euro sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le 18 septembre 2003, Monsieur et Madame Sehaki ont fait un emprunt auprès de la BSD, cautionné à 100 % par la Brasserie de St-Omer moyennant nantissement conventionnel du fonds de commerce et un engagement de 7 ans d'approvisionnement exclusif de certaines marques de bières à hauteur de 80 % du volume des bières du même type débité, soit à hauteur de 40 HL. En novembre 2007, Monsieur et Madame Sehaki ont cédé leurs fonds provoquant la rupture anticipée du contrat d'approvisionnement. Le contrat stipulant une indemnité contractuelle de rupture anticipée, au paiement de laquelle Monsieur et Madame Sehaki se sont opposés, la brasserie a fait opposition au prix de cession pour 15 432,44 euro.
La Brasserie de St-Omer plaide que les conditions d'application de la clause sont applicables, Monsieur et Madame Sehaki ayant rompu le contrat de manière anticipée sans faire en sorte que les successeurs du fonds reprennent leurs engagements jusqu'au terme des 7 années alors que la clause prévoit que l'emprunteur garantit le respect du contrat par ses successeurs. Le chiffre réclamé correspond à 25 % des ventes qu'elle aurait dû percevoir si le contrat était allé à terme, et la brasserie considère que cette indemnité n'a aucun caractère excessif et est moindre que son préjudice.
Les époux Sehaki font valoir qu'ils ont entièrement remboursé le prêt le 25 septembre 2006, ce qui correspond à leur obligation contractuelle de remboursement et n'a pas provoqué la rupture anticipée du contrat, que l'acte d'opposition de la brasserie a été notifié au séquestre par lettre recommandée LRAR alors que l'article L. 141-14 du Code de commerce impose un exploit d'huissier à peine de nullité, que la brasserie ne dispose d'aucune créance d'indemnité dans la mesure où elle a désigné la société Erval Robert Frères comme fournisseur unique, que l'ensemble forme une relation contractuelle globale dans le cadre de laquelle un différend les a opposés à la société ERF qui a refusé à un certain moment, soit à compter de février 2006, sans légitimité de les livrer, différend tranché par le Tribunal de Créteil qui a consacré que ce refus était une violation par la société ERF de ses obligations contractuelles. Ils estiment que cette décision a autorité de chose jugée, laquelle a désigné la société ERF comme coupable d'inexécution contractuelle fautive, erga omnes, qu'il s'ensuit que la brasserie, contractante, est responsable de cette faute commise par le distributeur qu'elle a désigné et qu'elle n'a pas cherché à remplacer. Pour eux, la brasserie, débitrice de l'obligation de livraison, est à l'origine de la rupture du contrat pour défaut de livraison. Ils ajoutent que l'engagement de fourniture était valable pendant toute la durée du prêt, que l'obligation d'achat étant l'accessoire du contrat de prêt, elle s'éteint avec lui, que de surcroît la brasserie n'a subi aucun préjudice, le gage devant disparaître avec la créance garantie. Ils plaident la mauvaise foi de leur adversaire et subsidiairement que l'engagement dérisoire de la brasserie est sans cause. Puis, ils demandent à la cour en tous cas de modérer le montant de cette clause.
La brasserie réplique qu'elle ne peut se voir opposer l'autorité de la chose jugée dans une procédure qui lui est étrangère et qui a été initiée sur des contrats distincts, qu'elle seule bénéficie de l'engagement d'approvisionnement pris à son égard par Monsieur et Madame Sehaki, de l'indemnité contractuelle en cas de rupture, la société Erval n'étant que son distributeur désigné, non partie au contrat ; elle ajoute qu'à supposer que la société ERF ait cessé d'approvisionner les appelants, cela ne les libérait pas de leur obligation car ils pouvaient s'approvisionner directement auprès d'elle, qu'ils n'apportent aucune preuve d'une quelconque inexécution d'approvisionnement de sa part, que leur argument lié à la notion de groupe est inopérant puisque les contrats sont indépendants les uns des autres.
Elle fait valoir également qu'il n'y a pas extinction des obligations contractuelles de Monsieur et Madame Sehaki du fait du remboursement anticipé du prêt puisque le contrat dit clairement que dans ce cas, le contrat d'obligation de fourniture reste toujours valable, que ce dernier est causé, par des obligations réciproques qui n'ont rien de dérisoire, la cour de cassation ayant juste posé le principe que la question du caractère sérieux de l'engagement du fournisseur de bières relève du pouvoir souverain des juges du fond, que la lésion n'est pas une cause de nullité, que la seule disproportion est insuffisante à l'entraîner, que le risque existait pour elle.
Elle en conclut que son opposition a bien une cause, que de toute manière, elle bénéficie d'un nantissement dont la validité ne peut être remise en cause ; elle s'oppose à la demande d'indemnisation de ses adversaires qui, s'ils estimaient qu'elle était concernée par le litige tranché par la juridiction de Créteil, n'avaient qu'à la mettre en cause.
Sur ce
Sur la nullité de l'acte d'opposition
L'article L. 141-14 du Code de commerce impose la forme d'un acte extrajudiciaire ; il est de jurisprudence constante qu'une lettre recommandée avec accusé de réception ne répond pas à cette exigence ; la cour confirme le jugement qui a dit nulle et de nul effet l'opposition formée par la SAS Brasserie de St-Omer entre les mains de Maître Berling, séquestre du prix de vente du fonds de commerce.
Sur l'autorité de la chose jugée
Selon les époux Sehaki, la demande de la brasserie s'opposerait à l'autorité du jugement de Créteil rendu entre eux et le distributeur désigné, soit la société ERF mais l'argument supposerait qu'il y ait une identité de demande et de cause dans les deux contentieux ; tel n'est manifestement pas le cas car le jugement de Créteil a été rendu sur la base de deux contrats parfaitement distincts, aussi bien du point de vue de leur objet que du point de vue des parties, de celui qui nous occupe aujourd'hui ; le différend opposait les époux Sehaki directement à la société ERF en vertu des contrats signés avec cette société ; la brasserie de St-Omer n'était pas concernée par ces contrats ; de même la société ERF n'est pas partie au contrat qui lie la brasserie aux époux Sehaki ; elle en est juste le distributeur désigné, ce qui ne change pas la qualité de bénéficiaire de l'engagement pris par les époux Sehaki et de co-contractante de la brasserie qui en désignant la société ERF comme son distributeur n'a pas opéré de substitution à son égard ou déclaré intervenir pour son compte ; c'est bien la brasserie qui est désignée comme bénéficiaire de l'indemnité contractuelle de rupture anticipée ; dès lors le différend invoqué lui est indifférent.
Le contrat passé avec la brasserie est indépendant des contrats passés avec la société ERF et se suffit à lui-même ; en conséquence, c'est sans fondement que les époux Sehaki invoquent la notion de groupe de contrats. Dès lors, il convient de confirmer le jugement sur ce point.
Sur la créance elle même
Sur l'inexécution du contrat par la brasserie
Aux termes du contrat que Madame et Madame Sehaki ont conclu avec la brasserie, au paragraphe 3° concernant le contrat d'approvisionnement, il est bien précisé qu'ils doivent s'approvisionner auprès d'elle ou de tout distributeur désigné par elle. A supposer que l'approvisionnement soit devenu impossible auprès du distributeur désigné, soit la société ERF, il appartenait clairement aux époux Sehaki de s'approvisionner directement auprès de la brasserie de St-Omer ou du nouveau distributeur désigné par elle ; ils ne peuvent prétendre que le refus d'approvisionnement de la société ERF s'étendrait à la Brasserie de St-Omer, dont ils n'établissent pas qu'elle aurait refusé de les fournir, ni même qu'ils l'auraient sollicitée.
Sur l'extinction de la créance du fait du remboursement du prêt
En prétendant que leurs obligations contractuelles auraient pris fin dès le remboursement du prêt, les époux Sehaki occultent les termes pourtant clairs du contrat sur leurs obligations vis-à-vis de la brasserie en cas de remboursement anticipé qui évoquent cette possibilité tout en précisant : "qu'en tout état de cause, le contrat d'obligation de fourniture reste toujours valable" ; l'argument doit lui aussi être écarté.
Sur l'existence d'une cause au contrat de fourniture
En contrepartie de leur engagement de s'approvisionner en bières pendant sept ans auprès de la brasserie, celle-ci s'est portée caution d'un prêt de 22 500 euro à 100 % ; il s'agit d'obligations réciproques acceptées par les deux parties, qui ne sont pas nécessairement d'égale mesure, le contrat ne paraissait pas léonin ; en cas de défaillance des débiteurs, la brasserie était tenue au montant des sommes dues qui n'étaient pas forcément dérisoires moyennant quoi ils disposaient d'un prêt. Il appartient au juge du fond, comme l'a rappelé la Cour de cassation d'apprécier le caractère dérisoire d'un engagement. La brasserie a raison de rappeler que le nantissement ne la garantissait pas de tout puisque forcément lié à la valeur du fonds, variable au demeurant et le tribunal de rappeler que sans ce cautionnement, les époux Sehaki n'auraient peut-être pas obtenu le prêt. L'engagement dérisoire équivaut à une absence d'engagement ; tel n'est pas le cas de l'espèce et la cour entérine le raisonnement du premier juge.
Sur la créance elle même
Le contrat prévoyait la poursuite du contrat de fourniture pendant sept ans, l'emprunteur garantissant le respect par ses successeurs des conditions du dit contrat ; il est patent que Monsieur et Madame Sehaki ont rompu de manière anticipée le contrat de fourniture pour lequel ils s'étaient engagés, sans faire en sorte que les successeurs du fonds reprennent leur engagement jusqu'au terme des sept ans ; à partir de là, les conditions de la clause sont remplies ; le calcul de l'indemnité ne paraît pas contestable ; il n'est pas au demeurant contesté. Les époux Sehaki en demandent la réduction sur la base de l'article 1152 alinéa 2 du Code civil mais ce pouvoir n'appartient au juge que lorsque la clause est manifestement excessive, ce qui n'est pas le cas de l'espèce. Cette demande doit être rejetée.
Il n'y a en conséquence pas lieu de faire droit à la demande de radiation du nantissement qui est valable, la brasserie restant titulaire d'une créance ; Maître Berling es qualité de séquestre ne peut se libérer du prix de cession du fonds de commerce entre les mains de Monsieur et Madame Sehaki comme sollicité.
Il s'en suit que toutes les demandes indemnitaires de Monsieur et Madame Sehaki doivent être rejetées.
Ils seront légitimement condamnés à payer 3 500 euro à la Brasserie de St-Omer sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe, Confirme le jugement ; Constate que l'existence d'un nantissement empêche toute libération des fonds séquestrés correspondant au prix de cession du fonds de commerce ; Déboute les parties de leurs plus amples demandes ; Condamne solidairement Monsieur et Madame Sehaki à payer 3 500 euro à la Brasserie de St-Omer sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.