Cass. com., 12 février 2013, n° 12-11.709
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Compagnie de maintenance industrielle (SAS), Administrateurs judiciaires partenaires (Selarl), Serrano (ès qual.)
Défendeur :
Caterpillar France (SAS), Caterpillar Suisse (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Rapporteur :
Mme Riffault-Silk
Avocat général :
M. Carre-Pierrat
Avocats :
SCP Waquet, Farge, Hazan, Me Foussard
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Caterpillar France, qui entretenait des relations commerciales avec la société Compagnie de maintenance industrielle (la société CMI) depuis 1985, a conclu le 7 novembre 2000 avec cette dernière, sans engagement d'exclusivité, un contrat-cadre pour la réalisation de travaux concernant la ligne de produits CAT "trains de roulement et composants" pour une durée initiale de trois ans renouvelable par tacite reconduction pour un an ; que, par un nouveau contrat-cadre du 28 février 2005, la société Caterpillar Suisse a confié à la société CMI la réalisation de travaux de peinture sur les composants CAT, pour une durée de huit ans ; que, reprochant aux sociétés Caterpillar France et Caterpillar Suisse l'effondrement de leurs commandes à partir de septembre 2008, la société CMI les a fait assigner en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale de relations commerciales établies et abus de dépendance économique ; que la société CMI a été placée sous sauvegarde le 24 mars 2009, M. Serrano étant désigné mandataire judiciaire ; que les deux conventions ont été résiliées par le juge-commissaire ;
Sur le pourvoi, en ce qu'il attaque l'arrêt rendu le 19 mai 2011 par la Cour d'appel de Grenoble : - Attendu qu'aucun moyen n'est produit au soutien du pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt du 19 mai 2011 ; qu'il convient de constater la déchéance partielle du pourvoi ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société CMI reproche à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes visant à voir condamner les sociétés Caterpillar en raison de la rupture brutale par ces dernières des relations commerciales établies depuis vingt-cinq ans avec elle alors, selon le moyen : 1°) que constitue une brusque rupture au sens de l'article L. 442-6.I.5 du Code de commerce, la chute brutale du chiffre d'affaires, résultant de la diminution brutale des commandes, réalisé par un sous-traitant avec un donneur d'ordre, peu important le motif de cette rupture ; que la cour d'appel, après avoir constaté que les commandes des deux sociétés Caterpillar à la société CMI avaient fortement chuté à compter de l'année 2008 en raison de la crise économique subie par les sociétés Caterpillar, a estimé pourtant qu'il n'était pas justifié d'une rupture partielle ou totale de la relation commerciale établie entre les sociétés Caterpillar et la société CMI et imputable aux premières ; qu'en ne tirant pas les conséquences légales de sa constatation, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6.I.5 du Code de commerce ; 2°) que le donneur d'ordre qui rompt des relations commerciales établies est tenu de respecter un préavis, sauf à démontrer qu'il en aurait été empêché par un cas de force majeure ; que ne caractérise pas un tel cas la seule existence d'une " crise ", dont les juges du fond ne constatent ni l'imprévisibilité, ni l'irrésistibilité ; que la cour d'appel a violé l'article L. 442-6.I.5 du Code de commerce ; 3°) que ne constitue pas une inexécution de son obligation contractuelle justifiant de ne pas respecter de préavis la circonstance - au demeurant non fautive - que le sous-traitant s'est lui-même placé dans une situation de dépendance économique vis-à-vis du donneur d'ordre ; que la cour d'appel en excluant la responsabilité des sociétés Caterpillar en se fondant sur cette circonstance inopérante et sans relever de faute de la société CMI dans l'exécution de ses obligations contractuelles, a violé l'article L. 446-6.I.5 du Code de commerce ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir relevé que la baisse de commandes des sociétés Caterpillar auprès de la société CMI, significative à compter de 2008 et maintenue en 2009, s'expliquait par la diminution des propres commandes des sociétés Caterpillar, qui justifiaient d'une diminution de leur activité de 70 % entre 2007 et 2008, consécutive à la crise économique et financière de 2008 qui a eu de fortes répercussions sur les secteurs de la construction et des travaux publics entraînant l'effondrement des commandes d'engins de construction, et que le juge-commissaire a constaté dans son ordonnance du 11 mai 2009 le caractère sinistré de l'activité de Caterpillar depuis plusieurs mois, l'arrêt retient qu'il ne peut être démontré l'existence d'une quelconque rupture de la relation commerciale établie entre CMI et chacune des sociétés Caterpillar, celles-ci ayant certes diminué de façon significative leur volume de commandes auprès de leur sous-traitant, mais compte tenu de la diminution de leurs propres commandes et donc de façon non délibérée ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations faisant ressortir que la baisse des commandes des sociétés Caterpillar ne leur était pas imputable, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Et attendu, en second lieu, que le rejet du moyen en sa première branche rend les deux autres branches sans objet ; d'où il suit que le moyen, non fondé en sa première branche, ne peut être accueilli pour le surplus ;
Sur le second moyen, pris en sa seconde branche : - Attendu que la société CMI reproche à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes de dommages-intérêts formées contre les sociétés Caterpillar alors, selon le moyen, qu'il existe un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties lorsqu'un contrat-cadre, sans prévoir en contrepartie aucun volume minimum d'achat à la charge du client, impose au sous-traitant une liste d'exigences qui l'obligent pour pouvoir satisfaire aux commandes prévues à réaliser de très lourds investissements dans des matériels et installations conçus spécifiquement pour les produits de cette société et inadaptables aux besoins d'un autre client ; qu'en retenant que les sociétés Caterpillar ne s'étaient engagées à aucun volume de commande minimum et que la société CMI avait choisi de se placer en situation de dépendance pour rejeter l'existence d'une responsabilité des sociétés Caterpillar, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les conditions du contrat de distribution ne créaient pas, en raison précisément de l'absence d'engagement sur un montant minimum de commandes au regard des exigences imposées au fournisseur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6.I.2° du Code de commerce ;
Mais attendu que dans ses conclusions d'appel, la société CMI se prévalait seulement de son état de dépendance économique à l'égard des sociétés Caterpillar ; que le moyen, nouveau et mélangé de fait et de droit, n'est pas recevable ;
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche : - Vu les articles 1134 et 1147 du Code civil ; - Attendu que pour rejeter la demande de dommages-intérêts formée par la société CMI contre la société Caterpillar Suisse, l'arrêt retient que celle-ci ne s'est engagée par le contrat-cadre de 2005 à aucun volume de commande minimum et qu'aucune faute contractuelle n'est par conséquent établie à son encontre ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que la société CMI faisait valoir que ce contrat prévoyait que la société Caterpillar Suisse achèterait à la société CMI 100 % de ses besoins concernant la peinture des produits objet du contrat parmi lesquels les "Wex", ou excavatrices sur roues, qu'elle-même avait réalisé de gros investissements dans cette perspective et que l'essentiel de l'activité visée par le contrat avait été finalement confié par la société Caterpillar Suisse à une société concurrente, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Par ces motifs : Constate la déchéance partielle du pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt rendu le 19 mai 2011 ; Casse et annule, mais seulement en ce qu'elle a rejeté les demandes de dommages-intérêts formées par la société CMI contre la société Caterpillar Suisse, l'arrêt rendu le 10 novembre 2011, entre les parties, par la Cour d'appel de Grenoble ; remet en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Grenoble, autrement composée.