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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 16 janvier 2013, n° 10-05985

COLMAR

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Pflaum France (SA)

Défendeur :

Pflaum & Söhne GmbH

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vallens

Conseillers :

MM. Cuenot, Allard

Avocats :

Mes Crovisier, Braun, Boudet, Coletti

TGI Strasbourg, ch. com., du 28 oct. 201…

28 octobre 2010

Par acte sous seing privé en date du 1er octobre 1997, la société de droit autrichien Pflaum & Söhne a chargé la société Pflaum France de vendre ses produits sur les territoires français, belge et luxembourgeois pour une durée de trois ans à compter du 1er octobre 1997.

Reprochant à sa partenaire de l'avoir, par courrier du 10 décembre 2008, informée de ce que leurs relations cesseraient le 31 janvier 2009 alors que les parties avaient engagé des négociations pour définir les termes de leurs nouvelles relations, la société Pflaum France a attrait la société Pflaum & Söhne devant le Tribunal de grande instance de Strasbourg pour obtenir le paiement de 1 878 670 euro au titre de l'indemnité de résiliation du contrat d'agent commercial et de 1 500 000 euro au titre de l'indemnité de rupture brutale des relations commerciales.

La société Pflaum & Söhne s'est opposée à ces prétentions en faisant valoir d'une part que la demanderesse qui n'avait jamais eu la qualité d'agent commercial ne pouvait pas prétendre au paiement de l'indemnité de résiliation due aux agents commerciaux, d'autre part que la rupture du contrat du 1er octobre 1997 n'avait pas été brutale et qu'aucune rupture fautive des pourparlers ne pouvait lui être reprochée.

Par jugement du 28 octobre 2010, le Tribunal de grande instance de Strasbourg a :

- débouté la société Pflaum France de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la société Pflaum France à payer à la société Pflaum & Söhne une somme de 3 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société Pflaum France aux dépens.

Les premiers juges ont principalement retenu :

- que les dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce relatives à la cessation des relations entre le mandant et l'agent commercial n'avaient pas vocation à s'appliquer dès lors que les parties n'étaient pas liées par un contrat d'agent commercial mais par un contrat de distribution ;

- qu'aucune rupture brutale des relations commerciales ne pouvait être reprochée à la société Pflaum & Söhne dès lors que celle-ci avait, par courrier recommandé du 24 juillet 2008, notifié à sa partenaire la résiliation de leurs relations à compter du 31 janvier 2009 en respectant le délai de six mois contractuellement prévu et que les pourparlers engagés n'avaient pas eu pour effet de différer le préavis.

Par déclaration reçue le 9 novembre 2010, la société Pflaum France devenue Wilson France a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives déposées le 2 décembre 2011, la société Wilson France demande à la cour de :

- déclarer son appel recevable ;

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

- condamner la société Pflaum & Söhne à lui payer une somme de 1 500 000 euro avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir ;

- condamner la société Pflaum & Söhne à lui payer une somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Pflaum & Söhne aux dépens des deux instances.

Au soutien de son appel, elle fait valoir en substance :

- que la société Pflaum & Söhne s'était engagée à procéder à une mutation de leurs relations commerciales reposant sur une remise en cause du caractère exclusif de la représentation ;

- qu'il appartenait aux parties de définir les nouvelles conditions de leurs relations commerciales qui devaient se perpétuer ;

- qu'en l'absence de tout avenant, les relations entre les parties se sont poursuivies en dehors du cadre défini par le contrat du 1er octobre 1997 et la société Pflaum & Söhne ne peut pas se prévaloir du préavis contractuel de 6 mois prévu par ce contrat ;

- que compte tenu de la durée des relations et de la dépendance économique de l'appelante, qui devait rechercher un produit de substitution, un préavis d'une durée de 24 mois constituait un minimum ;

- que la société Pflaum & Söhne a engagé sa responsabilité à l'aune de l'article L. 442-6 du Code de commerce.

Selon conclusions récapitulatives remises le 27 mars 2012, la société Pflaum & Söhne rétorque :

- qu'aucune rupture brutale des relations commerciales au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce ne peut lui être reprochée dès lors que l'appelante a été informée dès le 24 juillet 2008 de la résiliation du contrat, dans le respect le préavis convenu ;

- que le préavis a au demeurant été porté à 8 mois puisque la société Wilson France a pu continuer normalement son activité du 1er janvier au 31 mars 2009 ;

- que les échanges entre les parties postérieurs à la notification du préavis n'ont pas eu pour effet de différer le point de départ du délai de préavis ;

- que la société Wilson France ne justifie d'aucun préjudice ;

- que la concluante n'a jamais cherché à entretenir chez sa partenaire une croyance en la poursuite des relations commerciales ;

- que la concluante, qui avait un motif légitime pour mettre un terme aux négociations, n'a commis aucune faute en rompant les pourparlers engagés en vue de l'éventuelle conclusion d'un nouveau contrat.

En conséquence, elle prie la cour de :

- confirmer le jugement entrepris ;

- condamner la société Wilson France à lui payer une somme complémentaire de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Wilson France aux dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 juin 2012.

Sur ce, LA COUR,

Vu les pièces et les écrits des parties auxquels il est renvoyé pour l'exposé du détail de leur argumentation,

Attendu que la recevabilité de l'appel en la forme n'est pas discutée ;

Attendu qu'il n'est plus discuté par les parties que la société Pflaum France n'était pas liée à la société Pflaum & Söhne par un contrat d'agent commercial mais par un contrat de distribution bien que le contrat conclu le 1er octobre 1997 ait été intitulé "Handelsagentur-Vertrag" ;

Attendu qu'il n'est pas contesté que les relations entre les parties, qui se sont poursuivies à l'issue de la période triennale envisagée par le contrat précité, avaient débuté bien avant la conclusion de celui-ci, dès 1991 ; que le contrat du 1er octobre 1997 fait implicitement référence à l'ancienneté de ces relations lorsqu'il note : "Pflaum France est à ce jour revendeur exclusif des produits du mandant et a, à cet effet, effectué des investissements importants" ;

Attendu qu'il sera rappelé :

- que selon courrier daté du 24 juillet 2008, la société Pflaum & Söhne a informé la société Pflaum France de la résiliation du contrat qui les liait à la date du 31 janvier 2009 ;

- que le 25 juillet 2008, la société Pflaum & Söhne a adressé un courrier électronique dans lequel elle a confirmé "l'envoi le 25 juillet 2008 d'une lettre de résiliation du contrat de distribution entre (la) société Pflaum France et Pflaum & Sohne respectant le préavis de six mois prévu audit contrat" ainsi que son souhait de "préserver les relations commerciales entre (la) société Pflaum France et Pflaum & Sohne via une relation commerciale directe avec cette dernière à ses meilleurs tarifs et avec un accès direct au service d'assistance technique" ;

- que la société Pflaum & Söhne proposait dans ce courrier une rencontre au plus tard le 30 octobre "afin de convenir des termes exacts de la nouvelle relation commerciale qui débutera à l'issue de préavis de six mois susmentionné" ;

- que le 10 décembre 2012, la société Pflaum & Söhne a adressé un courrier en langue allemande, dont aucune traduction n'est proposée à la cour, par lequel, d'après les informations données dans les conclusions, celle-ci a signifié la fin des négociations et confirmé la résiliation du contrat à la date du 31 janvier 2009 ;

Attendu que la société Pflaum France, présentée par le contrat comme le "revendeur exclusif" des produits Pflaum, était soumise à une exclusivité contractuelle qui lui interdisait de diversifier ses sources d'approvisionnement ; qu'en effet, l'article 6 du contrat, dans la traduction proposée à la cour, lui interdisait "d'exercer directement ou indirectement, une activité concurrente de celle du mandant et ayant pour objet les produits, objet du présent contrat et d'apporter son aide à des tiers pour une telle démarche concurrentielle" ;

Attendu qu'au regard de l'ancienneté des relations commerciales qui avaient duré plus de quinze ans, de la dépendance économique de la société Pflaum France, des enjeux financiers (l'importateur avait réalisé un chiffre d'affaires de plus de 4 000 000 euro les années qui avaient précédé la rupture), un préavis de six mois était manifestement insuffisant pour lui permettre de réorienter son activité ; qu'en effet, cette réorientation, qui exigeait la recherche d'un nouveau fournisseur, était plus difficile que l'activité du distributeur avait toujours été intimement liée aux produits de la marque Pflaum, comme en attestait sa dénomination sociale qui accréditait l'idée même d'une filiation entre les deux parties ;

Attendu qu'à cet égard, il importe peu que le contrat du 1er octobre 1997 (article 11) ait retenu un préavis de six mois ; qu'il importe également peu que la société Pflaum France n'ait alors pas revendiqué le bénéfice d'un préavis plus long ; que cette absence de protestation s'expliquait simplement par le souci du distributeur de ne pas compromettre les pourparlers qui devaient s'ouvrir avec la société intimée ;

Attendu que le préavis minimum dont la société Pflaum France aurait dû bénéficier peut être fixé à dix-huit mois ;

Attendu que si la société Pflaum & Söhne a, dès le 25 juillet 2008, exprimé son souhait de continuer à entretenir des relations commerciales après le 1er février 2009, elle n'a jamais fourni la moindre assurance sur ce point ; que d'ailleurs, durant les négociations menées jusqu'à la fin du mois d'octobre 2008, les parties ont envisagé des solutions incompatibles avec la poursuite de relations commerciales, telles que la reprise du personnel de la société Pflaum France par la société-mère de la société Pflaum & Söhne ou un rachat de la société Pflaum France ; qu'en l'état des éléments soumis à la cour, il n'est pas établi que la société Pflaum & Söhne aurait entretenu l'illusion d'une poursuite de la coopération après le 1er février 2009 ; que dans ces conditions, il convient de retenir que le préavis a commencé à courir à compter de la fin du mois de juillet 2008 ;

Attendu que la société Pflaum & Söhne ne justifie pas avoir honoré dans les conditions posées par le contrat du 1er octobre 1997 des commandes passées par l'appelante postérieurement au 1er février 2009 ;

Attendu que n'ayant bénéficié que d'un préavis d'une durée de six mois alors qu'elle pouvait légalement prétendre à un préavis de dix-huit mois, c'est à juste titre que la société Wilson France dénonce la rupture brutale d'une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6 I du Code de commerce ; que la société Pflaum & Söhne a engagé sa responsabilité civile envers son ancienne partenaire ;

Attendu que le préjudice occasionné à l'appelante par la rupture brutale des relations commerciales correspond à la marge brute qu'elle aurait retirée durant la période éludée de préavis (1 an) de son activité de distributeur des panneaux sandwich Pflaum ;

Attendu que les documents comptables produits, dont la sincérité n'est pas discutée, attestent d'une constance de l'activité de la société Pflaum France :

Exercice / chiffre d'affaires

clos le 31 décembre 2004 / 2 634 002 euro

clos le 31 décembre 2005 / 4 076 408 euro

clos le 31 décembre 2006 / 4 717 553 euro

clos le 31 décembre 2007 / 4 312 890 euro

clos le 31 décembre 2008 / 4 313 804 euro

Attendu que durant ces exercices, son taux de marge de brut a fluctué entre 18 % et 21 % ;

Attendu qu'il est raisonnable de considérer que la société Pflaum France aurait réalisé un chiffre d'affaires de 4 000 000 euro au cours de l'année éludée, compte tenu du tassement de l'activité du bâtiment ; que dans ces conditions, son préjudice sera chiffré à 750 000 euro ;

Attendu que la société Pflaum & Söhne qui succombe supportera les dépens de première instance et d'appel et réglera une indemnité de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement entrepris ; Statuant à nouveau, Condamne la société Pflaum & Söhne à payer à la société Wilson France une somme de 750 000 euro (sept cent cinquante mille euros) à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour ; Condamne la société Pflaum & Söhne à payer à la société Wilson France une somme de 6 000 euro (six mille euros) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Pflaum & Söhne aux dépens de première instance et d'appel.