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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 22 janvier 2013, n° 12-11374

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Carrefour Proximité France (SAS)

Défendeur :

Soegredis (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bourquard

Conseillers :

Mmes Taillandier-Thomas, Pignon

Avocats :

Mes de Maria, Charlet, Guizard, Brouard

T. com. Melun, prés., du 6 juin 2012

6 juin 2012

La SAS Carrefour Proximité France, anciennement dénommée Prodim, a conclu, le 4 février 2002, un contrat de franchise sous l'enseigne "Shopi" avec la SARL Soegredis en vue de l'exploitation d'un commerce de détail situé rue de Lorrez à Egreville (77).

Ce contrat a été conclu pour une durée de sept années, renouvelable par tacite reconduction.

Il a fait l'objet d'un avenant, le 9 janvier 2008, portant sa durée à dix ans.

Par courrier du 19 octobre 2011, la SARL Soegredis a mis fin au contrat à compter du 3 février 2012.

Contestant cette résiliation, la SAS Carrefour Proximité France, l'a fait assigner, le 6 juin 2012, devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Melun aux fins de lui voir ordonner de reprendre l'intégralité de ses obligations contractuelles notamment la réapposition de l'enseigne "Shopi" sur la fronton de son magasin.

Par ordonnance du 6 juin 2012, elle a été déboutée de ses demandes et condamnée à verser à la SARL Soegredis la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Appelante de cette décision, la SAS Carrefour Proximité France, par conclusions déposées le 3 décembre 2012, demande à la cour de l'infirmer, de débouter la SARL Soegredis de toutes ses demandes, fins et conclusions, de lui ordonner de reprendre l'intégralité de ses obligations contractuelles, en ce compris, la réapposition de l'enseigne "Shopi" sur le fronton du magasin, le respect de l'obligation au titre de l'assortiment minimum et l'arrêt de la commercialisation de produits MDD concurrents, à titre de mesure conservatoire et de remise en état jusqu'à ce que la sentence que doit rendre le tribunal arbitral, devant être saisi par les parties sur le fond du litige, intervienne et soit rendue exécutoire, et ce sous astreinte de 3 000 euro par infraction et par jour de retard jusqu'à parfaite exécution de l'arrêt et de la condamner au paiement de la somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'en tous les frais et dépens de l'instance.

Par conclusions déposées le 4 décembre 2012, la SARL Soegredis demande à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et de condamner la SAS Carrefour Proximité France, à lui payer la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Sur ce, LA COUR

Considérant que la SAS Carrefour Proximité France fait valoir que le contrat de franchise ne comporte pas de clause de résiliation de plein droit mais une simple clause de résiliation qui suppose nécessairement la saisine du juge, qu'en outre, l'intimée a adhéré, le 26 octobre 2011, soit postérieurement à sa lettre de mise en demeure du 19 précédent, au plan de vente de 2012, qu'elle est irrecevable, suivant le principe de l'estoppel selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui, à se prévaloir de sa mise en demeure qui est contredite expressément par son adhésion au plan de vente ; que la rupture brutale et anticipée du contrat de franchise par la SARL Soegredis et corrélativement la dépose de l'enseigne "Shopi" telle que constatée le 6 février 2012, et ce en violation du contrat, constituent un trouble manifestement illicite et que le juge des référés, au visa des articles 873 et 1449 du Code de procédure civile, peut prendre toutes mesures conservatoires et de remise en état destinées à préserver le contrat jusqu'à la décision au fond de l'instance arbitrale ;

Considérant que la SARL Soegredis répond que sa mise en demeure du 19 octobre 2011 adressée à l'appelante d'avoir à respecter ses obligations contractuelles vise expressément l'article 8 du contrat de franchise, que faute de réponse, elle a invoqué la résiliation du contrat et fixé la fin de leurs relations contractuelles au 3 février 2012, terme conventionnel du contrat, et déposé l'enseigne, que la compétence du juge des référés est subordonnée à une condition d'urgence dont il n'est pas justifié en l'espèce, que le contrat prévoit une possibilité de rupture anticipée, que la résiliation est justifiée par des manquements graves : un réseau à l'abandon au profit d'autres enseignes du groupe, une absence de prestation du franchiseur, un défaut de remise du document d'information précontractuelle et une politique de prix défaillante, que le plan de vente a été signé alors même que le délai d'un mois ouvert par la mise en demeure n'était pas expiré et qu'il ne vaut pas renonciation à celle-ci ;

Considérant que l'article 1449 du Code de procédure civile énonce que l'existence d'une convention d'arbitrage ne fait pas obstacle, tant que le tribunal arbitral n'est pas constitué, à ce qu'une partie saisisse une juridiction de l'Etat aux fins d'obtenir une mesure d'instruction ou une mesure provisoire ou conservatoire et que, sous réserve des dispositions régissant les saisies conservatoires et les sûretés judiciaires, la demande est portée devant le président du tribunal de grande instance ou de commerce, qui statue sur les mesures d'instruction dans les conditions prévues à l'article 145 et, en cas d'urgence, sur les mesures provisoires ou conservatoires sollicitées par les parties à la convention d'arbitrage ;

Considérant qu'aux termes de l'article 873 alinéa 1er du Code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;

Considérant que le trouble manifestement illicite désigne toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit ;

Considérant que le contrat de franchise en date du 4 février 2002 conclu entre les parties prévoit expressément en son article 13 que "toutes contestations auxquelles pourront donner lieu l'interprétation et l'exécution du présent accord, seront soumises à trois arbitres" ; qu'il est constant, toutefois, que cette clause compromissoire n'a pas été mise en œuvre à ce jour et qu'aucun tribunal arbitral n'a, en conséquence, été constitué ; que la juridiction des référés est, en conséquence, compétente pour statuer sur la demande de mesure conservatoire et de remise en état présentée par la SAS Carrefour Proximité France ;

Considérant que l'article 6 "DUREE DE L'ACCORD" de ce même contrat énonce :

"Le présent accord est conclu pour une durée de sept années pleines et entières, commençant à courir à compter de la date de signature des présentes. Il se renouvellera ensuite automatiquement par périodes de sept ans, à défaut de dénonciation par l'une ou l'autre des parties, par lettre recommandée avec accusé de réception, un an avant l'expiration de la période en cours" ;

Considérant qu'aux termes de l'avenant du 9 janvier 2008, les parties ont convenu de proroger de trois années la durée initiale du contrat de franchise la portant de 7 à 10 ans, à compter de la date de signature du contrat de franchise, ledit contrat demeurant renouvelable par périodes de 7 ans ;

Considérant qu'en application de ces dispositions, le contrat de franchise venait à échéance le 3 février 2012 et était renouvelable, à défaut de dénonciation un an auparavant, pour sept ans à compter du 4 suivant ;

Considérant que l'article 8 "RESILIATION" du contrat de franchise est ainsi rédigé :

"Tout manquement au présent accord fera l'objet d'une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception adressée à la partie défaillante. A défaut par cette dernière de remplir ses engagements dans le délai d'un mois, à réception de la mise en demeure, l'autre partie pourra invoquer la résiliation du contrat.

Celui-ci sera résilié de plein droit et immédiatement si bon semble au franchiseur dans l'un quelconque des cas suivants :

* en cas de non-fourniture de l'intégralité des éléments permettant le calcul de la cotisation de franchise,

* en cas de non-paiement à son échéance d'un seul terme de la cotisation de franchise,

* en cas d'exploitation déficitaire,

* en cas de décès du franchisé,

* en cas de non-respect de l'assortiment minimum,

* en cas de redressement ou de liquidation judiciaire du franchisé." ;

Considérant que l'article 9 "EXPIRATION DE L'ACCORD" dispose quant à lui :

"A la fin du présent contrat ou en cas de rupture de celui-ci et quelle que soit la partie qui en est à l'origine, le franchisé s'oblige à remettre au franchiseur tous les documents publicitaires, commerciaux ou autres dont il a disposé au cours de la franchise.

Le franchiseur sera également en droit de faire décrocher immédiatement l'enseigne du franchisé et de lui interdire de poursuivre l'exploitation de son activité sous celle-ci, sous peine d'astreintes et de dommages intérêts. Le franchisé perdra immédiatement le bénéfice de tous les avantages prévus à la franchise et, en conséquence, ne pourra utiliser directement ou indirectement le savoir-faire de la franchise ou réaliser sa communication à un tiers, sous peine de tous dommages intérêts et de poursuite, en concurrence déloyale." ;

Considérant que par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 19 octobre 2011, la SARL Soegredis, reprochant à la SAS Carrefour Proximité France d'abandonner l'exploitation de l'enseigne Shopi et de ne pas respecter ses obligations de franchiseur, l'a informée qu'elle envisageait de mettre fin à leurs relations le 3 février 2012 soit après dix ans d'exploitation de son enseigne et l'a mise expressément en demeure de respecter ses obligations nées tant du contrat de franchise que d'approvisionnement à savoir : communication du DIP lui permettant de se positionner quant aux conditions d'exploitation qui lui seront imposées en cas de poursuite du contrat après son terme contractuel, état du réseau et perspectives d'évolution de l'enseigne, communication des opérations de publicité et de promotion spécifiques à l'enseigne Shopi et justification de la contrepartie de la redevance de publicité réglée par elle, justification des prestations réalisées pour son compte conformément aux obligations listées au contrat de franchise (organisation générale, animation et publicité, définition de l'assortiment (...)), application d'une politique tarifaire permettant un positionnement compétitif tant à l'achat que pour ce qui concerne les prix de cession et justification de ce que le tarif qui lui est appliqué correspond au TAREP 102 comme indiqué au prévisionnel et communication des conditions générales de vente notamment conditions des remises et ristournes et de la participation publicitaire des fabricants ; qu'elle a précisé que cette mise en demeure s'inscrivait dans le cadre des dispositions de l'article 8 du contrat de franchise et de l'article 9 du contrat d'approvisionnement ;

Considérant que la SAS Carrefour Proximité France a répondu à cette mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 janvier 2012 en contestant les reproches qui lui étaient faits et en indiquant qu'elle entendait voir le contrat de franchise respecté jusqu'à son échéance contractuelle du 4 février 2019 minimum ;

Considérant que par courrier du 27 janvier 2012, la SARL Soegredis a maintenu ses griefs à l'égard du franchiseur et a fixé la fin de leurs relations contractuelles au 3 février 2012 comme annoncé dans sa lettre du 19 octobre 2011 ;

Considérant que la SAS Carrefour Proximité France lui a répondu, le 1er février 2012, qu'elle n'acceptait aucune rupture anticipée du contrat de franchise les liant jusqu'au 4 février 2019 et qu'elle prendrait toutes mesures pour faire respecter ledit contrat si elle persistait dans sa décision ;

Considérant que l'appelante a fait constater par huissier de justice le 2 février 2012 que l'enseigne Shopi était présente sur le magasin exploité par sa cocontractante à Egreville puis, le 6 février 2012, qu'elle avait été déposée et remplacée par celle de "Supermarché d'Egreville" ; que la présence de produits de marque propre concurrente a été constatée, en outre, dans les rayons de ce magasin, le 16 mars 2012 ;

Considérant que la SAS Carrefour Proximité France prétend que la rupture brutale et anticipée du contrat de franchise avant son terme par la SARL Soegredis et corrélativement la dépose de l'enseigne Shopi en violation de ce contrat constituent un trouble manifestement illicite et que l'urgence découle de la nécessité de mettre fin à celui-ci ;

Considérant, cependant, que le contrat de franchise prévoit en son article 8 la faculté pour chaque partie de se prévaloir de la résiliation anticipée du contrat, en cas de manquement par l'autre à ses obligations contractuelles, un mois après une mise en demeure restée sans effet ; que les termes de l'article 9 confirment que chacune des parties peut être à l'origine de la rupture du contrat ; qu'il s'agit là, en conséquence, d'une clause de résiliation unilatérale dont la mise en œuvre est soumise au contrôle a posteriori du juge quant à la gravité des manquements invoqués et à son caractère abusif, le cas échéant, et qui se résout en dommages et intérêts ; qu'il ne peut dès lors lui être opposé le principe selon lequel "nul ne peut se faire justice à soi-même" ;

Considérant que la mise en demeure de la SARL Soegredis, réceptionnée le 24 octobre 2011 par la SAS Carrefour Proximité France, est restée sans effet dans le mois qui a suivi puisque cette dernière n'y a répondu que le 27 janvier 2012 pour en contester les termes ; qu'il s'est, en outre, écoulé plus de trois mois entre cette mise en demeure et la date d'effet de la résiliation ; que celle-ci correspond, au surplus, à la date d'échéance contractuelle du contrat alors en cours ; que, certes, postérieurement à l'envoi de sa mise en demeure, la SARL Soegredis a signé, le 26 octobre 2011, le plan de vente 2012 Shopi ; qu'il ne saurait, pour autant, en être déduit, alors que le délai d'un mois accordé à la SAS Carrefour Proximité France pour se conformer à ses engagements contractuels n'était pas expiré et que la résiliation n'était dès lors pas acquise, la volonté non équivoque de l'intimée de renoncer à celle-ci et le droit pour l'appelante de ne pas répondre à cette mise en demeure ;

Considérant, en conséquence, que la résiliation unilatérale du contrat pas la SARL Soegredis a été mise en œuvre conformément à la clause contractuelle ; qu'il n'est pas établi, avec l'évidence exigée en référé, que les manquements reprochés à la SAS Carrefour Proximité France seraient dépourvus de gravité suffisante pour justifier cette résiliation alors que l'appelante reconnaît qu'elle fait évoluer son réseau en cessant progressivement d'exploiter l'enseigne Shopi au profit de celle de Carrefour City, qu'elle ne démontre ni même ne prétend avoir proposé à la SARL Soegredis d'adhérer à ce "nouveau concept" et que seuls les juges du fond seront à même d'apprécier si la poursuite de l'animation du réseau Shopi et de son assistance au franchisé qu'elle invoque est suffisante, dans ces conditions, au regard de ses obligations contractuelles ;

Considérant qu'en l'absence de trouble manifestement illicite, l'ordonnance entreprise sera dès lors confirmée en toutes ses dispositions ;

Considérant que la SAS Carrefour Proximité France qui succombe supportera les dépens d'appel et versera à la SARL Soegredis la somme complémentaire précisée au dispositif du présent arrêt au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour ;

Par ces motifs : Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions : Condamne la SAS Carrefour Proximité France à verser à la SARL Soegredis la somme complémentaire de 5 000 (cinq mille) euros au titre de l'application de l'article 700 du Code de procédure civile en appel ; Condamne la SAS Carrefour Proximité France aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.