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Décisions

CA Nîmes, 2e ch. com. B, 24 janvier 2013, n° 11-02953

NÎMES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sover Srl Industria Occhhiali (Sté)

Défendeur :

LP Lunetterie Parisienne (SARL), Torelli (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Filhouse

Conseillers :

MM. Bertrand, Gagnaux

Avocats :

SCP Guizard Servais, SCP Sarlin Chabaud Marchal Mallet, SCP Curat Jarricot, Me Segond

T. com. Nîmes, du 21 janv. 2011

21 janvier 2011

Exposé

Vu l'appel interjeté le 21 juin 2011 par la société de droit italien "Sover" Srl à l'encontre du jugement prononcé le 21 janvier 2011 par le Tribunal de commerce de Nîmes dans l'instance n° 2008J235, à laquelle a été jointe l'instance 2008J544.

Vu les dernières conclusions déposées le 6 juin 2012 par l'appelante et le bordereau de pièces qui y est annexé.

Vu les conclusions déposées le 21 novembre 2011 par la SARL "Lunetterie Parisienne" (également désignée sous son sigle "LP") et par Maître Frédéric Torelli, ès qualités de mandataire judiciaire et commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde de la SARL "LP", intimés, et le bordereau de pièces qui y est annexé.

Vu la communication de la procédure au Ministère public qui l'a visée le 9 juillet 2012.

Vu l'ordonnance de clôture de la procédure à effet différé au 8 novembre 2012.

Suivant acte sous seing privé du 1er mai 2000, rédigé en langue anglaise et soumis à l'examen de la cour sans traduction, la Srl "Sover" a confié à la SARL "LP" la concession et la distribution exclusive sur le territoire français de ses lunettes de soleil et de ses montures fabriquées sous la marque "Lotto", les commandes, d'un minimum de 10 000 lunettes de soleil et montures de la marque par an, étant payables à 90 jours et la convention, conclue pour trois années, étant ensuite tacitement reconduite chaque année aux mêmes conditions, à défaut de dénonciation par l'une des parties, par lettre recommandée, trois mois au moins avant l'expiration du terme.

Il ressort par ailleurs des écritures des parties que si la distribution des lunettes de la marque "Lotto" a cessé à partir de l'année 2004, pour lui voir substituée celle de la marque "Alviero Martini", elles admettent que c'est cette convention du 1er mai 2000 qui a continué à régir leurs relations commerciales.

Selon courriels des 12 et 14 février 2007, la Srl "Sover" a accusé réception d'un paiement partiel et informait la SARL "LP" de la cessation de leur collaboration pour la distribution de la marque "Alviero Martini".

Par exploit du 25 avril 2008, la Srl "Sover" a fait assigner la SARL "LP" en paiement d'un solde de facture devant le Tribunal de commerce de Nîmes.

La SARL "LP" ayant bénéficié, par jugement du Tribunal de commerce de Nîmes, en date du 3 septembre 2008, de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, suivie d'un plan de sauvegarde arrêté par jugement du 15 septembre 2009, la Srl "Sover" déclarait, par lettre recommandée avec avis de réception du 9 octobre 2008, une créance de 57 696,50 euros entre les mains de Maître Frédéric Torelli, ès qualités, et assignait celui-ci en intervention forcée aux fins de constatation et fixation de cette créance ;

Par jugement du 21 janvier 2011, le Tribunal de commerce de Nîmes a, au visa des articles 1134 et L. 442-6-5 du Code de commerce :

jugé fautive la rupture du contrat à l'initiative de la Srl "Sover" au 12 février 2007 ;

condamné la Srl "Sover" à payer à Maître Frédéric Torelli, ès qualités, 222 572,88 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique subi,

condamné la Srl "Sover" a reprendre l'intégralité du stock correspondant aux produits contractuels griffés "Lotto" et/ou "Martini", et à régler à Maître Frédéric Torelli, ès qualités, une valeur d'achat de 47 775,23 euros ;

ordonné la compensation entre les créances des parties ;

condamné la Srl "Sover" à payer après compensation à Maître Frédéric Torelli, ès qualités, la somme de 203 647,61 euros ;

ordonné l'exécution provisoire du jugement ;

rejeté le surplus des demandes ;

condamné la Srl "Sover" aux dépens et à payer à Maître Frédéric Torelli, ès qualités, 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile

La Srl "Sover" a relevé appel de ce jugement pour voir, au visa des articles 1134, 1147, 1184 et suivants du Code civil, L. 442-6-I-5° et L. 622-22 du Code de commerce :

à titre principal, dire que la SARL "LP" a commis une faute grave en raison de ses manquements contractuels et en conséquence :

prononcer la résiliation du contrat de distribution aux torts exclusifs de cette dernière ;

confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné le paiement des factures pour un montant total de 57 696,50 euros ;

rejeter le surplus des demandes de la SARL "LP" et de Maître Frédéric Torelli, ès qualités ;

à titre surabondant, dire que la SARL "LP" a agi de mauvaise foi et est mal fondée dans l'ensemble de ses griefs, et en conséquence, en tout état de cause :

rejeter l'ensemble des demandes de la SARL "LP" et de Maître Frédéric Torelli, ès qualités, visant à faire constater la rupture brutale des relations commerciales établies de son fait, comme étant irrecevables et mal fondées et l'en débouter ;

réformer le jugement en ce qu'il a fait droit à leurs demandes tendant à la reprise du stock et à la reconnaissance d'un préjudice économique d'un montant de 203 647,61 euros ;

fixer sa créance au passif de la SARL "LP" à la somme de 57 696,50 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 19 septembre 2007, date de sa mise en demeure, et capitalisation des intérêts ;

fixer au passif de la SARL "LP" sa créance de frais irrépétibles, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, à la somme de 10 000 euros ;

condamner la SARL "LP" aux dépens.

Concluant à titre principal au visa de l'article 1134 du Code civil, subsidiairement au visa de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, la SARL "LP" et Maître Frédéric Torelli, ès qualités, concluent à la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré fautive la rupture du contrat, intervenue le 12 février 2007 à l'initiative de la Srl "Sover" et en conséquence :

condamner la Srl "Sover" à réparer le préjudice de la SARL "LP" :

en reprenant l'intégralité du stock correspondant aux produits griffés "Lotto" et/ou "Martini", soit une valeur d'achat de 58 909,23 euros hors taxes

en condamnant la Srl "Sover" au paiement de 222 572 euros de dommages et intérêts après compensation ;

en condamnant la Srl "Sover", après compensation entre le montant des factures impayées et ces indemnités, au paiement de 223 785 euros ;

condamner la Srl "Sover" aux dépens de l'instance, ainsi qu'au paiement de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

Discussion

Attendu qu'il ne ressort pas des pièces de la procédure de moyen d'irrecevabilité des appels que la cour devrait relever d'office, et les parties n'élèvent aucune discussion sur ce point ;

Sur la demande principale en fixation de créance :

Attendu que tout en soutenant qu'il ne restait dû à la Srl "Sover" qu'une somme de 27 069 euros à la date du 4 décembre 2006, avec pour échéance le 31 décembre 2006, au motif que la Srl "Sover", en ne réclamant plus le paiement des factures antérieures dans ses courriers de décembre 2006, aurait abandonné le bénéfice des factures antérieures, la SARL "LP" et Maître Frédéric Torelli, ès qualités, indiquent ne pas contester les factures concernées par le litige ;

Attendu que si effectivement il ressort de deux courriels des 4 et 14 décembre 2006, que la Srl "Sover" a donné la liste des quatre factures éditées en septembre 2006, à échéance du 31 décembre 2006, sans rappeler les créances antérieures en souffrance, il n'en résulte pas pour autant une manifestation non équivoque de la créancière d'abandonner le recouvrement de ces créances antérieures restées impayées ;

Attendu que dès lors, aucune réserve, ni critique n'ayant été relevée à l'égard des marchandises livrées, la Srl "Sover" est fondée à voir fixer sa créance au montant sollicité de 57 696,50 euros qui tient compte des avoirs consentis ;

Attendu que néanmoins, la reprise de l'action interrompue par le jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde étant subordonnée à la déclaration préalable de la créance, la Srl "Sover" ne saurait demander à voir fixer une créance accessoire d'intérêts au passif de la SARL "LP", dès lors qu'elle n'a pas été visée dans la déclaration de créance soumise à l'examen de la cour ;

Sur la demande reconventionnelle en réparation des conséquences de la rupture des relations commerciales :

Attendu que la SARL "LP" et Maître Frédéric Torelli reprochent à la Srl "Sover" d'avoir rompu sans préavis leur relation contractuelle, alors que faute de l'avoir dénoncée dans les trois mois précédant le terme du contrat tacitement reconduit, celui-ci devait être renouvelé pour un an à compter du 1er mai 2007 ;

Attendu que la Srl "Sover" (qui conteste par ailleurs le caractère brutal de la rupture, dès lors qu'elle a proposé, dans ses différents courriels, d'organiser au mieux la fin des relations contractuelles, d'assurer l'assistance après-vente de ses clients et de lui livrer les commandes antérieurement passées) estime que la rupture des relations contractuelles était justifiée par la faute grave de la SARL "LP", dès lors que cette dernière n'a jamais su respecter les échéances prévues pour le règlement des factures, la condition résolutoire étant toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques en application de l'article 1184 du Code civil, tandis qu'il est de jurisprudence bien établie que "la gravité du comportement d'une partie à un contrat peut justifier que l'autre partie y mette fin de façon unilatérale, à ses risques et périls, peu important que le contrat soit à durée déterminée ou non" ;

Mais attendu que par un premier courriel du 12 février 2007, la Srl "Sover", après avoir énoncé une liste de motifs d'insatisfaction (à savoir un intérêt réduit pour la distribution de sa griffe, caractérisé par des retards de paiement, la non-réception de son "business plan" et un "turnover de ventes réduit"), a indiqué à la SARL "LP" souhaiter l'informer par avance de sa décision de cesser leur collaboration en continuant d'assurer toutefois l'après-vente pour ses clients ;

Et attendu que par un deuxième courriel du 14 février 2007, la Srl "Sover" a notifié à la SARL "LP" la décision de son conseil d'administration de mettre fin à leur rapport de collaboration et d'attendre ses propositions pour définir la meilleure solution pour que cette cessation ne pénalise pas ses clients et livraisons ;

Attendu qu'il ressort des termes clairs et précis de cette notification que la Srl "Sover" a pris la décision unilatérale de rompre sans préavis le contrat de distribution qui liait les parties et qui, faute d'avoir été dénoncé dans le délai conventionnel, devait être reconduit jusqu'au 30 avril 2008 ;

Attendu qu'il importe peu en effet que le fournisseur, en décidant de rompre, indique rester dans l'attente de propositions de son partenaire pour accompagner les conséquences de cette rupture, d'une part, quant au suivi des commandes et au sort des fournitures antérieures et, d'autre part, quant à la poursuite du service après-vente, dès lors que la convention de distribution exclusive prend immédiatement fin et que ces mesures d'accompagnement n'ont pas pour effet la poursuite de l'accord ;

Et attendu que s'agissant d'un contrat à durée déterminée, les parties ne peuvent y mettre fin unilatéralement avant l'arrivée du terme, sauf à justifier d'un manquement grave du cocontractant qui aurait pour conséquence de rendre impossible le maintien des rapports contractuels ;

Or attendu que le simple retard dans les paiements ne caractérise pas un manquement d'une gravité suffisante pour permettre cette résiliation unilatérale, d'autant qu'elle n'a été précédée d'aucune mise en demeure préalable et que la SARL "LP" n'a jamais opposé un refus de paiement, les autres motifs de rupture énoncés dans le courriel du 12 février 2007 étant également insuffisants à caractériser un manquement dont la gravité serait de nature à empêcher le maintien du lien contractuel ;

Attendu qu'au surplus, la SARL "LP" et Maître Frédéric Torelli, ès qualités, soulignent à juste titre qu'il se déduit de la création, selon statuts du 28 février 2007, de la SARL "Sover France", immatriculée le 7 mai 2007 au registre du commerce et des sociétés de Créteil, que le véritable motif de la rupture était en réalité la volonté d'assurer elle-même la distribution de ses produits sur le territoire français ;

Attendu que d'autre part, la rupture étant définitivement consommée à tout le moins à la date du 14 février 2007, sans que la SARL "LP" ait été mise en demeure d'accomplir les obligations auxquelles elle aurait prétendument manqué, la Srl "Sover" de saurait davantage voir prononcer actuellement une résiliation judiciaire de la convention en application des dispositions de l'article 1184 du Code civil ;

Attendu qu'il s'ensuit que la Srl "Sover" est tenue de réparer les conséquences préjudiciables de cette rupture anticipée des relations contractuelles ;

Attendu que la SARL "LP" et Maître Frédéric Torelli, ès qualités, sollicitent en premier lieu la reprise des stocks invendus à la date de la rupture ;

Mais attendu que la SARL "LP" ayant acquis la propriété des marchandises et la convention des parties ne prévoyant pas leur reprise à la fin du contrat, il leur incombe de justifier que leur mévente serait une conséquence de la rupture ;

Or attendu que la rupture des relations contractuelles étant intervenue le 14 février 2007, la SARL "Sover France" n'a commencé son activité que le 2 mai 2007, sans qu'au surplus il ne se déduise du moindre élément que la SARL "LP" se serait heurtée à une interdiction de revendre les produits antérieurement acquis ;

Attendu qu'au contraire il se déduit des courriels du 12 et du 14 février 2007, que la Srl "Sover" était prête à favoriser la revente des marchandises acquises et à en assurer le service après-vente ;

Attendu qu'il convient en conséquence de réformer le jugement déféré en ce qu'il a ordonné la reprise de la valeur du stock à titre de compensation de préjudice ;

Attendu que pour justifier de son préjudice économique, la SARL "LP" se contente de donner à la cour la moyenne des achats réalisés sur les trois derniers exercices ayant précédé la rupture, soit 206 086 euros, et d'en déduire un chiffre d'affaires théorique en appliquant à cette moyenne un coefficient multiplicateur de 2,4 avant de retenir un taux de charge de 55 % ;

Mais attendu que la SARL "LP" et Maître Frédéric Torelli, ès qualités, s'abstiennent de produire les éléments comptables qui permettraient à la cour de vérifier le taux de marge nette que le distributeur retirait de la vente de ces produits, de sorte qu'il n'est pas justifié de la réalité du coefficient multiplicateur retenu, ni du poids réel des charges ;

Attendu que dès lors compte tenu des éléments soumis à l'examen de la cour et eu égard à la forte valeur ajoutée qui peut être attendue de la commercialisation de ce type de produit, le préjudice économique de la SARL "LP" sera évalué à 50 % de la valeur annuelle moyenne d'achat de ces produits, soit à 103 043 euros ;

Attendu que les créances réciproques procédant du même contrat il peut être opéré une compensation entre elles, étant précisé qu'il importe peu, pour pratiquer cette compensation, que la Srl "Sover" ait accepté, dans le cadre du plan de sauvegarde, l'option d'un remboursement en un seul dividende de 30 % du montant de la créance et abandon du surplus ;

Attendu qu'en effet, seule la créance résiduelle éventuelle après compensation est susceptible de participer à la distribution des dividendes ;

Attendu qu'ainsi, après compensation des créances réciproques, la créance de la Srl "Sover" sera éteinte et cette dernière restera devoir une soulte de :

103 043 euros - 57 696,50 euros = 45 346,50 euros ;

Attendu que cette somme devra être payée entre les mains de la SARL "LP" et non entre celles du commissaire à l'exécution du plan ;

Sur les frais de l'instance :

Attendu que la Srl "Sover" qui est responsable de la rupture, et par voie de conséquence du procès, devra supporter les dépens de l'instance ;

Attendu que cependant, son appel étant partiellement justifié, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Reçoit les appels en la forme. Au fond, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a : déclaré fautive la rupture de la relation contractuelle intervenue les 12 et 14 février 2007 à l'initiative de la société de droit italien "Sover" Srl ; statué sur le sort des dépens de première instance. Mais le réformant pour le surplus de ses dispositions, Fixe à 57 696,50 euros la créance de la société de droit italien "Sover" Srl au passif de la SARL "Lunetterie Parisienne". Fixe à 103 043 euros le préjudice économique subi par la SARL "Lunetterie Parisienne" à la suite de la rupture du contrat de distribution l'ayant liée à la société de droit italien "Sover" Srl. Et ordonnant la compensation des créances réciproques, Déclare éteinte la créance de la société de droit italien "Sover" Srl. Condamne la société de droit italien "Sover" Srl à payer à la SARL "Lunetterie Parisienne" une créance indemnitaire résiduelle de 45 346,50 euros. Et déboutant les parties du surplus de leurs demandes, Dit que la société de droit italien "Sover" Srl supportera les dépens d'appel. Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de quiconque. Dit que la SCP d'avocats "Curat & Jarricot" pourra recouvrer directement contre la partie ci-dessus condamnée, ceux des dépens dont elle aura fait l'avance sans en recevoir provision, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.