Cass. com., 29 janvier 2013, n° 11-27.351
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Interior's (SAS), Le Broussois
Défendeur :
Cades (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Rapporteur :
Mme Pezard
Avocat général :
M. Mollard
Avocats :
SCP Piwnica, Molinié, SCP Gatineau, Fattaccini
LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Interior's et M. Le Broussois que sur le pourvoi incident relevé par la société Cades ; - Attendu que M. Le Broussois et la société Interior's, estimant que la société Cades, nonobstant ses engagements résultant d'un protocole transactionnel du 26 novembre 2007, commercialisait toujours en France un modèle de meuble "4 bacs" reproduisant les caractéristiques de deux modèles communautaires de meubles "4 bacs" et "centre de pièce", déposés auprès de l'OHMI le 18 octobre 2005 sous les n° 000418439-0013 et- 0014, ont fait assigner cette société en contrefaçon et concurrence déloyale ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident : - Attendu que la société Cades fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation du protocole d'accord du 26 novembre 2007 et de remboursement de la somme payée à titre d'indemnité dans le cadre dudit protocole, alors, selon le moyen : 1°) que la transaction, qui se renferme dans son objet et qui ne règle que les différends qui s'y trouvent compris, peut être rescindée en cas d'erreur sur l'objet même de la contestation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que la transaction du 26 novembre 2007, relative au modèle déposé n° 000418439-0013, ne pouvait être annulée à raison de la découverte ultérieure par la société Cades d'un dépôt de modèle préexistant aux motifs inopérants que "s'agissant d'un enregistrement de modèle, [il pouvait] être connu de la société Cades à la date de l'accord (...) d'autant qu'elle exer[çait] le même type d'activité" et qu' "aucune manœuvre n'[était] en fait caractérisée" ; qu'en se déterminant ainsi sans rechercher, comme il lui était demandé, si la transaction n'était pas nulle en raison d'une erreur sur l'objet même de la contestation, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 2048, 2049 et 2053 du Code civil ; 2°) que la transaction, qui se renferme dans son objet et ne règle que les différends qui s'y trouvent compris, peut être rescindée en cas d'erreur sur l'objet de la contestation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a considéré que la transaction du 26 novembre 2007, relative au modèle déposé n° 000418439-0013, ne pouvait être annulée à raison de la découverte ultérieure par la Cades d'un dépôt de modèle préexistant par la société Interior's, a par ailleurs considéré que le premier enregistrement du modèle, qui avait eu lieu le 2 juin 2005, n'avait eu aucune incidence sur la validité du modèle revendiqué, parce qu'il avait été effectué moins de 12 mois auparavant ; qu'en se déterminant par de tels motifs inopérants, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 2048, 2049 et 2053 du Code civil ;
Mais attendu qu'il ne résulte ni des conclusions ni de l'arrêt que la société Cades ait soutenu devant les juges du fond des prétentions fondées sur une erreur portant sur l'objet de la contestation ; que le moyen, nouveau et mélangé de fait et de droit, est irrecevable ;
Sur le troisième moyen du pourvoi principal : - Attendu que M. Le Broussois et la société Interior's font grief à l'arrêt de rejeter l'action en contrefaçon de la société Interior's à l'encontre de la société Cades, alors, selon le moyen, qu'est éligible à la protection du droit d'auteur toute œuvre qui porte l'empreinte de la personnalité de son auteur ; que l'appartenance d'une œuvre à un style connu n'exclut pas la confection d'une création originale ; qu'en affirmant, pour dénier toute originalité aux modèles de meubles "4 bacs" et "centre de pièce", dont elle constatait par ailleurs qu'ils étaient inédits et procédaient de choix arbitraires, que les agencements revendiqués renvoyaient, dans leur aspect d'ensemble, à un type connu de meubles rustiques, la cour d'appel, qui s'est déterminée par un motif inopérant, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 111-1, L. 112-1 et L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu que l'arrêt retient souverainement que le modèle de meuble "centre de pièce" apparaît comme une déclinaison du modèle de meuble "4 bacs" et que ces deux meubles commercialisés par la société Interior's reprennent les caractéristiques de deux chiffonniers 4 tiroirs avec un plateau plus large, l'un présentant 3 tiroirs de forme trapézoïdale, l'autre des pieds en biseau, et d'un chiffonnier avec des bacs de forme trapézoïdale renversée avec présentation d'une inscription, qui préexistaient au dépôt des modèles litigieux ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire l'absence de l'empreinte de la personnalité de l'auteur des modèles litigieux, leur conférant une originalité les rendant protégeables au titre des droits d'auteur ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le quatrième moyen du pourvoi principal : - Attendu que M. Le Broussois et la société Interior's font encore grief à l'arrêt de rejeter les demandes de la société Interior's fondées sur la concurrence déloyale et le parasitisme, alors, selon le moyen, que la société Interior's faisait valoir, en cause d'appel, que les meubles commercialisés par la société Cades étaient "tellement proches des modèles originaux qu'il s'en infère nécessairement un risque de confusion" ; qu'en se bornant à affirmer, pour rejeter la demande en concurrence déloyale de la société Interior's, qu'elle ne démontrait pas l'existence d'un risque de confusion entre le modèle de table basse commercialisé par la société Cades et son propre modèle de table basse, sans s'expliquer sur le risque de confusion entre les meubles commercialisés par la société Cades et les modèles "4 bacs" et "centre de pièce", la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt ne se borne pas à retenir que la société Interior's ne démontre pas l'existence d'un risque de confusion, mais relève que la table basse en bois peint en blanc et celle d'aspect bois ciré qu'elle commercialise, pour laquelle elle ne revendique aucune protection particulière, reprend, sous un espace médian évidé, la présence sur une étagère de bacs amovibles de forme trapézoïdale à poignées percées avec inscriptions et d'un plateau plus large en bois plus foncé, alors que la table basse incriminée ne comporte pas ces inscriptions mais la mention "maison de campagne" en partie haute et que des tiroirs se substituent aux bacs, et retient que la ligne clairement désignée "maison de campagne" de la société Cades, à dominante bois peint en blanc reconnaissable, ne saurait être confondue avec la gamme de la société Interior's d'aspect bois ciré prenant le parti de pouvoir évoquer le contenu de rangements non visibles ; que le moyen manque en fait ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche : - Vu les articles 1134 et 2052 du Code civil ; - Attendu que pour déclarer irrecevable M. Le Broussois à agir pour la défense de son droit moral d'auteur sur le modèle de meuble "4 bacs", l'arrêt retient que la reconnaissance de ses droits sur le meuble en litige, par la société Cades, dans le cadre du protocole d'accord du 26 novembre 2007, ne suffit pas à établir qu'il en est le créateur ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte de ce protocole que M. Le Broussois a créé le modèle "4 bacs", objet de la transaction, la cour d'appel a, en méconnaissant l'autorité de la chose jugée attachée à cette dernière, violé les textes susvisés ;
Sur le deuxième moyen du même pourvoi, pris en sa première branche : - Vu les articles 18 du règlement CE n° 6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires et 1315 du Code civil ; - Attendu que pour déclarer irrecevable M. Le Broussois à agir pour la défense de son droit moral d'auteur sur le modèle de meuble "centre de pièce", l'arrêt retient que la mention de son nom, en qualité de créateur, dans les demandes d'enregistrement du modèle de meubles, ayant date certaine, n'était pas dénuée d'ambiguïté, compte tenu du nombre important de modèles déposés dans les mêmes conditions par la société Interior's, laquelle est représentée par M. Le Broussois ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il appartenait à la société Cades de démontrer que M. Le Broussois n'était pas le créateur du modèle en cause, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé les textes susvisés ;
Et sur le même moyen, pris en sa seconde branche : - Vu les articles L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle et 31 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour déclarer irrecevable l'action de M. Le Broussois, l'arrêt retient encore que les meubles "4 bacs" et "centre de pièce" étaient dépourvus de caractère original ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'originalité des œuvres éligibles à la protection au titre du droit d'auteur n'est pas une condition de recevabilité de l'action en contrefaçon, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; - Vu l'article 627 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Rejette le pourvoi incident ; Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a infirmé la décision entreprise en ce qu'elle a reconnu la qualité d'auteur de M. Le Broussois pour le modèle communautaire n° 000418439-0013 ainsi que la protection au titre du droit d'auteur de ce modèle et du modèle n° 000418439-0014, l'arrêt rendu le 21 septembre 2011, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris.