ADLC, 4 février 2013, n° 13-D-02
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de dépannage et de remorquage de véhicules légers sur les routes non règlementées dans les villes de Colmar, Ribeauvillé et Guebwiller et leurs arrondissements respectifs par la COPACO
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de Mme Milena Sabeva, rapporteure, l'intervention de M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint, par M. Patrick Spilliaert, vice-président, président de séance, Mme Pierrette Pinot, M. Thierry Tuot, membres.
L'Autorité de la concurrence (section V) ;
Vu la lettre du 12 mars 2010, enregistrée sous le numéro 10/0027 F, par laquelle la société Machajo saisit l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur du dépannage et du remorquage de véhicules légers sur les routes non règlementées dans les villes de Colmar, Guebwiller et Ribeauvillé et leurs arrondissements respectifs par la Corporation obligatoire des professionnels de l'automobile - Secteurs de Colmar - Guebwiller & Ribeauvillé (ci-après la COPACO) et certains de ses adhérents ; Vu les articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce modifié ; Vu le Code local des professions ; La rapporteure, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la société Machajo et de la COPACO entendus lors de la séance du 16 janvier 2013 ;
Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. LA SAISINE
1. Par lettre du 12 mars 2010, enregistrée sous le numéro 10/0027 F, la SARL Machajo, exerçant sous l'enseigne " Alsace Dépannage " (ci-après " Alsace Dépannage "), a saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur du dépannage et du remorquage de véhicules légers sur les routes non règlementées dans les villes de Colmar, Guebwiller et Ribeauvillé et leurs arrondissements respectifs par la Corporation obligatoire des professionnels de l'automobile - Secteurs de Colmar - Guebwiller & Ribeauvillé (ci-après la COPACO) et certains de ses adhérents.
2. La partie saisissante dénonce la mise en place par la COPACO des listes de tours de permanence relatives aux interventions de dépannage et de remorquage sur les routes précitées, listes auxquelles la COPACO aurait refusé de l'inscrire. De plus, Alsace Dépannage considère que cette pratique résulterait d'une entente entre trois des adhérents de la COPACO, les sociétés Garage Bechler SARL, Garage Baumann SARL et Carrosserie Zins SA, qui seraient les principaux bénéficiaires du système mis en place. Selon Alsace Dépannage, ces pratiques ont conduit à l'exclure du marché du dépannage et du remorquage des véhicules légers dans la zone géographique concernée.
3. La partie saisissante précise qu'elle est implantée dans la ville de Colmar depuis septembre 2007 et que, par lettre du 4 novembre 2008, elle a sollicité de manière formelle auprès de la COPACO son inscription sur les listes de tours de permanence à partir du 1er janvier 2009 (1). La COPACO a répondu par courrier du 10 décembre 2008 en précisant " qu'il a été décidé que la corporation n'émettra pas de nouvelles listes de permanence dépannage remorquage VL (véhicules légers) pour l'ensemble des secteurs qu'elle couvrait jusqu'à présent et ce à compter du 1er janvier 2009 " et que de ce fait la demande d'Alsace Dépannage était sans objet. (2)
4. La saisine vise donc la période de septembre 2007 au 1er janvier 2009, date à laquelle la COPACO a mis fin au système de tours de permanence.
5. L'instruction de la saisine au fond a donné lieu à l'établissement d'une proposition de non-lieu, qui a été envoyée le 20 septembre 2012.
B. LE SECTEUR D'ACTIVITÉ
1. L'ACTIVITÉ DE DÉPANNAGE ET DE REMORQUAGE
a) Le cadre général de l'activité dépannage-remorquage et le secteur géographique concerné
6. L'activité de dépannage peut être définie comme le fait de " réparer le véhicule sur le lieu d'intervention ou sur une aire sécurisée à proximité ", et doit être distinguée du remorquage, qui " consiste à transférer le véhicule du lieu d'intervention vers un autre site " (3)
7. Conformément à l'article R. 317-21 du Code de la route, le ministre chargé du transport fixe par arrêté les conditions dans lesquelles les véhicules en panne ou accidentés peuvent être remorqués par un autre véhicule. Il précise également les caractéristiques techniques auxquelles doivent répondre les véhicules spécialisés dans les opérations de remorquage ainsi que leurs conditions de circulation. .
8. Les règles techniques et de circulation applicables aux véhicules spécialisés dans l'évacuation des véhicules en panne ou accidentés résultent de l'arrêté du 30 septembre 1975 qui prévoit la délivrance par le préfet d'une carte blanche après un contrôle technique du véhicule qui doit être renouvelé chaque année. Cette carte constitue une autorisation de mise en circulation des véhicules de dépannage et de remorquage.
9. Les sociétés de dépannage sont susceptibles d'intervenir sur des voies réglementées (les autoroutes et les voies express) ou sur des voies non réglementées (les routes départementales et nationales, d'une part, et les voies et domaines privés, d'autre part). Il convient alors de distinguer l'exercice de cette activité sur les voies réglementées de celui sur les autres voies.
10. L'activité de dépannage et de remorquage sur les voies réglementées (les autoroutes et les voies express) n'est pas visée par la saisine d'Alsace Dépannage qui ne concerne que l'activité de dépannage et de remorquage des véhicules légers sur les routes non réglementées des villes de Colmar, Guebwiller et Ribeauvillé et leurs arrondissements respectifs. (4)
b) L'activité de dépannage et de remorquage sur les routes non réglementées
11. Il n'existe aucune réglementation spécifique relative aux opérations de dépannage et de remorquage sur les routes non règlementées. Néanmoins, les interventions sur ces voies ne peuvent être effectuées que par des véhicules agréés et contrôlés annuellement disposant d'une carte blanche. L'automobiliste dispose dès lors théoriquement de la plus grande latitude dans le choix de dépanneur qu'il peut contacter directement s'il le souhaite. En pratique, cette marge de manœuvre dépend le plus souvent des sociétés d'assistance ou des forces de l'ordre.
12. Dans sa décision n° 96-D-04 du 23 janvier 1996 relative à des pratiques relevées dans le secteur du dépannage-remorquage des véhicules légers dans les régions Pays de la Loire et Bretagne, le Conseil de la concurrence avait relevé que, sur les voies autres qu'autoroutières, les automobilistes pouvaient en théorie s'adresser aux entreprises de leur choix. En pratique, nuançait cependant le Conseil, " la grande majorité des automobilistes est assurée auprès de sociétés d'assurance ou d'assistance, qui, soit interviennent directement avec leurs propres véhicules, soit prennent en charge les frais occasionnés par le dépannage et le remorquage, et qui sont donc, en fait, les principaux clients des entreprises de dépannage remorquage ".
13. Les explications apportées par la société Alsace Dépannage au cours de l'instruction confirment l'importance du rôle joué par les sociétés d'assistance dans l'exercice de son activité de dépanneur-remorqueur : " les interventions effectuées du fait de nos agréments délivrés par les sociétés d'assistance représentent 85 % du total des appels ". (5)
14. Le deuxième facteur qui est susceptible de limiter la liberté d'un automobiliste de choisir un dépanneur, dès lors qu'il ne se trouve pas sur une route réglementée, est l'intervention des forces de l'ordre (police ou gendarmerie). Le colonel, commandant le groupement de gendarmerie départementale du Haut Rhin, a précisé au cours de l'instruction du dossier que " dans le cas où l'usager sollicite la gendarmerie pour obtenir un dépannage, les opérateurs du C.O.R.G. (centre d'opérations et de renseignements) ont pour habitude de dépêcher le plus proche du lieu de l'événement, pour permettre de réduire au maximum les délais d'intervention et par là-même, la gêne aux autres usagers ou le risque d'accident ". (6)
2. LES ACTEURS DU SECTEUR
15. Dans sa saisine, Alsace Dépannage met en cause trois des adhérents de la COPACO : les sociétés Garage Bechler SARL, Garage Baumann SARL et Carrosserie Zins SA " bénéficiant de la restriction d'accès au marché imposée par cette corporation ".7
a) L'entreprise saisissante : Alsace Dépannage
16. La partie saisissante, Alsace Dépannage, est une société à responsabilité limitée ayant son siège social à Hesingue et est de ce fait adhérente à la Corporation des professionnels de l'automobile de Haute-Alsace (la COPAHA). Elle emploie 16 salariés et compte 5 établissements, tous situés dans le département du Haut-Rhin : à Hesingue, Illzach, Colmar, Ensisheim et à Heimsbrunn. En 2010, Alsace Dépannage a réalisé un chiffre d'affaires de 1,75 million d'euros. En 2008 et 2009, période visée par la saisine, Alsace Dépannage a réalisé un chiffre d'affaires respectivement de 1,11 et de 1,42 million d'euros (8).
17. La société Alsace Dépannage a pour principale activité le remorquage et le dépannage de véhicules légers et de poids lourds, activité qui représente 95 % de son chiffre d'affaires. (9)
b) La COPACO et les adhérents mis en cause par la saisine
18. La corporation est une institution propre à l'artisanat et au commerce des départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Les corporations sont des personnes morales de droit public, " investies d'une mission de service public tenant à l'organisation et au développement de leur secteur professionnel, bénéficiant de prérogatives de puissance publique résidant notamment dans le pouvoir réglementaire qu'elles possèdent en matière d'apprentissage et dans la faculté de faire recouvrer les cotisations de leurs membres (...) ont la nature juridique d'établissements publics ". (10)
19. La COPACO regroupe 216 entreprises qui ont une activité dans le domaine de la réparation et des services de l'automobile ayant leur siège dans les arrondissements de Colmar, Guebwiller et Ribeauvillé. En 2008, la COPACO a compté 21 dépanneurs parmi ses adhérents. Quatre d'entre eux étaient actifs dans les secteurs Colmar ville et Colmar campagne, à savoir Garage Bechler, Garage Bauman, Carrosserie Zins et Garage Weber. Seuls les trois premiers sont mis en cause par la saisine de la société Alsace Dépannage.
C. LES PRATIQUES DÉNONCÉES PAR LA SAISINE
20. La société Alsace Dépannage considère que les pratiques de plusieurs garagistes de Colmar et de la COPACO ont conduit à l'exclure du marché du dépannage et du remorquage des véhicules légers.
21. Selon la saisissante, les entreprises Garage Bechler, Garage Baumann et Carrosserie Zins, se seraient entendues pour se réserver la faculté d'effectuer les dépannages sur les routes non réglementées dans l'arrondissement de Colmar.
22. Alsace Dépannage ajoute aussi que la COPACO aurait établi pour les trois arrondissements relevant de sa compétence territoriale des listes de permanence communiquées aux services locaux de police et de gendarmerie, et l'aurait privée de manière discriminatoire de la possibilité de figurer sur ces dernières.
23. Les pratiques de la COPACO auraient conduit à verrouiller l'accès au marché en cause pour la société Alsace Dépannage. Or, selon cette dernière, conformément à la jurisprudence du Conseil d'Etat " en dehors des mises en fourrière faisant l'objet de délégation de service public, les dépanneurs et remorquages doivent obéir au principe de la liberté du commerce et de l'industrie " (11).
24. Alsace Dépannage fait valoir également que, conformément à la pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence, le refus de figurer sur les listes de permanence qui lui a été opposé revêtirait également un caractère anticoncurrentiel, " dès lors que la sélection des candidats (....) ne serait pas fondée sur des critères objectifs de nature qualitative et appliqués de manière non discriminatoire et [que les clauses statutaires] seraient utilisées pour empêcher l'accès au marché à certains dépanneurs-remorqueurs ". (12)
25. La partie saisissante rappelle aussi que " toute pratique susceptible d'avoir un objet ou un effet anticoncurrentiel mise en œuvre par un ordre professionnel, autorité qui représente la collectivité de ses membres, révèle nécessairement une entente entre ses membres ". (13)
26. Enfin, Alsace Dépannage fait état d'une demande formelle d'inscription sur la liste des dépanneurs adressée à la COPACO en novembre 2008, à laquelle la COPACO a répondu par lettre du 10 décembre 2008 que cette demande était devenue sans objet du fait de l'arrêt du système au 1er janvier 2009. (14)
27. En conclusion, la société Alsace Dépannage demande à l'Autorité de la concurrence de sanctionner les opérateurs responsables de l'éventuelle restriction d'accès au marché et de prendre toute mesure nécessaire permettant l'ouverture du marché en cause.
D. LES LISTES DE TOURS DE PERMANENCE
28. Les déclarations de la partie saisissante (1.) et les réponses de la Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations de la préfecture du Haut Rhin (ci-après la " DDCSPP ") (2.) aux demandes de renseignement envoyées par les services de l'Autorité sont concordantes et confirment l'existence des listes de tours de permanence sans pour autant en apporter la preuve matérielle.
29. L'examen du dossier a permis d'obtenir des copies des listes de tours de permanence par la COPACO (3.) qui a également fourni des explications sur leur origine, leur organisation générale, les critères auxquels étaient soumis les dépanneurs figurant sur les listes ainsi que sur la durée d'application du système en question.
1. LES DÉCLARATIONS D'ALSACE DÉPANNAGE
30. Selon Alsace Dépannage, l'établissement des listes de permanence par la COPACO ne ferait l'objet d'aucune publicité. Ainsi, le gérant d'Alsace Dépannage a déclaré au sujet de l'existence des listes de tours de permanence que :
- " de sources officieuses les listes ont existé et ont été diffusées jusqu'à notre demande d'adhésion à ces listes... Concernant les listes de gendarmerie elles existent, nous n'y avons pas accès, nous avons demandé à la gendarmerie pour travailler sur leur secteur ils nous répondent vous n'êtes pas sur les listes mais refusent de nous les communiquer " (15)
- " Nous avons cherché à en apprendre plus sur la question et nous sommes alors allés voir les différents commissariats de police où on nous a expliqué qu'il y avait toujours des listes de tours de permanence mais on n'a pas voulu nous les communiquer(...) Il faut comprendre que le système est très opaque. Nous ne savions pas par exemple qu'il y avait des listes de tours de permanence dans d'autres secteurs géographiques que le secteur Colmar ville relevant de la compétence de la COPACO (...) Il est alors manifeste qu'ils nous ont caché des informations et je tiens à souligner que la COPACO n'a pas joué la transparence et de ce fait n'a pas communiqué à tous ses adhérents les informations concernant l'organisation des tours de permanence dans les différents secteurs géographiques ". (16)
2. LES ÉLÉMENTS FOURNIS PAR LA DDCSPP
31. Les services de la DDCSPP qui ont été sollicités par questionnaire ont fait état des éléments à leur disposition résultant notamment d'une enquête menée en 2007, qui leur a permis d'établir l'existence des listes de tours de permanence sans pour autant pouvoir en obtenir une copie. (17)
3. LES DÉCLARATIONS DE LA COPACO
32. La COPACO a reconnu avoir effectivement mis en place des listes de tours de permanence au milieu des années 90 à la demande informelle des forces de l'ordre qui, selon les déclarations de la corporation, ne disposaient pas des coordonnées des dépanneurs susceptibles d'intervenir dans les différentes zones géographiques. (18) La COPACO a alors élaboré douze listes relatives aux secteurs géographiques correspondant à la compétence des brigades de gendarmerie ou des commissariats de police des principaux cantons dans les arrondissements de Colmar, Guebwiller et Ribeauvillé.
33. La COPACO a déclaré qu'elle n'a jamais refusé à aucun de ses adhérents-dépanneurs d'intégrer les listes de tours de permanence. Néanmoins, elle a précisé que les dépanneurs participant aux tours de permanence devaient répondre à certaines conditions : disposer d'un véhicule de dépannage avec une carte blanche, s'engager à être disponible 24/24h, 7/7j pendant les périodes de permanence et disposer d'un personnel qualifié (ayant au minimum un certificat d'aptitude professionnelle ou 3 ans d'expérience conformément à l'article 16 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996). (20)
34. LA COPACO a mis fin au système de listes de tours de permanence le 31 décembre 2008 en raison :
- " des plaintes de certains dépanneurs, figurant pourtant sur les listes, qui se plaignaient de ne pas être appelés alors qu'ils étaient de permanence. La Corporation devait se justifier en permanence alors qu'elle n'était pour rien compte tenu du fait que c'est le client qui peut choisir qui appeler comme expliqué précédemment ;
- les forces de l'ordre se plaignaient pour leur part de la qualité des prestations fournies par certains dépanneurs qui étaient de permanence ;
- enfin, certains clients se sont plaints aussi des prestations fournies par des dépanneurs de permanence " (21)
35. Aussi, en réponse à la demande de novembre 2008 de la société Alsace Dépannage de figurer sur ces listes, la COPACO l'a informé de l'abandon du dispositif à compter du 1er janvier 2009. Elle a fourni la même réponse à une demande reçue à la même période provenant d'une autre entreprise souhaitant intégrer les listes et a réaffirmé sa position à la suite de sollicitations des services de police ou de la mairie de Colmar d'élaborer de nouvelles listes. .
II. Discussion
A. SUR LA COMPÉTENCE DE L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
36. La COPACO est une personne morale de droit public investie d'une mission de service public bénéficiant de prérogatives de puissance publique. Il convient dès lors de s'assurer que la mise en place de listes de tours de permanence de dépannage et de remorquage de véhicules légers sur les routes non réglementées dans les villes de Colmar, Guebwiller et Ribeauvillé et leurs arrondissements respectifs constitue une activité qui peut être analysée au regard du droit de la concurrence, soumise à la compétence de l'Autorité de la concurrence.
37. Aux termes de l'article L. 410-1 du Code de commerce, les règles du titre II du livre IV du Code de commerce relatives aux pratiques anticoncurrentielles s'appliquent " à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public ".
38. Le Tribunal des conflits a précisé que " si dans la mesure où elles exercent des activités de production, de distribution ou de services les personnes publiques peuvent être sanctionnées par le Conseil de la concurrence agissant sous le contrôle de l'autorité judiciaire, les décisions par lesquelles ces personnes assurent la mission de service public qui leur incombe au moyen de prérogatives de puissance publique, relèvent de la compétence de la juridiction administrative pour en apprécier la légalité ". Le Tribunal des conflits reconnait alors la compétence du Conseil de la concurrence devenu Autorité de la concurrence à l'égard des activités d'une personne publique qui sont détachables de ses actes de puissance publique et qui sont susceptibles de constituer des pratiques anticoncurrentielles. (22)
39. La pratique décisionnelle du Tribunal des conflits a réaffirmé la compétence de l'Autorité de la concurrence pour sanctionner les pratiques anticoncurrentielles mises en place par une personne publique, tout en la subordonnant clairement à la double condition que ces pratiques interviennent dans le cadre d'une activité économique exercée par l'entité en question, et qu'elles ne concernent pas des " décisions ou actes portant sur l'organisation du service public ou mettant en œuvre des prérogatives de puissance publique ". (23)
40. Ainsi, dans sa pratique décisionnelle l'Autorité de la concurrence considère que " Il convient de faire le départ, s'agissant de l'activité des personnes publiques, entre : - d'une part, les actes par lesquels les personnes publiques font usage, pour l'organisation du service public dont elles ont la charge, de prérogatives de puissance publique : leur légalité, et notamment leur conformité au droit de la concurrence, ne peut être appréciée que par le juge administratif ; - d'autre part, les activités des mêmes personnes publiques, intervenant dans la sphère économique, qui sont détachables de leurs actes de puissance publique : comme celles de toute entreprise, elles peuvent être qualifiées par le conseil de la concurrence et le juge judiciaire qui le contrôle, au regard du droit des ententes et des abus de position dominante " (24)
41. Compte tenu des statuts de la COPACO (25) et des dispositions du Code local des professions, il n'apparaît pas que la mise en place d'une éventuelle organisation des tours de permanence pour le dépannage et le remorquage de véhicules légers dans les secteurs, qui ne repose sur aucun texte, soit liée à la mission de service public confiée à la COPACO nécessitant la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique. La mise en place de telles pratiques pourrait en revanche avoir pour conséquence de limiter l'accès au marché par certaines entreprises au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce et sont de ce fait soumises à la compétence de l'Autorité de la concurrence.
B. SUR LE MARCHÉ PERTINENT
42. Conformément à la pratique décisionnelle du Conseil puis de l'Autorité de la concurrence, le marché pertinent est défini comme le lieu sur lequel se rencontrent l'offre et la demande pour un produit ou un service spécifique. Une substituabilité parfaite entre produits ou services s'observant rarement, l'Autorité regarde comme substituables et comme se trouvant sur un même marché les produits ou services dont on peut raisonnablement penser que les demandeurs les considèrent comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande. La substituabilité entre différents biens ou services du point de vue de la demande constitue le critère déterminant pour la délimitation du marché pertinent. (26)
43. En ce qui concerne l'activité de dépannage et de remorquage, le Conseil de la concurrence a clairement distingué dans sa pratique décisionnelle antérieure entre : (i) les interventions sur autoroute, pour lesquelles existe une règlementation fixant notamment le cahier des charges et le prix des prestations du service de dépannage-remorquage pour les véhicules légers, et (ii) les interventions de dépannage et de remorquage sur les autres voies du réseau routier. (27) Dans le cas présent, l'activité en cause concerne le dépannage et le remorquage des véhicules sur cette dernière partie du réseau routier.
44. Les entreprises de dépannage sont pour la plupart de petites ou moyennes entreprises qui exercent le métier de manière locale. De plus, dans une décision n° 09-D-08, relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés d'autoroute dans le secteur du dépannage-remorquage sur autoroutes, l'Autorité de la concurrence a constaté que le secteur d'intervention couvre le dépannage et le remorquage des véhicules légers sur une distance allant de 6 à 60 kilomètres.
45. Par ailleurs, les pratiques alléguées mettent en cause la COPACO qui se voit attribuer par la loi une zone territoriale d'intervention précisément délimitée (pour mémoire, dans le cas présent les arrondissements administratifs de Colmar, Ribeauvillé et Guebwiller). Ainsi, le marché géographique peut être défini comme étant local et limité à ces trois arrondissements.
46. En tout état de cause, la délimitation précise du marché pertinent peut être laissée ouverte, dans la mesure où l'analyse des pratiques dénoncées demeure inchangée quelle que soit la définition retenue.
C. SUR L'APPRÉCIATION DES PRATIQUES DÉNONCÉES
47. Aux termes de l'article L. 420-1 du Code de commerce : " Sont prohibées, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à :
1. limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;
2. faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;
3. limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ;
4. répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement ".
1. SUR L'ÉVENTUELLE ENTENTE ENTRE PLUSIEURS ADHÉRENTS DE LA COPACO
48. Alsace Dépannage soutient qu'elle s'est vu opposer par la COPACO un refus discriminatoire et arbitraire d'accès au marché de dépannage et de remorquage de véhicules légers sur les routes non réglementées dans les villes de Colmar, Ribeauvillé et Guebwiller et leurs arrondissements respectifs résultant " nécessairement d'une entente entre ses membres ".
49. Conformément à la pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence puis de l'Autorité de la concurrence, si une pratique anticoncurrentielle est mise en place par une organisation professionnelle, c'est cette dernière qui " doit être mise en cause parce que ce sont ses organes dirigeants en tant que tels, quoique par délégation, qui apparaissent comme étant les auteurs des pratiques d'ententes entre ses membres ". (28)
50. L'Autorité de la concurrence considère que, dans le cas d'espèce, aucun élément ne permet d'étayer de manière probante l'existence d'une entente entre les trois sociétés visées par la saisine ayant pour support la corporation, et leur implication directe dans l'élaboration des listes de tours de permanence mises en place par la COPACO.
2. SUR L'ÉVENTUELLE ENTRAVE D'ACCÈS AU MARCHÉ MISE EN PLACE PAR LA COPACO
a) L'accès à l'activité de dépannage sur les routes non-réglementées
51. La mise en place des tours de permanence par la COPACO n'est pas une pratique injustifiable en soi. Elle peut contribuer à l'amélioration de l'efficacité de l'offre par la réalisation d'économies d'échelle et un meilleur service rendu aux consommateurs. Les conducteurs peuvent ainsi bénéficier d'interventions de dépannage plus rapides et mieux organisées.
52. Dans le cadre du présent dossier, il a été établi que les listes de tours de permanence étaient utilisées par les forces de l'ordre. En revanche, lorsque l'intervention de ces dernières n'était pas nécessaire, le conducteur était libre de contacter le dépanneur de son choix ou bien de confier ce choix à sa compagnie d'assurance. Ainsi, tout dépanneur satisfaisant aux exigences techniques fixées par l'Etat peut avoir accès au marché de dépannage effectué sur les voies autres que les autoroutes et les voies express (routes réglementées).
53. Tel était également le constat du Conseil de la concurrence dans sa décision n° 96-D-04 (29), dans laquelle il était relevé que " sur les autres voies du réseau routier (voies autres que les voies réglementées), le dépannage ne peut être effectué que par des véhicules agréés et contrôlés annuellement par les directions régionales de la recherche, de l'industrie et de l'environnement, qui délivrent à leurs propriétaires une 'carte blanche' accréditive : les tarifs ne font l'objet d'aucune réglementation spécifique ; les automobilistes peuvent s'adresser aux entreprises de leur choix ". Dans cette décision, le Conseil de la concurrence a considéré concernant la mise en place d'une procédure d'agrément des professionnels candidats à l'adhésion à l'Association Automobile de Bretagne pour le dépannage sur le réseau autoroutier et sur les voies express que " l'adhésion à l'association (...) ne constituait nullement une condition d'accès au marché ". (30)
54. De la même manière, les explications fournies par Alsace Dépannage confirment que son entreprise pouvait théoriquement intervenir sur toutes les voies autres qu'autoroutières, dès lors qu'elle disposait de la carte blanche. Le gérant de la société saisissante a ainsi précisé que " le client ... peut soit nous contacter directement, soit contacter son garagiste habituel soit son assistance, qui enverra un dépanneur agréé par elle et avec lequel elle a conclu un contrat " (31)
55. Il s'ensuit que, de manière générale et malgré son absence sur les listes de tours de permanence, Alsace Dépannage avait la possibilité d'intervenir sur les routes non réglementées. La mise en place des listes de tours de permanence par la COPACO ne constitue donc nullement une condition d'accès à l'activité de dépannage dans les secteurs concernés dès lors que ces listes sont utilisées seulement en cas d'intervention des forces de l'ordre et que le conducteur reste libre de contacter sa compagnie d'assistance ou le dépanneur de son choix le cas échéant.
56. Cependant, selon une jurisprudence constante, rappelée par la cour d'appel de Paris dans un arrêt rendu le 27 mai 2003 (Chambre syndicale des entreprises de déménagements et garde-meubles de France), les conditions d'adhésion à une association professionnelle peuvent porter atteinte à la libre concurrence non seulement si cette adhésion est une condition d'accès au marché mais aussi si elle constitue un avantage concurrentiel et si les conditions de l'adhésion sont définies ou appliquées de façon non objective, non transparente ou discriminatoire. (32)
57. Or, selon les déclarations de la société Alsace Dépannage " l'absence d'accès aux listes de permanence de la COPACO nous est préjudiciable du point de vue de nos relations avec les sociétés d'assistance. En effet, pour obtenir leur agrément, nous devons faire état de tous les donneurs d'ordres qui nous permettent d'intervenir sur telle ou telle voie. Le fait de ne pas faire partie de ces listes est un handicap aux yeux des sociétés d'assistance " (33)
58. Il convient dès lors de vérifier si les critères de sélection mis en place par la COPACO pour composer les listes de tours de permanence étaient objectifs, non-discriminatoires et transparents.
b) L'application de critères objectifs, non-discriminatoires et transparents
59. La mise en place de listes de tours de permanence peut justifier l'application de l'article L. 420-1 du Code de commerce s'il est établi qu'elles ont été utilisées pour mettre en œuvre des pratiques concertées ayant pour objet ou pour effet d'empêcher l'accès au marché à certains dépanneurs-remorqueurs. Tel serait notamment le cas si la sélection des opérateurs assurant la permanence de dépannage n'était pas fondée sur des critères objectifs de nature qualitative et appliqués de manière non discriminatoire et transparente. (34)
60. Il convient de rappeler que conformément aux critères mis en place par la COPACO, chaque dépanneur souhaitant prendre part aux tours de permanence devait disposer d'un véhicule de dépannage avec une carte blanche, être disponible 24/24h, 7/7j pendant les périodes de permanence et avoir un personnel qualifié.
61. Les critères ainsi définis ne semblent pas être excessifs et disproportionnés au regard de la nature de l'activité de dépannage et de l'objectif des permanences d'assurer des interventions rapides.
62. L'analyse des listes de tours de permanence (35) met en évidence l'existence d'un découpage de la circonscription de la COPACO en douze zones. Par ailleurs, leur analyse montre aussi que tous les adhérents de la COPACO exerçant l'activité de dépannage et de remorquage ont été intégrés dans les listes de tours de permanence et qu'aucun établissement secondaire ayant son siège en dehors de la zone de compétence de la COPACO n'y figure.
63. Sur ce dernier point, il convient de préciser que le dossier ne permet pas d'affirmer que la COPACO ait refusé l'accès aux tours de permanences à Alsace Dépannage en raison de l'absence de son siège dans la circonscription de la corporation.
64. En tout état de cause, il convient de souligner qu'Alsace Dépannage n'a formulé une demande formelle d'inscription sur les listes de tours de permanence que très tardivement, en novembre 2008, soit plus d'un an après son installation à Colmar.
65. La lettre du 10 décembre 2008 (36) de la COPACO reçue par Alsace Dépannage en réponse à sa demande est le seul élément matériel de nature à indiquer que la COPACO n'a pas souhaité intégrer la partie saisissante à la liste litigeuse. Ce refus ne peut toutefois pas être qualifié de non motivé ou de discriminatoire car il est justifié par la décision de la COPACO de mettre fin à l'élaboration et à la diffusion des listes de tours de permanence à partir du 1er janvier 2009. La COPACO a fourni la même réponse à une demande reçue à la même période provenant d'une autre entreprise souhaitant intégrer les listes de tours de permanence et a réaffirmé sa position à la suite de sollicitations des services de police ou de la mairie de Colmar d'élaborer de nouvelles listes.
66. Aucun autre élément du dossier ne permet d'établir l'existence d'une demande antérieure d'inscription sur les listes de tours de permanence formulée par Alsace Dépannage, ni de rejet de la part de la COPACO.
67. Au vu de tout ce qui précède, l'Autorité de la concurrence considère que les éléments matériels du dossier ne suffisent pas à établir de façon probante que la COPACO a refusé d'inclure dans les listes de tours de permanence des dépanneurs de manière discriminatoire.
DÉCISION
Article unique : Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure s'agissant des pratiques dénoncées par la saisine.
Notes
1 Cote 21.
2 Cote 23.
3 Source : Conseil national des professionnels de l'automobile (ci-après CNPA).
4 Chefs-lieux de trois des six arrondissements qui forment le département du Haut-Rhin.
5 Cote 43.
6 Cote 365.
7 Cote 3.
8 Cote 55.
9 Cote 41.
10 TA Strasbourg, 18 oct. 1988, M. Dossmann c/ Corporation des patrons menuisiers-ébénistes et installateurs de magasins des arrondissements de Strasbourg-Ville et Campagne.
11 Conseil d'Etat, SARL Petitnet, décision du 19 novembre 2007, requête n° 306782.
12 Conseil de la concurrence, décision n° 96-D-04, précitée.
13 Cass. Com., arrêt du 16 mai 2000.
14 Cote 23.
15 Cote 202.
16 Cote 360.
17 Cotes 207 et 264.
18 Cotes 230 et 231.
19 Cotes 280 - 284, 285 - 289, 294 - 298, 299 - 303, 309 - 313 et 324 - 328 ; 329 - 333, 334 - 338, 275 - 279 ; 304 - 308, 314 - 318, 319 - 323.
20 Cote 231 ; v. aussi cote 346.
21 Cote 231.
22 Tribunal des conflits, décision du 18 octobre 1999, Aéroport de Paris, n° 3174.
23 Tribunal des conflits, décision du 4 mai 2009, société Éditions Jean-Paul Gisserot c/ Centre des monuments nationaux, n° 3714.
24 Conseil de la concurrence, décision n° 09-D-10 du 27 février 2009, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport maritime entre la Corse et le continent.
25 Cotes 167 à 176.
26 Voir le Rapport annuel 2011 de l'Autorité de la concurrence, p. 105 et s.
27 Décision n° 96-D-04 du 23 janvier 1996.
28 Décision n° 94-D-51 du 4 octobre 1994 relative à la situation de la concurrence dans le secteur du déménagement ; Décision n° 10-D-15 du 11 mai 2010 relative à des pratiques mises en œuvre par le GIE " groupement des Taxis amiénois et de la métropole ".
29 Précitée.
30 Décision du Conseil de la concurrence n°96-D-04, précitée.
31 Cote 42.
32 V. aussi Décision du Conseil de la concurrence n° 03-D-51 du 6 novembre 2003 relative à des pratiques mises en œuvre par EDF-GDF services Cannes dans le cadre du réseau Climsure ; Décision de l'Autorité de la concurrence n° 10-D-15 du 11 mai 2010, relative à des pratiques mises en œuvre par le GIE " Groupement des Taxis amiénois et de la métropole ".
33 Cote 45.
34 Voir dans ce sens Décision n° 96-D-04 du 23 janvier 1996, précitée.
35 Cotes : 275 à 289 et 294 à 338.
36 Précitée, cote 23.