CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 24 juin 2004, n° 02-07434
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Vérimédia (SA)
Défendeur :
Médiamétrie (SA), Sécodip (SA), Audipub (GIE)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Laporte
Conseillers :
MM. Fedou, Coupin
Avoués :
SCP Jullien Lecharny Rol, SCP Lefevre Tardy Hongre Boyeldieu, SCP Lissarrague Dupuis Boccon Gibod, SCP Debray-Chemin
Avocats :
SCP Ayme Ravaud Gendre, Mes Lefrand, Damerval, Bertail
PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES
Pour réaliser son activité d'expertise médias, la société Vérimédia a signé, le 7 mai 1993 un contrat avec la société Sécodip qui établit des données quantitatives sur les messages publicitaires diffusés sur les médias, et le 7 mars 1994 un contrat avec la société Médiamétrie qui recueille et diffuse des données relatives à l'audience des médias. Le Groupement d'Intérêt Economique Audipub, constitué entre les sociétés Médiamétrie, Sécodip et Espaces TV réalise le traitement croisé des données sur l'audience et sur la pige publicitaire. Estimant qu'elle rencontrait des difficultés pour obtenir des éléments et outils de mesure commandés, la société Vérimédia a saisi le Conseil de la concurrence qui, le 8 juillet 1998, a rendu une décision établissant que les sociétés Médiamétrie et Sécodip avaient enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu L. 420-2 du Code de commerce. C'est dans ces circonstances que les 7 et 9 juillet 1999 la société Vérimédia a assigné la société Sécodip, le GIE Audipub et la société Médiamétrie devant le Tribunal de commerce de Versailles pour obtenir leur condamnation solidaire à lui payer diverses sommes, pour un montant total de 18 969 830 francs (2 891 931,94 euros) et, subsidiairement, nommer un expert pour chiffrer les préjudices. Un premier jugement rendu le 29 septembre 2000, cette juridiction a ordonné à la société Vérimédia et au Conseil de la concurrence la communication d'un certain nombre de pièces réclamées par les défenderesses qui ont conclu à la nullité de l'assignation, à l'absence de faute et à l'inexistence des préjudices.
Par jugement rendu le 9 octobre 2002, le Tribunal de commerce de Versailles a écarté la nullité de l'assignation, a considéré qu'aucune faute n'avait été commise par les sociétés Médiamétrie et Sécodip, directement ou via le GIE Audipub, ni à l'occasion des commandes, ni en refusant la fourniture d'un logiciel dit Micromarché TV, ni en fournissant le service Micromarché allégé à la société Media First. Il a débouté la société Vérimédia de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer 10 000 euros de dommages et intérêts à chacune des sociétés Médiamétrie et Sécodip et au GIE Audipub, allouant à chacun d'eux 5 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. La société Vérimédia, qui a interjeté appel de cette décision, précise le contexte dans lequel elle déploie son activité et critique le comportement des intimés. Elle expose que les pratiques reconnues et sanctionnées par le Conseil de la concurrence sont des fautes constitutives d'un préjudice pour la victime des pratiques concurrentielles déloyales. Elle les résume en une opacification des conditions de commercialisation des données fournies par la société Médiamétrie et la société Sécodip. Elle explique que, dans la création du nouveau métier de bureau d'inspection en publicité, elle s'est heurtée au monopole de la société Médiamétrie qui a pour actionnaires des chaînes de télévision et des centrales d'achat d'espaces publicitaires ; qu'elle n'a pas obtenu dans des conditions rapides et précises les données nécessaires à son activité. Elle se prévaut à cet égard des motivations de la décision du Conseil de la concurrence et souligne l'opacité du système qui résulte du monopole. Elle soutient que, sur les deux marchés pertinents de la pige publicitaire et de la mesure d'audience TV et radio, la société Médiamétrie et la société Sécodip disposent respectivement d'un monopole, que sur le marché de l'audit média elle-même intervient en tant que bureau d'inspection et ne fournit aucune prestation de conseil. Se référant au rapport d'enquête de la direction nationale de la concurrence elle affirme que les intimés se sont efforcés d'entraver son activité par des pratiques anticoncurrentielles. Elle explique qu'à partir de 1993, elle s'est adressée au GIE Audipub qui détient une position dominante sur le marché des informations issues de données croisées, pour pouvoir disposer de certains produits : le GRP (Gross Rating Point) qui présente les indicateurs de performance des produits, le MAT (Mesure de l'Audience Télévisée) ou bilan de campagne et le logiciel Micromarché TV qui permet d'analyser et de contrôler les performances d'audience et de rentabilité par familles de produits et par marques. Elle précise que, devant ses premières demandes, plutôt que de chercher à adapter leurs conditions de commercialisation, les trois opérateurs ont adopté des attitudes concertées et intransigeantes, les services du GIE Audipub ne pouvant lui être fournis qu'à la condition d'un abonnement aux sociétés Médiamétrie et Sécodip alors que son propre client annonceur avait déjà payé ces droits d'abonnement. Elle fait grief aux intimés d'avoir exploité abusivement leur position dominante, d'abord en ne définissant pas puis en n'appliquant pas des critères stables et objectifs d'accès aux services dont elles ont le monopole et dont les cabinets d'audit ont un besoin impérieux. Précisant ses objectifs de contrôle et la nature de ses besoins, elle explique qu'elle ne cherche pas à se substituer aux sociétés de conseil et qu'elle n'a pas besoin des autres services commercialisés par les sociétés Médiamétrie et Sécodip. Elle énumère les clients pour lesquels elle a rencontré des difficultés à obtenir le "GPR" et qualifie de dilatoires les manouvres des intimés qui, selon elle, ont adopté un même comportement pour l'accès au service Micromarché TV. Elle estime que les opérateurs en position dominante ont ainsi retardé sans motif légitime la fourniture de services, n'ont procédé qu'à des fournitures partielles et ont imposé l'achat de prestations inutiles. Elle ajoute que la société Médiamétrie, la société Sécodip et le GIE Audipub pratiquent, en matière de conditions de vente et de barèmes, des différences de traitement parfaitement arbitraires, reposant sur le pouvoir de négociation du client. Elle fait état à cet égard d'une négociation confidentielle menée par la société Médiamétrie avec la société Media-Audit aboutissant à une proposition de tarif négocié qui correspond à une offre exceptionnelle qui devait rester confidentielle. Elle demande en conséquence à la cour d'infirmer le jugement et de dire que les sociétés Médiamétrie, Sécodip et le GIE Audipub ont enfreint les dispositions des articles L.420-1 et L.420-2 du Code de commerce. Elle expose qu'en raison de cette privation de données, elle s'est trouvée dans une situation commerciale extrêmement difficile et a constaté une perte de clients ou de prospects. Elle chiffre à 828 103,06 euros la perte de clientèle causée par l'impossibilité d'obtenir dans des délais raisonnables les données commandées pour ses clients, à 2 027 571,90 euros le préjudice correspondant à la différence entre la prévision de "business plan" et le résultat comptable constaté et à 15 000 euros celui moral résultant du dénigrement dont elle a été l'objet de la part de ses concurrents en raison de l'attitude des intimés. Elle demande en conséquence à la cour de condamner in solidum la société Médiamétrie, la société Sécodip et le GIE Audipub sur le fondement de l'article 1382 du Code civil à lui payer 2 870 674 euros ainsi que 10 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Médiamétrie rappelle les conditions dans lesquelles la société Sécodip est entrée en relation avec la société Vérimédia ainsi que les difficultés rencontrées. Elle discute l'allégation selon laquelle celle-ci devait impérativement disposer des données croisées commercialisées par le GIE Audipub en affirmant qu'aucun des services de la société Vérimédia ne suppose nécessairement cet accès. Critiquant l'analyse des agents de la direction nationale de la concurrence, elle justifie les raisons de la décision du Conseil de la concurrence en expliquant que les différences de prix pratiquées résultaient d'une offre spécifique pour répondre au besoin de confidentialité exprimé par la société Vérimédia et qui a nécessité des délais de mise au point. Elle qualifie de très théorique et de très injuste le grief retenu par le Conseil de la concurrence. Elle justifie les prétendus retards retenus par l'absence d'un indice dit "de rentabilité" dont le calcul dépendait d'éléments que devait fournir la société Vérimédia qui le les a jamais communiqués. Elle dénie les prétendues fautes invoquées par cette dernière comme les préjudices financiers allégués dont elle observe qu'ils font doublon. Elle discute la corrélation entre l'impossibilité alléguée d'obtenir des données et la perte des clients dont rien, selon elle, ne démontre qu'ils auraient annuellement renouvelé leur commande. Elle relève qu'aucun "business plan" n'a été établi par la société Vérimédia en 1990 et constate que le document produit le 13 novembre 2000 en première instance n'était que narratif. Elle en déduit que l'évaluation du préjudice commercial est dénuée de crédibilité et souligne qu'il est abusif de prendre en compte un résultat net hypothétique pour évaluer le préjudice subi. Aussi conclut-elle à la confirmation du jugement et demande-t-elle à la cour de condamner la société Vérimédia à lui payer 30 000 euros de dommages et intérêts pour appel abusif et 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. La société Sécodip observe pour sa part que la société Vérimédia se refuse à démontrer en quoi les pratiques illicites constatées par le Conseil de la concurrence sont constitutives de fautes ayant directement et exclusivement conduit à ses mauvais résultats financiers. Elle approuve les motivations des premiers juges sur les retards allégués dans la livraison des produits du GIE Audipub, sur la commande pour le client Mercedes, sur celles Johnson France, Reebok, Moulinex et Sony, sur le produit Micromarché et sur la fourniture d'un Micromarché "allégé" à la société Media First. Elle ajoute que la société Vérimédia ne démontre pas que les agissements qu'elle invoque ont directement entraîné la perte de ses clients, en relevant que les faits mis en cause par le Conseil de la concurrence ont été ponctuels au cours des années 1993 et 1994 et que la société Vérimédia invoque la perte de clients qu'elle n'a conquis qu'à partir de 1995. Elle prétend qu'aucun dommage réparable n'existe en l'espèce, discute l'évaluation des préjudices allégués par la société Vérimédia qui font doublon et qui reposent sur un "business plan" qui n'a jamais, selon elle, été établi en 1990 et qu'elle qualifie d'incohérent et d'irréaliste. Elle demande en conséquence la confirmation du jugement et la condamnation de la société Vérimédia à lui payer 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Subsidiairement, si la cour considérait qu'elle a commis des fautes, elle demande que soit constatée l'absence du préjudice. Elle réclame en tout état de cause 20 000 euros complémentaires en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Le GIE Audipub rappelle les circonstances précises dans lesquelles la société Vérimédia lui a adressé les commandes MAT (mesure d'audience télévisée) pour ses clients Mercedes, Johnson, Reebok, Moulinex et Sony et les bilans de campagne pour Moulinex, Reebok et Mercedes. Il soutient que toutes ces commandes ont été exécutées et livrées dans un délai raisonnable, que leur libellé était, à dessein, incompréhensible ou confus le contraignant à demander des explications. Il prétend que les commandes ont été rendues inexploitables ou inintelligibles de façon à monter de toutes pièces un contentieux qui n'existe pas. Il fait mention d'une seconde procédure engagée par la société Vérimédia devant le Conseil de la concurrence et la Cour d'appel de Paris et qualifie le comportement de cette dernière de manouvres déloyales et de harcèlement. Il affirme que les faits concernés par la décision du Conseil de la concurrence ne constituent pas de sa part une faute de nature à engager sa responsabilité et observe que les faits postérieurs, qui ne sont pas invoqués par la société Vérimédia, n'ont fait l'objet d'aucune sanction. Il approuve en conséquence le tribunal d'avoir débouté la société Vérimédia de son action. Subsidiairement, il soutient l'absence de tout préjudice qui lui serait imputable et souligne que les documents produits aux débats par la société Vérimédia sont dépourvus de force probante. Il demande en conséquence à la cour de confirmer le jugement, de condamner la société Vérimédia à lui payer 20 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive et 8 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. La procédure a été clôturée par une ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 11 mars 2004 et l'affaire a été évoquée à l'audience du 6 avril 2004.
MOTIFS DE LA DECISION
Considérant que la société Vérimédia poursuit la condamnation, in solidum, des sociétés Médiamétrie et Sécodip et du GIE Audipub sur le fondement des dispositions de l'article 1382 dont la mise en œuvre nécessite que soient démontrés, par le demandeur, l'existence d'une faute, la réalité d'un préjudice et le lien de corrélation entre l'une et l'autre ;
SUR LA FAUTE
Considérant que, saisi par la société Vérimédia, le Conseil de la concurrence a rendu le 08 juillet 1998 à l'encontre des trois intimés une décision qui, n'ayant fait l'objet d'aucun recours, est devenue définitive ;
Considérant que cette juridiction spécialisée s'est livrée, au vu du rapport de monsieur Alain X, à une analyse approfondie des pratiques décriées auxquels s'étaient livrées la société Médiamétrie et la société Sécodip et le GIE Audipub ;
Considérant qu'en ce qui concerne les conditions de vente, elle a retenu qu'il n'était pas établi que la différenciation tarifaire consentie à certains clients ait excédé ce qu'autorise la marge de liberté dont disposait la société Médiamétrie dans la négociation commerciale, pour l'application dans chaque cas particulier, de ses conditions générales de vente et qu'ainsi, ces pratiques commerciales auraient eu pour objet ou pu avoir pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur les marchés de l'intermédiation publicitaire et que la société Médiamétrie ait fait une exploitation abusive de sa position dominante ;
Considérant que la société Vérimédia fait aux trois intimés le grief de discrimination en affirmant qu'ils pratiquent des différences de traitement parfaitement arbitraires ; qu'elle s'appuie sur les éléments révélés par l'enquête de la Direction nationale de la concurrence et sur le rapport de monsieur X sans pourtant apporter aucun élément qui n'ait pas été examiné et de nature à contredire la constatation du Conseil de la concurrence sur la marge de négociation dans l'application, à chaque cas particulier, des conditions générales de vente ;
Considérant que le GIE Audipub a informé la société Vérimédia et lui a rappelé que ses interventions nécessitaient l'établissement préalable d'un devis ;
Considérant que le Conseil de la concurrence a pareillement retenu que les contraintes imposées par la société Médiamétrie aux sociétés informatiques et visant, en contrepartie de la gratuité d'accès aux données Médiadata ou Médiamat, à ne leur permettre de vendre leurs services qu'à des sociétés qui sont par ailleurs ses abonnées, ne constituaient pas un abus anticoncurrentiel de la position dominante de la société Médiamétrie ;
Considérant que, la société Vérimédia infère des mêmes allégations de mise en œuvre de pratiques restreignant son accès aux services du GIE Audipub des griefs à la fois de discrimination et de manouvres dilatoires ; que le Conseil de la concurrence a reconnu que ne présentait pas cette caractéristique l'exigence que les mandants de la société Vérimédia soient abonnés ; que celle-ci n'apporte pas la démonstration que les contraintes émises, relatives aux modalités d'établissement de la réalité de cet abonnement, auraient constitué des pratiques discriminatoires ; que les intimés expliquent que, face aux demandes des sociétés d'audit, qui développaient une activité nouvelle, il leur était nécessaire de définir des règles nouvelles ; que leur comportement dans la définition des règles d'accès à leur service n'a pas présenté le caractère fautif allégué par la société Vérimédia ;
Considérant que cette dernière explique elle-même qu'à l'origine les opérateurs n'avaient rien prévu pour les relations avec les sociétés d'audit média ; qu'elle n'est pas fondée à prétendre fautive les difficultés d'adaptation de ces opérateurs aux demandes spécifiques qu'elle leur a adressées en 1992 et 1993 ;
Considérant qu'elle ne peut davantage faire grief aux intimés de n'avoir pas, alors qu'elle a admis que cette situation n'a pas duré, appliqué des critères stables d'accès aux services ;
Considérant que dès lors que la société Vérimédia admet elle-même que les produits qu'elle demandait n'étaient pas ceux standards que proposaient les trois opérateurs à leurs clients habituels, elle ne peut faire le grief de pratiques discriminatoires de prix en se référant à des propositions financières faites à des concurrents et dont elle n'établit pas le caractère identique à celles qu'elle avait obtenues, quand bien même ces propositions auraient été revêtues du sceau de la confidentialité ;
Considérant que le Conseil de la concurrence a retenu qu'agissant en concertation au sein du GIE Audipub, les sociétés Médiamétrie et Sécodip ont, dans un premier temps, hésité sur la conduite à suivre en ce qui concerne la nouvelle activité de l'expertise médias et développé à l'égard des entreprises de ce secteur une politique dépourvue de transparence et marquée par l'utilisation de procédés dilatoires ; que le conseil a relevé qu'en particulier les produits du GIE Audipub commandés par la société Vérimédia en 1993 et 1994 lui ont été livrés tardivement, sans que ce retard puisse être exclusivement imputé à l'inexpérience alléguée de la société cliente et à sa méconnaissance du secteur des études médias ; qu'il a pareillement observé que la commande par la société Vérimédia du logiciel "Micromarché TV" créé et commercialisé par le GIE Audipub n'a pas été satisfaite au motif que le contrat d'accès aux bilans de campagne ne donnait pas à la société Vérimédia un droit d'obtenir ce produit alors que cette précision, non contractuelle, ne lui avait été donnée lors de la conclusion de l'accord ;
Considérant que le Conseil de la concurrence a ainsi estimé que ces pratiques, restreignant l'accès d'un opérateur à des produits et des services du GIE Audipub qui pouvaient être utiles à l'exercice de son activité et qu'il ne pouvait obtenir d'autres sources, ont eu pour objet et ont pu avoir pour effet de limiter le libre exercice de la concurrence ; qu'il a sanctionné ces pratiques résultant d'actions concertées entre les sociétés Médiamétrie, Sécodip et le GIE Audipub ;
Considérant que la société Médiamétrie, qui n'a pas interjeté appel de cette décision, qualifie le grief retenu par le Conseil de la concurrence d'inexact et d'injuste mais admet toutefois, bien qu'en en minimisant l'importance, la réalité des retards ;
Considérant que dès lors que, dans cette décision devenue définitive, le Conseil de la concurrence a nommément désigné la société Vérimédia comme la victime, avec d'autres entreprises du secteur, des actions dilatoires concertées, la société Sécodip ne peut soutenir que ces faits restent étrangers à la notion de faute, telle qu'elle est appréhendée d'un point de vue civil et commercial ;
Considérant que c'est à bon droit que la société Vérimédia soutient qu'en la matière de son activité, la rapidité d'information et, donc, de réaction est essentielle ; Qu'il suit de là que les comportements sanctionnés par le Conseil de la concurrence constituent bien des fautes commises à l'égard de la société Vérimédia qui est bien fondée à réclamer l'indemnisation du préjudice qui en a résulté pour elle ;
Considérant toutefois que le préjudice qu'elle a subi trouve pour une partie sa cause, dans sa propre méconnaissance des spécificités du métier dans lequel elle débutait et l'imprécision de certaines de ses commandes ; Que doit être en conséquence infirmé le jugement qui l'a déboutée de ses demandes et condamnée à paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
SUR LE PREJUDICE
Considérant que la société Vérimédia fait état d'un préjudice qu'elle chiffre à un montant total de 2 870 674 euros, selon elle constitué de la perte de clientèle de 1992 à 1998 pour 828 103,06 euros, de l'entrave à son développement matérialisée par l'impossibilité de réaliser le "business plan" qui prévoyait un résultat comptable cumulé, de 1991 à 1997, de 2 027 571,90 euros et, enfin, d'un préjudice moral de 15 000 euros ;
Considérant qu'elle a expliqué avoir débuté son activité d'audit médias en 1992 ; qu'il doit être relevé que la perte de clientèle de 1992 et 1998 et la non-réalisation des bénéfices escomptés de 1991 à 1997 correspondent à des préjudices identiques qui ne peuvent pas, en conséquence, faire l'objet d'une double indemnisation ;
Considérant en effet que, si les objectifs de résultats espérés ne sont pas réalisés c'est, en l'espèce, selon la société Vérimédia elle-même, non pas en raison de coûts excessifs, mais seulement de la perte de clients que le comportement des intimés aurait causée ;
Considérant par ailleurs que la société Vérimédia détermine son préjudice sur une période de cinq ou six ans ; qu'il convient cependant d'observer que les comportements fautifs des intimés tenant à l'opacité des conditions d'accès à leurs services et aux retards qu'ils ont mis à déterminer des critères stables de tarification tels qu'ils ont été mis en cause par le Conseil de la concurrence, n'ont été commis que pendant une durée limitée, en 1993 et 1994 ;
Considérant que cette réalité se trouve confirmée par les propres écritures de la société Vérimédia qui explique "que la période pendant laquelle les intimés se sont rendus coupables des pratiques sanctionnées par le Conseil de la concurrence était celle de son apparition et de son implantation sur le marché" ;
Considérant que, comme le font valoir les sociétés Médiamétrie et Sécodip, aucun élément ne démontre l'existence d'une faute postérieure à 1994 ;
Considérant que la société Vérimédia ne rapporte aucunement la preuve de retards à la livraison des informations commandées pour ses clients Bacardi-Martini, Carrefour, Brasserie Fischer, Saint Raphael, Epson, Parisdoc, Eurosucre, Systeme U et Yoplait ; que la société Vérimédia n'a commencé à travailler avec ces clients qu'à partir de 1995 ;
Considérant au surplus que c'est de manière pertinente que les intimés relèvent que, n'étant concernés que par la fourniture de données pour la télévision, ils ne peuvent être mis en cause pour des entreprises de distribution et de vente de boissons alcooliques qui, compte tenu de la législation en vigueur, sont cantonnées aux publicités radiophoniques ;
Considérant qu'il n'est établi, notamment par la lettre de la société Vérimédia datée du 21 février 1993, de retard que pour les clients Moulinex, Reebok et Sony Music auxquels s'ajoutait une insatisfaction sur les conditions d'exécution de la commande Mercedes ;
Considérant par ailleurs que la production aux débats d'un compte prévisionnel qualifié de "business plan" ne saurait avoir de caractère probant quant au quantum du préjudice allégué dès lors que ce document se borne à mentionner des chiffres d'affaires et des résultats comptables sur les années 1991-1997 ; qu'il n'est appuyé d'aucune analyse sérieuse et que la date à laquelle il a été établi, controversée entre les parties, reste incertaine ;
Considérant enfin que la société Vérimédia fait état d'un préjudice moral "du fait du dénigrement dont elle a été l'objet de la part de ses concurrents", sans produire aucun élément de nature à démontrer la réalité et à justifier l'ampleur de ces allégations ;
Considérant que les difficultés que la société Vérimédia a rencontrées en 1993 et 1994 pour obtenir de ses partenaires Médiamétrie, Sécodip et Audipub, dans des délais satisfaisants, les éléments chiffrés qu'elle estimait nécessaires pour son activité d'audit ont été pour partie, et en même temps que l'imprécision des demandes où leur non concordance avec les capacités techniques de ses cocontractants, la cause d'un préjudice constitué d'un ralentissement dans le démarrage de l'activité et d'une possibilité de l'insatisfaction de certains clients ; qu'ils constituent en réalité la cause d'une perte de chance de pénétrer plus rapidement et plus efficacement le marché de l'audit de télévision et qu'il convient d'estimer, tous préjudices confondus, à 100 000 euros somme que seront condamnés, in solidum, les sociétés Médiamétrie, Sécodip ainsi que le GIE Audipub à lui payer ;
SUR LES AUTRES DEMANDES
Considérant que les intimés qui succombent ne sauraient qualifier d'abusive la procédure engagée par la société Vérimédia à leur encontre ; que leurs demandes en paiement de dommages et intérêts doivent être rejetées ;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la société Vérimédia la charge des frais qu'elle a été contrainte d'engager en première instance et en cause d'appel ; que les sociétés Médiamétrie, Sécodip et le GIE Audipub seront condamnés in solidum à lui payer une indemnité de 3 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Considérant que l'équité ne commande pas d'allouer des sommes sur le fondement du même texte aux intimés qui, succombant, doivent être condamnés, sous la même solidarité, aux dépens des deux instances ;
Par ces motifs : Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Infirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris, et statuant à nouveau, Condamne in solidum la société Médiamétrie, la société Sécodip et le GIE Audipub à payer à la société Vérimédia la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts, tous préjudices confondus, ainsi que celle de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Les Déclare mal fondés en leurs demandes en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive comme au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, les en déboute, Les Condamne, sous la même solidarité, aux dépens des deux instances, Dit que ceux d'appel pourront être recouvrés directement par la SCP Jullien-Lecharny-Rol, société titulaire d'un office d'avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.