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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 1, 24 janvier 2013, n° 11-06247

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Lehoucq (SARL)

Défendeur :

Dupont (Consorts)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brunel

Conseillers :

Mmes Delattre, Barbot

Avocats :

SCP François Deleforge-Bernard Franchi, Mes Quignon, Castille, Pawletta

T. com. Lille, du 5 juill. 2011

5 juillet 2011

Vu le jugement contradictoire du 5 juillet 2011 du Tribunal de commerce de Lille qui a déclaré irrecevable la demande de la SARL Lehoucq pour défaut de qualité à agir, l'a déboutée de ses demandes et l'a condamnée à payer à Mickaël Dupont et à Véronique Dupont-Marant la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;

Vu l'appel interjeté le 6 septembre 2011 par la société à responsabilité limitée (SARL) Lehoucq ;

Vu les conclusions déposées le 8 novembre 2012 pour cette dernière ;

Vu les conclusions déposées le 3 février 2012 pour Mickaël Dupont et Véronique Dupont-Marant ;

Vu l'ordonnance de clôture du 8 novembre 2012 ;

La SARL Lehoucq a interjeté appel aux fins d'infirmation du jugement entrepris, outre la condamnation de Mickaël Dupont et Véronique Dupont-Marant à lui payer les sommes de 4 700 euros au titre des infractions constatées par Maître Crametz, 8 237 euros au titre de la perte de chiffre d'affaires pour l'année 2009, 48 000 euros pour le préjudice commercial subi, 318,68 euros au titre de la facture de Maître Crametz, 3 000 euros en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens dont recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Mickaël Dupont et Véronique Dupont-Marant sollicitent la confirmation du jugement déféré, à titre subsidiaire, le rejet des demandes de la SARL Lehoucq comme étant mal fondées, et, en toute hypothèse, sa condamnation à leur payer 3 000 euros pour la couverture de leurs frais irrépétibles, ainsi qu'aux dépens dont recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Référence étant faite au jugement entrepris pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, il suffit de rappeler que par acte sous seing privé du 30 novembre 2001, la SNC brasserie Duhayon, gérée par Jean-Pierre Duhayon, décédé en janvier 2012, cédait à la SARL Lehoucq, un fonds de commerce de distribution de toutes boissons exploité 36 rue Philippe de Girard à Seclin, la société cédante s'engageant à présenter la société acquéreur auprès des exploitants des fonds de débit de boissons dont Jean-Pierre Duhayon était propriétaire, afin de constituer la société acquéreur distributeur exclusif de toutes boissons, et ce, en contrepartie du versement d'une redevance trimestrielle de 5 % sur les ventes hors taxes.

Jean-Pierre Duhayon, était notamment propriétaire d'un fonds de commerce de débit de boissons exploité à Seclin, 13 boulevard Hentge, exploité sous le nom "Café du boulevard".

Par acte notarié du 8 janvier 2009, Jean-Pierre Duhayon donnait ce fonds en location-gérance à Mickaël Dupont et à sa mère, Véronique Dupont-Marant, une clause intitulée "convention de fournitures".

Ayant découvert que Mickaël Dupont et Véronique Dupont-Marant s'approvisionnaient auprès d'un autre fournisseur, la SARL Lehoucq demandait et obtenait, par ordonnance du 9 juin 2009, la désignation d'un huissier de justice aux fins de constat, en la personne de Maître Crametz.

Aux termes de son constat du 25 juin 2009 Maître Crametz constatait la présence au sein du débit de boissons, de plusieurs bouteilles et de café provenant de l'établissement Metro, Mickaël Dupont lui déclarant qu'il s'y rendait tous les lundis.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 25 août 2009 la SARL Lehoucq enjoignait à Mickaël Dupont et Véronique Dupont-Marant de respecter leurs engagements, ce que faisait également Jean-Pierre Duhayon par courrier du 28 octobre 2010.

Par acte d'huissier de justice du 6 octobre 2010, la SARL Lehoucq assignait Mickaël Dupont et Véronique Dupont-Marant devant le Tribunal de commerce de Lille aux fins d'obtenir principalement une indemnisation pour le non-respect de la clause d'approvisionnement, procédure qui donnait lieu au jugement déféré.

Pour contester ce dernier, la SARL Lehoucq expose qu'elle a un intérêt à agir, l'article 1165 du Code civil posant le principe de l'effet relatif des contrats à l'égard de tiers, et l'article 1121 du même Code autorisant la stipulation pour autrui.

Elle soutient que Mickaël Dupont et Véronique Dupont-Marant se sont engagés expressément à respecter la clause d'approvisionnement, aux termes, de l'acte notarié du 8 janvier 2009, et que cette dernière lui octroie l'exclusivité, même si ce terme n'est pas expressément mentionné, comme en atteste le mécanisme de sanction stipulé.

Elle indique que Maître Crametz a mis en exergue la faute contractuelle de Mickaël Dupont et Véronique Dupont-Marant, ce qui justifie l'allocation de l'indemnité contractuellement prévue en cas d'infraction et de dommages-intérêts pour préjudice commercial.

En réponse, Mickaël Dupont et Véronique Dupont-Marant exposent qu'ils ne sont liés par aucune convention à la société Lehoucq, et que l'attestation établie par Jean-Pierre Duhayon, produite aux débats, ne permet pas de prouver l'existence d'un contrat de fourniture conclu par lui avec la société Lehoucq.

Ils soutiennent, par ailleurs, que si l'existence d'une clause d'approvisionnement est reconnue, elle n'est en l'espèce pas licite, à défaut de stipulation sans équivoque de l'exclusivité, de communication de ladite clause et d'approbation expresse ; ils ajoutent que les dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce ne sont pas remplies, à défaut de limitation dans le temps, d'éléments précis sur les conditions tarifaires et la nature des produits, l'attestation établie par Jean-Michel Lehoucq ne permettant pas à elle seule de prouver que les tarifs leur ont été remis.

Enfin, ils indiquent que le chiffre d'affaires du débit de boisson a diminué en raison de travaux de voirie, de la fermeture de l'artère centrale de Seclin, de la disparition des stationnements à proximité, ce dont la société Lehoucq ne tient pas compte pour évaluer son préjudice ;

SUR CE

Sur la recevabilité des demandes de la SARL Lehoucq

Aux termes du contrat de location-gérance du 8 janvier 2009, signé entre Jean-Pierre Duhayon, en qualité de propriétaire du fonds, d'une part, et les consorts Dupont, en qualité de preneurs, d'autre part, il est expressément prévu, au paragraphe intitulé "convention de fournitures", que "comme condition des présentes, le propriétaire oblige le preneur à s'approvisionner auprès de la Brasserie Lehoucq, des vins, bières, alcools, sirops, eaux, spiritueux et généralement tous liquides et boissons achetés et consommés sur place", et qu'en cas d'infraction, le preneur s'engage à payer au fournisseur une indemnité forfaitaire ;

Il en résulte que, même si la SARL Lehoucq n'a pas été signataire dudit contrat de location-gérance, elle est directement bénéficiaire de cette stipulation ;

La SARL Lehoucq, qui soutient que cette disposition contractuelle n'a pas été respectée et qu'elle en subit un préjudice, a, en conséquence, un intérêt légitime à agir contre les consorts Dupont ;

Dans ces conditions, le jugement déféré sera infirmé en toutes ses dispositions, et la SARL Lehoucq déclarée recevable en ses demandes ;

Sur la clause d'approvisionnement

Même si la convention d'approvisionnement exclusif qui liait Jean-Pierre Duhayon à la SARL Lehoucq, n'a pas été communiquée aux consorts Dupont lors de la signature du contrat de location-gérance, il n'en demeure pas moins que l'obligation d'approvisionnement auprès de la société Lehoucq, imposée au locataire-gérant, est expressément mentionnée au paragraphe "convention de fournitures" du contrat de gérance, librement accepté et signé par les consorts Dupont ;

Ainsi, il ne peut être sérieusement contesté que la clause d'approvisionnement auprès de la société Lehoucq est opposable aux consorts Dupont, qui reconnaissent d'ailleurs s'être effectivement approvisionnés auprès de cette dernière, dans le cadre de l'exécution du contrat de location-gérance ;

Les consorts Dupont estiment qu'il ne peut cependant leur être fait le moindre grief, dès lors que ladite clause d'approvisionnement n'aurait aucun caractère exclusif ;

Si le terme exclusif n'est effectivement pas mentionné au paragraphe "convention de fournitures", il n'en demeure pas moins que cette exclusivité ressort clairement de la rédaction de la stipulation, qui précise, sans ambiguïté, que le preneur doit s'approvisionner auprès de la Brasserie Lehoucq pour tous liquides et boissons achetés et consommés sur place, aucune exception ou restriction n'étant par ailleurs prévue, sous peine d'indemnité forfaitaire en cas d'infraction constatée à payer directement au brasseur ;

Ainsi, le caractère exclusif de la clause d'approvisionnement liant les consorts Dupont à la brasserie Lehoucq est avéré ;

Les consorts Dupont soutiennent, dans cette hypothèse, que ladite clause ne leur est pas opposable à défaut de respect des dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce et notamment de l'obligation d'information préalable sur les conditions tarifaires ;

Néanmoins, les dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce concernent les contrats dans le cadre desquels une personne met à disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement de d'exclusivité ;

Tel n'est pas le cas en l'espèce, la brasserie Lehoucq n'étant pas partie au contrat de location-gérance, et n'étant bénéficiaire que d'une stipulation pour autrui portant sur une obligation d'approvisionnement exclusif en boissons, de la part des consorts Dupont ;

Les dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce ne sont donc pas applicables aux faits de l'espèce ;

Quoiqu'il en soit, il résulte des éléments versés aux débats que les prix d'achat des marchandises ont été communiqués dans le cadre des contrats d'application ;

Enfin, les consorts Dupont critiquent la clause d'approvisionnement exclusif en ce qu'elle ne comporte pas de limitation dans le temps alors que l'article L. 330-1 du Code de commerce fixe une durée de validité maximum de 10 ans ;

Si la durée pour laquelle une clause d'exclusivité est prévue ne peut excéder dix ans, le fait d'accepter un engagement plus long ou ne comportant pas de limite, n'entraîne pas la nullité de la stipulation, mais la réduction de la durée d'efficacité de la clause au délai légal maximum ;

Or, la clause d'approvisionnement exclusif dont s'agit ayant été acceptée par les consorts Dupont aux termes d'un contrat de location-gérance du 8 janvier 2009, elle est toujours efficace dans le temps ;

Il résulte de ce qui précède que la clause d'approvisionnement exclusif stipulée au profit de la SARL Lehoucq, aux termes du contrat de location-gérance du 8 janvier 2009, est licite et opposable aux consorts Dupont, qui doivent la respecter ;

Sur la faute des consorts Dupont et les demandes en paiement de la SARL Lehoucq

Aux termes de son procès-verbal de constat sur exécution d' ordonnance du 25 juin 2009, Maître Crametz a constaté la présence dans la salle de café de six sirops, une bouteille de vodka, sept d'alcool, quatorze bouteilles de rosé, neuf bouteilles de muscadet, deux bouteilles de vin blanc doux, quatre bouteilles de Pulco citron, provenant de Metro, et des paquets de café provenant des établissements Café Richard ;

La provenance de ces produits a été confirmée à l'huissier de justice par les consorts Dupont, Mickaël Dupont ayant précisé se rendre au sein des établissements Metro tous les lundis ;

Les infractions à la clause d'approvisionnement exclusif par les consorts Dupont, sont donc établies ;

Ladite clause stipule qu'en cas d'infraction le preneur s'engage à payer au fournisseur une indemnité forfaitaire de 100 euros par infraction constatée ;

En conséquence, la SARL Lehoucq est bien fondée à réclamer à ce titre la somme de 4 700 euros, que Mickaël Dupont et Véronique Dupont-Marant seront condamnés à payer solidairement ;

La SARL Lehoucq demande par ailleurs une somme 8 237 euros au titre de la perte de chiffre d'affaires pour l'année 2009, et un préjudice commercial de 48 000 euros correspondant à une perte de chiffre d'affaires depuis 3 ans ;

Cependant, elle n'établit nullement le lien de causalité entre les pertes de chiffre d'affaires alléguées et les infractions ponctuellement constatées à l'encontre des consorts Dupont, qui justifient par ailleurs que la commercialité de leur établissement est affectée par des travaux de voirie depuis le 9 janvier 2009 ;

En conséquence, la SARL Lehoucq sera déboutée de ses demandes à hauteur de 8 237 euros au titre d'une perte de chiffre d'affaires pour 2009, et de 48 000 euros au titre de préjudice commercial ;

Mickaël Dupont et Véronique Dupont-Marant qui succombent seront condamnés aux dépens de première instance, comprenant les frais du procès-verbal d'huissier du 25 juin 2009 ordonné sur requête, et d'appel, et déboutés de leur demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la SARL Lehoucq les frais exposés par elle en première instance et cause d'appel, et non compris dans les dépens ; il lui sera alloué la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe, Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Statuant à nouveau, Rejette la fin de non-recevoir élevée par Mickaël Dupont et Véronique Dupont-Marant, Condamne solidairement Mickaël Dupont et Véronique Dupont-Marant à payer à la SARL Lehoucq la somme de 4 700 euros, Rejette les demandes de la SARL Lehoucq à hauteur de 8 237 euros au titre d'une perte de chiffre d'affaires pour 2009, et de 48 000 euros au titre de préjudice commercial ; Rejette les demandes de Mickaël Dupont et Véronique Dupont-Marant relatives à la clause d'approvisionnement exclusif et à l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne Mickaël Dupont et Véronique Dupont-Marant à payer à la SARL Lehoucq la somme de 3 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel, Condamne Mickaël Dupont et Véronique Dupont-Marant aux dépens de première instance, comprenant les frais du procès-verbal d'huissier du 25 juin 2009 ordonné sur requête, et d'appel, qui pourront être recouvrés, pour ceux d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.