CA Riom, ch. com., 16 janvier 2013, n° 11-02966
RIOM
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Carrion 2C (SAS)
Défendeur :
Troisième Génération Thoinet (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Valtin
Conseillers :
Mmes Javion, Millerand
Avocats :
Selarl Pole Avocats, Mes Lecomte, Arnaud
Faits, procédure et prétentions des parties
La SAS Carrion 2C exerce une activité de commerce de gros de meubles.
Elle assure la diffusion de meubles dans le cadre de deux branches d'activité
Division tables : Americo
Division meubles meublants : ASF.
Elle a signé le 1er janvier 2000 avec la société SARL Troisième Génération Thoinet un contrat d'agent commercial qui concernait la branche d'activité Americo prévoyant que :
- le contrat autorisait la société 3GT à représenter d'autres entreprises dont le nombre était limité à 6, la liste de ces entreprises étant annexée au contrat,
- la société 3GT s'engageait à informer la société Carrion 2C au fur et à mesure, des nouveaux mandats qu'elle accepterait.
Un second contrat était signé le 29 août 2002 concernant la branche ASF, dans des termes identiques.
En septembre 2010, la société 3GT à la demande de la société Carrion 2C, l'informait de ce qu'elle représentait "Référence et Tradition".
La SAS Carrion 2C estimait que cette entreprise était une société concurrente et que la société 3GT ne lui fournissait pas les explications qu'elle demandait.
Par lettre recommandée du 10 décembre 2010, la SAS Carrion 2C rompait les contrats d'agent commercial de la SARL Troisième Génération Thoinet pour faute grave.
La SARL Troisième Génération Thoinet (3GT) a saisi le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand pour voir déclarer le caractère abusif de la résiliation et obtenir réparation du préjudice subi.
Par jugement du 19 octobre 2011, le tribunal de commerce a retenu sa compétence territoriale et a fait droit à la demande de la société 3GT.
La SAS Carrion 2C a fait appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe le 1er décembre 2011.
Par conclusions en date du 25 juin 2012, la société Carrion 2C soulève à titre principal l'incompétence territoriale du Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand au profit du Tribunal de commerce de Toulouse,
subsidiairement elle demande de :
- débouter la société 3GT de ses demandes ou ramener subsidiairement à de plus justes proportions l'indemnité de clientèle sollicitée,
en toute hypothèse reconventionnellement
- condamner la société 3GT à payer à la société Carrion 2C une indemnité de 100 000 euro à titre de dommages-intérêts,
- faire interdiction sous astreinte de 1 000 euro par infraction constatée à compter de la signification de la décision à intervenir à la société 3GT d'avoir à intervenir dans la commercialisation de meubles concurrents de ceux commercialisés par la société Carrion 2C,
- condamner la société 3GT au paiement de la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par conclusions reçues le 16 octobre 2012, la SARL 3 GT demande de :
sur l'appel principal
- débouter la SAS Carrion 2C de son exception d'incompétence au profit de la Cour d'appel de Toulouse,
- vu les dispositions des articles 1142 et L. 134-12 du Code de commerce,
- débouter la société Carrion 2C de son argumentation visant à voir juger du bien-fondé de la résiliation pour faute grave des contrats d'agents commerciaux liant la société 3GT exclusif du versement de toute indemnité,
en conséquence
- confirmer les dispositions du jugement rendu par le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand en ce qu'il a condamné la SAS Carrion 2C au paiement de l'indemnité compensatrice prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce,
- condamner la SAS Carrion 2C au paiement de l'indemnité de préavis à concurrence de la somme de 7 448,25 euro,
- condamner la SAS Carrion 2C au paiement de la somme de 15 360 euro à titre de dommages-intérêts,
- débouter la SAS Carrion 2C de sa demande reconventionnelle en indemnisation et en interdiction sous astreinte du maintien de l'activité de la société 3GT
sur l'appel incident
sur le quantum de l'indemnité compensatrice prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce,
- recevoir la société 3GT en son appel incident et y faire droit,
en conséquence condamner la société Carrion 2C à lui payer la somme de 147 038,68 euro au titre de l'indemnité compensatrice outre intérêts au taux légal à compter du 12 janvier 2011 date de la mise en demeure et jusqu'au parfait paiement,
recevoir la société 3GT en son appel incident en ce qui concerne les dommages-intérêts en réparation du préjudice causé du fait des circonstances de la rupture abusive en dehors du coût du licenciement économique,
condamner la société Carrion 2C à ce titre au paiement de la somme de 80 000 euro à titre de dommages-intérêts outre intérêts au taux légal à compter du 12 janvier 2011 jusqu'au parfait paiement,
condamner la société Carrion 2C à payer à la société 3GT la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Motivation
Sur la compétence de la Cour d'appel de Riom
La SAS Carrion 2C a son siège social à Blagnac dans le ressort de la Cour d'appel de Toulouse ; elle estime qu'en application de l'article 42 du Code de procédure civile, le tribunal compétent était celui de Toulouse, lieu du domicile du défendeur en l'absence de clause attributive de compétence contraire.
Néanmoins, en matière contractuelle le demandeur en application de l'article 46 peut également saisir la juridiction du lieu d'exécution de la prestation de service.
L'expression "prestation de service" s'entend au sens large selon la jurisprudence ; il en est ainsi de l'activité de l'agent commercial exercée dans le ressort du Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand et de la Cour d'appel de Riom.
La SARL Troisième Génération Thoinet est fondée à demander réparation du préjudice subi du fait de la rupture du contrat sur le fondement de l'article 1142 du Code civil à la juridiction où elle exerce son activité.
Le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand sera confirmé en ce qu'il a retenu sa compétence territoriale.
Sur la résiliation
Aux termes de l'article L. 134-1 du Code de commerce, l'agent commercial est un mandataire qui à titre de profession indépendante sans être lié par un contrat de louage de services est chargé de façon permanente de négocier et éventuellement de conclure des contrats de vente au nom et pour le compte de producteurs, industriels commerçants.
L'article L. 134-3 stipule que l'agent commercial peut accepter sans autorisation la représentation de nouveaux mandants. Toutefois, il ne peut accepter la représentation d'une entreprise concurrente de celle de l'un de ces mandants sans accord de ce dernier.
L'article L. 134-4 stipule que les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information.
Par ailleurs selon l'article L. 134-12, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.
Sur la résiliation du contrat
Selon l'article 8 du contrat liant les parties,
"l'agent commercial est tenu d'une véritable obligation de fidélité qui lui interdit de s'intéresser directement ou indirectement à une entreprise concurrente à celle du mandant ou de collaborer sous quelque forme que ce soit avec une telle entreprise".
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 décembre 2010 la SAS Carrion 2C a résilié les contrats la liant à son agent commercial pour faute grave en invoquant :
- que l'agent commercial représentait une carte "Référence et Tradition" et "Art du Chêne" sans l'en avoir avisée au préalable
- que la carte "Référence et Tradition" et "Art du Chêne" concurrence directement les produits objet des deux contrats d'agent commercial
- que la SARL Troisième Génération Thoinet a manqué à son obligation de loyauté et de non-concurrence, ce qui explique le manque de résultats sur les produits de la gamme qu'elle était supposée représenter.
Le contrat stipulait que l'agent commercial s'engage à informer le mandant au fur et à mesure des nouveaux mandats qu'il prendra ; ainsi que de ceux qu'il abandonnera.
En pratique, la SAS Carrion adressait chaque année sauf en 2009 une demande d'information que la SARL Troisième Génération Thoinet renseignait.
Le 15 septembre 2010, la SAS Carrion 2C a adressé à son agent une demande sur laquelle celui-ci a répondu en retour qu'il abandonnait deux cartes et représentait "Référence et Tradition".
Il ressort de ces éléments que les parties s'étaient accordées depuis plusieurs années sur ce mode de communication des informations que l'agent commercial se devait de transmettre au mandant et qu'en conséquence, la SAS Carrion 2C est mal fondée à imputer à faute en 2010, le défaut de communication spontanée des entreprises nouvellement représentées par la SARL Troisième Génération Thoinet qu'elle a accepté antérieurement.
Néanmoins, la SAS Carrion ayant interrogé son agent commercial le 15 septembre 2010 sur son activité, ce dernier devait lui communiquer une réponse complète et sincère.
Il s'avère que la SARL Troisième Génération Thoinet a répondu incomplètement aux demandes du mandant sur deux points.
D'une part, elle a indiqué représenter Reference et Tradition et n'a pas mentionné Art du Chêne, alors pourtant que contrairement à ses dires, il ne s'agit pas d'une seule et même entité mais de deux sociétés qui ont fait l'objet de décisions de liquidation judiciaire distinctes.
En outre elle a refusé d'indiquer à la société Carrion 2C depuis combien de temps elle représentait ces deux marques, malgré les demandes réitérées de cette dernière, ce qui empêchait la société Carrion 2C de connaitre l'étendue éventuelle de son préjudice.
Il ressort des pièces produites par la SAS Carrion 2C, en l'espèce les extraits de catalogue des produits ASF et Americo du mandataire et les extraits de catalogue de la société Art du Chêne représentée par la SARL Troisième Génération Thoinet que les meubles proposés, bahuts, bibliothèques, tables en bois de chêne, étaient des produits concurrents de style contemporain très proche et susceptible en conséquence de s'adresser à une même clientèle.
LA SAS Carrion 2C décrit précisément et de manière détaillée les ressemblances entre les produits des gammes Berlim et Bruxelas de la société Art du Chêne avec des produits de marque ASF et Americo, dont la cour peut se convaincre au vu des documents produits.
La SARL Troisième Génération Thoinet n'a pas conclu en réponse sur cet argument se contentant d'affirmer que les produits Art du Chêne ne modifiaient pas structurellement le contenu des produits représentés par la SARL Troisième Génération Thoinet notamment en ce qui concerne d'anciennes marques telles que les marques Toiffard et Tujargue.
Le tribunal a considéré que les contrats autorisaient la SARL Troisième Génération Thoinet à représenter d'autres maisons vendant des meubles meublants tels que Tujargue ou Cassard, donc des entreprises potentiellement concurrentes de la SAS Carrion 2C.
Mais la SAS Carrion 2C démontre que les autres marques représentées par son agent commercial ont une gamme de produits différents et ne concurrencent aucunement ses produits.
Selon les attestations de clients de la SARL Troisième Génération Thoinet, celle-ci ne leur a jamais proposé de produits concurrents des produits ASF et Americo, et les produits Art du Chêne ne sont pas de même style que les produits ASF lesquels sont en merisier.
Ces attestations ne sont pas de nature à emporter la conviction de la cour, puisque la SAS Carrion rapporte la preuve de ce que certaines gammes de ses produits en chêne de style contemporain sont très proches des produits Art du Chêne.
La SARL Troisième Génération Thoinet qui bénéficiait d'une clause d'exclusivité, a donc représenté une entreprise concurrente de celle de son mandant et sans son accord.
La SAS Carrion 2C affirme qu'il en est résulté une chute de ses commandes de 74 % par rapport à 2009 et que selon les statistiques de vente par produits 2010, sur les collections 600 et 8000, la comparaison entre la zone de la SARL Troisième Génération Thoinet (Zone 6) et deux zones similaires fait apparaitre une importante différence.
L'agent commercial réplique qu'il a dépassé ses objectifs en 2008 et 2009 et qu'il a développé de manière régulière le chiffre d'affaires de la société Carrion 2C ; pour autant les commandes 2010 selon ses propres chiffres sont en forte diminution par rapport à celles de 2009 : 443 704 euro au 30 novembre 2010 sur 11 mois contre 622 144 euro en 2009 et sont inférieures à l'objectif fixé : 632 000 euro alors que les années précédentes 2008 et 2009, les objectifs fixés étaient dépassés.
Il n'apparait pas nécessaire de se référer aux résultats de l'année 2011, dès lors que le chiffre d'affaires réalisé par Monsieur Thomas ayant succédé à la SARL Troisième Génération Thoinet pour la représentation des marques ASF et Americo ne peut être strictement comparé au chiffre d'affaires 2010 de la SARL Troisième Génération Thoinet compte tenu des réorganisations intervenues.
En tout état de cause, bien que la SARL Troisième Génération Thoinet n'ait pas indiqué la date de début de sa relation avec Art du Chêne, on peut penser que celle-ci qui n'avait pas été déclarée antérieurement débute en 2010 ; or sur cette période survient précisément une baisse des commandes ASF et Americo qui peut être mise en parallèle avec l'activité de l'agent commercial consacrée à la société Art du Chêne.
La SARL Troisième Génération Thoinet affirme que la résiliation a été brutale et qu'elle n'a pas été mise en demeure de cesser son activité ; la société Carrion 2C lui a en effet indiqué le 25 octobre 2010 qu'elle lui ferait connaitre sa position après avoir consulté le catalogue Art du Chêne.
Mais préalablement, le 7 octobre 2010, ayant appris que la SARL Troisième Génération Thoinet avait une carte d'un fabricant portugais de meuble en chêne positionné sur le même créneau de marché que la division ASF, elle lui avait demandé de régulariser sa situation.
Par la suite la SARL Troisième Génération Thoinet a opposé une fin de non-recevoir à ses demandes d'explication.
En l'état des relations entre les parties, la SAS Carrion 2C a pu après deux mois de tentatives d'explication résilier le contrat de son agent commercial qui représentait, depuis une date sur laquelle il s'est refusé de s'expliquer, une entreprise concurrente de la sienne au visa de l'article 8 du contrat d'agent commercial, la SARL Troisième Génération Thoinet ayant manqué à son obligation de loyauté envers son mandant.
La faute grave est caractérisée ; dès lors la SARL Troisième Génération Thoinet ne peut demander ni indemnité compensatrice, ni indemnité de préavis, ni dommages-intérêts.
Le jugement rendu le 19 octobre 2011 par le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand sera donc infirmé.
Sur la demande de la société Carrion 2C
La société Carrion 2C demande la condamnation de la SARL Troisième Génération Thoinet au paiement de la somme de 100 000 euro au titre du manque à gagner qu'elle a subi ; elle fait valoir que la SARL Troisième Génération Thoinet n'a pas exécuté convenablement son mandat en ne proposant à la vente que les seuls meubles en merisier commercialisés par la société Carrion 2C en faisant abstraction de toute la collection chêne pour laquelle elle disposait manifestement d'un autre approvisionnement.
La somme forfaitaire réclamée au titre d'un manque à gagner n'est pas justifiée par un chiffrage précis, mais à tout le moins, il sera retenu que la SAS Carrion a perdu une chance de commandes de produits concurrencés par ceux de la marque Art du Chêne représentés par la SARL Troisième Génération Thoinet
A ce titre il lui sera alloué la somme de 10 000 euro.
Sur la clause de non-concurrence
Le tribunal a relevé que la clause contractuelle de non-concurrence ne comporte aucune contrepartie financière et l'a déclarée nulle ; cependant le tribunal a ajouté une condition non prévue par les dispositions de l'article 134-14 du Code de commerce.
La clause contractuelle est limitée dans le temps à deux ans à compter de la cessation du mandat, elle est limitée au secteur et à la clientèle attribués à la SARL Troisième Génération Thoinet, elle est parfaitement licite.
Il sera cependant constaté que la résiliation intervenue à l'initiative de la SAS Carrion 2C remonte précisément à deux ans, de sorte que la clause n'a plus lieu de recevoir application ; la SAS Carrion 2C sera déboutée de sa demande.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La SARL Troisième Génération Thoinet partie perdante sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés comme il est prescrit par l'article 699 du Code de procédure civile ; elle sera condamnée à payer la somme de 2 500 euro à la société Carrion 2C au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle sera déboutée de sa demande en paiement de frais irrépétibles.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement du Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la société Carrion 2C, L'infirme pour le surplus, En conséquence dit que la résiliation des contrats d'agent commercial de la SARL Troisième Génération Thoinet n'est pas abusive, Déboute la SARL Troisième Génération Thoinet de l'ensemble de ses demandes, Y ajoutant, Condamne la SARL Troisième Génération Thoinet à payer à la SAS Carrion 2C la somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts, Dit que la clause de non-concurrence est licite, Déboute la SAS Carrion 2C de sa demande relative à la clause de non-concurrence, Condamne la SARL Troisième Génération Thoinet à payer à la SAS Carrion 2C la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SARL Troisième Génération Thoinet aux dépens de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés comme il est prescrit par l'article 699 du Code de procédure civile.