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Décisions

CA Bourges, ch. civ., 10 janvier 2013, n° 12-00163

BOURGES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Lidl (SNC)

Défendeur :

Vierzon Distribution (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Richard

Conseillers :

MM. Lachal, Tallon

Avocats :

Mes Rahon, Braun, Zimmermann, Le Roy des Barres, Reye

T. com. Bourges, du 13 déc. 2011

13 décembre 2011

Exposé de l'affaire

La SNC Lidl a fait appel du jugement rendu le 13 décembre 2011 par le Tribunal de commerce de Bourges, qui l'a déboutée de toutes ses demandes et condamnée à verser à la SA Vierzon Distribution une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions du 3 août 2012, auxquelles il est fait référence par application de l'article 455 du même code, la société appelante expose que la publicité litigieuse était accompagnée des slogans suivants : "n'est pas E. Leclerc qui veut ! Prix bas : preuves à l'appui E. Leclerc reste le moins cher. En anglais, on dit hard discount, en français ont dit E. Leclerc", que ce slogan est trompeur et illicite car la décision d'achat d'un nombre important de consommateurs est susceptible d'être prise dans la croyance erronée que la sélection de produits opérée par l'annonceur est représentative du niveau des prix de ce dernier par rapport à celui de son concurrent, qu'ainsi la publicité litigieuse, non conforme aux exigences de l'article L. 121-8 du Code de la consommation, est clairement de nature à induire le consommateur en erreur, que la publicité de la société appelante n'est pas comparative, qu'en outre les énonciations contenues dans la publicité en cause ne peuvent être vérifiées (biens comparés non identifiables, impossibilité pour le consommateur de constater les différences existant entre les produits, absence en rayon des produits comparés, absence d'objectivité de la publicité comparative litigieuse) et qu'enfin le comportement de la société intimée a clairement entraîné pour elle un manque à gagner car elle a vu une partie de sa clientèle détournée.

Elle conclut à l'infirmation du jugement entrepris, au débouté des demandes de la SAS Vierzon Distribution, qui sera déclarée responsable des actes de concurrence déloyale commis à son préjudice, à sa condamnation à lui payer une somme de 65 000 euros à titre de dommages-intérêts outre intérêts au taux légal plus celle de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles, à la publication du présent arrêt dans un quotidien régional ainsi que dans un journal professionnel à raison de 3 000 euros par insertion et à l'affichage de ladite décision sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.

La société intimée, par des écritures du 4 octobre 2012, auxquelles il est pareillement fait référence, répond que depuis la réforme de l'ordonnance du 23 août 2001 il n'est plus obligatoire de comparer des produits identiques vendus dans les mêmes conditions mais cette obligation est devenue celle de comparer des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objet objectif, que les achats ayant été effectués à 1 h 30 de distance, elle n'a pu manipuler ses prix pour l'établissement de la comparaison, qu'il est inhérent à la publicité comparative qu'un choix soit opéré par l'annonceur quant aux produits comparés, qu'une comparaison est licite dès lors qu'elle porte sur des produits présentant un degré suffisant d'interchangeabilité, que par définition dans une telle comparaison les produits comparés n'ont pas les mêmes fabricants, les mêmes compositions, ni les mêmes caractéristiques gustatives, que la lecture des tickets de caisse établit l'existence de différences de rédaction, qui informe le consommateur quant aux produits comparés, que la publicité dément toute possibilité pour le consommateur d'imaginer que la comparaison viserait le niveau général des prix des produits commercialisés et qu'enfin le prétendu préjudice n'est justifié par aucune pièce.

Elle conclut à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation de la SNC Lidl à lui verser une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Motifs de la décision

Attendu que le 23 septembre 2006 la SA Vierzon Distribution, qui exploite une grande surface à Vierzon sous l'enseigne "Leclerc", a fait paraître dans le quotidien régional "le Berry Républicain" une publicité comparant 34 produits achetés dans quatre supermarchés de cette ville, à savoir les enseignes E. Leclerc, Lidl, ED et Leader Price, avec les mentions suivantes : au-dessus des tickets de caisse "N'est pas E. Leclerc qui veut ! Prix bas : preuves à l'appui E. Leclerc reste le moins cher" et au-dessous de ceux-ci "en anglais, on dit hard discount, en français on dit E. Leclerc depuis 55 ans" ; que le total de ces tickets de caisse était de 46,30 euros pour E. Leclerc, de 51,40 euros pour Lidl, de 51,70 euros pour ED et de 58,81 euros pour Leader Price ;

Attendu que l'article L. 121-8 du Code de la consommation suite à la transposition de la directive européenne 97-55 en droit français par l'ordonnance du 23 août 2001 est rédigé comme suit : "toute publicité, qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent n'est licite que si :

1°) elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur,

2°) elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif,

3°) elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ses biens ou services, dont le prix peut faire partie" ;

Attendu que suite à la saisine le 17 mars 2009 par le Tribunal de commerce de Bourges de la Cour de Justice de l'Union européenne, cette dernière juridiction a rendu le 18 novembre 2010 un arrêt selon lequel l'article trois bis de la directive 84-450 du 10 septembre 1984, modifiée par la directive 97-55, doit être interprété en ce sens : "la seule circonstance que les produits alimentaires diffèrent quant à leur comestibilité et quant au plaisir qu'ils procurent aux consommateurs, en fonction des conditions et du lieu de leur fabrication, de leurs ingrédients et de l'identité de leur fabricant n'est pas de nature à exclure que la comparaison de tels produits puisse satisfaire à l'exigence édictée par ladite disposition et voulant que ceux-ci répondent aux mêmes besoins ou aient le même objectif, c'est-à-dire qu'ils présentent entre eux un degré d'interchangeabilité suffisant ;

Attendu que cette dernière décision indique qu'une publicité peut revêtir un caractère trompeur, s'il est constaté eu égard notamment aux indications et aux omissions, dont s'accompagne cette publicité, que la décision d'achat d'un nombre significatif de consommateurs, auxquels elle s'adresse, est susceptible d'être prise dans la croyance erronée que la sélection de produits opérée par l'annonceur est représentative du niveau général des prix de ce dernier par rapport à celui pratiqué par son concurrent ;

Attendu en l'espèce que les tickets de caisse litigieux visent notamment : "camembert 45% MG, 250 g", "margarine de cuisson", "steaks hachés, 1 kg", "huile olive, 1 l", "vinaigre", "couscous volaille", "riz sachet cuisson", "Jus d'orange, bocal", "bière cartons 24 x 25 cl", "côtes-du-Rhône, 75 cl", "mousseux, 75 cl" ;

Attendu que même si le fait que les produits alimentaires peuvent différer quant à leur comestibilité et quant au plaisir qu'ils procurent aux consommateurs en fonction des conditions et du lieu de leur fabrication, de leurs ingrédients et de l'identité de leur fabricant, en l'espèce l'indigence des indications ne permet nullement la comparaison utile de ces produits ; qu'en effet il existe une énorme différence entre une huile d'olive de première pression d'appellation d'origine et une huile d'olive de bas de gamme importée, qu'il en va de même pour les steaks hachés, dont on ne sait rien de la qualité, sans parler des côtes-du-Rhône, dont il n'est pas précisé s'il s'agit d'une appellation village ou non ; qu'il n'existe également rien de comparable entre une bière brune et une bière blonde ; qu'ainsi la publicité comparative en cause ne porte pas sur des biens répondant aux mêmes besoins ;

Attendu que pour certains produits, tels que la paella ou la purée, la publicité vise des conditionnements, qui ne sont pas identiques (1 kg, 1050 g, 4 x 125, 500 g) ou qui ne sont pas précisés (margarine, vinaigre, couscous, riz, jus d'orange, cidre,...), ce qui démontre le manque de caractère objectif et vérifiable de la publicité litigieuse ; qu'en conséquence le caractère objectif et vérifiable de la publicité réalisée par la SA Vierzon Distribution en septembre 2006 n'existe nullement et celle-ci contrevient aux dispositions précitées de l'article L. 121-8 du Code de la consommation ;

Attendu en outre que si l'exagération inhérente à une publicité non comparative ne viole pas les règles d'une légitime concurrence commerciale, la publicité comparative, qui vise un ou des concurrents précis, dont l'annonceur veut capter la clientèle, provoque un dénigrement si elle est réalisée en violation des règles légales ; qu'ainsi le dénigrement fautif de la société appelante constitutif d'une concurrence déloyale occasionne nécessairement un préjudice au concurrent, qui subit ces agissements illégaux ; qu'en application de l'article 1382 du Code civil la SA Vierzon Distribution doit être condamnée à indemniser l'entier préjudice de la SNC Lidl ;

Attendu que faute de production par cette dernière de justificatifs quant à la baisse de son chiffre d'affaires ainsi que de ses bénéfices à la fin de l'année 2006, la cour fixe au vu des éléments rapportés plus haut la réparation de ce dommage à la somme de 5 000 euros ;

Attendu que compte tenu de l'ancienneté extrême de cette publicité, qui remonte à plus de six années, la publication ainsi que l'affichage de la présente décision ne constituent pas une mesure de réparation pertinente, car le contexte économique a beaucoup changé depuis cette époque ;

Attendu qu'une somme de 2 500 euros sera allouée à la société appelante au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; que la société intimée, qui succombe, ne saurait obtenir des dommages-intérêts, ni l'application de ce texte et sera condamnée aux dépens d'instance et d'appel ;

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement entrepris et, statuant à nouveau, Dit qu'en diffusant une publicité comparative non conforme aux dispositions légales la SA Vierzon Distribution a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la SNC Lidl ; Condamne la SA Vierzon Distribution à payer à cette dernière une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts plus celle de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles ; Déboute les parties de leurs autres demandes ; Condamne la SA Vierzon Distribution aux dépens et autorise Me Rahon, avocat à Bourges, à se prévaloir des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.