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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 7 février 2013, n° 11-04913

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Dépêches - Relations Presse - Relations Publiques (SAS)

Défendeur :

Casino Restauration (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Pomonti, Michel-Amsellem

Avocats :

Mes Pelit-Jumel, Gandillet, Lucchini, de la Taille, Semoun

T. com. Lyon, du 8 févr. 2011

8 février 2011

Faits constants et procédure

La société Dépêche - Relations Presse - Relations Publiques (la société Dépêches) et la société Casino Restauration (la société Casino) étaient en relation d'affaires depuis 2004.

La société Dépêches exerce une activité de gestion des relations presse et relations publiques des entreprises (évènements, manifestations...).

Les deux parties ont formalisé leurs relations par un contrat annuel prévoyant les prestations à réaliser par la société Dépêches et précisant la rémunération à verser par la société Casino.

Le marché s'élevait à 25 000 euros HT annuels en moyenne, non compris environ 6 000 euros de frais complémentaires.

En décembre 2008, la société Dépêches a remis à la société Casino sa proposition pour l'année 2009.

Des prestations ont été réalisées par la société Dépêches, durant le mois de janvier 2009, qui ont été facturées et payées, mais à compter de février 2009, la société Casino a cessé ses relations avec la société Dépêches.

Ayant constaté au travers d'un article de presse que la société Casino travaillait désormais avec une société dénommée Abrasive, créée en janvier 2009 par son ancienne directrice de clientèle, la société Dépêches a, par courrier en date du 28 avril 2009, pris acte de la rupture des relations commerciales par la société Casino et sollicité l'indemnisation de son préjudice à hauteur de 30 000 euros. Sa demande est restée sans réponse.

Par acte du 2 septembre 2009, la société Dépêches a assigné la société Casino devant le Tribunal de commerce de Lyon aux fins de la voir condamner pour rupture brutale des relations commerciales.

Par un jugement en date du 8 février 2011, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Lyon a :

- dit que la société Casino a rompu brutalement les relations commerciales,

En conséquence,

- condamné la société Casino à verser à la société Dépêches la somme de 3 128 euros en paiement des dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales,

- condamné la société Dépêches à payer la somme de 738,65 euros à la société Casino au titre du surplus des paiements pour les sommes réellement dues précédemment,

- ordonné la compensation des sommes dues,

- condamné la société Casino à payer la somme de 2 500 euros à la société Dépêches au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile

Vu l'appel interjeté le 14 mars 2011 par la société Dépêches contre cette décision.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 19 mars 2012, par lesquelles la société Dépêches demande à la cour de :

- dire et juger recevable et bien fondé l'appel de la société Dépêches,

- confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a jugé que la société Casino a rompu brutalement les relations commerciales établies existantes avec la société Dépêches,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a d'une part, fixé la durée du préavis à 8 mois et, d'autre part, retenu une marge brute de 23,5 %,

En conséquence,

- dire et juger que le préavis dont aurait dû bénéficier la société Dépêches doit être fixé à 9 mois,

- dire et juger que le taux de marge brute de la société Dépêches s'élève à 100 %,

- condamner la société Casino à régler à la société Dépêches la somme de 23 668,50 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale des relations commerciales,

- condamner la société Casino à régler la somme de 6 000 euros à la société Dépêches en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Dépêches soutient que la société Casino a rompu de manière brutale, sans aucun préavis, ses relations commerciales avec elle à compter de février 2009. Elle ajoute que le fait de prendre acte d'une volonté de son client de rompre ne vaut nullement renonciation aux dispositions d'ordre public de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce et notamment au bénéfice d'un préavis écrit tenant compte de la durée des relations commerciales.

Elle considère ensuite que la période de 6 mois ne peut pas, comme le fait la société Casino, être analysée comme un préavis implicite, dès lors que cette dernière n'avait jamais fait part à la société Dépêches de sa volonté de rompre leurs relations commerciales.

Elle fait également valoir que l'indemnité allouée à la société Dépêches en raison de la rupture brutale par la société Casino de leurs relations commerciales doit être égale à la perte de marge brute pendant la durée de préavis.

Enfin, elle affirme que si elle a connu, courant 2009, une baisse de son chiffre d'affaires, celle-ci ne résulte pas " d'un mouvement d'insatisfaction des clients " mais s'explique par deux motifs ; d'une part le départ d'une ancienne salariée qui a créé une agence concurrente et qui travaillait pour la société Casino, et d'autre part, la crise économique et financière. Selon elle, pendant six ans, aucun reproche ne lui a été adressé par la société Casino.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 30 janvier 2012, par lesquelles la société Casino demande à la cour de :

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Lyon en date du 8 février 2011, en ce qu'il a condamné la société Dépêches à payer à la société Casino la somme de 738,65 euros au titre de surplus de paiements pour les sommes réellement dues avant la rupture,

- l'infirmer pour le surplus,

Statuant à nouveau,

- débouter la société Dépêches de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

A titre subsidiaire :

- dire que le préavis dont aurait pu se prévaloir la société Dépêches est de 2 mois,

- dire que le préjudice maximum qui en découle pour la société Dépêches s'élève alors à la somme de 1 018 euros,

En tout état de cause,

- condamner la société Dépêches à payer à la société Casino la somme de 738,65 euros,

- condamner la société Dépêches à payer à la société Casino la somme de 7 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- mettre à la charge de la société Dépêches, en cas d'exécution forcée de la décision à intervenir, les sommes retenues par l'huissier de justice instrumentaire au titre de l'article 10 du décret 2001-212 du 8 mars 2001.

La société Casino soutient que les prétentions indemnitaires de la société Dépêches sont radicalement infondées et, en tout état de cause, manifestement surévaluées. Elle considère qu'en prenant acte de la fin de la collaboration, la société Dépêches a expressément accepté le principe d'une rupture sans préavis des relations entre les parties. Selon elle, la fin des relations entre les parties était prévisible.

Elle fait valoir que l'ancienneté de la relation commerciale n'est pas le seul critère à prendre en considération pour apprécier la durée suffisante du préavis. Selon elle, non seulement la société Dépêches ne se situe nullement dans une situation de dépendance à l'égard de la société Casino, mais bien plus encore, la société Casino représente un chiffre minime dans le chiffre d'affaires global de la société Dépêches.

Elle prétend que la rupture des relations commerciales avec la société Casino s'inscrit dans un mouvement général d'insatisfaction des clients. Selon elle, la société Dépêches ne pouvait donc être raisonnablement surprise par le non-renouvellement en 2009 de leur relation.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Motifs

Sur la rupture des relations commerciales

Considérant que la société Casino Restauration n'a présenté en appel aucun moyen nouveau de droit ou de fait qui justifie de remettre en cause le jugement attaqué lequel repose sur des motifs pertinents, résultant d'une analyse correcte des éléments de la procédure, notamment des pièces contractuelles et de la juste application de la loi et des principes régissant la matière ;

Considérant que la société Casino Restauration soutient que la rupture des relations commerciales était prévisible et a été acceptée ce que conteste la société Dépêches.

Considérant que, depuis le 1er mars 2004, la société Casino Restauration a entretenu des relations régulières avec la société Dépêches à l'occasion de contrats annuels fixant les termes de leur collaboration et une rémunération mensuelle ; qu'entre les mois d'octobre et décembre 2008, la société Casino Restauration a même versé à son partenaire des honoraires supplémentaires de 3 000 € par rapport à ceux fixés au contrat; que le 15 décembre 2008, la société Dépêches a remis à la société Casino Restauration une " proposition pour une action de relations presse du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2009 dans laquelle elle définissait une stratégie pour 2009 ; qu'elle a continué à assurer des prestations en janvier 2009 ; que la société Casino Restauration lui a demandé au cours de ce même mois d'affiner sa stratégie sur les 6 premiers mois de l'année ce qui ne signifiait pas pour autant une baisse des prestations sur l'année ; que ces éléments démontrent que la société Dépêches pouvait légitimement croire à une poursuite des relations commerciales établies depuis 2004 ;

Considérant qu'à partir de février 2009, et en l'absence de tout préavis écrit et de tout préavis, la société Casino Restauration a cessé toute relation commerciale; que si la société Dépêches a écrit le 3 février 2009 "je suis désolée que notre collaboration s'arrête d'une façon pareille sur un tel malentendu mais je ne peux que respecter votre décision", il ne peut en être déduit qu'elle a accepté cette rupture en renonçant à ses droits d'autant qu'elle indique que cette décision de la société Casino Restauration repose sur un malentendu ;

Considérant que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu une rupture brutale des relations commerciales établies existant.

Sur la durée du préavis

Considérant que la société Dépêches soutient que le préavis qui lui a été octroyé par les premiers juges soit 5 mois est insuffisant et qu'il ne saurait être inférieur à 9 mois dans la mesure où il est d'usage que la stratégie relation presse d'une entreprise soit fixée pour une année entière, les campagnes de presse étant liées aux saisons ;

Considérant que la société Casino Restauration fait observer que le chiffre d'affaires entretenu était constant mais minime sans que l'augmentation ponctuelle de 2008 ait constitué un signe de développement durable d'autant qu'elle avait demandé à la société Dépêches de limiter sa proposition à 6 mois pour l'année 2009; qu'elle ajoute que la société Dépêches a connu au cours de l'année 2009 une baisse d'activité s'inscrivant dans un mouvement général d'insatisfaction des clients ; qu'elle ajoute que l'activité ne présente aucun caractère saisonnier;

Considérant qu'il est d'usage que la stratégie relation presse d'une entreprise soit fixée pour une année ; qu'ainsi, pendant 5 ans, les parties ont conclu chaque année un contrat à durée déterminée d'une durée d'une année; que les actions presse sont nécessairement définies dans les mois précédant le début de la campagne et peuvent évoluer au fur et à mesure de l'année ; que c'est dans ces conditions que la société Dépêches a établi sa proposition pour l'année 2009 mais n'a pour autant présenté aucune objection à la demande de la société Casino Restauration de lui faire une proposition sur 6 mois ;

Que la société Casino Restauration n'apporte la preuve, ni de son insatisfaction concernant les prestations réalisées par la société Dépêches, ni de celle d'autres clients ; qu'en revanche, elle ne conteste pas avoir noué des relations commerciales avec une ancienne salariée de la société Dépêches qui a créé sa propre société de relations presse ; qu'en conséquence, la société Casino Restauration ne saurait en tirer argument quant à la durée du préavis.

Considérant que des campagnes de presse tiennent compte de critères de saison et nécessitent donc des mises au point à l'avance ; qu'en conséquence, au regard des caractéristiques des relations commerciales existant entre les parties, les premiers juges ont à juste titre fixé le délai de préavis à 5 mois.

Sur le préjudice de la société Dépêches - Relations Presse - Relations Publiques

Considérant que la société Dépêches soutient que les premiers juges ont retenu à tort une marge brute de 23,5 % en prenant en compte dans leur calcul les charges de la société et en déterminant une marge nette bénéficiaire alors que s'agissant d'une activité de prestations de service sa marge est de 100 %.

Considérant que la société Casino Restauration fait valoir que la société Dépêches a connu une baisse importante de son chiffre d'affaires sans rapport avec la rupture de ses relations commerciales avec elle et que sa marge n'est pas de 100 % dans la mesure où elle supportait des frais de gestion.

Considérant qu'en cas de rupture brutale des relations commerciales, le préjudice correspond à la perte de la marge commerciale brute sur le chiffre d'affaires réalisé correspondant à la durée du préavis non effectué ;

Considérant que l'activité globale doit être prise en considération pour apprécier la durée du préavis raisonnable nécessaire à l'entreprise ; qu'en revanche, celle-ci ne saurait être prise en compte pour le calcul du préjudice subi en réparation du préavis non exécuté,

Que si en matière d'activité de production, la marge brute se définit comme la différence entre le chiffre d'affaires HT et les coûts d'achat, en matière de prestation de service, doivent venir en déduction les frais de gestion ;

Que la société Dépêches produit deux attestations, l'une de son expert-comptable, l'autre de son commissaire aux comptes pour justifier de son taux de marge ;

Qu'elle dresse le tableau des rémunérations HT perçues au titre de ses prestations pour le compte de la société Casino Restauration depuis le 1er mars 2004 qui démontrent une stabilité avec une moyenne s'établissant à 25 510 € ; que, toutefois pour calculer sa marge brute, elle ajoute à cette rémunération, d'une part des frais de gestion de dossier s'établissant en moyenne à 6 048 €, d'autre part des frais supplémentaires non compris dans les frais de gestion payables sur présentation de justificatifs ; que ces frais ne sauraient être pris en compte dans la marge brute ; qu'il y a lieu de retenir la seule rémunération et donc un taux de marge brute annuelle de 25 510 € soit mensuellement 2 125,83 €, de lui allouer la somme de 10 629, 15 € au titre de son préavis de 5 mois non exécuté et de réformer la décision entreprise de ce chef.

Sur la demande de la société Casino Restauration

Considérant que la société Dépêches ne formule aucun grief contre la décision entreprise en ce qu'elle a alloué à la société Casino Restauration la somme de 738,65 € au titre d'un surplus de paiement.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que la société Dépêches - Relations Presse - Relations Publiques a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 dans la mesure qui sera précisée au dispositif.

Par ces motifs : Et, adoptant ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré sauf en ce qui concerne le montant alloué au titre du préavis non exécuté, Et statuant à nouveau, Condamne la société Casino Restauration à payer à la société Dépêches - Relations Presse - Relations Publiques la somme de 10 629,15 € au titre du préavis alloué, Condamne la société Casino Restauration à payer à la société Dépêches - Relations Presse - Relations Publiques la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Casino Restauration aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.