CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 7 février 2013, n° 11-01579
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Cattelan Italia SpA
Défendeur :
Protis (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mmes Pomonti, Michel-Amsellem
Avocats :
Mes Ribaut, Sampieri-Marceau, Galland, Lustman
FAITS CONSTANTS ET PROCEDURE
La société Cattelan Italia (Cattelan) est un fabricant de meuble italien et la société Protis a une double activité : celle de distributeur de mobilier, qu'elle a exercé pour le compte de la société Cattelan depuis 1981, et celle d'agent commercial qu'elle a exercé parallèlement à partir de février 1993.
Suivant contrat du 4 janvier 1993, la société Cattelan a donc désigné la société Protis en qualité d'agent commercial exclusif en vue de la promotion et de la vente de ses produits dans toute la France pour une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction, comportant une clause de non-concurrence interdisant à la société Protis de vendre des produits identiques ou similaires ainsi que des produits de toute nature fabriqués ou commercialisés par un concurrent.
Suite à la tenue du salon professionnel Maison et Objets à Paris du 24 au 28 janvier 2003, la société Cattelan a reproché à la société Protis d'avoir présenté dans son catalogue des meubles en concurrence avec les siens. La société Protis a rétorqué que le catalogue incriminé n'était pas différent de ceux des années précédentes, parfaitement connus de la société Cattelan.
Le 9 mai 2003, la société Cattelan a notifié à la société Protis la résiliation du contrat d'agent commercial à effet immédiat et mis fin au statut d'importateur distributeur de la société Protis.
En outre, par courriel du 20 mai 2003, la société Cattelan a mis fin à la remise de 15 % dont celle-ci bénéficiait, pour lui appliquer l'escompte usuel de 6 % appliqué à l'export, ce que la société Protis a considéré comme la fin "de facto" de son statut d'importateur-distributeur.
Le 16 juin 2003, la société Cattelan a assigné la société Protis devant le Tribunal de Vincenza Province de Schio en dommages et intérêts pour violation de son obligation de non-concurrence.
Le 7 août 2003, la société Protis a assigné la société Cattelan devant le Tribunal de commerce de Paris en paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale de la relation commerciale et des différentes indemnités liées à sa qualité d'agent commercial.
Par jugement du 18 mai 2004 ce tribunal a retenu sa compétence et sursis à statuer sur les exceptions de litispendance et connexité soulevées par la société Cattelan jusqu'à ce qu'une décision soit rendue par le Tribunal de Vicenza qui, par jugement prononcé le 6 mai 2005, s'est déclaré incompétent au profit du juge français.
Par un jugement du 23 janvier 2007, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a :
- condamné la société Cattelan à payer à la société Protis les sommes de :
* 107 073, 69 euros, à titre d'indemnité compensatrice de rupture,
* 73 440,69 euros, à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
* 252 000 euros, à titre de réparation du préjudice pour rupture de relations commerciales,
* 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires.
La société Cattelan a interjeté appel de ce jugement le 11 janvier 2008.
Le conseiller de la mise en état a, par ordonnance en date du 15 mai 2008, déclaré irrecevable l'appel comme tardif.
La société Cattelan a alors déféré cette ordonnance à la cour qui, par arrêt du 27 novembre 2008 a déclaré l'appel irrecevable et confirmé l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions.
La société Cattelan a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt et par arrêt du 2 décembre 2010, la Cour de cassation a :
- cassé et annulé dans toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 27 novembre 2008, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris.
- remis en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la Cour d'appel de Paris autrement composée.
La société Cattelan a saisi la Cour d'appel de Paris le 20 janvier 2011 pour qu'il soit statué à nouveau sur ledit appel.
Par un arrêt du 15 mars 2012, la Cour d'appel de Paris a :
- infirmé l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 15 mai 2008,
- déclaré l'appel par la société Cattelan, le 11 janvier 2008, du jugement du Tribunal de commerce de Paris du 23 janvier 2007, recevable.
Vu les dernières conclusions, signifiées le 14 novembre 2012, par lesquelles la société Cattelan demande à la cour de :
- réformer le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,
Sur le contrat d'agence commerciale :
Vu les articles 1746 et 1751 du Code civil italien,
- dire et juger que la société Protis ne produit aucun catalogue de meuble de 1993 à 2002,
- dire et juger que la société Cattelan conteste toute valeur probante à la consultation en droit italien du cabinet Castaldi Mourre & Partners ainsi qu'aux documents comptables versés aux débats par la société Protis, en ce qu'ils seraient contraires à la position de l'appelante,
- plus généralement, déclarer la société Protis mal fondée en ses conclusions en toutes fins et moyens qu'elles comportent, l'en débouter,
- dire et juger, en conséquence, que la société Cattelan est fondée à mettre fin sans indemnité au contrat d'agent commercial litigieux pour inexécutions graves ayant empêché toute poursuite normale de l'agence exclusive, la société Protis ayant proposé à la vente à partir de ses catalogues d'octobre 2002 et de janvier 2003 de nombreux produits concurrents de ceux fabriqués par Cattelan, en contravention avec la clause de non-concurrence visée à l'article 4 dudit contrat,
- En conséquence, constater, et en tant que de besoin, prononcer la résiliation du contrat d'agence aux torts et griefs exclusifs de Protis,
Sur la prétendue rupture des relations commerciales :
- dire et juger que l'article L. 442-6 du Code de commerce français et inapplicable à l'espèce soumise exclusivement au droit italien,
En tout état de cause,
- dire et juger qu'il n'y a pas eu rupture des relations commerciales de vente et achat directs de meubles entre la société Cattelan et la société Protis,
- déclarer la société Protis mal fondée en ses conclusions contraires en toutes fins et moyens ; l'en débouter,
- dire et juger, en conséquence, qu'aucune indemnité quelle qu'elle soit n'est due à la société Protis,
- En conséquence, condamner la société Protis à restituer à la société Cattelan la somme de 464 105,87 euros versée en mars 2009 au titre de l'exécution provisoire du jugement dont appel, avec intérêts de droit à compter du 1er avril 2009,
- ordonner la capitalisation des intérêts à compter du 1er avril 2010,
Et recevant la société Cattelan en sa demande reconventionnelle :
Vu les articles 1746, 1751 et 1453 du Code civil italien,
- condamner la société Protis à payer à la société Cattelan la somme de 20 735 euros, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence visée à l'article 4 du contrat d'agence,
- condamner la société Protis à payer à la société Cattelan la somme de 69 856 euros, sauf à parfaire, pour concurrence déloyale et parasitaire pendant la période post contractuelle du 10 mai 2003 au 31 décembre 2005, à défaut de production des catalogues de Protis de 2004 et 2005 prouvant le contraire,
- condamner la société Protis à payer à la société Cattelan la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Cattelan estime que la société Protis a violé son obligation de non-concurrence en commercialisant des meubles en concurrence avec les siens et sous des noms similaires et à des prix moins élevés au cours du salon professionnel de janvier 2003. Elle ajoute que le non-respect de la clause de non-concurrence a eu pour conséquence la diminution des ventes des meubles Cattelan en France.
Elle soutient que la société Protis ne rapporte aucune preuve d'une modification du contrat, l'autorisant à proposer au public, en particulier à l'occasion du salon professionnel, la vente de produits concurrents des siens.
Enfin, la société Cattelan demande la condamnation de la société Protis à réparer les préjudices qu'elle a subi en raison des actes de concurrence déloyale et parasitaire auxquels cette dernière s'est livrée tant pendant la période contractuelle qu'après la cessation du contrat d'agence commerciale en mai 2003.
Vu les dernières conclusions, signifiées le 13 novembre 2012, par lesquelles la société Protis demande à la cour de :
Vu les articles 1751 et suivants du Code civil italien,
- déclarer la société Cattelan redevable d'une indemnité légale en raison de la rupture du contrat d'agent commercial, ainsi que d'une indemnité compensatrice de préavis,
En conséquence,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Cattelan à verser l'indemnité légale de rupture et l'indemnité de préavis,
- condamner la société Cattelan à payer à la société Protis les sommes respectives de 107 073,69 euros au titre de l'indemnité légale de rupture et 73 440,69 euros au titre de l'indemnité de préavis,
- déclarer que la société Cattelan a rompu de manière brutale la relation commerciale qui la liait avec la société Protis,
En conséquence,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Cattelan à verser une indemnisation au titre de la rupture d'une relation commerciale établie mais l'infirmer quant au montant des sommes à verser à la société Protis,
- condamner la société Cattelan à payer à la société Protis la somme de 504 154 euros, en réparation du préjudice subi du fait de cette rupture brutale,
- condamner en outre la société Cattelan à payer à la société Protis la somme de 300 000 euros, à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive et vexatoire,
- débouter la société Cattelan de l'ensemble de ses demandes,
- la condamner enfin au paiement de la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Protis soutient que le contrat d'agent commercial a été unilatéralement résilié par la société Cattelan, le grief de violation de la clause de non-concurrence invoqué pour tenter de justifier cette résiliation n'étant pas fondé, de sorte qu'elle s'estime légitime à obtenir l'indemnisation due à un agent commercial en cas de rupture abusive du contrat imputable au mandant.
Elle prétend également que la rupture du contrat d'agent commercial à l'initiative de la société Cattelan s'étant doublée d'une rupture des relations commerciales établies, il y aura également lieu de condamner la société Cattelan à lui verser la réparation qui s'impose à ce titre.
Enfin, elle considère que l'ensemble des demandes reconventionnelles formulées par la société Cattelan sont non fondées.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Sur le contrat d'agent commercial :
Les parties sont d'accord pour dire que c'est la loi italienne qui s'applique au contrat d'agent commercial du 4 janvier 1993, dès lors que son article 16 le prévoit expressément.
Le contrat d'agent commercial est régi par les articles 1742 à 1753 du Code civil italien.
Notamment, l'article 1746 définit les obligations de l'agent commercial à savoir que "dans l'exécution de la mission, l'agent doit défendre les intérêts du mandant et agir avec loyauté et de bonne foi. En particulier, il doit exécuter la mission confiée conformément aux instructions reçues et fournir au mandant les informations concernant les conditions du marché dans la zone assignée et toute autre information utile pour estimer l'opportunité de chaque affaire. Tout pacte contraire est nul."
L'article 1751 détermine les conditions de l'indemnité due à l'agent en cas de cessation du contrat. Il est notamment précisé que "l'indemnité n'est pas due quand le mandant résilie le contrat pour inexécution imputable à l'agent, laquelle, par sa gravité, ne permet pas la poursuite, même provisoire, du rapport".
En l'espèce, la société Cattelan reproche à la société Protis d'avoir, au début de l'année 2003, refusé de respecter la clause de non-concurrence visée à l'article 4 du contrat d'agence qui dispose : "l'agent a l'obligation de s'abstenir de faire de la concurrence à Cattelan Italia Spa ou de favoriser celle des tiers. Il s'oblige à ne pas assumer la charge de représenter des entreprises ou de vendre des produits identiques ou similaires aux produits contractuels, ou des produits de toute nature produits ou commercialisés par un concurrent de Cattelan Italia Spa".
Selon la société Cattelan, le non-respect de la clause de non-concurrence ressort des catalogues d'octobre 2002 et de janvier 2003 de la société Protis et de ses tarifs de 2003, qu'elle affirme avoir découverts pour la première fois au salon Maison & Objets des 24-28 janvier 2003 à Paris, et dans lesquels figurent, selon elle, à côté de ses meubles, des meubles similaires de fabrication concurrente, en l'occurrence des chaises.
La société Protis considère qu'elle n'a pas commis de faute susceptible de justifier la rupture du contrat d'agence sans indemnité au motif que la résiliation du contrat, annoncée en février 2003 ne lui a, en réalité, été notifiée que le 9 mai 2003, soit trois mois plus tard, ce qui est en contradiction avec la gravité alléguée de la faute qui lui est reprochée. Elle ajoute que la société Cattelan avait parfaitement connaissance du statut d'importateur et de revendeur de meubles de la société Protis et du fait qu'elle vendait d'autres collections et gammes de meubles que ceux de la société Cattelan et qu'elle avait donc expressément accepté le principe de la concurrence.
Pourtant, il résulte des catalogues et tarifs produits en annexe par les deux parties, que la comparaison des catalogues 2000 et 2001 de la société Protis avec ceux de la société Cattelan établit qu'il n'y a pas, à cette période, de meubles concurrents de ceux de Cattelan dans les catalogues Protis.
En effet, les chaises qui y sont présentées sont de fabrication Cattelan à la seule exception des chaises à pieds en aluminium de la ligne "Fair Line" de fabrication Protis que la société Cattelan considère comme non-concurrente. Il convient de préciser à ce propos, qu'effectivement le design de la ligne "Fair Line", avec un piètement en métal travaillé, est très original et ne peut concurrencer les lignes plus classiques des produits Cattelan.
En revanche, les catalogues Protis d'octobre 2002 "Ligne Habitat-Fair Line" et de janvier 2003 "Ligne Bureaux-Office Line" et "Lignes chaises-Chair Lines" comportent effectivement des chaises de mêmes dimensions en cuir et en bois, avec des designs, des constructions et des matériaux utilisés extrêmement proches de ceux des chaises produites par la société Cattelan sous les dénominations "Sharon", "Cindy", "Lara", "Linda", "Mara", "Piuma" et "Piuma B".
Le tarif Protis "Fairline collection" ne comporte que le tarif de la chaise Protis "Ecorce 309" et aucun tarif n'y est indiqué pour une chaise de fabrication Cattelan. Le tarif Protis "Chaises janvier 2003" précise pour la première fois les noms et les caractéristiques des chaises Protis considérées, à juste titre, comme concurrentes par la société Cattelan, à savoir les références "Mary", "Prima Bois", "Prima Cuir" et "Prima Cuir Fauteuil".
La même proximité entre les modèles des deux sociétés peut être observée sur leurs sites Internet respectifs.
Compte tenu de la similitude des modèles, dont certains noms sont également proches, la société Cattelan est fondée à estimer que les chaises Protis font directement concurrence à sa propre production.
En outre, la société Protis ne peut se prévaloir d'aucune autorisation de la société Cattelan pour proposer à la vente des chaises concurrentes, en violation de l'article 4 du contrat d'agence, l'article 17 dudit contrat stipulant d'ailleurs que "toute modification ou intégration du présent contrat devra être faite par écrit".
Le fait que la société Protis ait plusieurs casquettes, à savoir celles d'agent commercial, de magasin de détail, d'importateur et de revendeur, ne pouvait la dispenser de respecter les dispositions du contrat d'agence.
La société Protis soutient que la société Cattelan aurait accepté de facto la concurrence litigieuse dès l'origine du contrat d'agence en tolérant la vente de meubles "Cidue, Tonon, Bieffeplast, Zeus (...)". Cependant, ces meubles ne figurent dans aucun des catalogues Protis versés aux débats. Dans un fax du 4 février 2003, la société Protis a certes affirmé qu'elle avait, depuis le début des relations contractuelles, commercialisé les produits des marques susvisées qui pouvaient être considérés comme concurrents des produits Cattelan. La société Cattelan y a répondu par un fax du lendemain en relevant que "les maisons Cidue, Tonon et Bieffeplast existaient avant nous dans votre agencie (sic) et que la maison Zeus n'était rien pour notre concurrence et nous l'avions acceptée (...)". Mais elle ajoute : "La situation actuelle est totalement différente car vous aurez toujours plus d'intérêt sur vos produits que sur les nôtres (...). En plus, vous avez tout fait sans nous aviser (...) mauvaise surprise pour nous". En tout état de cause, le fait pour la société Cattelan d'accepter ponctuellement la vente par la société Protis de produits d'autres marques, pour lesquels les éléments de concurrence ne sont pas caractérisés (on ignore de quels produits il s'agit et en quoi ils seraient susceptibles de venir en concurrence avec les produits Cattelan), n'autorisait pas la société Protis à commercialiser n'importe quel produit concurrent, en violation de la clause du contrat d'agence et sans en informer son mandant.
Par ailleurs, la société Protis ne peut tirer argument d'une phrase figurant dans un fax de la société Cattelan du 21 janvier 2002 : "Le nom Cattelan est seulement une des lignes Protis" pour soutenir l'acceptation par celle-ci de la vente de produits concurrents.
Cette affirmation est en effet sortie de son contexte et constituait en réalité une plainte de la société Cattelan, relative à la disparition de sa marque derrière le "logo Protis".
Elle ne peut pas plus soutenir que les chaises concurrentes auraient été destinées à la vente au public seulement dans son propre magasin, dès lors que, dans une telle hypothèse, la société Protis ne les aurait pas présentées dans un salon professionnel destiné aux seuls revendeurs, ce qui était le cas du salon Maison & Objet des 24-28 janvier 2003. L'argument tiré d'une "complémentarité" des produits concurrents par rapport aux produits Cattelan ne peut pas plus prospérer car en contradiction avec la similitude des produits tels que relevée ci-dessus.
La société Protis ne peut arguer, pour soutenir l'absence de gravité de la faute alléguée, de ce que la société Cattelan aurait attendu trois mois après la révélation de la concurrence pour mettre fin à son mandat d'agent commercial, alors que la société Cattelan a manifestement tenté de trouver une solution amiable au litige opposant les parties, avant d'adresser le courrier officiel de rupture du contrat d'agence à son cocontractant. En effet, dès le 18 février 2003, elle indiquait, dans la suite de la réunion qui s'était tenue entre les parties le 13 février, qu'elle confirmait sa volonté de résilier le contrat d'agence du 4 janvier 1993 et formait une proposition transactionnelle "afin d'éviter un procès pour violation de votre part de l'obligation de non-concurrence prévue par la clause n° 4 du contrat cité". Puis un échange de correspondance a eu lieu entre les parties jusqu'à la lettre de rupture du 9 mai 2003.
Pour autant, il ne peut être soutenu que la relation contractuelle se serait normalement poursuivie pendant la période de février à mai 2003 puisque, dans un courrier du 4 avril 2003, la société Protis indique clairement qu'à l'issue de la rencontre du 13 février 2003 la société Cattelan lui avait "clairement signifié la rupture immédiate entre Cattelan Italia et Protis" en lui disant "c'est terminé". Elle ajoute : "Nous avons immédiatement cessé de promouvoir vos produits aussi bien chez les revendeurs que dans nos magasins. Bien sûr, nous avons continué à enregistrer et à vous transmettre les commandes passées par les clients". En conséquence, il s'agit bien d'une résiliation du contrat pour inexécution imputable à l'agent, laquelle, par sa gravité, n'a pas permis la poursuite, même provisoire, du rapport, seules les modalités de la rupture ayant été organisées par les parties, avec gestion des affaires courantes pendant cette période.
Il convient de rappeler que la clause de non-concurrence acceptée à la société Protis est la contrepartie de l'interdiction pour la société Cattelan d'avoir d'autres agents en France, de sorte qu'à partir du moment où la société Protis s'est mise à commercialiser des meubles concurrents tout en demeurant l'agent exclusif de la société Cattelan, elle a nécessairement causé un préjudice à cette dernière, préjudice aggravé par le fait que les modèles concurrents étaient vendus à des prix inférieurs à ceux des modèles Cattelan.
En effet, il est établi que la société Protis, en s'adressant à d'autres fabricants, proposait à la vente des modèles concurrents à ceux de la société Cattelan à un prix jusqu'à 40 % inférieur à ces derniers.
Cela a eu une incidence sur les ventes des meubles Cattelan en France, ce qui résulte de la comparaison des chiffres d'affaires des mois de janvier, février et mars 2003 avec ceux des mêmes mois pour l'année 2002. C'est ainsi que la diminution des commandes clients, hors la société Protis a été de 35,89 % pour janvier, de 10,78 % pour février et de 18,02 % pour mars et les achats directs de Protis à Cattelan, pour ces mêmes mois, ont diminué respectivement de 71,23 %, 67,62 % et de 64,59 %. Globalement, les ventes ont diminué de 47,21 % en janvier 2003, de 33,82 % en février 2003 et de 34,22 % en mars 2003 par rapport aux mêmes mois de l'année précédente.
Il résulte de l'ensemble de ces motifs que la société Protis n'a pas droit aux indemnités de rupture et de préavis qu'elle réclame. Le jugement dont appel doit donc être infirmé et la société Protis déboutée de ses demandes à ce titre.
Sur la rupture des relations commerciales établies :
La société Protis reproche à la société Cattelan d'avoir rompu brutalement une relation commerciale de 22 ans, pendant laquelle elle était son distributeur.
Si c'est la loi italienne qui s'applique entre les parties en ce qui concerne le contrat d'agent commercial, tel n'est pas le cas pour la demande de la société Protis en indemnisation pour rupture brutale de relations commerciales établies, pour laquelle doivent s'appliquer les dispositions de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce français, aux termes desquelles, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale, qui a un fondement délictuel, est une disposition d'ordre public et s'impose à la juridiction qui doit statuer dans les rapports internationaux.
En effet, les relations de collaborations commerciales entre les parties, qui se sont déroulées à compter de 1981, avaient pour lieu d'exécution le territoire français et ont donc un lien suffisant avec la France pour que l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce français, qui constitue une loi de police, s'impose aux relations entre les parties.
L'existence des relations commerciales entre les parties ne saurait être contestée par la société Cattelan au seul motif qu'aucun contrat de distribution n'avait été signé entre elles, dès lors que des relations commerciales régulières et stables existaient entre les parties, ce que reconnaît la société Cattelan puisqu'elle indique que : "à côté de son rôle d'agent commercial, Protis était autorisée à acheter en direct les produits Cattelan pour les revendre à la clientèle française".
La société Cattelan ne saurait soutenir comme elle le fait que "la commission de 13 % reconnue à Protis en sa qualité d'agent commercial était ainsi logiquement reconnue à Protis pour ses achats en direct pour elle-même" alors que la commission pour les achats en direct était d'un montant différent, soit 15 %, ce qui démontre que les relations commerciales directes ne se confondaient pas avec les relations contractuelles dans le cadre du contrat d'agence.
Pour l'application des dispositions de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, il importe peu que la société Protis n'ait pas été le distributeur exclusif de la société Cattelan et que celle-ci ait également vendu ses produits à d'autres sociétés françaises.
Il convient de rappeler que, par courrier du 20 mai 2003, la société Cattelan a mis fin à la remise de 15 % dont la société Protis bénéficiait, pour lui appliquer l'escompte usuel de 6 % appliqué à l'export, ce que cette dernière considère comme la notification de la fin "de facto" de son statut d'importateur-distributeur.
Il est évident qu'une telle modification, alors qu'il n'est pas contesté que la société Protis bénéficiait depuis toujours de la remise de 15 %, a eu des conséquences importantes sur les conditions d'exécution des relations commerciales entre les parties puisqu'il s'en est suivi une hausse mécanique du coût d'achat des marchandises pour la société Protis.
Ainsi, la société Protis établit par la production des factures de l'année 2003 que la chaise "Sharon" qui lui était facturée par la société Cattelan 147,50 avant le 30 juin est passée à 174,80 après cette date, que la chaise "Lara" qui lui était facturée 106,37 avant le 30 juin est passée à 128,25 et que la chaise "Piuma" qui lui était facturée 116,71 avant le 30 juin est passée à 141,55 , ce qui constitue une augmentation variant entre 19 et 21 % et a nécessairement eu un impact équivalent sur la marge dont bénéficiait la société Protis sur les produits Cattelan qu'elle distribuait.
Il ne résulte pas des pièces n° 37 et 61 de la société Cattelan que celle-ci aurait, comme elle le soutient, accordé une remise de 5 % à la société Protis, la seule remise accordée étant "l'escompte usuel appliqué à l'export" visé dans le courrier du 20 mai 2003 cité ci-dessus.
Enfin, la société Cattelan ne saurait se prévaloir du fait qu'après 2003 elle a continué à honorer des commandes Protis pour des achats en direct, les chiffres démontrant qu'après un chiffre d'affaires de l'ordre de 720 000 réalisé en 2002, si en 2003, compte tenu des commandes déjà en cours, le chiffre d'affaires entre les deux sociétés atteignait encore environ 104 000 , il n'était plus que d'environ 38 000 en 2004, 9 000 en 2005, 5 600 en 2006 et est quasiment inexistant depuis.
Il y a donc bien eu rupture des relations commerciales établies. La société Cattelan n'a accordé aucun préavis à la société Protis puisque le courrier du 20 mai 2003, qui fait suite à celui du 9 mai 2003 concernant la rupture du contrat d'agent commercial, est d'application immédiate, de sorte que la rupture est incontestablement brutale.
Pour l'appréciation de la durée du préavis il convient de tenir compte du fait que la société Protis n'établit pas un état de dépendance à l'égard de la société Cattelan qui n'était qu'un de ses fournisseurs. D'ailleurs le chiffre d'affaires réalisé entre les deux sociétés avait amorcé une courbe descendante depuis 2000 puisqu'il était alors de 1 016 923 et est passé à 950 768 en 2001 et à 720 220 en 2002. La société Protis a manifestement pu se réorganiser rapidement de sorte qu'un préavis de six mois aurait été suffisant pour éviter le préjudice qui lui a été causé par la rupture brutale des relations commerciales établies.
Il résulte de l'attestation du commissaire aux comptes de la société Protis que pendant la dernière année de relations complètes entre les parties, soit l'année 2002, le chiffre d'affaires réalisé entre les deux sociétés a été de 720 220 et la marge brute de 252 077 . Il convient donc d'allouer à la société Protis la somme de 126 038,50 en réparation de son préjudice.
Par contre, la société Protis ne démontre pas le préjudice complémentaire qu'elle réclame. Elle n'établit pas le caractère particulièrement fautif et vexatoire des modalités de la rupture et la perte d'image vis-à-vis de sa clientèle alors que, contrairement à son affirmation, elle n'était pas le distributeur exclusif des meubles Cattelan. Elle doit être déboutée de sa demande à ce titre.
Sur la demande reconventionnelle de la société Cattelan :
La société Cattelan reproche à la société Protis, d'une part de ne pas avoir respecté la clause de non-concurrence pendant la période contractuelle, d'autre part de lui avoir fait de la concurrence déloyale après la cessation du contrat d'agence commerciale en mai 2003.
S'agissant de la période contractuelle, la société Cattelan peut se prévaloir de la violation de la clause de non-concurrence figurant au contrat d'agence, comme cela a été démontré ci-dessus, ce qui établit une concurrence illicite exercée par la société Protis. Cette concurrence illicite a, certes, été sanctionnée par la privation de la société Protis de son droit à indemnité de rupture et de préavis au titre du contrat d'agent commercial mais elle a également pu générer un préjudice pour la société Cattelan.
L'incidence du comportement de la société Protis sur les ventes des meubles Cattelan en France, a déjà été relevé ci-dessus, à savoir une diminution des commandes clients, hors la société Protis, qui a été de 35,89 % pour janvier, de 10,78 % pour février et de 18,02 % pour mars et des achats directs de Protis à Cattelan, pour ces mêmes mois, qui ont diminué respectivement de 71,23 %, 67,62 % et de 64,59 %. Globalement, les ventes ont diminué de 47,21 % en janvier 2003, de 33,82 % en février 2003 et de 34,22 % en mars 2003 par rapport aux mêmes mois de l'année précédente.
La société Cattelan fait état d'un préjudice de 20 735 sur la base de la baisse du chiffre d'affaires résultant de la comparaison entre les périodes du 1er janvier au 9 mai 2003 (273 692 ) par rapport à la même période de 2002 (163 660 ), soit une différence de 110 032 sur laquelle elle applique une marge brute de 22,79 %. Il convient de faire droit à cette demande.
Par contre, pour la période post-contractuelle, il convient de rappeler que la libre concurrence entre commerçants est la règle, sauf pour la société Cattelan à démontrer la déloyauté de la concurrence exercée par la société Protis, ce qui n'est manifestement pas le cas en l'espèce. La société Cattelan ne démontre pas que les chaises Cattelan présentaient des caractéristiques ou une originalité particulières alors qu'il s'agit de modèles de forme classiques adoptés par de très nombreux fabricants. Elle n'établit pas que la société Protis ait commis à son encontre des actes de dénigrement ou qu'elle se soit placée dans son sillage.
En outre, contrairement à ce que soutient la société Cattelan, aucune des pièces produites ne démontre "une baisse sensible du chiffre d'affaires de Cattelan en France en 2003", de sorte que le préjudice allégué par elle du fait d'une prétendue concurrence déloyale exercée par la société Protis n'est pas démontré.
La société Cattelan doit donc également être déboutée de sa demande au titre d'une concurrence déloyale exercée par la société Protis pour la période post-contractuelle.
Il convient d'ordonner la compensation, à due concurrence entre les montants respectivement dus par les parties.
Le présent arrêt constitue le titre ouvrant droit à restitution des sommes versées au titre de l'exécution de la décision, lesdites sommes assorties des intérêts au taux légal à compter de la notification de l'arrêt, valant mise en demeure. Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de restitution présentée par la société Cattelan.
L'appel n'étant que partiellement justifié, il convient de faire masse des dépens de première instance et d'appel et de les partager par moitié entre les parties.
L'équité ne commande pas d'allouer à l'une ou l'autre des parties une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs et, adoptant ceux non contraires des premiers juges : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a dit qu'il y avait eu rupture brutale des relations commerciales établies au préjudice de la société Protis sur le fondement de l'article L. 442-6 I-5° du Code de commerce français, Statuant à nouveau : Déboute la société Protis de ses demandes en application du contrat d'agent commercial du 4 janvier 1993, Condamne la société Cattelan Italia à payer à la société Protis la somme de 126 038,50 à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations établies, Condamne la société Protis à payer à la société Cattelan Italia la somme de 20 735 à titre de dommages et intérêts au titre de la concurrence illicite pendant la période contractuelle, Déboute la société Cattelan Italia de sa demande de dommages et intérêts au titre d'une concurrence déloyale et parasitaire pendant la période post-contractuelle, Ordonne la compensation entre les montants respectivement dus par les parties, Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de restitution présentée par la société Cattelan Italia, Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au bénéfice de l'une ou l'autre des parties, Fait Masse des dépens de première instance et d'appel, les Partage par moitié entre les parties et Dit que les dépens d'appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.