Cass. com., 12 février 2013, n° 12-13.808
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
ENS (SAS), Andrieu
Défendeur :
Maison Apollinaire (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Rapporteur :
Mme Pezard
Avocat général :
M. Carre-Pierrat
Avocats :
SCP Hémery, Thomas-Raquin, Me Bertrand
LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par M. Andrieu et la société ENS, que sur le pourvoi incident relevé par la société Maison Apollinaire ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Andrieu, artisan chocolatier, est titulaire de plusieurs marques et modèle, notamment la marque communautaire semi-figurative "Bouquet de chocolat", déposée le 30 octobre 2006 sous le n° E 00 5 427 752 et enregistrée le 5 octobre 2007 pour désigner du "chocolat ou produits à base de chocolat" en classe 30 de la classification internationale ; qu'ayant constaté l'offre en vente d'un produit dénommé "le bouquet des gourmets " reprenant selon lui les caractéristiques substantielles de son "Bouquet de chocolat", M. Andrieu a, en agissant avec la société ENS, présentée comme sa licenciée, assigné la société Maison Apollinaire, fournisseur de ce produit et titulaire de la marque "Le Bouquet des gourmets", déposée le 4 septembre 2008 sous le n° 08 3 596 805 en classes 29 et 30 de la classification internationale, sur le fondement de la contrefaçon de ses marques et modèle et sur celui de la concurrence déloyale ; qu'en cause d'appel, la société Maison Apollinaire a formé une demande de dommages-intérêts à l'encontre de M. Andrieu et de la société ENS pour des faits de concurrence déloyale postérieurs au jugement ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident : - Attendu que la société Maison Apollinaire fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son action en concurrence déloyale contre M. Andrieu et la société ENS, alors, selon le moyen, que les agissements tendant à jeter le discrédit sur les produits d'un concurrent constituent des actes de concurrence déloyale ; que pour exclure tout acte de concurrence déloyale à raison de l'envoi à la société Scalandes, centrale d'achats des centres Leclerc, de la lettre du 31 janvier 2011 et à la société Leader Price distribution de la lettre du 1er décembre 2010, dans laquelle M. Andrieu et la société ENS, qui se disaient les auteurs du "concept" "Bouquet de chocolat", faisaient état des marques et du modèle par lesquels ce "concept" était protégé et indiquaient que la commercialisation d'un produit dont la dénomination ("Bouquet garni chocolat Trocadéro") et les caractéristiques étaient précisées était constitutive d'actes de contrefaçon, de concurrence déloyale et de parasitisme et que le Tribunal de grande instance de Paris, par jugement du 25 novembre 2009, avait jugé que la commercialisation de produits reprenant le même "concept" avait porté atteinte à la notoriété, à la réputation, aux investissements et au savoir-faire de M. Andrieu, en mettant le destinataire de la lettre en garde contre les risques judiciaires auxquels l'exposerait la commercialisation de ce produit, la cour d'appel a retenu que ces lettres ne faisaient aucune mention ni de la société Maison Apollinaire ni du produit "Le Bouquet des gourmets" mais se bornaient à une mise en garde fondée essentiellement sur l'existence des marques et du modèle déposés ainsi que sur des décisions déjà rendues confirmant la validité des droits découlant de ces dépôts, de sorte que les lettres en cause, qui ne contenaient aucune accusation de dénigrement, pouvaient s'analyser comme un rappel à la loi général et préventif ; qu'en statuant de la sorte sans tenir compte du fait que, bien que la société Maison Apollinaire n'ait pas été nommément citée dans les lettres en cause et que la lettre du 1er décembre 2010 ait visé un produit différent, ce produit était précisément identifiable, qu'il était fait état dans la lettre du 1er décembre 2010 non seulement de décisions confirmant la validité des droits de marque et de modèle mais encore du jugement du 25 novembre 2009 sans qu'il soit précisé que ce jugement avait rejeté l'action en contrefaçon des marques et du modèle et que, en ses dispositions ayant retenu la concurrence déloyale, il se trouvait frappé d'appel, ces précisions étant également omises dans la lettre du 31 janvier 2011, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve que la cour d'appel, qui n'était ni tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation ni de s'expliquer sur les éléments écartés, a retenu que M. Andrieu et la société ENS n'avaient commis aucun acte de concurrence déloyale à l'égard de la société Maison Apollinaire ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal : - Vu l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle, tel qu'il doit s'interpréter à la lumière de l'article 5, paragraphe 1 sous b) de la Directive 2008-95-CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques ; - Attendu que pour écarter la demande de M. Andrieu et de la société ENS fondée sur la contrefaçon de la marque communautaire "Bouquet de chocolat " et, en conséquence, leur demande en nullité de la marque "Le Bouquet des gourmets", l'arrêt retient que du fait de l'identité des produits en cause, l'existence du risque de confusion n'est à rechercher que dans la comparaison des signes, et après avoir relevé que le seul élément commun aux deux signes en présence est le mot "bouquet", retient encore qu'il ne peut être fait abstraction de l'élément figuratif de la marque "Bouquet de chocolat" déposée comme figurative en ne retenant que l'élément verbal, et seulement pour partie, et que la présence de ce seul élément commun ne suffit pas à faire produire à ces deux signes une impression commune qui serait de nature à provoquer un risque de confusion dans l'esprit du consommateur d'attention moyenne ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans se prononcer sur la notoriété de la marque antérieure, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Et sur le second moyen du pourvoi principal, pris en sa seconde branche : - Vu l'article 1382 du Code civil ; - Attendu que pour rejeter l'action en concurrence déloyale de la société ENS et de M. Andrieu à l'encontre de la société Maison Apollinaire qui utilisait les mentions "Artisan chocolatier", "Tradition artisanale" ou encore "Fabrication artisanale", l'arrêt retient que le gérant de la société Maison Apollinaire possédait la qualité d'artisan chocolatier ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si la société Maison Apollinaire n'avait pas commis une faute en utilisant ces mentions pour commercialiser des produits ne faisant pas l'objet d'une fabrication artisanale, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a débouté M. Andrieu et la société ENS de leurs prétentions fondées sur la contrefaçon de la marque communautaire semi-figurative "Bouquet de chocolat" n° 00 5 427 752, déposée le 30 octobre 2006 et enregistrée le 5 octobre 2007 pour désigner du "chocolat ou produits à base de chocolat" en classe 30 de la classification internationale et de toutes leurs demandes fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire, l'arrêt rendu le 30 novembre 2011, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.