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Décisions

CA Paris, 1re ch. G, 23 juin 2004, n° 1996/85208

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Exploitation des Marbreries Lescarcelle (SARL), Pompes Funèbres de Memoris (SA), Union nationale des entreprises de services funéraires

Défendeur :

OGF (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Albertini

Conseillers :

MM. Le Dauphin, Savatier, Mmes Penichon, Decars Mazabraud

Avoués :

SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP M. Garnier

Avocats :

Mes de Montbrial, Duminy, Gaffuri

T. com. Pontoise, du 31 juill. 1992

31 juillet 1992

La municipalité de Gonesse a créé, en 1969, une chambre funéraire sous la forme d'un service municipal dont elle a concédé la gestion, pour une durée de 30 ans renouvelable, à la société Pompes Funèbres Générales Ile-de-France (PFG), devenue la société OGF.

Ce contrat de concession était assorti d'un bail emphytéotique consenti à la société PFG par l'hôpital de Gonesse, propriétaire du terrain sur lequel est édifiée la chambre funéraire, et d'une convention entre l'hôpital de Gonesse et la société PFG, stipulant que la chambre funéraire recevra les corps de toutes les personnes décédées au centre hospitalier de Gonesse.

Soutenant que ce système permettait à la société PFG, qui occupait un bureau commercial dans l'enceinte de la concession, de détourner à son profit les demandes de prestations funéraires non concédées émanant des habitants de la commune de Gonesse et des communes avoisinantes, la société d'Exploitation des Marbreries Lescarcelle (ci-après la société Lescarcelle), qui a pour activité principale la marbrerie funéraire, et la société Pompes Funèbres De Memoris (ci-après la société De Memoris), qui a pour activité principale la prestation de pompes funèbres, l'ont assignée, par acte du 22 mai 1992, afin de faire constater l'existence de pratiques illicites et d'obtenir la cessation de ces pratiques ainsi que l'allocation de dommages-intérêts.

L'Union nationale des entreprises de services funéraires (l'UNESF) et le ministre chargé de l'Economie sont intervenus volontairement à l'instance, le second en application des dispositions de l'article 56 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1 décembre 1986.

Par jugement en date du 31 juillet 1992, le Tribunal de commerce de Pontoise a débouté les sociétés Lescarcelle et De Memoris de leurs demandes.

Sur l'appel de ces dernières sociétés, la Cour d'appel de Versailles a, par arrêt en date du 6 octobre 1994, réformé ce jugement, dit que les pratiques de la société OGF étaient constitutives de concurrence déloyale et ordonné une expertise, confiée à M. André Dana, avant dire droit sur l'évaluation du préjudice découlant de ces pratiques.

Sur le pourvoi de la société OGF, la Cour de cassation à cassé, au visa des articles 11 et 16 du nouveau Code de procédure civile, la décision précitée de la Cour d'appel de Versailles et renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Paris.

Par arrêt du 22 mars 2000, cette cour a réformé le jugement du 31 juillet 1992 et, statuant à nouveau, a :

- dit que la société PFG, aux droits de laquelle se trouve la société OGF, a engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code civil à l'égard des sociétés Lescarcelle et De Memoris ainsi qu'envers l'UNESF,

- condamné en conséquence la société OGF à payer à l'UNESF la somme de 1 franc à titre de dommages-intérêts,

- avant dire droit sur le préjudice des sociétés Lescarcdlle et De Memoris, ordonné une expertise, initialement confiée à M. Jean-Pierre Borgeauci, puis à MM. Borgeaud et André Dana, ceux-ci ayant pour mission de réunir tous éléments permettant d'établir l'étendue du préjudice résultant pour lesdites sociétés des pratiques anticoncurrentielles caractérisées à l'encontre de la société OGF, à savoir, d'une part, l'abus de position dominante sur le marché du funérarium de Gonesse depuis 1991 jusqu'au 4 janvier 1995 et, d'autre part, l'entente conclue avec les entreprises de marbrerie membres du Groupement d'intérêt économique GMR 95 pendant les années 1991 à 1999 incluse, dans ses effets dans le département du Val d'Oise,

- condamné la société OGF à payer à la société Lescarcelle et à la société De Memoris la somme de 1 million de francs à titre de provision, ainsi qu'aux dépens et au paiement d'une certaine somme en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- rejeté toute autre demande, en ce compris celle en annulation de certaines stipulations contractuelles formée par le ministre chargé de l'Economie. Par actes en date des 17, 19 et 22 juillet 2002, la société OGF a appelé devant la cour M. De Oliveira Ribeiro ainsi que les sociétés Marbrerie Funéraire Viardot, Marbrerie Gilles-PF, Marbrerie Girard, Marbrerie Funéraire Guérin-Buy et la société des Ciments Moulés Vibrés (les entreprises de marbrerie) afin de voir :

- déclarer commun aux entreprises de marbrerie l'arrêt de cette cour en date du 22 mars 2000,

- dire que celles-ci devront participer aux opérations d'expertise en cours et que le rapport d'expertise leur sera commun et opposable.

Par arrêt du 8 janvier 2003, la cour, statuant sur la seule question de la recevabilité des interventions forcées des entreprises de marbrerie susvisées, a déclaré la société OGF irrecevable en ses appels en cause desdites entreprises et renvoyé l'affaire à la mise en état.

Le rapport d'expertise établi par MM. Borgeand et Daim en exécution de l'exécution de l'arrêt susvisé du 22 mars 2000 a été déposé au greffe de la cour le 11 août 2003.

La clôture de l'instruction est intervenue le 26 avril 2004.

La cour ;

Vu les conclusions en date du 24 mars 2004 des sociétés De Memoris et Lescarcelle ;

Vu les conclusions en date du 19 avril 2004 de la société OGF ;

Sur ce :

Considérant qu'il est ici rappelé que par son arrêt du 22 mars 2000, devenu irrévocable, la cour a statué sur l'intégralité des prétentions émises à l'occasion de la présente instance par l'Union nationale des entreprises de services funéraires et par le ministre de l'Economie et des Finances ;

Sur la procédure :

Considérant que par ordonnance du 6 octobre 2003, communiquée le même jour aux avoués concernés, le conseiller chargé de la mise en état a fixé un calendrier de la procédure, en accord avec les parties ; que celles-ci ont alors été informées de la date de l'audience des débats, fixée au 5 mai 2004, l'ordonnance de clôture devant intervenir le 5 avril 2004 ;

Considérant que les appelantes ayant conclu le 2 décembre 2003, la société OGF, intimée, a, à son tour conclu le 9 février 2004 ; qu'à ces conclusions était annexé un bordereau mentionnant, au titre des pièces invoquées, le rapport d'expertise judiciaire et l'ensemble des dires, notes et annexes produits par la société OGF à l'expertise ; que les sociétés De Memoris et Lescarcelle ont répondu à ces conclusions par des écritures du 24 mars 2004 ne soulevant ni moyens nouveaux ni prétentions nouvelles ; que la société OGF ayant alors demandé un report de l'ordonnance de clôture afin de déposer de nouvelles conclusions, la clôture de l'instruction a été fixée au 26 avril 2004 ;

Considérant que le 19 avril 2004 l'intimée a déposé et signifié des conclusions auxquelles était annexé un bordereau mentionnant, outre les pièces visées par ses précédentes écritures, des pièces nouvelles, numérotées de 1 à 10, constituées par des décisions de juridictions administratives ou judiciaires ainsi que par une "plainte adressée par la société OGF au parquet de Paris le 21 juillet 2003" (n° 6) un "rapport de Monsieur Marc Ivaldi, docteur en économie, directeur d'études à l'école des hautes études en sciences sociales" (n° 7), un "rapport de Monsieur Paul-André Weber, ancien rapporteur au Conseil de la concurrence" (n° 8) et un "rapport de Monsieur Christian de Boissieu, professeur d'économie" (n° 10) ;

Considérant que cette dernière pièce, qui ne figurait pas au dossier remis à la cour, n'a pas été versée aux débats ; que la demande des appelantes tendant à ce qu'elle soit écartée de ceux-ci est en conséquence sans objet ;

Que les sociétés De Memoris et Lescarcelle sont en revanche fondées à demander le rejet des débats des "rapports" de MM. Ivaldi et Weber et de la plainte du 21 juillet 2003 ; qu'en effet, la société OGF, qui savait depuis le 6 octobre 2003 que les débats auraient lieu le 5 mai 2004 et que cette date ne serait pas modifiée, a délibérément attendu le 20 avril 2004, soit six jours avant le prononcé de l'ordonnance de clôture, pour mettre aux débats les pièces susvisées lesquelles ne pouvaient, dans ces conditions, eu égard à leur contenu, faire l'objet d'une analyse ni, à plus forte raison, d'une réponse utiles de la part des appelantes ;

Que la production des autres pièces visées par les dernières conclusions de l'intimée n'ayant pas affecté l'organisation de la défense des appelantes - lesquelles ne pouvaient au demeurant ignorer l'existence et la teneur de ces jugements ou arrêts - il n'y a pas lieu de les rejeter des débats ;

Sur le fond :

Considérant que l'arrêt du 22 mars 2000 constate, en premier lieu, que la société OGF, en position dominante sur le marché considéré, à savoir celui des prestations funéraires dans la commune de Gonesse et dans six communes avoisinantes, et gestionnaire exclusif du funérarium de Gonesse, lequel servait de morgue à l'hôpital de cette ville, a, notamment, tiré profit de l'agencement des locaux de ce bâtiment pour se présenter aux familles des personnes décédées comme étant leur interlocuteur obligé et que cette pratique a eu pour effet d'entraver l'accès au marché des entreprises concurrentes, dont les sociétés De Memoris et Lescarcelle ; que ledit arrêt indique, dans ses motifs, que la preuve d'une faute déduite d'un abus de position dominante pour la période postérieure au 4 janvier 1995 n'est pas rapportée et précise, dans son dispositif, qu'a été caractérisée à l'encontre de la société OGF un "abus de position dominante sur le marché du funérarium de Gonesse depuis 1991 jusqu'au 4 janvier 1995" ;

Considérant que l'arrêt susvisé constate, en second, lieu, que la société OGF, ayant décidé, à partir de 1990, d'offrir aux familles une prestation globale, s'est concertée avec des entreprises de marbrerie regroupées au sein d'un GIE dénommé "GMR 95" pour résister à la concurrence de la société De Memoris et de la société Lescarcelle par une stratégie tarifaire commune caractérisée par une baisse des tarifs de sous-traitance, une représentation réciproque et des clauses de non-concurrence ; qu'il indique que les contrats de représentation mutuelle liant la société OGF aux marbriers n'ont été dénoncés que le 28 février1996 et qu'en dépit de cette dénonciation, l'exécution de ces contrats s'est, en fait, poursuivie jusqu'en 1999 ; que l'arrêt précise, dans son dispositif, qu'est caractérisée à l'encontre de la société OGF une pratique d'entente avec les membres du GIE GMR 95 qui a produit ses effets dans le Val d'Oise pendant les années 1991 à 1999 ;

Considérant qu'il y a lieu, pour apprécier le dommage résultant pour les appelantes de la captation de clientèle inhérente aux pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par l'intimée d'examiner successivement, conformément au plan judicieux, du rapport d'expertise judiciaire, le préjudice lié à l'activité "pompes funèbres", celui lié à l'activité de marbrerie, celui lié à l'activité de vente de fleurs et d'autres articles funéraires et, enfin, le préjudice financier ;

1) Sur le préjudice lié à l'activité "pompes funèbres" :

Considérant que les experts ont, en premier lieu, cherché à mesurer les effets de la captation de clientèle liés à la gestion du funérarium de Gonesse ;

Considérant qu'après avoir écarté tant la méthode proposée par les appelantes, en raison de son caractère excessivement théorique, car fondée sur des hypothèses de part de marché peu vérifiables, impliquant des "extrapolations en série" aboutissant à des résultats par trop aléatoires, que celle préconisée par la société OGF, car reposant sur des postulats qualifiés d'inacceptables par les experts, ceux-ci ont procédé à une "approche du type simulation" (rapport, p. 236) visant à reconstituer la situation du funérarium de Gonesse à partir d'une transposition des données relatives au funérarium de Montmorency, commune dont les caractéristiques sont comparables à celles de Gonesse, tout en s'efforçant de "corriger au mieux ces données pour que celles-ci puissent être utilisées comme situation de référence acceptable au regard des recherches demandées dans le cadre de I'accomplissement du premier volet de (leur) mission" (rapport, p. 102) ;

Considérant que ce travail approfondi a conduit les experts, après transposition à. Gonesse de la part de marché obtenue par la société De Memoris à Montmorency, à retenir une fourchette de 492 à 588 dossiers de pompes funèbres perdus au funérarium de Gonesse au titre des années 1991 à 1994 ; qu'ils ont en définitive proposé à la cour de retenir un chiffre moyen de 540 dossiers (rapport p. 109) ;

Considérant que, faisant valoir que c'est à la "zone effective de chalandise", telle que déterminée par l'enquête de la DNEC mise aux débats, qu'il y a lieu de se référer pour évaluer leur préjudice commercial, c'est-à-dire la totalité des communes du secteur sanitaire de l'hôpital de Gonesse, soit 33 communes, les appelantes soutiennent que le total des dossiers perdus sur le marché du funérarium de Gonesse dans l'hypothèse des 33 communes est de 726 (540 + 186) ; qu'elles exposent, en outre, que "la faute majeure" reprochée à OGF, à savoir, selon elles, la gestion sans droit ni titre du funérarium de Gonesse de fin 1995 à mars 1999, n'ayant pas été examinée par la cour, il y a lieu de majorer par 5/4 le préjudice lié à l'activité de ce funérarium résultant des données de l'expertise au titre de la période 1991-1995 ;

Mais considérant que si ces demandes ne sont pas irrecevables comme nouvelles au sens de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile, contrairement à ce que soutient, l'intimée, elles se heurtent, comme la société OGF le fait au demeurant valoir (concl. p. 57), à la chose jugée, dans la présente instance, par l'arrêt du 22 mars 2000 lequel s'est prononcé, dans ses motifs et son dispositif, sur l'existence et la nature des fautes imputables à la société OGF ;

Considérant, en effet, que ledit arrêt a dit que la société OGF avait abusé de sa position dominante sur "le marché du funérarium de Gonesse", après avoir précisé que la zone de chalandise en cause était limitée à la commune de Gonesse et à six autres communes avoisinantes (Sarcelles, Garge-les-Gonesse, Goussainville, Villiers le Bel, Arnouville, Tremblay en France) ; que le même arrêt a dit que cette pratique illicite avait pris fin le 4 janvier 1995 après avoir constaté, comme il a été rappelé ci-dessus, que la preuve d'une faute postérieure à cette date n'était pas rapportée ;

Considérant que la société OGF désapprouve, de son côté, le travail des experts ; que selon elle (concl. p. 39), ces derniers ont commis de "graves erreurs de calcul" ce qui les a conduit à surestimer les parts de marchés des sociétés De Memoris et Lescarcelle, notamment pour l'évaluation du préjudice subi du fait des pratiques condamnées au funérarium de Gonesse ; que l'intimée ajoute qu'au lieu de s'attacher à la mesure du préjudice effectivement subi, l'expertise s'est égarée en évaluant un "préjudice virtuel" dont la seule justification est l'affirmation, sans démonstration aucune, que la société Lescarcelle aurait dû avoir au funérarium de Gonesse la part de marché de la société Régis au funérarium de Montmorency (concl. p. 44) ;

Mais considérant que, sous la réserve ci-après mentionnée, aucune des critiques formulées par l'intimée n'est de nature à affecter la pertinence de la méthode et des différents éléments retenus par les experts afin d'évaluer à 540 le nombre de dossiers de pompes funèbres perdus par les appelantes au funérarium de Gonesse de 1991 au 4 janvier 1995 et ce avant prise en compte du phénomène de "rémanence" admis par les experts, des effets de l'entente entre OGF et les membres du GIE GMR 95, des pertes liées aux conventions dites "points accueil", de la part des contrats pré-obsèques et des effets du phénomène de récurrence ;

Considérant cependant que c'est à tort qu'après avoir constaté que les parts de marché obtenues par la société De Memoris à Montmorency étaient de 10,12 % en 1991, de 16,67 % en 1992, de 28,21 % en 1993 et de 29,52 % en 1994, les experts ont estimé qu'il convenait de réévaluer, en les fixant respectivement à 17 % et 22 % (rapport, p. 105), les parts de marché de cette entreprise relatives aux années 1991 et 1992 pour tenir compte de l'effet des pratiques anticoncurrentielles qui auraient été commises par la société OGF au funérarium de Montmorency jusqu'en juin 1992, selon les sociétés De Memoris et Lescarcelle ;

Considérant, en effet, que la société OGF n'a pas été sanctionnée pour de telles pratiques dont l'existence n'est pas démontrée par les pièces mises aux débats ; qu'il y aura donc lieu de réviser - légèrement - à la baisse le chiffrage des pertes de dossiers ci-dessus mentionné pour effacer les effets de la correction de parts de marché ainsi opérée ;

Considérant que les experts ont, ensuite, estimé qu' à ces pertes "directes", il y avait lieu d'ajouter celles liées à la période de rémanence, cette notion étant définie comme la persistance dégressive pendant un certain temps d'un phénomène, après disparition de sa cause (rapport, p. 109) ; qu'après avoir précisé que ce phénomène était distinct de la récurrence, ce terme désignant le phénomène de fidélisation de la clientèle qui se traduit par un retour de celle-ci, et relevé que la rémanence véritable était liée "plutôt aux habitudes prises par le personnel commercial d'OGF ainsi que par celui de l'hôpital, ainsi qu'aux procédures anciennes dont la modification ne se traduit que progressivement dans les faits." (Rapport, p. 118), les experts ont évalué à 226 le nombre de dossiers perdus par les appelantes du fait de l'abus de domination au funérarium de Gonesse au titre de la période de rémanence ;

Mais considérant que la cour a constaté, aux termes de son arrêt du 22 mars 2000, que la confusion entretenue par la société OGF au funérarium de Gonesse entre les activités de la chambre funéraire municipale et celles de l'entreprise de pompes funèbres avait pris fin le 4 janvier 1995, date de la fermeture du bureau d'OGF à l'intérieur du funérarium, et qu'aucune faute constitutive de l'exploitation abusive de sa position dominante sur le marché en cause ne lui était imputable après cette date ; qu'il s'ensuit qu'aucune famille se rendant au funérarium de Gonesse après le 4 janvier 1995 n'a pu voir son choix d'une entreprise de pompes funèbres influencé en raison de la persistance des effets de la mise en œuvre d'une telle pratique et que les appelantes ne sont pas fondées en leurs demandes tendant à une indemnisation au titre d'une période de rémanence ;

Considérant, en revanche, que les sociétés De Memoris et Lescarcelle sont fondées en leur demande d'indemnisation du préjudice lié à la soustraction au jeu normal de la concurrence de dossiers de pompes funèbres apportés à la société OGF du fait de l'entente ayant existé entre cette entreprise et les marbriers membres du GMR 95, étant ici rappelé que ladite entente a produit ses effets sur l'ensemble du département du Val d'Oise de l'année 1991 à l'année 1999 incluse ;

Considérant, sur ce point, qu'au terme d'analyses minutieuses (rapport, p. 121 à 152), qui ne sont utilement critiquées ni par les appelantes ni par l'intimée, les experts ont évalué à 738 le nombre de convois acquis par OGF en exécution de l'entente et à 148 ceux de ces convois qui auraient dû revenir aux appelantes, compte tenu de leur part de marché ;

Considérant que les sociétés De Memoris et Lescarcelle font en outre valoir qu'elles sont en droit de demander réparation du préjudice lié aux dossiers de pompes funèbres apportés illégalement à la société OGF par des commerçants (principalement des fleuristes) autres que les marbriers membres du GMR 95 ayant signé avec OGF des conventions de représentation réciproque dites "points accueil" ; que tout en renvoyant à la cour le soin de trancher la discussion opposant les parties quant au caractère réparable de ce chef de dommage, les experts ont évalué à 22 le nombre de dossiers de pompes funèbres perdus par les appelantes en raison de la mise en œuvre des conventions susvisées ; que les appelantes évaluent quant à elles ce nombre à 66 ;

Mais considérant que l'arrêt du 22 mars 2000 a, comme il a déjà été dit, statué sur l'existence et la nature des fautes imputables à la société OGF ; que ledit arrêt, s'il a retenu à la charge de cette dernière l'exploitation abusive de sa position dominante sur le marché considéré ainsi qu'une pratique d'entente avec certains marbriers, a énoncé que ni le rapport d'enquête de la DNEC ni les pièces versées aux débats ne permettaient de caractériser d'autres comportements fautifs ; que les appelantes ne sont donc pas recevables en leurs demandes relatives au dommage prétendument causé par la mise en œuvre des conventions "points-accueil" ;

Considérant qu'ainsi que le font valoir les appelantes, l'activité de pompes funèbres engendre la signature de contrats dits "pré-obsèques" par lesquels les cocontractants de l'entreprise de pompes funèbres se lient à celle-ci et prévoient de financer par avance, au moyen d'une convention de type assurance-vie, le règlement de leurs obsèques ; qu'il résulte des constatations des experts que le nombre de contrats pré-obsèques exécutés correspond à 10 % des convois de pompes funèbres réalisés ; qu'il y aura donc lieu d'appliquer ce taux de 10 % au total des dossiers d'obsèques directement perdus par les appelantes, à l'exclusion de ceux liés au phénomène de récurrence, comme il sera dît ci-après, pour évaluer le préjudice subi par les appelantes au titre do leur activité de pompes funèbres ;

Considérant que les appelantes sont également fondées à demander une indemnisation au titre de la période dite de récurrence, ce terme désignant le phénomène de fidélisation de la clientèle ou encore de "retour de clientèle" dont bénéficient même les entreprises de pompes funèbres ; que l'intimée ne conteste pas sérieusement la réalité de ce retour de clientèle qui fait elle-même valoir que si les familles lui ont renouvelé leur confiance, c'est en raison de la qualité des services d'obsèques qu'elle a organisés précédemment et de son image positive dans l'opinion, faisant par là-même ressortir que les appelantes - dont la qualité des services n'est pas en cause - auraient elles aussi profité de cet effet de fidélisation d'une partie des familles qui auraient eu recours à leurs services si les pratiques incriminées n'avaient pas été commises ;

Considérant que les experts ont procédé à une analyse approfondie, non utilement discutée, des données qui leur ont été soumises ; que ce travail les a conduit, eu égard à la part de marché des sociétés appelantes, et après détermination de la période de récurrence et application des pondérations appropriées, à fixer un taux moyen de dossiers générés par ceux antérieurement traités de 28,4 % qu'il y a lieu d'appliquer au nombre de dossiers de pompes funèbres directement perdus du fait de l'abus de position dominante et de l'entente, à l'exclusion de ceux perdus du fait de la non signature de contrats pré obsèques ; qu'en effet, ainsi que le relève l'intimée (concl. pp. 50 et 72) et comme les experts l'ont, au demeurant, fait observer (rapport, p. 164), la part de contrats pré-obsèques induite par l'activité de pompes funèbres correspond à une autre forme de récurrence ;

Considérant qu'en l'état des constatations qui précèdent, la cour évalue à 908 (pertes au funérarium + pertes liées à l'entente + pertes liées à la récurrence ÷ pertes liées aux contrats pré-obsèques) le nombre total de dossiers de pompes funèbres captés par la société OGF au préjudice des appelantes du fait des pratiques anti concurrentielles retenues à sa charge ;

Considérant qu'eu égard au fait (rappelé par les experts) qu'au cours de la période mars 1991-mai 1992 les prestations de pompes funèbres ont été effectuées en totalité par la société De Memoris et qu'au cours de la période postérieure, ces prestations ont été facturées par la société Lescarcelle et sous-traitées en partie à la société De Memoris, et eu égard aux constatations des experts quant aux taux de marge avant incidence des frais de personnel, aux frais de personnel ainsi qu'aux taux des frais variables respectivement applicables aux sociétés De Memoris et Lescarcelle, lesquelles constatations ne sont pas utilement contestées par la société OGF le préjudice d'exploitation subi par les appelantes au titre de leur activité de pompes funèbres sera intégralement réparé par l'allocation, à la société De Memoris d'une indemnité de 295 000 euros et à la société Lescarcelle d'une indemnité de 583 880 euros ;

Considérant qu'il est ici précisé que le montant de ces indemnités tient compte de l'incidence, justement évaluée par les experts à 24 % du total du chiffre d'affaires représenté par les dossiers perdus par les appelantes (cf. rapport, pp. 162 et 239), des contrats de concession exclusive du service extérieur dont bénéficiait la société OGF dans une partie des communes situées dans la zone géographique affectée par les pratiques anticoncurrentielles retenues à son encontre par l'arrêt du 22 mars 2000, jusqu'à la suppression définitive de son monopole ; qu'en effet, pour tous les décès survenus dans ces communes, et sauf les divers cas de dérogation prévus par la législation alors applicable, les appelantes auraient été tenues de sous-traiter à la société OGF la partie des prestations de pompes funèbres relevant du service extérieur dont cette dernière était titulaire ;

Considérant, certes, que les sociétés De Memoris et Lescarcelle font valoir qu'OGF ne saurait prétendre qu'à la protection des seules recettes produites par l'exploitation vertueuse de son monopole à l'exclusion de celles qui ont été encaissées au moyen de pratiques anticoncurrentielles et que, ne pouvant rapporter la preuve, qui lui incombe, que durant les périodes et dans les secteurs considérés, l'exercice de son monopole a été conforme au droit communautaire comme au droit national de la concurrence dès lors que des pratiques illicites lui ont été imputées, il n'y a pas lieu d'exclure du préjudice réparable la part du chiffre d'affaires attachée aux prestations relevant des concessions du service extérieur ;

Mais considérant que le droit interne de la concurrence est seul en cause en l'espèce en l'absence d'effet des pratiques incriminées, eu égard aux caractéristiques du marché considéré, rappelées par l'arrêt du 22 mars 2000, sur l'importation de marchandises en provenance d'autres Etats membres ou sur la possibilité pour des entreprises concurrentes établies dans ces Etats membres d'assurer des prestations de services sur le territoire national et que la mise en œoeuvre par la société OGF, fût-ce dans des communes lui ayant concédé le service extérieur des pompes funèbres conformément à la législation alors en vigueur, des pratiques ci-dessus décrites ne dispensait pas les tiers aux contrats de concession exclusive, dont la validité n'a pas été contestée, partant les sociétés De Memoris et Lescarcelle, de respecter lesdits contrats, les pratiques susvisées trouvant leur sanction dans les poursuites administratives exercées à l'encontre de la société OGF et dans les actions en responsabilité civile ouvertes aux victimes de ces pratiques, dont celle sur laquelle il est statué par la présente décision ;

2) Sur le préjudice lié à l'activité de marbrerie :

Considérant qu'une fraction des dossiers obtenus par une entreprise de pompes funèbres entrainent l'exécution d'une prestation de marbrerie, ces travaux étant soit liés à l'inhumation (ouverture et fermeture du caveau, creusement d'une fosse...), soit à des travaux complémentaires effectués ultérieurement tels que la fourniture de monuments ;

Considérant que le préjudice lié à la perte de cette activité, dite, au sens large, de "marbrerie induite", doit être évalué sur la base du pourcentage de dossiers de pompes funèbres donnant lieu à des travaux de marbrerie et du prix moyen par dossier de marbrerie au titre de ces deux catégories de prestations tels qu'ils ont été déterminés par les experts après exclusion de la base de calcul constituée par les dossiers de pompes funèbres détournés des pertes de dossiers issues de l'entente, dès lors que la marbrerie sur les dossiers de pompes funèbres apportés à OGF par les marbriers du GMR 95 auraient en toute hypothèse été traités par ces derniers puisque les familles s'étaient à l'origine adressées à ces entreprises de marbrerie, ainsi que le font pertinemment observer les experts (rapport, p. 169) ; que doivent en outre être prises en compte, pour la détermination de ladite base de calcul, les corrections ci-dessus apportées à l'évaluation par les experts du nombre des dossiers détournés au détriment des appelantes, précision étant apportée que les experts ont procédé aux ajustements rendus nécessaires par des facturations anticipées de la société Lescarcelle ayant affecté les comptes des exercices 1997, 1998 et 1999, ce qui rend vaines les observations de la société OGF sur ce point ; que la cour relève, enfin, que cette partie, si elle déclare accepter le chiffrage par les experts du taux de marbrerie induite par les dossiers de pompes funèbres (concl. p. 48), n'approuve pas pour autant l'évaluation de ce chef de dommage proposée par l'expertise, ne serait-ce qu'en raison de sa contestation de l'évaluation par celle-ci du nombre de convois soustraits à ses concurrents ;

Considérant que la société Lescarcelle, dont la marbrerie funéraire est l'activité traditionnelle, a en outre perdu, en raison de la mise en œuvre de l'entente entre la société OGF et les entreprises de marbrerie qui y avaient adhéré, visant à entraver l'accès au marché de leurs concurrents, et spécialement de l'entreprise Lescarcelle, des recettes de marbrerie dite "directe", c'est-à-dire non associée à une prestation de pompes funèbres ; que cette entente s'est notamment traduite, ainsi que l'a rappelé l'arrêt du 22 mars 2000, par une concertation sur le prix des travaux de marbrerie exécutés en sous-traitance, déterminés par référence à ceux de la société Lescarcelle, et par le recours à des clauses de représentation réciproque ; qu'il importe peu que les experts aient estimé que "l'affirmation par OGF de son respect du vœu des familles" apparaissait "constituer une contre vérité" (rapport, p. 193), cette appréciation étant sans incidence sur l'évaluation du dommage en marbrerie directe imputable à l'entente, telle qu'elle a été antérieurement caractérisée par la cour ;

Et considérant que c'est sans encourir les critiques des sociétés appelantes (concl. p. 15) non plus que celles de la société OGF (concl p.46 et 47) que les experts ont évalué le préjudice souffert par la société Lescarcelle - lequel ne s'analyse pas en une simple perte de chance, contrairement à ce qu'allègue l'intimée - au titre de la marbrerie directe ; qu'il y a lieu de préciser, à cet égard, que ni les appelantes ni l'intimée ne rapportent la preuve du caractère erroné de l'évaluation, soit 20 %, de la part de cette entreprise sur le marché de la marbrerie dans le Val d'Oise, ce chiffrage étant très sous-estimé selon celles-là, surestimé selon celle-ci, que le défaut de pertinence de la référence à cette zone géographique n'est pas davantage établi et que la prétendue surévaluation du chiffre d'affaires marbrerie de Lescarcelle au titre de l'exercice 1992 dénoncée par l'intimée manque par le fuit qui lui sert de base comme cela résulte des énonciations du rapport d'expertise (cf. rapport, p.202 à 204) ;

Considérant qu'en l'état de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu d'allouer à la société Lescarcelle en réparation du préjudice par elle subit au titre de son activité de marbrerie, induite et directe, du fait des pratiques illicites de la société OGF la somme de 410 252 euros ;

3) Sur le préjudice lié à l'activité de vente de fleurs et d'autres articles funéraires :

Considérant que la société Lescarcelle a subi, du fait de la captation illicite par OGF d'un certain nombre de dossiers de pompes funèbres, un préjudice résultant de la perte de ventes de fleurs de deuil ainsi que de la perte de ventes d'autres articles funéraires accompagnant les obsèques ;

Considérant que les estimations des taux de marge attachés, selon les experts, à ces activités (rapport, p. 207 à 210) ne sont pas sérieusement contestées ;

Qu'il résulte de ces éléments que le préjudice subi de ce chef par la société Lescarcelle s'élève à 22 148 euros (160 francs x 908) au titre de l'activité de vente de fleurs et à 26 024 euros (188 francs x 908) au titre de l'activité de vente des autres articles funéraires, soit au total 48 172 euros ;

4) Sur le préjudice financier :

Considérant qu'ainsi que le relève les experts les sociétés appelantes ont subi un préjudice financier direct et certain s'ajoutant aux pertes d'exploitation ci-dessus caractérisées, en raison de l'incidence de ces pertes sur la trésorerie de ces entreprises ;

Considérant, en effet, que si elles avaient été perçues par ces entreprises, les recettes nettes afférentes à l'ensemble des contrats de prestations de services et de vente perdus auraient été réinvesties dans lesdites entreprises ou seraient venues diminuer leur endettement, allégeant ainsi leurs charges, ou auraient fait l'objet de placements rémunérateurs ;

Considérant qu'au vu des travaux des experts sur ce point et de l'ensemble des éléments de la cause, la cour fixe aux sommes de 108 000 euros et de 401 280 euros les indemnités respectivement allouées, à ce titre, aux sociétés De Memoris et Lescarcelle ;

Sur les autres demandes :

Considérant que les appelantes demandent à la cour de fixer à la date de l'assignation devant le Tribunal de commerce de Pontoise, soit à compter du 26 mai 1992, le point de départ des intérêts produits par les indemnités au paiement desquelles la société OGP est condamnée par le présent arrêt ;

Mais considérant qu'il convient de dire, en application des dispositions de l'article 1153-1 du Code civil, que ces indemnités porteront intérêts à compter de la présente décision ;

Considérant que les appelantes demandent, respectivement, l'allocation des sommes de 177 556 euros et de 220 354 euros au titre de l'indemnisation du temps que leurs dirigeants et les collaborateurs de ces derniers ont dû consacrer à l'expertise judiciaire afin de faire progresser celle-ci ;

Mais considérant que la participation des appelantes aux travaux d'expertise n'est pas constitutive d'un chef de dommage directement en relation avec les fautes caractérisées à l'encontre de l'intimée ; qu'elle n'ouvre donc pas droit à réparation ; qu'ayant toutefois été à l'origine de frais exposés au titre de l'instance et non compris dans les dépens, il en sera tenu compte pour l'évaluation de la somme allouée à ces parties en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Considérant que la société OGF n'ayant fait qu'user, sans commettre d'abus, de son droit de se défendre devant les juridictions successivement saisies par les appelantes, la demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par ces dernières ne peut qu'être rejetée ;

Considérant que la cour a, par son arrêt du 22 mars 2000, déjà condamné la société OGF aux dépens, incluant ceux afférents à l'arrêt cassé ; que cette condamnation, qui comprend conformément aux dispositions de l'article 695 du nouveau Code de procédure civile l'intégralité de la rémunération allouée aux deux techniciens commis, est en tant que de besoin réitérée par la présente décision ;

Considérant qu'il y a lieu d'accueillir, dans la mesure précisée au dispositif du présent arrêt les demandes formées par les appelantes au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; que celle présentée par l'intimée sur le même fondement est rejetée ;

Par ces motifs : Rejette des débats les pièces n° 6, 7 et 8 produites le 20 avril 2004 par la société OGF ; Vu l'arrêt infirmatif du 22 mars 2000 et l'arrêt du 8 janvier 2003, rendus dans la même instance ; Condamne la société OGF à payer, à titre de dommages-intérêts, sous déduction des provisions allouées par l'arrêt susvisé : - à la société Pompes Funèbres De Memoris : au titre du préjudice lié à l'activité de pompes funèbres la somme de 295 000 euros, au titre du préjudice financier la somme de 108 000 euros, - à la société Exploitation des Marbreries Lescarcelle : au titre du préjudice lié à l'activité de pompes funèbres la somme de 583 880 euros, au titre du préjudice lié à l'activité de marbrerie la somme de 410 252 euros, au titre du préjudice lié à la vente d'articles funéraires la somme de 48 172 euros, au titre du préjudice financier la somme de 401 280 euros ; Dit que ces indemnités porteront intérêt au taux légal à compter du présent arrêt et que ces intérêts seront, le cas échéant, capitalisés dans les conditions prévues à l'article 1154 du Code civil ; Condamne la société OGF au paiement de l'intégralité des dépens de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile ; La condamne à payer, au titre de l'article 700 du même code, la somme de 80 000 euros à la société Pompes Funèbres De Memoris et une autre somme de même montant à la société Exploitation des Marbreries Lescarcelle ; Rejette toute autre demande.