CA Toulouse, 3e ch. sect. 1, 5 février 2013, n° 11-03222
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
D. Duchesne (SA)
Défendeur :
Lopez
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bensussan
Conseillers :
MM. Moulis, Poque
Avocats :
SCP Malet Franck, Elisabeth, SCP Chateau Bertrand, Selarl Electa, Me Chas
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE
Monsieur Fernand Lopez, né le 10.5.1926, a reçu un courrier nominatif, le 8.12.1999, provenant de la société TV Direct Distribution lui annonçant qu'il avait gagné la somme de 15 500 euro, à condition de passer commande et il se conformait à cette obligation en passant commande pour un montant de 37,45 euro. Si cette commande lui était expédiée, il ne percevait toutefois pas les gains qui lui étaient ainsi annoncés.
Après mise en demeure adressée par LRAR expédiée le 29.12.2009 restée sans suite, Monsieur Lopez a, par acte d'huissier en date du 11.5.2010, assigné la SA D. Duchesne devant le Tribunal d'instance de Castres aux fins de condamnation de cette dernière, dans le dernier état de la procédure, à lui payer les sommes de 15 500 euro, sur le fondement de l'article 1371 du Code civil et subsidiairement de celui de l'article 1382 du Code civil, et de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par jugement en date du 26.5.2011, le premier juge, considérant que :
- en vertu de l'article 1371 du Code civil, une société de vente par correspondance qui annonce un gain à une personne dénommée, sans mettre en évidence l'existence d'un aléa, s'oblige par ce fait purement volontaire à le délivrer ;
- il convient de souligner que l'existence de l'aléa affectant l'attribution du prix doit être mise clairement en évidence, à première lecture, dès l'annonce du gain ;
- l'envoi du 8.12.2009 porte sur les documents suivants :
- sur une feuille de format A4, en très grands caractères, et en tête de l'imprimé les mentions suivantes : CONSTAT DEFINITIF DE GAIN
Toutes nos félicitations pour L'UNIQUE CHEQUE que vous avez gagné !
- le document mentionne à plusieurs reprises que Monsieur Lopez est le seul et unique gagnant du chèque bancaire de 15 500 euro (identification d'un grand gagnant, n° personnel et unique gagnant, l'Unique gagnant du chèque bancaire est formellement IDENTIFIE) et il est par ailleurs indiqué en caractères très visibles, en milieu de page, que "les résultats sont immuables et définitifs et sont connus de l'huissier. Le montant du CHEQUE BANCAIRE Garanti est de 15 500 euro", ces mentions étant suivies du paragraphe rédigé comme suit :"Les résultats sont sans équivoque et nous pouvons vous garantir que votre chèque est d'ores et déjà établi sous le n° 213891405 et aussi que les 15 500 euro seront remis au plus vite. Pour vous, nous vous engageons dès réception de votre commande si vous le souhaitez à vous remettre votre chèque immédiatement" ;
- dans un autre paragraphe intitulé "Délai prioritaire de remise", il était mentionné que le chèque était envoyé immédiatement "dès réception de votre commande, si vous le voulez" ;
-ce constat définitif de gain comporte certes un renvoi à "la procédure administrative jointe" mais qui peut passer inaperçu car apposé en caractères non gras auprès d'autres mentions inscrites en caractères très visibles, gras et soulignés ;
- au verso de ce document figure le bon de commande que le lecteur est incité à renvoyer à la société TV Direct Distribution et ce afin de recevoir son chèque ;
- il est également mentionné sur une ligne, en caractères simples, "Oui, j'accepte le règlement et demande sous les aléas habituels, en vertu des dispositions réglementaires à recevoir MON GAIN en PRIORITE ASOLUE" ;
- la référence à des aléas habituels en vertu de dispositions réglementaires non mentionnées à ce paragraphe n'est pas compréhensible pour un consommateur moyen, au vu des autres dispositions ;
- audit envoi figure un autre document, de format type carnet de chèques, intitulé PROCEDURE ADMINISTRATIVE EXPRESS DE REMISE DE CHEQUE, portant la mention "à remettre UNIQUEMENT aux gagnants" avec le montant du chèque, le visa de confirmation ;
- lors de l'ouverture de ce document, plusieurs feuillets sont intégrés, avec un certificat de CONTROLE ET DE VALIDATION (en rouge) mentionnant le statut du titulaire gagnant confirmé, avec REMISE IMMEDIATE SUR SIMPLE COMMANDE (en rouge), un document intitulé PROCEDURES ADMINISTRATIVES EXPRESS DE REMISE DE CHEQUES-GAINS GARANTIS et une mention très claire indiquant : une commande (en rouge) quel que soit son montant(souligné) est INDISPENSABLE (en rouge) pour recevoir votre chèque immédiatement (souligné), enfin un feuillet intitulé ATTESTATION DE GARANTIE DE DISTRIBUTIONS ET VERSEMENT DE CHEQUES portant la mention suivante : "la présente attestation est établie à l'encontre exclusive du présent gagnant formellement identifié et confirmé afin de lui garantir la remise de l'Unique chèque qui lui est dû. Les résultats sont Définitifs et incontestables, nous nous engageons solennellement en outre à remettre l'Unique chèque bancaire de 15 500 euro à son destinataire. De plus, en tant que Responsable des Remises de Prix, je vous confirme que le Chèque que vous avez d'ores et déjà gagné, conformément à l'article 8 de la réglementation, a bien été établi sous le n° 213 891 405 et que par conséquent il est prêt à vous être remis à la date de clôture ou immédiatement si vous le souhaitez sur simple commande(souligné) de votre part" ;
- l'ensemble de ces formules, toutes exprimées en caractères très attractifs, font clairement croire que Monsieur Lopez doit simplement former une commande pour recevoir immédiatement le chèque de 15 500 euro qu'il a déjà gagné, en outre en violation des dispositions de l'article L. 121-36 du Code de la consommation ;
- si dans ce carnet de procédures administratives express de remise de chèques figure au dos de deux feuillets le règlement du jeu, force est de relever qu'il est rédigé de manière compacte, en caractères non attractifs et pour ne pas dire rébarbatifs et cette mise en page est manifestement faite pour dissuader tout lecteur, même avisé, de poursuivre la lecture au-delà de quelques lignes et de lui permettre de douter de la réalité de son gain ;
- dès lors, il ne résulte pas de la description des documents litigieux envoyés au demandeur l'existence d'un aléa affectant l'attribution du prix de manière claire et évidente et à première lecture ;
- il n'est par ailleurs pas démontré que Monsieur Lopez, âgé de 84 ans, ait eu conscience de participer à un jeu avec aléa ;
a condamné la société D. Duchesne à payer à Monsieur Fernand Lopez les sommes de 15 500 euro et de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre aux dépens dont distraction au profit du conseil du demandeur en application de l'article 699 du Code de procédure civile, et a débouté les parties de leurs autres demandes, y compris celle au titre de l'exécution provisoire.
Par déclaration en date du 1.7.2011, la SA D. Duchesne a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.
Développant oralement ses conclusions déposées le 21.9.2011, l'appelante sollicite l'infirmation du jugement entrepris, le rejet des prétentions de l'intimé et la condamnation de ce dernier à lui payer la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir en substance que :
- les loteries publicitaire qu'elle utilise sont conformes aux prescriptions de l'article L. 121-36 du Code de la consommation ;
- aucune obligation de passer commande pour participer à cette loterie n'est imposée ;
- la responsabilité d'une société de vente par correspondance s'apprécie à partir du comportement d'un consommateur moyen, lequel doit se prêter à une lecture attentive et complète des documents publicitaires qu'il reçoit, sans se limiter aux mentions les plus attractives et ce alors même que la société de vente par correspondance est tenue de mettre en évidence l'existence d'un aléa ;
- tous les jeux qu'elle diffuse sont établis de manière identique, par pré tirage au sort du nom du gagnant et elle informe systématiquement les destinataires de ses envois du règlement du jeu, lequel fait clairement apparaître que le destinataire a été pré sélectionné et qu'il n'est pas le gagnant du prix ;
- Monsieur Lopez, comme les termes de sa mise en demeure le démontrent, est un consommateur particulièrement avisé et se devait de lire intégralement les documents envoyés ;
- cette lecture intégrale lui permettait de mettre en évidence l'aléa et de comprendre qu'il n'avait pas gagné ;
- Monsieur Lopez n'est pas de bonne foi.
Se référant à la barre à son mémoire déposé le 21.11.2011, l'intimé conclut au rejet de l'appel, à la confirmation de la décision entreprise et à la condamnation de l'appelante à lui payer la somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre aux dépens dont distraction au profit de son conseil en application de l'article 699 du Code de procédure civile.
Il soutient pour l'essentiel que :
- l'ensemble des documents adressés nominativement à Monsieur Lopez font apparaître des mentions relatives au gain de la somme de 15 500 euro ;
- la référence à un aléa est pratiquement invisible eu égard à la taille de la police utilisée et le règlement, écrit sans ponctuation sur un fond de couleur blanc, rend sa lecture difficile et dans des termes peu intelligibles ;
- même une lecture attentive de ce règlement ne permet de faire apparaître de manière évidente le fait qu'un seul prix sera attribué pour l'ensemble des participants ;
- sa bonne foi ne peut être remise en cause dans la mesure où il a passé commande pour hâter la remise du gain ;
- en mentionnant que le chèque lui revient sur un simple achat sur votre catalogue, l'appelante a violé les prescriptions de l'article L. 121-36 du Code de la consommation ;
- à titre subsidiaire, la responsabilité de l'appelante, qui a fait naître un espoir dénué de toute possibilité de réalisation, est engagée sur le terrain de l'article 1382 du Code civil.
MOTIFS
Au regard de la date de communication de pièces complémentaires accompagnées de conclusions en réponse à celles déposées par l'intimé, il convient de rabattre l'ordonnance de clôture du 5.11.2012 afin de permettre un débat contradictoire entre les parties, l'intimé ayant expressément donné son accord à l'audience à la demande de révocation de l'ordonnance de clôture présentée par l'appelante.
L'article 1371 du Code civil dispose que les quasi contrats sont des faits purement volontaires de l'homme dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers et il résulte de ces dispositions que l'organisateur d'une loterie ou d'un jeu qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa s'oblige, par cette seule annonce, à délivrer ce gain dans la mesure où il prend, en sa qualité d'organisateur de ce jeu ou de cette loterie, une initiative non imposée par la loi ou une convention et qui crée à son égard une obligation de remettre le gain annoncé dès lors que cette annonce a pu faire naître un espoir légitime chez le destinataire en l'absence d'aléa clairement exprimé.
En l'espèce, il résulte des éléments envoyés et examinés par le premier juge et énumérés supra que le message adressé par l'appelante à l'intimé, de par les nombreux artifices de formulation et de présentation, visait à faire croire à ce dernier qu'il avait d'ores et déjà gagné le chèque de 15 500 euro, et ce sans faire une référence expresse à l'existence d'un aléa figurant en termes elliptiques et écrits en caractères minuscules par rapport à la taille des caractères informant Monsieur Lopez de ce qu'il avait personnellement gagné le chèque de 15 500 euro litigieux, cette référence étant libellée comme suit : 'Certifié sous aléas Conforme et Authentique' sans autre explication ou information, alors que selon la mention se trouvant au-dessus de cette référence, il était indiqué en grands caractères que le chèque de 15 500 euro attribué au grand gagnant était bien destiné à Monsieur Lopez, qu'il était établi à son ordre exclusif et qu'il était la seule et unique personne autorisée à en prendre possession et à l'utiliser, les adjectifs "Seule" et "Unique" étant soulignés, la première lettre étant écrite en majuscule. De même, comme l'a relevé à juste titre le premier juge, l'ensemble des documents adressés à Monsieur Lopez, que ce soit sous l'intitulé "Attestation d'Envoi de Chèque Garanti", "Rapport Définitif de Gains", "Attestation de Garantie d'Envoi", laquelle comporte la mention encadrée suivante : "le courrier que vous avez entre les mains n'est pas un jeu mais bien un courrier administratif.
- Nous n'attendons plus qu'une simple commande de votre part"
ou le constat définitif de gain, lequel comporte également en encadré la mention suivante : "ce DOCUMENT ADMINISTRATIF DOIT ETRE SIGNE OBLIGATOIREMENT PAR LE RESPONSABLE AVANT ENVOI A TOUT GAGNANT" et qui comporte les signatures du RESPONSABLE DES REMISES DE PRIX précédée de la mention BON POUR ACCORD et celle du Directeur, sont tous, et ce sans exclusive aucune, tant de nature à confirmer que Monsieur Lopez était le grand gagnant et d'ores et déjà propriétaire du prix qui devait lui revenir, et d'autre part qu'aucun aléa ne conditionnait la remise de ce prix, en l'absence de mention claire et explicite d'un éventuel aléa et ce d'autant que le règlement complet du jeu, rédigé de manière compacte, sans retour à la ligne et selon une présentation qui en rend la lecture malaisée, n'était pas de nature à interpeller Monsieur Lopez dans la mesure où il avait en revanche été clairement et expressément informé par l'appelante que les pièces en sa possession ne concernaient pas un jeu.
Par ailleurs, il ne peut pas être conclu, au vu des termes utilisés par Monsieur Lopez, âgé de 84 ans, dans la mise en demeure adressée à l'appelante, qu'il serait de mauvaise foi et qu'il aurait une parfaite connaissance du fonctionnement de loteries publicitaires.
Dès lors, compte tenu de ce qui précède, et ce sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur la conformité ou non de ces faits aux dispositions de l'article L. 121-36 du Code de la consommation, c'est à juste titre que le premier juge a fait droit à la demande de Monsieur Lopez en raison des documents qui lui annonçaient en un style très accrocheur des gains exceptionnels et ce sans mettre clairement en évidence l'existence d'un aléa, et ce en l'absence de mauvaise foi de ce dernier, et dans ces conditions il y a lieu de confirmer le jugement entrepris.
La SA D. Duchesne qui succombe supportera les dépens de la présente instance et ses propres frais. En outre, l'équité commande de la faire participer aux frais irrépétibles exposés par Monsieur Fernand Lopez dans le cadre de la présente instance d'appel à hauteur de 1 000 euro.
Par ces motifs : LA COUR, Rabat l'ordonnance de clôture du 5.11.2012 ; Déclare l'appel formé par la SA D.Duchesne non fondé et le rejette ; Confirme le jugement déféré ; Déboute la SA D. Duchesne de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SA D. Duchesne aux dépens de la présente instance, aux dépens d'appel dont distraction par application de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer à Monsieur Fernand Lopez la somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.