Cass. com., 1 mars 1982, n° 80-15.834
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Syndicat des expéditeurs et exportateurs en légumes et pommes de terre, primeurs de la région malouine
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Sauvageot
Rapporteur :
M. Jonquères
Avocat général :
M. Laroque
Avocat :
SCP Waquet
LA COUR : - Sur le premier moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que selon l'arrêt attaqué (Rennes, 9 juill. 1980) la société d'intérêt collectif Sipefel (la Sica) a organisé pour la région de Saint-Malo un marché aux enchères dit " marché au cadran " auquel, selon ses statuts, ne pouvaient avoir accès, d'une part, que ses adhérents producteurs de légumes tenus de fournir exclusivement ce marché et, d'autre part, que les membres du syndicat des expéditeurs et exportateurs en légumes et pommes de terre, primeurs de la région malouine (le syndicat), lesquels étaient tenus de s'approvisionner exclusivement à ce marché lorsqu'il s'agissait d'achats effectués dans la zone d'activité de la Sica, que M. X, expéditeur, membre du syndicat, a conclu le 17 septembre 1973 avec le groupement d'intérêt économique Grex (le Grex) qui, compte tenu de son emplacement géographique, ne pouvait se fournir au " marché au cadran ", un contrat de courtage selon lequel M. X devait effectuer sous son nom des achats à ce marché pour le compte exclusif du Grex, qu'une décision de l'assemblée générale extraordinaire du syndicat du 5 novembre 1973 a imposé à ses adhérents de " n'acheter, travailler, expédier ou exporter la marchandise " achetée audit marché " que pour leur propre compte ", qu'en application de cette décision M. X, courtier exclusif du Grex, a été exclu du syndicat, que constatant cette exclusion la Sica, le 5 janvier 1974, lui a interdit l'accès du marché au cadran, que le 28 mai 1976 M. X, invoquant tant les dispositions du traité de la Communauté économique européenne que l'article 1382 du Code civil, a assigné en dommages-intérêts le syndicat qui, de son coté, a appelé en cause la Sica;
Attendu qu'il est reproché à la cour d'appel, qui a mis hors de cause la Sica, d'avoir condamné le syndicat à verser à M. X des dommages-intérêts aux motifs que ce dernier avait été sciemment écarté du " marché au cadran " par le syndicat " au mépris de la législation issue de l'ordonnance du 30 juin 1945 ou du traité de Communauté économique européenne" alors que, selon le pourvoi, de tels motifs, compte tenu de l'alternative des dispositions légales invoquées par la cour d'appel, ne permettent pas de déterminer lequel des deux textes invoqués par la décision attaquée constitue le fondement juridique de la condamnation, que l'arrêt se trouve donc privé de toute base légale au regard de l'ordonnance du 30 juin 1945 et du traité de Rome;
Et alors, d'autre part, que les dispositions auxquelles s'est référé l'arrêt prévoient, comme seule sanction aux règles de concurrence qu'elles édictent, la nullité des ententes à caractère monopolistique, de sorte que la cour d'appel ne pouvait accorder une réparation pécuniaire sur la base de ces textes qui ne règlementent nullement l'action en dommages-intérêts, et a ainsi violé les dispositions précitées ainsi que l'article 1382 du Code civil par fausse application;
Mais attendu que l'abrogation, par l'article 19 de la loi du 17 juillet 1977, des dispositions de l'article 45, 2° alinéa, de la loi du 27 décembre 1973, permet l'exercice, selon le droit commun, de l'action civile en réparation des dommages causés par les infractions visées à l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945, que les autorités des Etats membres de la Communauté sont seules compétentes pour statuer sur les responsabilités civiles encourues par les entreprises qui, en infraction à l'article 85-2 du traité de Rome, pratiquent des ententes à caractère monopolistique, qu'au plan civil de la responsabilité tant l'article 50 de l'ordonnance précitée que l'article 85-2 dudit traité appellent une solution identique, étant indiffèrent à cet égard que le motif critiqué ait employé la conjonction " ou " ;
Que loin de violer les textes vises au moyen, c'est à bon droit que la cour d'appel a appliqué à la cause les principes généraux de la responsabilité civile; que le moyen n'est pas fondé;
Sur le deuxième moyen et sur le quatrième moyen pris en ses première et deuxième branches : - Attendu qu'il est encore fait grief à la cour d'appel qui, dans un précèdent arrêt du 21 juin 1977, avait décidé qu'une action en dommages-intérêts engagée par le Grex contre le syndicat était bien fondée, d'avoir statué comme elle l'a fait dans le litige opposant M. X au syndicat et d'avoir retenu de son précédent arrêt, auquel elle a attribué l'autorité de la chose jugée, que le syndicat avait agi de mauvaise foi en excluant le Grex du " marché au cadran" alors que, selon le pourvoi, d'une part, la cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article 1351 du Code civil en reconnaissant à propos d'une espèce déterminée l'autorité de la chose jugée à une décision qui n'a pas été rendue entre les mêmes parties et qui présentait à juger des faits différents, alors que, d'autre part, la cour d'appel qui ne s'explique pas sur le caractère nécessaire, pour le maintien du marché, de l'exigence posée par le syndicat et par la société organisatrice du marché aux enchères, pour tout adhérent d'agir pour son propre compte, n'a pas caractérisé la faute du syndicat et a ainsi violé l'article 1382 du Code civil;
Et alors qu'enfin, la cour d'appel qui ne caractérise aucun préjudice subi par le courtier, dont le syndicat soulignait qu'il pouvait participer au marché pour son propre compte, a derechef violé l'article 1382 du Code civil;
Mais attendu que la cour d'appel a retenu que c'est au mépris des textes visés au premier moyen que le syndicat avait créé l'obligation pour les expéditeurs de n'acheter, conditionner et expédier les légumes que pour leur propre compte, que cette obligation ainsi créée mettait en évidence le fait générateur du préjudice causé à M. X, qu'en l'état de ces énonciations et constatations, et abstraction faite du motif critiqué relatif à l'autorité de la chose jugée qui est surabondant, la cour d'appel, qui a souverainement fait ressortir que le préjudice subi par M. X était dû à l'impossibilité pour lui d'exécuter le contrat de courtage le liant au Grex, a pu retenir une faute à la charge du syndicat; que le deuxième moyen et le quatrième moyen pris en ses première et deuxième branches ne sont pas fondés;
Sur le troisième moyen et sur le quatrième moyen pris en sa troisième branche : - Donne acte à M. X de son intervention en application de l'article 327, paragraphe 2, du nouveau Code de procédure civile; - Attendu qu'il est enfin reproché à la cour d'appel tant par le syndicat que par M. l'Hourre, intervenant, d'avoir mis hors de cause la Sica organisatrice du marché au cadran, alors que, selon le pourvoi, d'une part, la cour d'appel ne pouvait en même temps et sans contradiction fonder la responsabilité du syndicat sur le fait qu'il aurait lui aussi méconnu les obligations résultant du traité de Rome, en imposant aux expéditeurs l'obligation d'opérer pour leur propre compte, cette obligation n'étant que la conséquence de l'exigence de la Sica gestionnaire imposant aux intermédiaires agréés d'opérer uniquement sur le marché dont elle assurait l'organisation, qu'ainsi l'arrêt attaqué a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, et alors, d'autre part, que la cour d'appel a également privé sa décision de base légale au regard de ce texte en omettant de s'expliquer sur le fait, invoqué par le syndicat, que la Sica, organisatrice du marché, avait seule qualité pour prononcer les entrées ou les exclusions du marché, et que la décision d'exclusion prise par la Sica à l'encontre du courtier était seule en rapport de causalité avec le prétendu préjudice de ce dernier;
Mais attendu en premier lieu que la cour d'appel a retenu que si la Sica avait imposé des conditions d'accès au " marché au cadran " contrevenant aux dispositions du traité de Rome et à l'ordonnance du 30 juin 1945, ces infractions n'avaient aucun rapport avec le préjudice subi par M. X qui remplissait bien les conditions de résidence imposées par la Sica;
Qu'en second lieu la cour d'appel a retenu que c'est à la suite de la décision de l'assemblée générale extraordinaire du syndicat que M. X s'est vu privé de la qualité d'adhérent du syndicat exigée par les statuts de la Sica pour être admis audit marché, qu'enfin la cour d'appel a constaté qu'en interdisant à M. X le marché au cadran la Sica n'avait fait que tirer les conséquences de la décision du syndicat;
Qu'en l'état de ces énonciations et constatations la cour d'appel, qui a fait ressortir que la décision de la Sica n'est qu'une cause indirecte du départ de M. X, ne s'est pas contredite;
Que le troisième moyen et le quatrième moyen en sa troisième branche ne sont pas fondés;
Par ces motifs : rejette le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 9 juillet 1980 par la Cour d'appel de Rennes.