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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 14 février 2013, n° 11-05973

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Europ Cosmétics (Sté)

Défendeur :

Arnault

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Pomonti, Michel-Amsellem

Avocats :

Selarl Récamier Avocats Associés, Mes Henry, Lorek, Fisselier, Vacarie

TGI Meaux, 1re ch., du 10 févr. 2011

10 février 2011

FAITS CONSTANTS ET PROCEDURE

La société Europ Cosmétics qui a pour activité la distribution de produits cosmétiques, a conclu le 16 février 2004 un contrat d'agent commercial avec M. Arnault aux termes duquel, il devait vendre ses produits de maquillage sur le marché discount, dans un secteur géographique composé de Paris et de sept départements d'Ile-de-France.

Le 3 septembre 2008, la société Europ Cosmétics a notifié par courrier recommandé à M. Arnault la résiliation du contrat d'agent commercial pour non-respect des obligations contractuelles.

Le 26 octobre 2008, M. Arnault a réclamé le paiement des commissions lui restant dues ainsi que d'une indemnité de rupture pour un montant total de 38 000 euros HT.

Par acte du 25 mars 2009, M. Arnault a fait assigner la société Europ Cosmétics devant le Tribunal de grande instance de Meaux aux fins d'obtenir le paiement des sommes déjà réclamées, ainsi que la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation. Des demandes reconventionnelles ont été formées par la société Europ Cosmétics.

Par un jugement en date du 10 février 2011, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de grande instance de Meaux a :

- condamné la société Europ Cosmétics à verser à M. Arnault la somme de 37 486,66 euros au titre de l'indemnité de rupture avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

- débouté M. Arnault de sa demande de dommage et intérêts,

- débouté la société Europ Cosmétics de toutes ses demandes,

- condamné la société Europ Cosmétics à payer à M. Arnault une indemnité de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles de procédure.

Vu l'appel interjeté le 29 mars 2011 par la société Europ Cosmétics contre ce jugement.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 1er octobre 2012, par lesquelles la société Europ Cosmétics demande à la cour de :

- infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a condamné la société Europ Cosmétics à payer à M. Arnault la somme de 37 486,66 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'acte introductif d'instance outre une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté M. Arnault du surplus de ses demandes,

Statuant de nouveau,

- débouter M. Arnault de l'ensemble de ses demandes,

- condamner M. Arnault à verser à la société Europ Cosmétics la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice subi par cette dernière du fait des manquements par l'intimé à ses obligations contractuelles,

- à titre subsidiaire, limiter le montant de l'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial à un montant qui ne saurait excéder 16 553,72 euros,

- à titre infiniment subsidiaire, limiter le montant de l'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial à un montant qui ne saurait excéder 19 635 euros calculé sur la base de deux fois la moyenne des trois dernières années de contrat hors Gifi et Babou,

- condamner M. Arnault à verser à la société Europ Cosmétics la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Europ Cosmétics soutient que la rupture du contrat d'agent commercial de M. Arnault a été parfaitement justifiée au regard des manquements de ce dernier à ses obligations contractuelles et ne lui a causé aucun préjudice. Elle estime que le montant de l'indemnisation sollicitée par M. Arnault méconnaît les termes du contrat et que ses demandes d'indemnisations ne sont aucunement motivées.

La société Europ Cosmétics fait valoir par ailleurs avoir subi un préjudice du fait des agissements fautifs de M. Arnault qui sont à l'origine d'une perte de confiance de ses principaux clients.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 26 octobre 2012, par lesquelles M. Arnault demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que M. Arnault avait droit à une indemnité de rupture du contrat d'agent commercial par application de l'article L. 134-12 du Code de commerce et en ce qu'il a rejeté toutes les demandes de la société Europ Cosmétics,

- réformer le jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à toutes les demandes de M. Arnault, et statuant à nouveau,

- condamner la société Europ Cosmétics à payer à M. Arnault les sommes suivantes :

- 41 860 euros à titre d'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi,

- 10 000 euros à titre de dommages et intérêts,

ces sommes devant être majorées des intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation,

- rejeter toutes les demandes de la société Europ Cosmétics,

- condamner en outre la société Europ Cosmétics à payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

M. Arnault soutient que la rupture des relations contractuelles est imputable à la société Europ Cosmétics, qu'il n'a commis aucune faute grave et qu'une indemnité de rupture lui est due.

Il fait aussi valoir qu'il est en droit de demander une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi du fait de la cessation de ses relations avec la société Europ Cosmétics et que celle-ci doit réparer le préjudice qu'il a subi du fait du caractère particulièrement abusif et injustifié de la rupture.

Il affirme enfin que les demandes reconventionnelles de la société Europ Cosmétics sont infondées car elles ne s'appuient sur aucune pièce.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

La société Europ Cosmétics n'a présenté en appel aucun moyen nouveau de droit ou de fait qui justifie de remettre en cause le jugement attaqué lequel repose sur des motifs pertinents résultant d'une exacte analyse des éléments du dossier, notamment des pièces contractuelles, ainsi que de la juste application de la loi et des principes régissant la matière.

Il convient de rappeler à titre liminaire que la société Europ Cosmétics et M. Arnault s'opposent sur la question de savoir si celui-ci peut prétendre au versement d'une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi du fait de la rupture, ainsi que le prévoit l'article L. 134-12 du Code de commerce. La société Europ Cosmétics soutient qu'aucune indemnité n'est due par elle en raison des fautes graves commises par M. Arnault dans l'exercice de ses missions, ce que ce dernier conteste.

Sur l'existence d'une faute grave de la part de M. Arnault et les causes de la rupture

Ainsi que l'a justement rappelé le jugement, la faiblesse des résultats d'un agent commercial ou le fait qu'il ne réussisse pas à réaliser les objectifs fixés par son commettant ne peuvent constituer une faute grave que dans le cas d'insuffisances caractérisées de la part de l'agent.

En l'espèce, la lettre du 3 septembre 2008 par laquelle la société Europ Cosmétics a mis fin au contrat qui la liait à M. Arnault ne fait état que de ses résultats "largement inférieurs à (ses) attentes et en régression constante depuis plus de trois ans". Elle rappelle aussi que la clause d'objectifs minimum prévue par l'article 7-3 du contrat n'a pas été respectée. Cependant, elle ne fait état d'aucune faute grave de la part de l'agent et indique, de surcroît, qu'elle entend respecter le délai de préavis, intention qui démontre à elle seule qu'elle n'a pas été confrontée à une faute grave de la part de celui-ci. La cour observe, de plus, que les chiffres d'affaires réalisés par M. Arnault de 2004 à 2007 se sont régulièrement élevés entre 207 000 euros et 221 000 euros et que, pour les huit premiers mois de 2008, le chiffre d'affaires s'est élevé à 154 780 euros, ce qui permet de considérer que le résultat aurait été de 232 170 euros si le contrat avait continué.

Par ailleurs, les e-mails produits et faisant état de difficultés de livraisons datent des mois de juin, août et septembre 2008, soit une période toute proche de la lettre de rupture, le dernier message ayant été envoyé la veille de la rédaction de celle-ci. Les difficultés mentionnées concernent quatre lieux de livraison (Garges, Epinay, Bagnolet et Argenteuil), mais ne sont nullement démontrées. En effet, les photos produites qui comportent la mention manuscrite des lieux et dates de prise des clichés ne permettent pas de considérer que ceux-ci soient certains. En outre, ces difficultés de délai de livraisons, invoquées aussi pour d'autres lieux que ceux du secteur géographique confié à M. Arnault ne peuvent, faute de preuves suffisantes, être imputées à ce dernier. Enfin, le défaut de régularité des passages de M. Arnault, ainsi que le fait qu'il n'ait pas pris de rendez-vous avec les responsables des magasins avant ses visites, mentionnés dans un message isolé du 17 juin 2008, n'apparaissent en rien démontrés.

Les manquements en matière de livraison n'étant pas établis par la société Europ Cosmétics, il n'appartenait pas à M. Arnault de démontrer que les délais de livraisons étaient imputables à la société. Par ailleurs, celle-ci n'établit pas non plus qu'elle aurait perdu environ 80 % de sa clientèle, ainsi qu'elle le prétend. Elle ne démontre pas non plus qu'elle aurait demandé une seule fois durant les quatre années qu'a duré la mission de M. Arnault, qu'il rende compte de celle-ci.

Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que les fautes graves invoquées par la société Europ Cosmétics à l'encontre de M. Arnault ne sont pas démontrées et que, par conséquent, d'une part, elle lui est redevable d'une indemnité de rupture, d'autre part, sa propre demande de condamnation de M. Arnault au paiement de dommages-intérêts doit être rejetée.

Sur les sommes dues par la société Europ Cosmétics à M. Arnault

Conformément aux usages de la profession d'agent commercial repris par une jurisprudence constante, M. Arnault n'ayant pas commis de faute dans l'exercice de son mandat et n'ayant pas non plus pris l'initiative de la rupture, est bien fondé à revendiquer le paiement d'une indemnité équivalente à ce qu'il aurait perçu au titre des commissions pendant deux ans.

Afin d'indemniser l'agent commercial de la façon la plus exacte possible, ce calcul doit être effectué au regard des années les plus proches de la rupture et, contrairement à ce que soutient M. Arnault, il n'est pas justifié de ne pas tenir compte des commissions de l'année 2008 au motif que cette année n'ait pas été complète puisque la rupture est intervenue au mois de septembre. Cette année doit donc être prise en compte dans le calcul au prorata des mois effectués. Par ailleurs, la société Europ Cosmétics qui fait valoir qu'en application de l'article 15-5 du contrat, il convient de retirer du calcul des indemnités les commissions perçues au titre du démarchage des clients Babou et Gifi, ne démontre pas le montant de ces commissions pour les années en cause et sa demande sur ce point ne peut qu'être rejetée. Ainsi, les commissions versées ayant été de 18 800,54 euros en 2006, de 18 686,12 euros en 2007 et de 8 276,86 en 2008, soit 45 763,52 euros sur 32 mois, l'indemnité s'établit à 34 322,64 euros [(45 763,52 / 32) X 24].

Le jugement doit donc être réformé sur ce point et la société Europ Cosmétics sera condamnée à verser à M. Arnault la somme de 34 322,64 euros.

Par ailleurs, M. Arnault ne démontre pas le préjudice qu'il soutient avoir subi du fait du caractère abusif et injustifié de la rupture.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

M. Arnault a dû exposer des frais pour faire valoir ses droits qu'il serait inéquitable de laisser intégralement à sa charge. En conséquence, la société Europ Cosmétics sera condamnée à lui verser la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré sauf en ses dispositions ayant condamné la société Europ Cosmétics à verser à M. Arnault la somme de 37 486,66 euros au titre de l'indemnité de rupture ; Statuant à nouveau, Condamne la société Europ Cosmétics à verser à M. Arnault la somme de 34 322,64 euros au titre de l'indemnité de rupture avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation. Rejette toutes les autres demandes des parties. Condamne la société Europ Cosmétics à verser à M. Arnault la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la société Europ Cosmétics aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.