Cass. soc., 20 février 2013, n° 11-21.486
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Dantin
Défendeur :
Total raffinage marketing (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Linden
Rapporteur :
M. Linden
Avocats :
SCP Boré, Salve de Bruneton, SCP Peignot, Garreau, Bauer-Violas
LA COUR : - Joint les pourvois n° 11-21.486 et 11-21.755 ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 24 avril 1987, la Société des garages de Vendée a donné en location-gérance à M. Dantin une station-service située à Château d'Olonne (Vendée) dans le cadre d'un protocole d'accord passé avec la société Elf France pour la distribution de carburant ; qu'un contrat de commission a été signé entre Elf France et M. Dantin le 7 mai 1987, puis un second le 28 novembre 1994, avec la société Elf Antar France, devenue Total Fina Elf (société Total), résilié d'un commun accord le 21 septembre 2001 ; que le 22 juillet 2002, M. Dantin a saisi la juridiction prud'homale sur le fondement de l'article L. 781-1 du Code du travail, alors applicable, et présenté diverses demandes à ce titre ;
Sur les premier et second moyens du pourvoi n° 11-21.755 : - Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ces moyens qui ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° 11-21.486 : - Attendu que M. Dantin fait grief à l'arrêt de déclarer prescrite pour la période antérieure au mois d'août 1997 son action en paiement de rémunérations de l'activité déployée pour le compte de la société Total, repos compensateur, congés annuels et hebdomadaires, alors, selon le moyen : 1°) que toute personne a le droit de jouir de conditions de travail justes et favorables lui assurant notamment "la rémunération qui procure au minimum à tous les travailleurs... un salaire équitable et une rémunération égale pour un travail de valeur égale... le repos, les loisirs, la limitation raisonnable de la durée du travail et les congés payés périodiques, ainsi que la rémunération des jours fériés " ; que méconnaît ce droit à des conditions de travail justes et à la perception de la rémunération y afférente la loi nationale qui édicte une prescription quinquennale de ces rémunérations à compter de leur échéance, sans considération d'une éventuelle renonciation du travailleur à les percevoir, des conventions conclues entre les parties, ni du comportement du bénéficiaire de la prestation de travail ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 6 et 7 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 ; 2°) que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil ; que n'est pas de nature à assurer l'effectivité de ce droit la législation nationale qui édicte une prescription quinquennale de l'action en paiement des créances afférentes à la reconnaissance d'un statut protecteur, privant ainsi de facto le bénéficiaire de ce statut de la possibilité de faire utilement valoir ces droits devant un tribunal ; que n'assure pas davantage le respect de ces droits fondamentaux l'unique réserve d'une impossibilité absolue d'agir ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 6 § 1er et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; 3°) que toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens et que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ; qu'en appliquant au bénéfice de la société Total une prescription ayant pour effet de priver M. Dantin d'une partie substantielle des rémunérations constituant la contrepartie de l'activité déployée pour son compte, acquises à mesure de l'exécution de sa prestation de travail, la cour d'appel lui a infligé une privation d'un droit de créance disproportionnée avec l'objectif légal de sécurité juridique et a, partant, porté une atteinte excessive et injustifiée au droit de ce travailleur au respect de ses biens, en violation de l'article 1er du Protocole n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; 4°) qu'en appliquant à un travailleur n'ayant jamais été reconnu comme son salarié par la compagnie pétrolière mais devant, pour bénéficier des dispositions légales et conventionnelles applicables dans cette entreprise, faire judiciairement reconnaître son droit au bénéfice du statut réservé aux gérant de succursales, une prescription destinée à éteindre les créances périodiques de salariés régulièrement tenus informés de leurs droits par la délivrance, notamment, d'un bulletin de salaire mensuel, la cour d'appel a édicté entre les différents travailleurs concourant à l'activité de la compagnie pétrolière une différence de traitement injustifiée, en violation de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu, d'abord, que M. Dantin n'ayant pas été dans l'incapacité d'agir en requalification de ses contrats, lesquels ne présentaient pas de caractère frauduleux, et ne justifiant pas d'une cause juridiquement admise de suspension du délai de prescription, c'est sans méconnaître les dispositions des instruments internationaux visés par les trois premières branches que la cour d'appel a appliqué la règle légale prévoyant une prescription quinquennale des actions en justice relatives à des créances de nature salariale ;
Attendu, ensuite, que la prescription quinquennale s'appliquant à l'ensemble des demandes de nature salariale, la cour d'appel a à bon droit exclu toute discrimination ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le deuxième moyen du pourvoi n° 11-21.486 : - Vu les articles 2262 et 2277 du Code civil, alors applicables ; - Attendu que l'arrêt rejette pour la période antérieure au mois d'août 1997 la demande de M. Dantin tendant à ce que la société Total soit condamnée à procéder à son inscription au régime général de la sécurité sociale et au paiement des cotisations sociales correspondantes ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'action de M. Dantin, fondée sur l'obligation de l'employeur d'affilier son personnel au régime général de la sécurité sociale et d'effectuer le paiement des cotisations sociales correspondantes, était soumise à la prescription trentenaire alors applicable, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Sur le troisième moyen du pourvoi n° 11-21.486 : - Vu les articles L. 4121-1 du Code du travail, 330, 601 et 604 de la convention collective des industries du pétrole du 3 septembre 1985 ; - Attendu, selon le premier de ces textes, que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ; que, selon le deuxième, il est tenu compte de tous les impératifs propres à assurer la santé et la sécurité des travailleurs ; que, selon le troisième, les salariés employés à des opérations nécessitant la mise en œuvre de produits susceptibles d'occasionner des maladies professionnelles et dans des conditions d'emploi où ces produits sont nocifs, seront l'objet d'une surveillance médicale particulièrement attentive ; que, selon le dernier de ces textes, pour les travaux où le personnel est exposé aux vapeurs, poussières, fumées ou émanations nocives, la direction fournira des effets de protection efficaces (masques, scaphandres) et des vêtements spéciaux (blouses, combinaisons, tabliers, gants, bottes, lunettes, etc.) ;
Attendu que pour débouter M. Dantin de sa demande de dommages-intérêts pour exposition à des substances dangereuses, l'arrêt retient que si la nomenclature des maladies professionnelles prévoit celles qui peuvent résulter de travaux sur des carburants renfermant du benzène, et si l'employeur est tenu envers son salarié d'une obligation de sécurité de résultat pouvant fonder une responsabilité sans faute et justifier des dommages-intérêts indépendamment de la reconnaissance d'une faute inexcusable, M. Dantin ne fait état, dix ans après la cessation de l'activité exposante, d'aucune maladie professionnelle au sens du Code de la sécurité sociale ni de troubles de santé pouvant résulter de cette exposition, ni d'un préjudice actuel ;
Qu'en statuant ainsi, par des motifs inopérants tirés de l'absence de maladie professionnelle ou de troubles de santé du travailleur, alors qu'elle avait constaté que l'intéressé avait été exposé à l'inhalation de vapeurs toxiques sans surveillance médicale, ni protection, ce dont il résultait que la société Total avait commis un manquement à son obligation de sécurité de résultat causant nécessairement un préjudice au travailleur, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le quatrième moyen du pourvoi n° 11-21.486 : - Vu l'article L. 781-1, recodifié sous les n° L. 7321-1 et L. 7321-3 du Code du travail ; - Attendu que pour débouter M. Dantin de ses demandes d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que la rupture est matérialisée par un "avenant de résiliation amiable" daté du 21 septembre 2001, qui se borne à indiquer que les parties ayant décidé de mettre fin à l'amiable au contrat susvisé se sont rapprochées pour en définir ensemble les modalités ; que cependant, dès lors que M. Dantin avait la qualité, non de locataire-gérant de la société Total, mais de commerçant propriétaire de son fonds de commerce, cette résiliation constitue un mode valable de rupture, l'article L. 781-1 du Code du travail n'ayant pas pour effet de transformer le cocontractant du fournisseur en salarié de celui-ci, bénéficiaire de la procédure de licenciement et des indemnités de rupture ;
Qu'en statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors que les règles gouvernant la rupture du contrat de travail sont applicables à la rupture de la relation de travail entre un gérant de succursale et l'entreprise fournissant les marchandises distribuées, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Par ces motifs : Casse et Annule, mais seulement en ce qu'il rejette pour la période antérieure au mois d'août 1997 la demande de M. Dantin tendant à ce que la société Total soit condamnée à procéder à son inscription au régime général de la sécurité sociale et au paiement des cotisations sociales correspondantes, et le déboute de ses demandes de dommages-intérêts pour exposition à des substances dangereuses, d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 24 mai 2011, entre les parties, par la Cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel d'Angers.