CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 26 février 2013, n° 12-13819
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Numéricâble (SASU)
Défendeur :
France Telecom (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bourquard
Conseillers :
Mmes Taillandier-Thomas, Maunand
Avocats :
Mes Henry, Pecastaing, Colin, Boccon Gibod, Limbour
Se prévalant de ce que la société Numéricâble SASU continuait, dans le cadre d'une vaste campagne publicitaire (affichage, presse), de se présenter comme le n° 1 des fournisseurs d'accès à Internet, sur le fondement de tests réalisés sur deux seules villes en France du 1er septembre au 30 novembre 2011 et se rendait ainsi coupable de concurrence déloyale par publicité comparative trompeuse, constitutive d'un trouble manifestement illicite, la société France Telecom SA l'a assignée afin qu'il lui soit enjoint sous astreinte de cesser toute campagne publicitaire fondée sur l'extrapolation de ce test devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Meaux qui, par ordonnance rendue le 6 juillet 2012, a ordonné à la société Numéricâble de suspendre immédiatement et lui a interdit de reprendre toute campagne de publicité d'ampleur nationale fondée sur l'extrapolation des résultats de tests réalisés entre le 1er septembre et le 30 novembre 2011 sur les seules villes de Neuilly-sur-Seine et Marseille quelque soit sa forme et ses supports (affiches, presse écrite ou audiovisuelle) dans laquelle elle affirme sans preuve certaine : "Numéricâble est le n° 1 des fournisseurs des FAI fournisseurs d'accès Internet", "Le baromètre mensuel 01net a une nouvelle fois classé Numéricâble n° 1" et ce sous astreinte de 500 euro par infraction constatée à compter de la signification de l'ordonnance et condamné la société Numéricâble à payer à France Telecom SA une indemnité de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, les parties étant déboutées du surplus de leurs demandes.
Appelante de cette décision, la société SASU Numéricâble SAS, par conclusions déposées le 19 octobre 2012, demande de,
"Constater que Numéricâble ne désigne pas France Télécom dans les messages publicitaires incriminés par cette dernière, ni d'ailleurs ses produits, services ou signes distinctifs,
Confirmer partiellement l'ordonnance de référé du 6 juillet 2012 en ce qu'elle a débouté France Télécom de sa demande tirée d'une prétendue publicité comparative trompeuse qui constituerait un acte concurrentiel déloyal,
Infirmer l'ordonnance entreprise pour le surplus,
Statuant à nouveau,
Dire et juger que les sociétés Numéricâble n'extrapolent pas au niveau national les résultats de l'enquête publiée par le site "01.net" en en diffusant le contenu dans plusieurs villes de France,
Dire et juger en outre que les messages publicitaires litigieux contiennent un message restrictif complet et l'invitation du consommateur à composer un numéro de téléphone à caractère informatif,
Dire et juger en outre que les messages publicitaires de Numéricâble transmettent le contenu d'une analyse indépendante effectuée par un tiers, et que le message est en conséquence objectif et sa véracité vérifiable,
Dire et juger en conséquence que les messages publicitaires de Numéricâble ne constituent pas une publicité trompeuse ou de nature à induire en erreur,
En conséquence,
Dire et juger que France Télécom ne justifie d'aucun trouble manifestement illicite qu'il conviendrait de faire cesser,
Dire n'y avoir lieu à référé,
En tout état de cause, condamner France Télécom à verser à Numéricâble la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et la condamner aux entiers dépens."
Par conclusions déposées le 4 décembre 2012, la société France Telecom SA demande de,
"Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a ordonné à la société Numéricâble de suspendre immédiatement la campagne de publicité d'ampleur nationale fondée sur l'extrapolation des résultats de tests réalisés sur les seules villes de Neuilly-sur-Seine et Marseille, quelque soit sa forme et ses supports (affiches, presse écrite ou audiovisuelle) dans laquelle elle affirme sans preuve certaine que : "Numéricâble est le n° 1 des FAI fournisseurs d'accès Internet" et "le baromètre mensuel 01net a une nouvelle fois classé Numéricâble n° 1" et ce sous astreinte de 500 euros par infraction constatée à compter de la signification de l'ordonnance ;
Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a interdit à la société Numéricâble de reprendre toute campagne de publicité d'ampleur nationale fondée sur l'extrapolation des résultats de tests réalisés sur les seules villes de Neuilly-sur-Seine et Marseille, quelque soit sa forme et ses supports (affiches, presse écrite ou audiovisuelle) dans laquelle elle affirme sans preuve certaine que : "Numéricâble est le n° 1 des FAI fournisseurs d'accès Internet" et "le baromètre mensuel 01net a une nouvelle fois classé Numéricâble n° 1" et ce sous astreinte de 500 euros par infraction constatée à compter de la signification de l'ordonnance ;
Infirmer l'Ordonnance de référé du 6 juillet 2012 en ce qu'elle n'a reçu que partiellement la société France Telecom et en conséquence, se déclarer compétente pour statuer sur les faits de concurrence déloyale dénoncés par France Telecom ;
Condamner la société Numéricâble à payer à la société France Telecom la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et le condamner aux entiers dépens" ;
Sur ce, LA COUR,
Considérant que l'appelante reproche à l'ordonnance de s'être prononcée de manière contradictoire et incompréhensible, que si sa campagne publicitaire a été interrompue le 10 février 2012 ensuite d'une première assignation en référé, elle n'a fait l'objet d'aucune mesure d'interdiction, que le juge des référés a cependant considéré qu'elle se serait livrée sciemment à une extrapolation inacceptable des résultats de l'enquête, que dès lors que cette campagne n'avait pas été interdite, elle ne pouvait être considérée comme constitutive d'un trouble manifestement illicite, qu'elle ajoute que l'ordonnance ne pouvait à la fois évoquer les résultats de l'enquête la plaçant en première position et la condamner au motif que cette affirmation ne correspondait à aucune réalité ni davantage affirmer que son message était tempéré par un renvoi en bas d'affiche et ensuite relever qu'il n'était tempéré par aucune mention restrictive ; qu'elle soutient que son message n'est constitutif d'aucun trouble manifestement illicite, que le juge des référés a lui-même relevé qu'elle renvoyait le consommateur potentiel à des messages restrictifs et à un numéro de téléphone et elle ajoute que le Tribunal de commerce de Paris, par jugement du 20 janvier 2012, a débouté Orange de sa demande visant à lui voir interdire de diffuser son offre de téléphonie mobile à 24,90 euro au motif qu'elle aurait été également de nature à tromper le consommateur, que de plus le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris a également rejeté la demande d'Omer Telecom aux fins de faire cesser la campagne publicitaire de Numéricâble concernant son offre de téléphonie mobile illimitée ; qu'elle estime que, comme tous les annonceurs, elle diffuse des messages ayant recours à l'hyperbole et à l'exagération, ce qui constitue un procédé parfaitement admis en jurisprudence ; que l'intimée ne peut lui reprocher que les réserves figurant sur le message seraient écrites en trop petits caractères, ce procédé étant conforme à une jurisprudence constante ; qu'elle ajoute que l'intimée est d'autant plus mal venue à contester ses messages publicitaires alors qu'elle procède de la même façon ;
Que l'intimée fait valoir en réplique que la publicité litigieuse est sans conteste de nature à induire le public en erreur au sens de l'article L. 121-1 du Code de la consommation, qu'en effet l'appelante laisse entendre sur la seule foi de résultats obtenus au niveau local, qu'elle serait nationalement le meilleur fournisseur d'accès Internet et qu'elle proposerait des services de qualité supérieure à ceux de ses concurrents ; qu'elle se prévaut de ce l'enquête réalisée sur les deux zones géographiques en France précisent qu'il ne convient pas de se livrer à une extrapolation et que c'est parce que Numéricâble s'y est précisément livrée qu'elle a été condamnée, que le fait que les mentions situées en bas des encarts publicitaires viennent préciser que les tests ont été réalisés dans les seules villes de Neuilly-sur-Seine et Marseille n'est pas de nature à atténuer le caractère trompeur de la publicité dès lors que la taille de la police rend presque illisible cette mention tout à fait au bas de l'affiche et qui est occultée par le message principal qui occupe près de 50 % de la surface de la publicité, étant ajouté que la disproportion entre les mentions attractives et les mentions restrictives ont été à plusieurs reprises retenues comme justifiant l'incrimination de publicité fausse, que de plus l'astérisque renvoyant aux mentions légales n'est pas accolé au message principal, qu'il s'ensuit que l'affirmation "Numéricâble - n° 1 des fournisseurs d'accès Internet" n'est tempérée d'aucune manière ; qu'elle estime que le recours à l'hyperbole ou à l'exagération dans les publicités a, contrairement à ce que soutient l'appelante, ses limites et ne doit pas conduire à une publicité de nature à induire en erreur comme reposant sur de fausses données ;
Qu'elle se prévaut de ce que l'allégation incriminée lui préjudicie en ce que le consommateur ne pourra que retenir qu'elle n'est pas en mesure d'offrir des services de même qualité dès lors que les concurrents de Numéricâble sont implicitement visés dans la campagne par voie d'affichage et expressément nommés dans la campagne par voie de presse faisant l'objet d'un tableau comparatif et qu'il s'ensuit qu'il s'agit d'un agissement de concurrence déloyale justifiant la compétence du juge des référés, comme constitutif d'un trouble manifestement illicite, pour le faire cesser ;
Et considérant qu'aux termes de l'article 873 alinéa 1er du Code de procédure civile, la juridiction des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;
Que le dommage imminent s'entend du "dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer" et le trouble manifestement illicite résulte de "toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit" ;
Qu'il s'ensuit que pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date à laquelle la cour doit se placer pour statuer et avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, l'imminence d'un dommage, d'un préjudice ou la méconnaissance d'un droit, sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines, qu'un dommage purement éventuel ne saurait donc être retenu pour fonder l'intervention du juge des référés ; que la constatation de l'imminence du dommage suffit à caractériser l'urgence afin d'en éviter les effets ;
Considérant qu'il est établi que les publicités ont, en exécution de l'ordonnance déférée, désormais cessé, que même si le référé est devenu sans objet au moment où la cour statue, il appartient à la présente juridiction d'appel de déterminer si la demande était justifiée lorsque le premier juge a statué ;
Considérant qu'en l'espèce, l'illicéité manifeste du trouble invoqué repose sur l'existence d'une pratique commerciale trompeuse dans les circonstances telles que définies par l'article L. 121-1 du Code de la consommation ainsi que sur la violation de l'article L. 121-8 du même Code relatif à la publicité comparative ;
Considérant que l'intimée démontre que Numéricâble s'est présentée dans une campagne d'affichage (pièces 2, 3 - constat du 9 janvier 2012, pièce 4 - constat du 6 janvier 2012, pièces 5 mise en place de 2 739 panneaux), dans une campagne de presse nationale et régionale et des interviews publicité (pièce 5, 6, 7, 8, 9, 18, 19, 20) et sur son site Internet (pièce 21 - constat du 26 avril 2012) comme étant classée premier fournisseur selon les messages suivants, "Numéricâble est le n° 1 des fournisseurs des FAI fournisseurs d'accès Internet", "Le baromètre mensuel 01net a une nouvelle fois classé Numéricâble n° 1", que les termes ainsi utilisés sont quant à cette affirmation sans aucune ambigüité, qu'ils ne laissent présumer aucune restriction quant à la portée géographique de ce classement et induisent donc qu'il s'agit d'un résultat national ;
Qu'il est établi que cette affirmation repose sur une enquête et des tests réalisés à la demande de Numéricâble entre le 1er octobre et le 31 décembre 2011 sur deux zones géographiques (communes de Neuilly-sur-Seine et Marseille) ; que cette enquête effectuée par "IP Label Newstest" rappelle dans son préambule les principes de base de benchmark et précise [que] les mesures sont réalisées sur deux zones géographiques en France, [qu']elles donnent donc une indication de performance des services délivrés par l'opérateur, mais [qu']il ne convient pas [de] se risquer à une extrapolation au niveau national ;
Qu'il s'ensuit que l'affirmation selon laquelle Numéricâble serait le n° 1 des fournisseurs d'accès Internet, comme le sous-entendent les messages litigieux, sur l'ensemble du territoire national est donc erronée ;
Considérant qu'il est établi que certaines des publicités concernées contiennent un astérisque qui renvoie à message restrictif, mentionné dans un encart figurant en petits caractères et en bas de page et qui se réfère à la portée exacte des tests réalisés, qu'il s'ensuit que la présence de ce message est sujette à discussion en ce qui concerne l'illicéité manifeste du trouble allégué, eu égard à la banalisation de ce type d'encart dans un très grand nombre de publicités et à l'évolution du comportement du consommateur de moyenne attention qui peut en résulter ; qu'il est toutefois démontré que dans une publicité parue dans Ouest France (pièce 19) Numéricâble se présente dans un tableau comparatif comme premier fournisseur d'accès sans référence à une quelconque mention restrictive quant à la localisation de l'étude ayant abouti à ce classement, que cette affirmation qui induit que l'attribution du n° 1 des FAI à Numéricâble s'étend à la couverture de tout le territoire national, est à l'évidence mensongère, qu'elle ne saurait être considérée comme une simple exagération de la réalité admissible en tant que pratique publicitaire habituelle ; qu'en tant que reposant sur une présentation fausse et de nature à induire en erreur sur les caractéristiques essentielles et les qualités de la prestation offerte, elle s'analyse [en] une pratique commerciale trompeuse au sens de l'article L. 121-1 du Code de la consommation et comme telle, elle est constitutive d'un trouble manifestement illicite que l'ordonnance, à juste titre, a dit qu'il convenait de le faire cesser ;
Considérant que de plus en mettant en comparaison des services et en identifiant explicitement et implicitement d'autres fournisseurs d'accès concurrents dont France Telecom exploitant Orange, en se référant à un classement trompeur et de nature à induire en erreur, le tableau inséré sous cette publicité contrevient à l'article L. 121-8 du Code de la consommation sur la publicité comparative et en tant que tel, il est manifestement à l'origine d'un trouble manifestement illicite dont la cessation a été ordonnée ; que toutefois, dans la mesure où France Telecom ne justifie pas du caractère répétitif de la publication de ce tableau de classement mensonger et du préjudice qui pour elle en serait résulté, il ne saurait être avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, être qualifié de comportement concurrentiel fautif ;
Considérant que l'ordonnance doit en conséquence être en son principe confirmée, qu'il sera constaté que le trouble allégué a cessé depuis la signification de l'ordonnance ;
Considérant que l'équité commande d'allouer à l'intimée une indemnité complémentaire en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et d'un montant tel que précisé au dispositif de cet arrêt ; que l'appelante dot supporter les entiers dépens ;
Par ces motifs : Confirme en son principe l'ordonnance entreprise, Vu l'évolution du litige, Constate que le trouble manifestement illicite a cessé en exécution de l'ordonnance déférée, Y ajoutant, Condamne la société SASU Numéricâble SAS à payer à la société France Telecom SA une indemnité complémentaire de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société SASU Numéricâble SAS aux entiers dépens qui seront recouvrés comme il est prescrit à l'article 699 du Code de procédure civile.