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Décisions

CA Aix-en-Provence, 8e ch. A, 7 février 2013, n° 11-04575

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Mimoun

Défendeur :

Pioneer France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schmitt

Conseillers :

Mmes Durand, Verdeaux

Avocats :

SCP Cohen, Guedj, SCP Badie Simon-Thibaud Juston, Mes Lestournelle, Guidoux

T. com. Marseille, du 2 févr. 2011

2 février 2011

FAITS - PROCEDURE - PRETENTIONS DES PARTIES

Me Mimoun, avocat au barreau de Marseille, et la société Pioneer France, ont conclu le 21 juin 1994 un contrat d'assistance juridique, renouvelable annuellement tacitement, Me Mimoun étant engagé en qualité de "Juriste-Conseil attitré de l'Entreprise".

Le 21 juin 2004 un nouveau contrat a été signé d'une durée minimale de 5 ans, soit jusqu'au 1er juillet 2009, date à compter de laquelle le contrat se renouvelait annuellement par tacite reconduction.

La société Pioneer s'engageait à verser à Me Mimoun, sur facture, la somme globale mensuelle de 3 000 euros HT, excluant les honoraires nés à l'occasion de procédures judiciaires facturés séparément.

La société Pioneer, en cas de rupture anticipée pendant la première période quinquennale, était redevable d'une indemnité contractuelle égale au montant des redevances restant à courir jusqu'au 1er juillet 2009.

Dans le courant de l'année 2006 la société Pioneer a demandé à Me Mimoun des précisions sur son activité (volume d'affaires traitées les trois dernières années et domaine de compétence) ainsi que sur les facturations d'honoraires, leur détermination et calcul.

Une nouvelle convention a été signée par les parties le 1er janvier 2007, ramenant la durée du contrat d'assistance juridique à une année renouvelable, et réduisant le forfait mensuel de 3 000 euros HT à 1 500 euros HT.

Le 12 juin 2007 la société Pioneer mettait fin aux relations contractuelles entre les parties à compter du 31 décembre 2007 "en raison de l'absence persistante de prestation dans le cadre du contrat d'assistance".

Me Mimoun précisait dans un courrier du 24 octobre 2007 avoir bien reçu et pris bonne note en son temps des termes de ce courrier de dénonciation de la convention d'assistance juridique.

Le litige relatif à divers honoraires dont ceux du dossier Speed Distribution Logistique était définitivement soldé par les parties le 9 janvier 2008.

Par courrier RAR du 25 février 2008 Monsieur Mimoun mettait en demeure la société Pioneer de lui régler la somme de 278 756,79 euros TTC, d'une part, en réparation du préjudice engendré par la rupture brutale des relations relatives au contentieux judiciaire fixant le préavis à 4 années, et, d'autre part, de la rupture de la convention d'assistance, arguant de la nullité de l'avenant intervenu au 1er janvier 2007 comme ayant été obtenu par dol et se prévalant des engagements résultant de la convention de 2004.

La société Pioneer lui opposait le 30 avril 2008 une fin de non-recevoir, lui exposant que le caractère libéral de sa profession l'obligeait à respecter le choix de sa cliente de ne plus faire appel à ses services dès lors que la relation de confiance, indispensable à la poursuite de leurs relations, avait disparu.

Par exploit du 24 octobre 2008 Monsieur Mimoun a fait assigner la société Pioneer France devant le Tribunal de commerce de Marseille, au visa des articles 1116 et suivants, 1134 et suivants, 1147 et 1149 du Code civil, en condamnation de la somme de 86 112 euros TTC à titre d'indemnité de résiliation, et sinon de dommages et intérêts, soutenant que l'avenant du 1er janvier 2007 était nul et non avenu comme ayant été obtenu de manière dolosive, et que s'appliquaient les dispositions indemnitaires du contrat du 21 juin 2004.

Il demandait par ailleurs la condamnation de la société Pioneer France au paiement de la somme de 191 360 euros TTC pour compenser le préjudice souffert au titre de la brusque rupture sans préavis dans le cadre des prestations judiciaires (rupture des relations d'exclusivité suivies et ininterrompues depuis 1988), ainsi que la somme de 50 000 euros pour résistance abusive et 50 000 euros pour atteinte à l'image outre 8 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement du 2 février 2011 le Tribunal de commerce de Marseille a :

Donné acte à la société Pioneer France de ce qu'elle s'en rapporte à la justice sur son exception d'incompétence matérielle,

S'est déclaré matériellement compétent pour connaître des demandes de Monsieur Mimoun,

S'est déclaré matériellement incompétent au profit du bâtonnier de l'Ordre des avocats de Marseille pour connaître de la demande de la société Pioneer France en dommages et intérêts au titre du préjudice subi pour manquements à ses obligations contractuelles,

Débouté Monsieur Mimoun de ses demandes, fins et conclusions,

Débouté la société Pioneer France de ses demandes reconventionnelles,

Condamné Monsieur Mimoun à payer à la société Pioneer France une indemnité de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens,

Rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires.

Par acte du 14 mars 2011 Monsieur Mimoun a interjeté appel de cette décision.

Par conclusions récapitulatives n° 2 déposées et notifiées le 4 décembre 2012, tenues pour intégralement reprises, il demande à la cour de :

Vu les articles 1116 et suivants, 1134 et suivants, 1147 et 1149 du Code civil,

Au titre des relations issues de la convention d'assistance juridique,

Réformer le jugement,

A titre principal,

Dire et juger le dol établi,

Dire et juger nul et de nul effet l'avenant au contrat d'assistance juridique du 1er janvier 2007,

Appliquer les dispositions de la convention d'assistance juridique du 21 juin 2004 demeurant seules valables et non viciées entre les parties,

Condamner la société Pioneer au paiement de la somme de 86 112 euros à titre d'indemnité de résiliation avec intérêts de droit à compter du 29 février 2008 et capitalisation des intérêts,

A titre subsidiaire,

Dire la réticence dolosive établie,

Condamner la société Pioneer au paiement de la somme de 86 112 euros à titre de dommages et intérêts,

Au titre de la brusque rupture dans le cadre des prestations judiciaires,

Condamner la société Pioneer au paiement de la somme de 191 360 euros pour compenser le préjudice souffert au titre de la brusque rupture et sans préavis des relations d'exclusivité suivies et ininterrompues depuis 1988 dans le domaine des prestations judiciaires, outre intérêts de droit et capitalisation des intérêts,

Au titre des demandes reconventionnelles de dommages et intérêts formées par la société Pioneer, à hauteur de 35 400 euros,

Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société de ses demandes reconventionnelles,

Condamner la société Pioneer au paiement de la somme de 8 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par conclusions déposées et notifiées le 10 décembre 2012, tenues pour intégralement reprises, la SAS Pioneer France demande à la cour de :

Vu les articles 1134, 1147 et 1382 du Code civil, 32-1 du Code de procédure civile,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Monsieur Mimoun de ses demandes, l'a condamné au paiement de frais irrépétibles et aux dépens,

Le réformer pour le surplus s'agissant des demandes reconventionnelles présentées par la société intimée,

Statuant à nouveau à titre incident,

Dire et juger que Monsieur Mimoun a manqué à ses obligations contractuelles et son obligation de bonne foi à son encontre,

Dire et juger qu'il a engagé sa responsabilité contractuelle à son encontre,

Le condamner au paiement de la somme de 35 400 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

Le condamner au paiement de la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de celle de 15 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

Le condamner aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue en dernier lieu d'accord des parties le 19 décembre 2012.

MOTIFS

Sur la nullité de l'avenant du 1er janvier 2007 :

Attendu que le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ; qu'il ne se présume pas et doit être prouvé ;

Attendu que Me Mimoun, avocat, a accepté de conclure l'avenant du 1er janvier 2007 modifiant la durée minimale de la convention d'assistance juridique initialement fixée jusqu'au 1er juillet 2009, la ramenant à une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction, et réduisant sa rémunération forfaitaire mensuelle de 3 000 euros à 1 500 euros, alors que les nouveaux dirigeants de la société Pioneer lui avaient déjà demandé de s'expliquer sur la détermination de ses honoraires et de préciser les missions accomplies au titre de cette convention d'assistance juridique les trois années précédentes ;

Attendu qu'en signant cet avenant il avait pleinement conscience de sa portée sur la durée de la convention et son renouvellement, et de renoncer au bénéfice de l'indemnité de rupture anticipée telle que prévue dans la convention du 21 juin 2004 qui ainsi disparaissait ;

Attendu qu'à supposer que la société Pioneer lui ait demandé la signature de cet avenant afin de pouvoir mettre fin à la convention d'assistance au 31 décembre 2007 sans avoir à lui verser l'indemnité de rupture anticipée calculée jusqu'au 31 juillet 2009, il ne démontre pas en quoi d'éventuelles manœuvres, non démontrées, voire même le silence de la société Pioneer sur ses arrière-pensées, auraient été déterminants de son consentement et/ou aient provoqué une erreur de nature à vicier son consentement lors de la signature de cet avenant ;

Attendu qu'il n'établit pas par ailleurs que la mise au point de cet avenant, modifiant très substantiellement les conditions de la convention du 21 juin 2007, ait eu comme corollaire l'assurance donnée par la société Pioneer à Me Mimoun la pérennisation de ces relations, le contenu de cet avenant et les explications demandées à l'avocat sur ses prestations et ses honoraires augurant plutôt de l'inverse ;

Attendu qu'il ne démontre pas en conséquence le dol qu'il allègue et n'est dès lors pas fondé à demander le bénéfice des seules dispositions de la convention du 21 juin 2004 et la condamnation de la société Pioneer à lui payer la somme de 86 112 euros TTC ;

Attendu qu'il sera débouté également de sa demande de dommages et intérêts faute d'établir une faute de la société Pioneer France ;

Sur la rupture des relations relatives aux prestations judiciaires :

Attendu qu'aucune convention écrite n'a été conclue s'agissant des prestations judiciaires accomplies par Me Mimoun mais il n'est pas contesté que cette mission a été exercée par l'avocat pour le compte de la société Pioneer parallèlement à l'exécution de la convention d'assistance juridique pendant toute la durée de leurs relations ;

Attendu que Me Mimoun déclare fonder sa demande de dommages et intérêts au titre de la rupture de ces relations sur les dispositions de l'article L. 442-6 I 5 ° du Code de commerce qui stipulent que tout commerçant qui rompt brutalement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant une durée minimale de préavis engage sa responsabilité ;

Attendu cependant que la profession d'avocat est une profession libérale et indépendante et que l'exercice d'activité de caractère commercial est incompatible avec l'exercice de cette profession en vertu de l'article 111 du décret 91-1197 du 27 novembre 1991 ;

Attendu que n'entrent donc pas dans les prévisions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce les relations conclues entre un avocat et son client dans le cadre d'un contrat d'exercice libéral de fourniture de prestations judiciaires, dès lors que ces relations ne constituent pas des relations commerciales au sens de l'article précité ;

Attendu par ailleurs que la profession d'avocat étant une profession libérale dans laquelle la relation de confiance avec le client est primordiale, celui-ci est tout à fait libre de dessaisir son conseil de dossiers et d'un choisir un autre, la liberté de choix étant un principe fondamental ;

Attendu qu'il résulte des pièces produites que les parties sont entrées en conflit quant au montant des honoraires facturés par Me Mimoun dans plusieurs dossiers, ayant amené les nouveaux dirigeants de la société Pioneer à lui demander des explications sur leurs critères de détermination et leur montant ;

Attendu que dès lors que la cliente n'était pas satisfaite par les réponses apportées par Me Mimoun, elle était en droit de ne plus lui confier de prestations judiciaires, sans avoir à respecter un éventuel préavis et ce, nonobstant l'ancienneté des relations et leur caractère d'exclusivité selon l'appelant ;

Attendu que nulle faute contractuelle ne pouvant être par ailleurs reprochée à la société Pioneer dans le dessaisissement ainsi intervenu, c'est à bon droit que Me Mimoun a été débouté de sa demande de condamnation de la société Pioneer au paiement de la somme de 191 360 euros TTC calculée sur un préavis de 4 années ;

Sur l'appel incident de la société Pioneer :

Attendu que le conseil de Monsieur Mimoun a déclaré à l'audience renoncer au moyen tiré du caractère définitif du jugement ayant retenu l'incompétence du tribunal de commerce à connaitre de la demande de la société Pioneer relative à une contestation de ses honoraires faute pour l'intimée d'avoir été frappé de contredit sur ce point ;

Attendu que le jugement étant mixte et l'appel portant sur l'ensemble de la décision, la cour est saisie de l'intégralité du litige ;

Attendu que la société Pioneer revient en réalité sur le litige relatif aux honoraires réclamés par Me Mimoun dans divers dossiers et notamment Speed Distribution et TVHA, les dommages et intérêts d'un montant de 35 400 euros qu'elle réclame correspondant aux sommes qu'elle a acceptées de verser à titre complémentaire pour mettre fin à tout litige ;

Attendu que par courrier du 9 janvier 2008 la société Pioneer a en effet indiqué solder les honoraires restant dus, ces accords réglant le seul litige relatif aux montants des honoraires et non "tout litige" comme le prétend maintenant ;

Attendu que l'accord ayant définitivement réglé cette question, la société Pioneer ne peut le remettre en cause au motif de l'action engagée par Monsieur Mimoun sur la rupture des relations contractuelles ;

Attendu que la société Pioneer sera en conséquence déboutée de sa demande de condamnation de Monsieur Mimoun au paiement d'une somme de 35 400 euros à titre de dommages et intérêts ;

Attendu par ailleurs que l'exercice d'une action en justice constitue un droit et si l'action engagée par Me Mimoun n'avait que peu de chances de succès, elle n'a pas pour autant dégénéré en abus du droit d'ester, faute pour la société Pioneer de démontrer sa mauvaise foi ;

Attendu qu'elle sera en conséquence déboutée de sa demande de dommages et intérêts d'un montant de 15 000 euros présentée de ce chef ;

Attendu que Monsieur Mimoun sera condamné à verser à la société Pioneer la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Attendu que, partie perdante, il sera condamné aux entiers dépens ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement, Réforme le jugement attaqué en ce que le tribunal s'est déclaré matériellement incompétent au profit du bâtonnier de l'Ordre des avocats de Marseille pour connaître de la demande de la société Pioneer France en dommages et intérêts au titre du préjudice subi pour manquements à ses obligations contractuelles, Sur ce point, Déboute la société Pioneer de sa demande de dommages et intérêts de 35 400 euros, Confirme pour le surplus le jugement attaqué en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Déboute Monsieur Sidney Mimoun de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions, Déboute la société Pioneer France de son appel incident, Condamne Monsieur Mimoun à payer à la société Pioneer la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en compensation des frais irrépétibles d'appel, Condamne Monsieur Mimoun aux entiers dépens, ceux d'appel étant recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.