CA Bordeaux, 2e ch. civ., 22 février 2013, n° 11-02098
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Lococo
Défendeur :
Maisons Côte Atlantique (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme O'yl
Conseillers :
MM. Bancal, Franco
Avocats :
SCP Michel Puybaraud, Mes Robette, Gimel, Leroy-Maubaret
Par contrat à durée indéterminée, daté du 11 juin 2008 et prenant effet à compter du 16 juin 2008, M. Lococo a été engagé en qualité d'agent commercial par la SAS Maisons MCA, qui a pour activité la construction de maisons individuelles, sous l'enseigne " Maison de la Côte Atlantique", et dispose de plusieurs agences.
Exerçant parallèlement une activité secondaire de courtier en financement, M. Lococo, précédemment affecté à l'agence de la Teste, a rejoint l'agence de Biganos à la demande du nouveau directeur commercial, nommé en avril 2009.
Estimant que les directives de ce dernier lui avaient fait perdre toute autonomie, qu'il ne bénéficiait plus des informations commerciales indispensables et qu'il se retrouvait finalement évincé de l'agence de Biganos, M. Lococo a saisi le Tribunal de commerce de Bordeaux pour voir prononcer la résiliation du contrat d'agent commercial aux torts de la société MCA, et condamner celle-ci à lui payer avec exécution provisoire une indemnité de préavis, une indemnité compensatrice sur le fondement de l'article L. 134-12 du Code de commerce , une somme au titre du crédit provisionné et celle de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts en application des articles 1134 et 1184 du Code civil ; outre celle de 3 000 euros au titre de l'article 700 du CPC.
Il avait réclamé en outre la capitalisation des intérêts dûs pour une année entière sur le fondement de l'article 1154 du Code civil.
Par jugement en date du 21 mars 2011, le Tribunal de commerce de Bordeaux a débouté M. Lococo de la totalité de ses demandes, a rejeté la demande reconventionnelle de la société MCA et a condamné M. Lococo au paiement de la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du CPC.
Ce dernier a formé appel de ce jugement le 4 avril 2011.
Soutenant que le mandant avait manqué à ses obligations d'exécuter de bonne foi le contrat d'agence, M. Lococo demande à la Cour, dans ses dernières écritures signifiées et déposées le 27 octobre 2011 :
-de réformer le jugement du 21 mars 2011,
-de dire que la SAS Maisons MCA n'a pas exécuté de bonne foi le contrat d'agence commerciale,
-de prononcer en conséquence la résiliation du contrat d'agence commerciale aux torts de la SAS Maisons MCA,
-de condamner celle-ci à lui payer les sommes suivantes, déjà réclamées devant le premier juge :
-11 565,70 euros au titre de l'indemnité de préavis au titre de l'article L. 134-11 du Code de commerce,
-50 356,45 euros au titre de l'indemnité compensatrice sur le fondement de l'article L. 134-12 du Code de commerce,
-27 907,10 euros au titre du crédit provisionné,
-15 000 euros à titre de dommages-intérêts sur le fondement des dispositions des articles 1134 et 1184 du Code civil, et L. 134-4 du Code de commerce,
-de condamner la société Maisons MCA à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du CPC, et aux entiers dépens en ce compris les éventuels frais d'exécution,
- d'ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du Code civil, ainsi que le paiement des intérêts légaux,
-de débouter la SAS Maisons MCA de l'ensemble de ses demandes.
Il fait valoir en premier lieu qu'il avait perdu toute liberté d'action et de moyens, puisqu'il se trouvait astreint à des horaires comme un salarié, devait être présent durant les horaires d'ouverture de l'agence, avec obligation de restitution de compte rendus d'activité chaque jour, en se faisant reprocher de manière injustifiée une prétendue insuffisance de ventes et de contacts alors que son contrat ne comportait aucune obligation en terme d'objectif.
En second lieu, il estime que le mandant lui a retiré les moyens d'exercer sa mission en arrêtant de lui adresser des contacts, des informations sur les terrains en vente, alors qu'auparavant ces éléments étaient répartis équitablement entre salariés et agents commerciaux.
Par ailleurs, le directeur commercial aurait fait pression sur lui pour qu'il quitte l'agence, l'aurait sommé de rendre ses clés pour le 30 octobre 2009 et de travailler depuis chez lui, en lui restreignant l'accès de l'agence aux seuls cas de rendez-vous avec des clients ; jusqu'au 29 juin 2011, date à laquelle il a été dans l'impossibilité d'accéder aux bureaux dont les serrures avaient été changées.
Enfin, le mandant aurait manqué à son obligation d'information, en se trouvant privé d'informations commerciales utiles.
Contestant l'ensemble des griefs articulés à son encontre, la société MCA conclut, dans ses dernières écritures déposées au greffe de la cour et signifiées le 2 septembre 2011, à la confirmation du jugement du 21 mars 2011, au rejet des demandes de M. Lococo, et sollicite en outre sa condamnation au paiement de la somme de 5 000 euros pour procédure abusive et celle de 4 000 euros au titre de l'article 700 du CPC.
Elle estime avoir adressé de nombreux contacts à M. Lococo, auquel il appartenait de trouver lui-même de nouveaux clients ; et conteste lui avoir imposé d'établir des comptes-rendus quotidiens d'activité.
Elle ajoute que le contrat ne lui imposait pas la mise à disposition des locaux de l'agence de Biganos, mais qu'elle l'a néanmoins mis en mesure d'y venir pour recevoir des clients.
Elle fait valoir que toutes les informations concernant la politique commerciale lui ont toujours été communiqués.
Elle conteste tout droit à paiement de M. Lococo sur le prétendu crédit qu'il aurait accumulé sur les ventes réalisées, reliquat dénommé "le gras" ; M. Lococo ayant été entièrement rempli de ses droits par le paiement des commissions sur les prix de vente.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 janvier 2013.
Motifs de la décision :
La recevabilité n'est ni contestée, ni contestable.
L'article L. 134-1 alinéa 1er du Code de commerce dispose que l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage d'ouvrage, est chargé de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de service, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux.
L'article L. 134-4 du Code de commerce précise que les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information ; l'agent commercial doit exercer son mandat en bon professionnel et le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat.
Selon les termes de l'article 3 du contrat d'agent commercial, M. Lococo jouissait de l'indépendance propre à tout chef d'entreprise dans l'organisation de son activité.
Il résulte des pièces produites que chaque jour, M. Lococo devait compléter un formulaire dit flash info, dans lequel il avait à préciser le nombre de contacts, de rendez-vous et de ventes, ainsi que ses observations éventuelles ; il produit à cet égard une épaisse liasse (pièce numéro 2) comportant tous les bulletins remplis par ses soins.
Un courrier électronique adressé par l'assistante de direction le 29 octobre 2009 le remerciait d'"avoir joué le jeu" et d'être à jour de ses flash info (sauf pour celui du 28), et précisait la mise en œuvre d'une nouvelle procédure, impliquant que l'agent remplisse chaque jour les données par mail au lieu de les transmettre par bulletins pré-imprimés.
Toutefois, il convient de rappeler que le contrat d'agence dans le domaine de la construction immobilière exige une circulation rapide de l'information entre le mandant et son mandataire, dans l'intérêt commun des parties, compte tenu du caractère très concurrentiel du secteur, et du risque de déperdition rapide de clientèle en cas d'inaction ou de reddition de comptes trop irrégulières.
Au demeurant, M. Lococo n'avait d'ailleurs nullement contesté le principe de ces comptes rendus, très simples et rapides à remplir, et qui ne lui demandaient pas au surplus de justifier de ses démarches ni de son activité propre, qu'il continuait à pouvoir développer selon son libre choix, dans le secteur de toute la Gironde.
Aucune stratégie, ni plan prévisionnel d'activité n'était exigé de sa part.
Ce dernier invoque par ailleurs une attestation de M. Aymard, en date du 20 juin 2011, au demeurant non conforme aux dispositions de l'article 202 du CPC, au terme de laquelle il aurait subi des pressions identiques et la même perte d'autonomie que M. Lococo, avec comptes-rendus qutotidiens, et avoir entendu la direction dire que " les agents commerciaux allaient comme les autres devoir rentrer dans le moule", et qu'"il faudrait s'occuper du cas de M. Lococo".
Il convient toutefois de relever le caractère très imprécis et non probant de cette attestation, qui ne fait référence à aucune date ni à la personne qui aurait tenu ces propos à l'égard de l'appelant.
2- Sur le grief tiré du retrait des moyens d'exécuter le mandat :
M. Lococo indique dans ses écritures que depuis aout 2009, le nouveau directeur commercial lui faisait des reproches injustifiés, menaçait de mettre fin au contrat pour non réalisation des objectifs ; mais il ne verse au débat aucun élément de preuve en ce sens, tel que courrier de la direction ou attestation.
Le seul fait que deux personnes aient été recrutées en 2009 à l'agence de Biganos, à savoir M. Burtin le 28 mai 2009 en qualité de technico-commercial, puis M. Melchiorre le 4 novembre 2009 en qualité de VRP ne constitue nullement une violation du contrat d'agent commercial, qui précisait expressément que le secteur de la Gironde était attribué à M. Lococo sans exclusivité, le mandant se réservant la possibilité d'effectuer ses opérations pour son propre compte sur le territoire de l'agent sans que celui-ci puisse prétendre à une quelconque indemnisation.
Ces embauches ne sauraient caractériser en outre la volonté du mandant d'évincer progressivement M. Lococo de ses fonctions.
Celui-ci se plaint à cet égard de ne plus avoir reçu comme auparavant la même proportion de contacts, émanant de gens ayant sollicité des renseignements sur le site Internet de la société, ni le même nombre d'informations sur les terrains à vendre.
Mais il convient de relever, en premier lieu, que M. Lococo procède par pure affirmation en indiquant que la proportion était supérieure auparavant, aucun tableau comparatif n'étant versé à cet égard aux débats.
En second lieu, il n'entrait pas dans les obligations du mandant de donner à l'agent commercial les noms de clients éventuels puisque l'objet même du contrat était de permettre à MCA, la découverte de nouveaux clients, par le biais de son activité autonome.
Au surplus, MCA est allée au-delà de ses strictes obligations contractuelles en communiquant à M. Lococo les coordonnées de 11 clients éventuels, de juin 2009 à février 2010.
La comparaison avec les 60 contacts fournis durant la même période à M. Burtin ne peut caractériser une faute de la part du mandant, qui pouvait tout à fait privilégier son commercial salarié, en lui transmettant par priorité les noms des potentiels acquéreurs à contacter.
3- Sur le grief lié à l'éviction de l'agence :
Le contrat d'agent commercial ne met pas à la charge du mandant l'obligation de laisser M. Lococo exercer ses fonctions ni même des accueils de clients ou des permanences au sein des locaux de l'agence de Biganos, et ce dernier devait en revanche, et sauf stipulation spéciale dérogatoire, supporter toutes les frais occasionnés par son activité.
M. Lococo ne peut donc se plaindre de ce que le nouveau directeur commercial lui ait demandé à compter de la fin de l'année 2010 de travailler à son domicile ; et l'agent pouvait parfaitement effectuer depuis chez lui les recherches de clients, le démarchage téléphonique et la mise en place des publicités. La pratique antérieure constituait une tolérance et non l'exécution d'une obligation contractuelle à la charge de la société MCA.
Enfin, il soutient n'avoir pu accéder aux locaux de l'agence le 29 juin 2011 pour y faire pénétrer Mme Slimane, cliente qui souhaitait consulter quelques modèles dans le cadre d'un projet de construction, faute pour lui de disposer des clés à la suite d'un changement de serrure.
Toutefois, il n'est nullement démontré que M. Lococo ait prévenu à l'avance les salariés de l'agence de cette visite ; la preuve n'est donc pas rapportée au vu des circonstances de l'espèce d'une volonté délibérée de MCA de faire échec à une démarche de sa part en vue de la conclusion éventuelle d'un contrat.
4- Sur le grief tiré de l'absence d'informations données par le mandant :
L'article 6 du contrat obligeait le mandant à l'aviser de sa politique commerciale et de tout évènement relatif à la commercialisation de ses produits notamment de toute promotion ou programme affectant le secteur confié à l'agent.
M. Lococo reproche à MCA de ne pas l'avoir tenu avisé d'un mail du 18 septembre 2009, relatif à l'attitude incorrecte de certains vendeurs à l'égard de l'animatrice Sandrine Moreau.
Or ce type de courriel à usage interne à la société ne rentrait pas dans le cadre des informations dont M. Lococo devait être nécessairement rendu destinataire, ainsi que la société MCA l'indique à juste titre dans ses écritures.
Par ailleurs, la société Maisons MCA démontre avoir adressé à M. Lococo, sur sa messagerie personnelle, plusieurs mails concernant les grilles de prix, et notamment les informations sur le nouveau prêts à taux zéro, les tarifs de décembre 2009, les tarifs mai 2010 "nouveaux modèles", les tarifs nouveaux modèles catalogue Tradi message du 26 novembre 2010) et ceci jusqu'au 31 aout 2011.
Il est exact qu'aucun message n'a été adressé à l'agent entre le 21 décembre 2009 et le 6 mai 2010 ; toutefois il ne justifie pas avoir été privé durant cette période d'informations utiles à l'exercice de son mandat, ni avoir réclamé l'envoi de certaines pièces.
Il a par ailleurs participé aux ateliers de travail BBC du 11 février 2010.
Il soutient avoir été évincé des journées portes ouvertes de Biganos au mois de juin 2010 et aux Portes ouvertes de Mios les 25 et 26 juin 2011, mais il ne démontre pas avoir demandé à y prendre part.
Il conviendra en conséquence de confirmer la décision du tribunal, en ce qu'elle a débouté M. Lococo de ses demandes relatives à la résiliation du contrat d'agent commercial, et en paiement de l'indemnité compensatrice et de l'indemnité de préavis.
Sur la demande en paiement de la somme de 27 907,10 euros, au titre du crédit provisionné
M. Lococo explique qu'il s'agit là du crédit accumulé sur les ventes réalisées, en bonus sur certaines ventes, par suite de la différence existant entre le prix tarifaire édité par la direction MCA et le prix de vente effective : les commerciaux seraient autorisés à accorder des ristournes à certains clients afin de réaliser des ventes.
Il produit à cet égard un tableau synthétisant les ventes des différents commerciaux, et à la rubrique "crédit" figure face à son nom la somme de 27 907,10 euros.
La société réplique que cette interprétation est erronée et que lorsqu'un agent commercial vend une maison plus chère que le coût prévu, la différence est notée sur un compte fictif ce qui permettra par la suite d'attribuer des ristournes à de nouveaux acquéreurs.
M. Lococo, auquel incombe la charge de la preuve de l'exigibilité de cette somme, ne démontre pas l'existence de la pratique qu'il invoque. Aucune attestation d'agent commercial, même celle de M. Aymard pourtant favorable à l'appelant, ne vient étayer cette position.
Elle n'est pas davantage prévue dans le contrat d'agence ; qui stipule en son article 7 que la rémunération de l'agent est constituée par une commission égale à 6 % TTC du montant TTC de la vente (50 % à la réservation, et 50 % à l'ouverture du chantier).
Il y a donc lieu de débouter M. Lococo de l'ensemble de ses demandes en paiement, en ce compris celle de capitalisation sur le fondement de l'article 1154 du Code civil, et de confirmer ainsi la décision du Tribunal de commerce de Bordeaux.
Sur la demande reconventionnelle en dommages-intérêts :
Il n'est pas démontré que M. Lococo ait commis un abus dans le droit d'ester en Justice, et la demande de dommages-intérêts formée par la société MCA sera donc rejetée.
Il est équitable d'allouer à la société MCA la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du CPC.
Succombant, l'appelant supportera les dépens.
Par ces motifs : LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement et par décision contradictoire, Confirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Bordeaux du 21 mars 2011 ; Y ajoutant, Condamne M. Lococo à payer à la société Maison MCA la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du CPC, Le condamne en outre aux entiers dépens, et ordonne la distraction en application des dispositions de l'article 699 du CPC.