CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 27 février 2013, n° 10-01186
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Falken Industries Limited (Sté)
Défendeur :
Power Utilities Ltd (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
M. Vert, Mme Luc
Avocats :
Mes Bernabe, Grundler, Fisselier, Debosque
Vu le jugement rendu le 13 octobre 2009 par lequel le Tribunal de commerce de Paris a dit la loi française applicable, et a, sous le régime de l'exécution provisoire, condamné la société Power Utilities à payer à la société Falken Industries les sommes de 37 300 euro en réparation de son préjudice et de 5 470,43 euro au titre d'une facture impayée ;
Vu l'appel interjeté par la société Falken Industries le 21 janvier 2010 et ses conclusions enregistrées le 7 juin 2010, tendant à ce que la société Power Utilities soit condamnée à lui payer, en réparation de son préjudice, les sommes de 152 415 euro pour la commande minimum de 45 000 euro par trimestre, de 629 476,11 euro au titre de l'obligation d'achat de 3 palettes de produits par an, de 90 710,23 euro au titre de l'obligation de participer aux opérations "promotions" et de 300 000 euro au titre de l'obligation de non-concurrence, la somme de 51 752,73 euro pour défaut de paiement des factures n° FA06/4271, FA06/4242, FA06/4187, FA06/4114, FA05/4049 et FA05/4045 et enfin, celle de 8 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu l'appel interjeté le 21 janvier 2010 par la société Power Utilities et ses conclusions enregistrées le 3 juin 2010, tendant à ce que la société Falken Industries soit déboutée de l'ensemble de ses demandes et soit condamnée à lui payer les sommes de 20 558,16 euro au titre de l'avoir non-émis le 30 mai 2006, de 7 678,20 euro au titre du remboursement de la quote-part de frais promotionnels, de 50 000 euro HT de dommages-intérêts pour procédure abusive, et enfin de 20 000 euro HT au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Sur ce
Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :
La société de droit américain Falken Industries LTD (ci-après Falken) conçoit, fabrique et commercialise des produits détergents de nettoyage et d'entretien, en particulier sous la marque "Clean Plus", destinés notamment à l'industrie automobile.
La société de droit britannique Power Utilities LTD (ci-après Power Utilities) est spécialisée dans la vente au détail et en gros d'accessoires automobiles.
Par contrat du 21 octobre 2004, la société Falken a concédé à la société Power Utilities la distribution exclusive des produits "Clean Plus" pour l'ensemble du territoire britannique. Ce contrat comprenait une clause attributive de compétence aux tribunaux de Paris et mettait un certain nombre d'obligations à la charge de Power Utilities.
Par lettre recommandée du 25 avril 2006, la société Power Utilities a dénoncé ledit contrat, avec effet au 25 octobre 2006, soit en respectant un préavis de 6 mois.
A la suite de la rupture, la société Falken a demandé à la société Power Utilities le paiement de la somme de 3 257 687,35 euro, correspondant, selon elle, au dommage causé par cette société du fait du défaut d'exécution de ses obligations contractuelles. La société Power Utilities n'ayant pas obtempéré, la société Falken l'a assignée au fond devant le Tribunal de commerce de Paris, par acte du 28 juin 2006. Elle a également introduit une action en référé par acte du 5 septembre 2006.
Par ordonnance du 9 février 2007, le tribunal a jugé irrecevable la demande en référé de la société Falken.
Par jugement du 13 octobre 2009, le tribunal a retenu certains chefs de demande de la société Falken, réduisant ainsi le montant des dommages-intérêts alloués aux sommes respectives de 37 300 euro et 5 470,43 euro.
C'est de ce jugement dont il a été interjeté appel.
Considérant que la société Falken demande des dommages-intérêts en dédommagement des inexécutions contractuelles imputables à son cocontractant, à savoir le non-respect de la clause de quota (152 415 euros et 629 476,11 euros), de l'obligation de promotions (90 710, 23 euros), la violation de la clause de non-concurrence et le blocage du marché britannique (300 000 euros), et sollicite en outre le paiement de cinq factures (51 752,73 euros) ;
Sur les "quotas d'exclusivité"
Considérant que si la société Falken expose que la société intimée n'a pas réapprovisionné régulièrement ses stocks en respectant les minima prévus au contrat en contrepartie de l'exclusivité territoriale dont elle jouissait et lui réclame à ce titre le paiement des sommes de 152 415 euros et de 629 476,11 euros, celle-ci expose que les seuils d'achat prévus au contrat avaient pour unique objectif de conditionner le maintien de l'exclusivité accordée à Power Utilities et n'auraient nullement constitué un engagement minimal d'achat ;
Considérant que, comme les premiers juges, la cour ne dispose pas de la traduction intégrale du contrat dont il s'agit, les deux parties n'ayant versé aux débats que la traduction des dispositions contractuelles prétendument concernées par le litige, selon une numérotation ne correspondant d'ailleurs pas avec celle de l'original en langue anglaise ; qu'elle ne pourra donc se baser que sur ces éléments traduits pour trancher le litige, qui ne font d'ailleurs pas l'objet de discussions entre les parties ;
Considérant que le contrat est intitulé "Accord d'alliance stratégique - Sur une base exclusive : Opérations européennes Super Distribution" ;
Considérant que, selon les lignes 325 à 342 de la traduction versée aux débats par la société Falken, "Falken octroie au Super Distributeur un mandat exclusif et limité pour la vente de la :
Ligne de produits professionnels Clean Plus de Falken
Ligne de produits grand public Clean Plus de Falken
tel que ces lignes sont actuellement composées dans le Territoire concédé et pour le segment de marché et les secteurs d'activité consentis", le territoire étant l'Angleterre, les secteurs d'activité, "Usines et Entreprises de fabrication ; Fournisseurs aux garages et aux professionnels de l'entretien et leurs Distributeurs" et le segment, "Industrie ; Marché des accessoires et réparations automobiles" ;
Considérant que la composition des deux lignes de produits en cause n'est pas indiquée à la cour et ne ressort d'aucun document versé aux débats ;
Considérant qu'à la ligne 406 figure un titre : "Chiffre d'affaires minimum/prévision de bonne foi pour l'exclusivité", sous lequel sont énumérées plusieurs obligations du Super Distributeur, en vertu, notamment, des lignes 407 à 433 : "L'exclusivité concédée au titre du présent accord est pour une durée initiale de neuf mois, selon les conditions suivantes :
i Dans un délai d'un an à compter de la signature des présentes le Super Distributeur aura (i) versé si nécessaire et selon facturation, le Droit d'exclusivité relatif au segment de marché et à la Super Distribution (0,00015 euros par habitant 60 000 000) au montant de 9 000 euros, et conjointement à cela (ii) approuvé une commande (la commande initiale) et aura accepté une livraison pour un inventaire initial de Produits d'un montant égal ou supérieur à 30 800 euros à l'égard de chaque ligne de produits consentie.
ii. Dans un délai de neuf mois à compter de la date des présentes et à la fin de chaque cycle trimestriel subséquent, le Super Distributeur aura acheté par ligne représentée et à l'exception de la commande initiale, un montant égal ou supérieur au montant le plus faible entre 0,0015 euros par habitant dans le Territoire et 45 000 euros de Produits.
A l'exception de la commande initiale, et tel que stipulé ci-après, le Super Distributeur n'aura aucune obligation d'acheter l'intégralité des produits offerts dans une ligne de produits consentie. Cependant, l'exclusivité concédée à l'égard d'une référence de produit obligera l'achat d'au moins trois palettes de cette référence de produit à chaque période annuelle.
Le manquement de conserver quelconque référence de produit dans la ligne exclusive du Super Distributeur n'annulera pas le présent accord. Par contre, l'exclusivité et la Super Concession ne se poursuivront qu'à l'égard de la composition des produits commandés".
Nonobstant ce qui précède, le Super Distributeur ne peut en aucun cas diminuer sa ligne courante et ses achats de Produits en-deçà du plus élevé de 12 références de produits et de deux tiers des références de produits dans la ligne exclusive consentie" ;
Considérant qu'il résulte en premier lieu de ces dispositions que le contrat consent une exclusivité de distribution sur le territoire britannique à la société Power Utilities pour deux lignes de produits Clean Plus ; que cette exclusivité a pour contrepartie le versement de "droits d'entrée", constitués par une première commande et un "droit d'exclusivité" de 9 000 euros, puis par des versements périodiques de 45 000 euros par ligne de produits, définis au point ii ci-dessus, dans un délai de neuf mois puis à la fin de chaque cycle trimestriel subséquent ; que la société Falken sollicite le versement de ces droits périodiques, pour un montant global de 152 415 euros, en retenant non le versement d'un montant égal ou supérieur au montant le plus faible entre 0,0015 euros par habitant dans le Territoire, mais la somme de 45 000 euros ; que cette exclusivité de principe, octroyée par ligne de produits, ne peut être levée que par la société Falken, à titre de sanction pour performances insuffisantes du Super Distributeur ;
Considérant que le périmètre de cette exclusivité de principe est à géométrie variable, puisque c'est le distributeur qui achète l'exclusivité sur un produit donné d'une des deux lignes, par l'engagement d'acheter au moins trois palettes de cette référence de produit à chaque période annuelle ; que le Super Distributeur peut donc décider de restreindre le périmètre de l'exclusivité, dans la limite définie plus haut, à savoir le plus élevé de 12 références de produits ou les deux tiers des références de produits dans la ligne exclusive consentie ; que la société Falken sollicite également l'application de cette disposition, pour un montant de 629 476,11 euros ;
Considérant, en l'espèce, que la société Power Utilities, qui ne conteste pas s'être abstenue de tout paiement, expose qu'elle ne doit aucune de ces sommes, leur non-versement entraînant simplement la levée de l'exclusivité, et ne constituant pas un manquement à ses obligations contractuelles ;
Mais considérant qu'il résulte de l'économie du contrat rappelée plus haut que l'exclusivité constitue l'élément essentiel du contrat et non une disposition accessoire ; que la société Power Utilities n'a d'ailleurs jamais sollicité la levée de l'exclusivité sur les deux lignes de produits, se bornant, dans un courrier du 23 juin 2006, postérieur à sa résiliation du contrat, à autoriser la société Falken à choisir un autre distributeur pendant la durée du préavis, attestant bien a contrario qu'elle s'estimait à cette date, liée par un rapport d'exclusivité avec la société Falken : "A cet égard, nous vous autorisons par les présentes à annuler le droit d'exclusivité qui nous a été accordé afin de favoriser notre remplacement en tant que distributeur exclusif de vos produits en Angleterre" ; que la société Power Utilities ne peut déduire, de la faculté de définir elle-même le périmètre de l'exclusivité, n'être tenue à aucune obligation d'achat envers son fournisseur, juste contrepartie de l'exclusivité territoriale consentie ; que le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a estimé que deux clauses du ii) ci-dessus s'appliquaient à la société Power Utilities ;
Considérant qu'il en résulte que la société Power Utilities était tenue de s'acquitter durant la vie du contrat de six versements de 45 000 euros par ligne, la cour ne disposant pas des chiffres de la population du territoire concerné, soit la somme globale de 270 000 euros par ligne et 540 000 euros pour les deux lignes, le premier versement se situant neuf mois après la signature du contrat, soit le 21 juillet 2005, puis tous les trois mois, les 21 octobre 2005, 21 janvier, 21 avril, 21 juillet et 21 octobre 2006 ;
Considérant que le préjudice subi par la société Falken se limite à la marge nette qu'elle aurait dû réaliser sur ces ventes ; qu'en l'absence de tout élément comptable versé au dossier de la cour, la société Falken se bornant à affirmer sans aucune preuve réaliser un taux de marge nette de 56,45 %, il y a lieu de confirmer le taux de marge nette retenu par les premiers juges, soit le taux de 15 % ; que la société Power Utilities sera donc condamnée à payer la somme de 81 000 euros à la société Falken ; que le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a réduit la somme de 540 000 euros des 2/3, cette réduction n'ayant pas lieu d'être, compte tenu de la rédaction des clauses ;
Considérant que le préjudice né du non-respect de la disposition relative à l'achat de trois palettes des produits couverts par l'exclusivité, disposition également applicable, ne peut en revanche faire l'objet d'une évaluation, car la composition des lignes de produits achetés en exclusivité par la société Power Utilities n'est pas indiquée à la cour ; que le tableau avancé par la société Falken, comportant une liste de produits, et calculant pour chacun le prix de trois palettes sur deux années et faisant ressortir un montant de 1 045 262,97 euros, ne constitue qu'un document unilatéral, insuffisant en soi à rapporter la preuve de la composition de ces lignes ; que la demande de la société Falken tendant à obtenir sur ce fondement l'allocation de la somme de 629 476,11 euros sera donc rejetée ;
Sur l'obligation de promotions, la clause de non-concurrence et le blocage du marché britannique
Considérant que la société Falken n'apporte pas davantage de preuves que devant les premiers juges, concernant ces postes de préjudice ; qu'il n'est ainsi pas démontré que l'intimée n'a réalisé aucune des opérations de promotion de la marque "Clean Plus" ni qu'elle a mis en vente des produits concurrents et fabriqué sa propre gamme de produits similaires ; que le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté ces demandes ;
Sur les factures
Considérant que la facture FA06/4271 correspond au droit d'entrée de 9 000 euros que la société Power Utilities devait régler dans l'année suivant la signature du contrat ; que cette société ne conteste pas ne pas l'avoir réglé ; qu'il convient d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a estimé que cette somme ne pouvait plus être réclamée, faute d'avoir été réglée avant le 22 octobre 2005 ; qu'il convient donc de condamner la société Power Utilities au paiement de la somme de 9 000 euros à la société Falken et d'infirmer le jugement sur ce point ;
Considérant que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Falken de ses demandes concernant les factures FA06/4242, FA06/4114 et FA05/4049 et fait droit à sa demande concernant la facture FA06/4187 ; que c'est par une motivation pertinente que la cour adopte que les Premiers Juges ont relevé que preuve n'était pas rapportée que la facture FA06/4242 ait correspondu à une livraison effective de marchandises, que l'argumentation de la société Falken manque de clarté s'agissant de la facture FA06/4114, qu'aucun bon de commande n'a été émis concernant la facture FA05/4049 et qu'enfin, la compensation sollicitée par la société Power Utilities avec la facture FA06/4187 ne correspond à aucun paiement démontré par cette société ;
Sur les demandes de la société Power Utilities
Considérant que s'agissant de marchandises retournées qui auraient été prétendument payées et pour lesquelles la société Power Utilities serait créancière de la société Falken, aucune pièce versée aux débats ne vient attester de ce paiement ; que le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande ;
Considérant que, s'agissant du remboursement des frais promotionnels, prévus aux lignes 507 à 519 du contrat, la société Power Utilities produit des factures en anglais, non traduites, donc irrecevables devant la cour ; qu'au surplus, le lien de ces factures avec les quelques pages de publicité versées aux débats, dont on ne connaît pas la société commanditaire, n'est pas établi ; que le jugement entrepris sera donc également confirmé sur ce point ;
Considérant que la société Power Utilities ne démontre pas en quoi l'exercice de l'appel par son ancien partenaire commercial aurait dégénéré en abus de droit et lui aurait causé un quelconque préjudice ; que sa demande pour procédure abusive sera donc rejetée ;
Par ces motifs : -Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Power Utilities à payer à la société Falken Industries la somme de 5 470, 43 euros et en ce qu'il l'a condamné à supporter les dépens de première instance, -L'infirme pour le surplus, -et, statuant à nouveau, -Condamne la société Power Utilities à payer à la société Falken Industries les sommes de 81 000 euros au titre du non-respect des seuils minima d'achat et de 9 000 euros au titre des droits d'entrée de la première année du contrat, -Déboute les parties du surplus de leurs demandes, -Condamne la société Power Utilities aux dépens de l'instance d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, -Condamne la société Power Utilities à payer à la société Falken Industries la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.