CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 21 février 2013, n° 12-08075
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Carrefour Hypermarchés (SAS)
Défendeur :
Galec (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Louys
Conseillers :
Mmes Graff-Daudret, Lesault
Avocats :
Mes de Maria, Roy, Olivier, Parleani
Faits constants :
La Société Coopérative à forme anonyme à capital variable Galec (le Galec) a réalisé un site Internet dénommé "http://www.quiestlemoinscher.com", dans lequel il publie la comparaison de prix pratiqués par des magasins exploitant sous différentes enseignes connues dans l'hexagone de 1 474 produits de marques nationales, 139 produits de marques de distributeurs ainsi que 68 produits de premiers prix, les prix ayant été relevés entre le 17 octobre 2011 et le 9 novembre 2011 dans 870 points de vente du territoire national.
Prétendant que les pratiques de Galec sur son site Internet ne respectaient pas les dispositions de l'article L. 121-12 du Code de la consommation, la SAS Carrefour Hypermarchés (Carrefour) a sollicité de Galec que lui soit communiqué un certain nombre de données utilisées notamment :
- la liste des magasins Leclerc, Carrefour et Carrefour Market,
- la justification des relevés de prix réalisés dans ces points de vente et leur date exacte,
- la justification du tirage aléatoire des magasins sélectionnés,
- la composition exacte de chacun des 207 produits visés dans la catégorie des produits de marques de distributeurs et des produits premiers prix.
La société Carrefour a obtenu réponse aux trois premières demandes mais a dû réitérer sa demande quant à la composition exacte des 207 produits précités, par lettre recommandée avec avis de réception du 29 décembre 2011.
Le 4 janvier 2012, en réponse à cette demande, le Galec indiquait que la comparaison faite sur le site Internet portait sur des "produits comparables et substituables pour lesquels la composition n'est pas un élément décisif de l'acte d'achat et ne fait pas partie des énonciations, indications et présentations contenues dans la publicité".
Par acte du 16 février 2012, la société Carrefour a assigné le Galec devant le juge des référés, sur le fondement des articles L. 121-12 et L. 121-8 du Code de la consommation, aux fins de lui faire connaître, dans les 24 heures de l'ordonnance à intervenir, la composition exacte et les caractéristiques de chacun des 139 produits de marques de distributeurs et 68 produits premiers prix visés sur le site Internet lors des relevés de prix effectués entre le 17/10 et le 09/11/2011 dans 870 magasins et ce sous astreinte, et de publier, dans les 24 heures de l'ordonnance, sous la même astreinte, la composition exacte et les caractéristiques desdits 139 produits de marques de distributeurs et 68 produits premiers prix.
Par ordonnance contradictoire du 11 avril 2012, le juge des référés du Tribunal de commerce d'Evry a, aux motifs, pour l'essentiel, que les demandes formées au visa de l'article L. 121-12 du Code de la consommation échappaient à la "compétence" du juge des référés,
- débouté la société Carrefour de ses demandes,
- condamné la société Carrefour à payer au Galec la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté le Galec de ses autres demandes,
- condamné la société Carrefour aux dépens de l'instance.
La société Carrefour a interjeté appel de cette décision le 24 avril 2012.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 janvier 2013.
Prétentions et moyens de Carrefour :
Par dernières conclusions du 31 décembre 2012, auxquelles il convient de se reporter, Carrefour fait valoir :
- que le Galec a refusé d'indiquer la composition et les caractéristiques des produits de marques de distributeurs et premiers prix et que la violation par le Galec des règles régissant la publicité comparative constitue un trouble manifestement illicite,
- que si l'on veut vérifier le fait que "la comparaison porte sur des produits standards, comparables et substituables", il est indispensable de disposer de la composition et des caractéristiques de ces produits,
- que la Cour de cassation considère systématiquement comme contraires à l'article L. 121-8 du Code de la consommation les publicités ne permettant pas d'identifier la composition/les caractéristiques des produits dont le prix est comparé,
- que cette jurisprudence est en droite ligne avec celle de la CJUE,
- que la jurisprudence exige que, lorsque la comparaison porte sur des prix de produits non strictement identiques, les différences de qualité et composition soient accessibles au consommateur,
- qu'en refusant de lui communiquer ces éléments, le Galec l'empêche de déterminer si les trois conditions posées à l'article L. 121-8 du Code de la consommation sont remplies,
- qu'on ne comprend pas pour quelles raisons ses demandes formées au visa de l'article L. 121-12 du Code de la consommation ne pourraient pas faire l'objet d'un référé, dès lors que la violation évidente de cet article par le Galec impose audit juge de prendre d'urgence des mesures de nature à contraindre le Galec à lui fournir les éléments litigieux et constitue un trouble manifestement illicite en ce qu'elle l'empêche d'obtenir les éléments nécessaires aux fins de déterminer si la publicité en cause est licite ou pas, et empêche le consommateur de procéder à une véritable comparaison,
- qu'en jugeant qu'il appartenait à la société Carrefour elle-même de se rendre en magasin pour vérifier la composition et les caractéristiques des produits, le premier juge a reconnu la nécessité et l'importance de ces informations,
- que l'apparente standardisation donnée par le Galec aux produits par l'utilisation arbitraire d'une appellation générique constitue précisément un moyen de gommer les éventuelles différences qu'il pourrait y avoir entre produits (exemples cités),
- que sa demande entre parfaitement dans les prévisions de l'article L. 121-12,
- que ses prétentions, en ce qu'elles sont formées au visa de l'article 145 du Code de procédure civile, sont fondées dès lors que le Galec affirme faussement qu'il ne dispose pas des prétendues preuves dont la communication et la publication sont demandées et que les prétendues preuves seraient accessibles à tous, que la question posée est pertinente en vue d'un procès au fond, qu'enfin, le Galec dévie l'objet du débat en se livrant à une longue analyse sur le "degré d'interchangeabilité suffisant".
Elle demande à la cour :
- d'infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
- de condamner le Galec à :
. lui faire connaître, dans les 24 heures de "l'ordonnance à intervenir", la composition exacte et les caractéristiques de chacun des 139 produits de marques distributeurs et 68 produits premiers prix visés sur le site Internet http://www.quiestlemoinscher.com lors des relevés de prix effectués entre le 17 octobre 2011 et le 9 novembre 2011 dans 870 magasins, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par produit,
. publier, dans les 24 heures de "l'ordonnance à intervenir", sous la même astreinte de 500 euros par jour de retard et par produit, la composition exacte et les caractéristiques des 139 produits de marques distributeurs et 68 produits premiers prix visés sur le site Internet http://www.quiestlemoinscher.com lors des relevés de prix effectués entre le 17 octobre 2011 et le 9 novembre 2011 dans 870 magasins,
- de dire que la cour se réservera la liquidation de l'astreinte,
- de débouter le Galec de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- de condamner le Galec au paiement d'une somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- de condamner le Galec en tous les dépens.
Prétentions et moyens du Galec :
Par dernières conclusions du 16 janvier 2013, auxquelles il convient de se reporter, le Galec fait valoir :
- que l'évidence conduit à rejeter la prétention de Carrefour car les produits de marques distributeurs et de premiers prix en cause sont particulièrement "standard" et que leurs caractéristiques pertinentes sont largement exposées (voir tableau p. 10 à 15),
- que la société Carrefour formule des observations dérisoires et trompeuses, notamment sur les marques,
- que la société Carrefour adresse au juge des référés une demande qui n'entre pas dans les prévisions de l'article L. 121-12 du Code de la consommation,
- que ce texte n'est violé que si l'annonceur ne prouve pas dans un bref délai "l'exactitude matérielle des énonciations, indications et présentations contenues dans la publicité" et que le site se suffit à lui-même pour ce qui concerne les caractéristiques publiées (ex : "volaille manchons de poulet rôti nature 250 g", indication exacte, prouvée et non contestée),
- que la question de savoir si les énonciations devaient être autres que celles publiées relève du juge du fond éventuellement saisi de la licéité de la publicité,
- que les demandes fondées sur l'article 145 du Code de procédure civile doivent être rejetées, en raison de leur absence de légitimité car il ne dispose pas des prétendues "preuves" dont la communication et la publication sont demandées, que ces prétendues preuves sont accessibles à tous, que la société Carrefour veut orienter dès le référé le litige vers des questions sans pertinence au fond, que le critère pertinent, qui est un critère de licéité, est celui du "degré d'interchangeabilité suffisant", qui ne relève pas des pouvoirs du juge des référés,
- que la société Carrefour dissimule la cause déterminante des écarts de prix, déterminés non par les "caractéristiques propres" des produits litigieux mais par l'efficacité des réseaux de distribution.
Il demande à la cour :
- de confirmer l'ordonnance entreprise,
- de procéder à un certain nombre de dires,
- de débouter la société Carrefour de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- de dire n'y avoir lieu à référé,
- de condamner la société Carrefour à lui payer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Sur ce, LA COUR,
Sur l'article L. 121-12 du Code de la consommation :
Considérant que selon l'article L. 121-12 du Code de la consommation, sans préjudice des dispositions de l'article L. 121-2, l'annonceur pour le compte duquel la publicité comparative est diffusée doit être en mesure de prouver dans un bref délai l'exactitude matérielle des énonciations, indications et présentations contenues dans la publicité ;
Considérant qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés de statuer sur la licéité d'une publicité comparative ;
Considérant que la société Carrefour ayant demandé au Galec de lui faire connaître "la composition exacte et les caractéristiques" de chacun des 139 produits de marques de distributeurs et 68 produits premiers prix, ce dernier lui a répondu, le 26 décembre 2011 et le 4 janvier 2012, que la comparaison faite sur le site "Quiestlemoinscher.com" portait sur des produits standards "comparables et substituables pour lesquels la composition n'est pas un élément décisif de l'acte d'achat et ne fait pas partie des énonciations, indications et présentations contenues dans la publicité" ;
Considérant que le point de savoir si les éléments requis par l'entreprise concurrente de l'annonceur, en l'occurrence la composition exacte et les caractéristiques des 207 produits litigieux, sont nécessaires à la preuve de l'exactitude matérielle des énonciations, indications et présentations contenues dans la publicité, notamment à l'exactitude du prix, objet de la publicité, alors que ces éléments ne sont pas, en eux-mêmes, contenus dans la publicité litigieuse, ne relève pas de l'évidence ;
Que c'est, donc, à bon droit que le premier juge a considéré que la demande de la société Carrefour, de communication, en ce qu'elle est fondée sur le texte précité, échappait aux pouvoirs du juge des référés ;
Qu'il en est de même, par voie de conséquence, de la demande de publication, dès lors que le refus de communication des éléments litigieux, sur le fondement de ce texte, ne constitue pas, avec l'évidence requise en référé, un trouble manifestement illicite ;
Sur l'article 145 du Code de procédure civile :
Considérant que selon l'article 145 du Code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ;
Qu'il résulte de ce texte que le demandeur à la mesure d'instruction n'a pas à démontrer l'existence de faits de publicité illicite puisque cette mesure in futurum est justement destinée à les établir ; qu'il doit seulement justifier d'éléments rendant crédibles ses suppositions et démontrer que les preuves obtenues seraient de nature à alimenter un procès ;
Considérant que la société Carrefour soutient que la composition exacte ou les caractéristiques des produits sont ou peuvent avoir une influence sur le prix et que la présentation sous le générique de "standard" des 207 produits litigieux est insuffisante pour s'assurer de la loyauté de la comparaison de prix pratiquée par le Galec ;
Qu'elle cite, notamment, l'exemple des produits contenant du chocolat, pour lesquels le taux de cacao ou le fait qu'il s'agisse de chocolat au lait ou chocolat noir, sont des éléments relevant de la composition exacte ou des caractéristiques des produits, qui seraient déterminants pour le consommateur et dont l'absence d'indication ne permettrait pas de s'assurer de l'objectivité et de la licéité de la comparaison de prix ; que ce constat vaut pour les produits listés dans les conclusions du Galec numéros 67 (biscuits tablette chocolat au lait 150 g), n° 69 (fourrés chocolat X 12 225 g), n° 70 (goûters fourrés au chocolat 330 g), n° 77 (barres céréales chocolat noir 125 g), n° 79 chocolat dessert pâtissier 200 g) ;
Qu'il en est de même, par exemple, de la nature de l'huile (arachide ou palme) ou de la teneur en sel contenues dans certains produits de Galec (biscuits salés crackers 3 X 100 g n° 44 ; chips à l'ancienne produit 150 g n° 45 ; chips nature sachets 6X30 g n° 46 ; pétales salés 75 g n° 47 ; tuiles goût salé n° 170 n° 49), ou encore de la teneur en viande ou jambon de certains produits tels que "couscous moyen 1 kg produit n° 64", "sauce bolognaise 420 g environ n° 56", "cassoulet 1/2 420 g", "saucisses aux lentilles 840 g n° 62", "pizza royale" (n° 26)" ;
Considérant que les éléments sollicités par la société Carrefour sont de nature à établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un procès éventuel, et que l'action au fond qui motive la demande de communication n'est pas manifestement vouée à l'échec ;
Qu'il n'est pas sérieux pour l'intimé de soutenir qu'il ne disposerait pas, en sa qualité de distributeur, certains des produits étant de surcroît des produits de marques distributeurs, des éléments dont la communication est requise ;
Que pas davantage n'est sérieux le moyen selon lequel les preuves seraient accessibles à tous et donc à la société Carrefour, alors que la définition "'basique'" des produits, sans même que la marque des produits de marques comparés ne soit mentionnée par la société Galec, ne met pas l'entreprise dont les prix sont comparés en mesure d'en connaître rapidement la composition et les caractéristiques exactes, de manière à pouvoir engager utilement une action au fond, aux fins notamment de cessation d'une publicité illicite ;
Que la société Carrefour justifie, dès lors, d'un motif légitime à voir ordonner la communication sollicitée sous astreinte ce, dans les conditions précisées au dispositif et sans qu'il y ait lieu, pour la cour, de se réserver la liquidation de l'astreinte ;
Que l'ordonnance entreprise sera, en conséquence, confirmée en qu'elle a rejeté les demandes de communication et de publication formées au visa des articles L. 121-12 et L. 121-8 du Code de la consommation, mais infirmée, vu l'évolution du litige, en ce que la demande de communication peut être accueillie sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile dont il n'apparaît pas qu'il ait été invoqué devant le premier juge ;
Que la demande de publication, qui ne peut être fondée sur ledit article 145, sera en revanche rejetée par la cour, aucun trouble manifestement illicite n'étant par ailleurs caractérisé ;
Par ces motifs : Confirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a débouté la SAS Carrefour Hypermarchés de ses demandes de communication et de publication formées au visa des articles L. 121-12 et L. 121-8 du Code de la consommation, Vu l'évolution du litige, L'infirme pour le surplus, Statuant à nouveau, Vu l'article 145 du Code de procédure civile, Condamne la société Galec à faire connaître à la SAS Carrefour Hypermarchés, dans les 24 heures à compter de la signification du présent arrêt, la composition exacte et les caractéristiques de chacun des 139 produits de marques distributeurs et 68 produits premiers prix visés sur le site Internet "http://www.quiestlemoinscher.com/" lors des relevés de prix effectués entre le 17 octobre et le 9 novembre 2011 dans 870 magasins, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par produit, Y ajoutant, Dit que la cour ne se réserve pas la liquidation de l'astreinte, Rejette la demande de publication formée par la SAS Carrefour Hypermarchés, Condamne la société Galec à payer à la SAS Carrefour Hypermarchés la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Galec aux dépens de première instance et d'appel.