Cass. com., 26 février 2013, n° 12-13.721
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
M. Bricolage (SA)
Défendeur :
Bricorama France (SAS), Bricoried (SAS), Nebout (Epoux), Men Finances (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Rapporteur :
M. Fédou
Avocat général :
Mme Batut
Avocats :
SCP Célice, Blancpain, Soltner, SCP Bouzidi, Bouhanna, SCP Piwnica, Molinié
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, par acte du 10 septembre 2001, la société Bricoried, dont M. et Mme Nebout étaient associés et dirigeants, a conclu avec la société M. Bricolage un contrat, dénommé "charte de l'adhérent à l'enseigne M. Bricolage", en vue de l'exploitation d'une surface de vente ; que le contrat réservait à la société M. Bricolage un droit de préférence et de préemption en cas de cession des parts sociales ou actions assurant le contrôle de la personne morale qui exploite le magasin concerné ; qu'ultérieurement, M. et Mme Nebout ont apporté les actions qu'ils détenaient dans le capital de la société Bricoried à la société Men Finances, devenue seule actionnaire de cette dernière ; que le 1er juillet 2008, la société Men Finances a cédé 49 % des actions de la société Bricoried à la société Bricorama France (la société Bricorama) ; que le 9 juillet 2008, la société Bricoried a informé la société M. Bricolage de la cession intervenue et lui a notifié la résiliation de la charte avec effet au 31 décembre 2009 ; que soutenant que la cession des titres en faveur de la société Bricorama était intervenue en violation de son droit de préférence et de préemption, la société M. Bricolage a fait assigner les sociétés Bricorama, Bricoried et Men Finances et M. et Mme Nebout en annulation de cette cession et en dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société M. Bricolage fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes tendant à l'annulation de la cession, à l'exécution forcée du pacte de préférence convenu en sa faveur et au paiement de dommages-intérêts, alors, selon le moyen : 1°) qu'aux termes de l'article 35 de la convention litigieuse, il était convenu que le droit de préférence consenti à la société M. Bricolage s'exercerait en cas de " vente des parts sociales, actions ou autre titre assurant le contrôle de la personne morale qui exploite le magasin concerné " ; qu'en l'espèce, la société M. Bricolage faisait valoir dans ses conclusions que bien que la cession d'actions intervenue au profit de la société Bricorama n'ait porté que sur 49 % du capital de la société Bricoried, la modification de ses statuts convenue concomitamment entre le cédant et le cessionnaire avait permis de conférer à la société Bricorama des prérogatives exorbitantes, caractéristiques de celles d'un actionnaire majoritaire, telles que le pouvoir de révoquer à sa seule discrétion le président de la société et celui d'exercer un droit de veto sur toutes les décisions de gestion importantes de la société, en sorte que la société Bricorama avait, du fait de ces modifications statutaires, acquis le contrôle de cette société ; que pour juger que la cession d'actions ainsi conclue n'était pas soumise au droit de préférence, la cour d'appel a énoncé que les termes de la clause susvisée ne souffraient " d'aucune ambiguïté " et ne nécessitaient " aucune interprétation ", leur seule signification possible étant de n'assujettir au droit de préférence de la société M. Bricolage que les cessions portant sur plus de 50 % du capital ; qu'en se prononçant de la sorte, cependant que la notion de " contrôle de la personne morale ", qui n'était pas précisée par la convention des parties, était intrinsèquement ambiguë en ce qu'elle fait l'objet de plusieurs définitions légales, qui reposent tantôt sur le critère de la détention d'une majorité des voix aux assemblées générales (article L. 233-3 du Code de commerce), tantôt sur des critères plus larges, tels que le pouvoir de nomination ou de révocation des organes sociaux ou le droit d'exercer une influence dominante sur l'entreprise en vertu de clauses statutaires (article L. 233-16 du même code), ce dont il s'évinçait que la clause litigieuse nécessitait une interprétation, la cour d'appel a méconnu son office et violé les articles 1134 et 1161 du Code civil ; 2°) que les termes ci-dessus rappelés de l'article 35 de la charte de l'adhérent à l'enseigne M. Bricolage n'écartaient pas du champ d'application du droit de préférence le cas d'acquisition d'un contrôle conjoint de la personne morale ; qu'en l'espèce, la société M. Bricolage rappelait dans ses conclusions que bien que la cession d'actions conclue au profit de la société Bricorama n'ait porté que sur 49 % du capital de la société Bricoried, les statuts de cette société, transformée en société par actions simplifiée, avaient été simultanément modifiés de manière à conférer à la société Bricorama des prérogatives exorbitantes, telles que le pouvoir de révoquer à sa seule discrétion le président de la société, celui de s'opposer par sa seule absence aux assemblées générales à toute délibération de cet organe, le quorum étant fixé à 100 %, ainsi qu'un droit de veto sur toutes les décisions de gestion importantes de la société, en sorte que la société Bricorama avait, du fait de ces modifications statutaires, acquis le contrôle, sinon exclusif, à tout le moins conjoint, de cette société ; que pour débouter la société M. Bricolage de ses demandes, la cour d'appel a énoncé que les termes de la clause susvisée ne souffraient " d'aucune ambiguïté " et ne nécessitaient " aucune interprétation ", leur signification étant de soumettre au droit de préférence de la société M. Bricolage les seules cessions portant sur plus de 50 % du capital ; qu'en se prononçant de la sorte, cependant que la notion de " contrôle d'une personne morale " était également ambiguë en ce que la clause susvisée n'excluait pas expressément l'hypothèse de l'acquisition d'un contrôle conjoint de la personne morale, pourtant consacrée dans toutes les définitions légales de la notion de contrôle, la cour d'appel a violé de plus fort les articles 1134 et 1161 du Code civil ;
Mais attendu qu'en présence d'une clause ne précisant pas ce qu'il faut entendre par "vente des parts sociales, actions ou autre titre assurant le contrôle de la personne morale qui exploite le magasin concerné", la cour d'appel n'a fait qu'user de son pouvoir souverain d'interprétation de la commune intention des parties en retenant qu'étaient soumises au droit de préférence et de préemption de la société M. Bricolage les seules cessions portant sur plus de 50 % des parts ou actions représentant le capital de la société Bricoried ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen : - Attendu que la société M. Bricolage fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes de dommages-intérêts, alors, selon le moyen : 1°) qu'indépendamment de ses demandes tendant à l'annulation de la cession d'actions intervenue au profit de la société Bricorama et à l'exécution forcée du pacte de préférence, la société M. Bricolage présentait également des demandes indemnitaires contre les intimés ; qu'à l'appui de ces demandes, la société M. Bricolage faisait valoir que constituait une manœuvre de concurrence déloyale le fait, de la part des intimés, d'avoir orchestré l'acquisition immédiate par la société Bricorama, principale concurrente du réseau M. Bricolage, d'une participation, même minoritaire, dans le capital de la société Bricoried sans attendre l'expiration du préavis de rupture du contrat de franchise, plaçant ainsi la société Bricorama en situation d'accéder à des informations confidentielles sur la stratégie commerciale et tarifaire du réseau M. Bricolage ; qu'en se bornant à énoncer qu'elle avait " recherché vainement dans les productions des parties les éléments permettant de caractériser une fraude commise par l'ensemble des intimés qui auraient eu un comportement fautif ou déloyal ou frauduleux dans l'intention de nuire à la société M. Bricolage et dans l'intention de l'empêcher d'exercer son droit de préemption, alors que le débat montre que cette société était informée de l'intention des époux Nebout de vendre une partie des actions de leur fonds de commerce pour avoir de la trésorerie et informée du changement d'enseigne ", cependant que les demandes indemnitaires de la société M. Bricolage appelaient une réponse distincte de celles fondées sur la violation du pacte de préférence et la fraude, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 2°) qu'un franchiseur n'est jamais tenu de renoncer au préavis de rupture du contrat de franchise convenu en sa faveur, à la seule fin de minorer le dommage que lui cause la prise de participation d'un concurrent dans le capital d'une société franchisée ; que, pour nier l'existence même d'un préjudice réparable pour la société M. Bricolage, la cour d'appel s'est bornée à relever, par motif adopté des premiers juges, que si la société M. Bricolage avait des informations confidentielles à préserver du regard de la société Bricorama, elle aurait pu et dû résilier le contrat de franchise la liant à la société Bricoried ou dispenser son franchisé de l'exécution du préavis convenu ; qu'en se prononçant de la sorte, la cour d'appel a violé les articles 1147 et 1382 du Code civil ;
Mais attendu que, par motifs adoptés, l'arrêt retient que la société M. Bricolage ne démontre pas que la société Bricorama ait eu accès à des données commerciales confidentielles et à des savoir-faire particuliers ; qu'il retient encore que les techniques employées dans le marché du bricolage sont sensiblement les mêmes chez chaque concurrent et que d'ailleurs il existe de nombreuses informations précises à destination de tiers qui sont diffusées par le biais des sites Internet de ces enseignes ; qu'en l'état de ces appréciations desquelles elle a déduit que la société M. Bricolage ne rapportait pas la preuve d'actes de concurrence déloyale commis à son détriment, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la seconde branche, légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le deuxième moyen : - Vu l'article 1134 du Code civil, ensemble le principe selon lequel la fraude corrompt tout ; - Attendu que pour rejeter la demande d'annulation pour fraude de la cession intervenue entre les sociétés Men Finances et Bricorama, l'arrêt retient, par motifs propres, que la société M. Bricolage était informée de l'intention de M. et Mme Nebout de vendre une partie des actions de leur fonds de commerce pour avoir de la trésorerie et qu'elle était également informée du changement d'enseigne ; qu'il retient encore, par motifs adoptés, que même s'il y a eu entente entre les sociétés Bricoried, Men Finances et Bricorama et M. et Mme Nebout, rien ne permet de qualifier une telle entente de frauduleuse, puisque M. et Mme Nebout, qu'ils soient détenteurs des parts de la société Bricoried à titre personnel ou par l'intermédiaire d'une société holding créée pour l'occasion, avaient parfaitement le droit de vendre à qui ils le souhaitaient une part minoritaire du capital de la société Bricoried et qu'ils pouvaient aussi décider de changer de franchiseur en résiliant la charte conclue avec la société M. Bricolage à condition de respecter le préavis prévu, ce qui a été le cas ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le choix de la société Men Finances de limiter à 49 % la fraction du capital de la société Bricoried cédée à la société Bricorama, aussitôt contredit par l'octroi de prérogatives exorbitantes au profit de cette dernière à la faveur d'une modification des statuts, ne participait pas du dessein de dissimuler un changement dans le contrôle de la société Bricoried et d'éluder ainsi le droit de préférence et de préemption de la société M. Bricolage, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Par ces motifs : Casse et Annule, mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes de la société M. Bricolage tendant à l'annulation de la cession intervenue entre les sociétés Men Finances et Bricorama et à l'exécution forcée du droit de préférence et de préemption convenu en sa faveur, et en ce qu'il a statué sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile et sur les dépens, l'arrêt rendu le 30 novembre 2011, entre les parties, par la Cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Lyon, autrement composée.