Cass. crim., 27 février 2013, n° 11-88.471
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Rapporteur :
M. Soulard
Avocat général :
M. Lacan
Avocats :
SCP Piwnica, Molinié, SCP Célice, Blancpain, Soltner, Me Ricard
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, contre l'ordonnance du premier président de la Cour d'appel d'Orléans, en date du 8 novembre 2011, qui a annulé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention l'autorisant à effectuer des opérations de visite et saisie en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; - Vu les mémoires en demande, en défense et complémentaire produits ;
Sur la recevabilité du pourvoi, contestée par le mémoire en défense : - Attendu que le pourvoi a été formé par des agents habilités à agir au nom du ministre de l'Economie, des finances et de l'industrie ;
Qu'il s'ensuit que ce pourvoi est recevable ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 542, 561 et 562 du Code de procédure civile, L. 450-4 du Code de commerce, 6 § 1 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que, l'ordonnance attaquée a annulé l'ordonnance déférée en ce qu'elle a autorisé des opérations de visite et de saisie dans les locaux de la société X et ordonné la restitution immédiate à la société X des documents saisis dans ses locaux ;
"aux motifs que, selon l'article L. 450-4 du Code de commerce, le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; que cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite ; qu'il s'évince encore des articles 6 § 1 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme que le juge ne doit pas pouvoir être suspecté de partialité et qu'il ne peut être porté atteinte au respect du domicile que pour des motifs sérieux au regard de l'objet de la demande ; qu'en l'espèce, il ressort des pièces produites que la Direccte ayant convenu avec le juge des libertés et de la détention de lui présenter sa requête le 11 janvier 2011 à 14:30, elle lui a adressé, par e-mail du 5 janvier 2011, une copie de sa requête et un projet d'ordonnance ; que le 11 janvier 2011, à l'heure convenue, l'Administration a présenté officiellement sa requête et a transmis ses pièces ; que l'ordonnance a été rendue le jour même vers 16:00, conforme au projet de la Direccte, le juge se bornant à apposer de façon manuscrite son nom en première page de l'ordonnance prérédigée, ainsi qu'en dix-septième et dernière page, la date de l'ordonnance et la date avant laquelle les opérations autorisées devraient être effectuées ; que la pratique des ordonnances pré-rédigées par l'Administration qui, sous couvert de faciliter la tâche du magistrat, tend en réalité à orienter sa décision, est à proscrire absolument en ce qu'elle constitue une ingérence de l'Administration dans les pouvoirs dévolus à l'autorité judiciaire et est ainsi contraire au droit du justiciable à un tribunal indépendant et impartial ; que les dérives auxquelles conduit cette pratique sont ici manifestes, dès lors qu'il est évident que le premier juge n'a pas pu examiner sérieusement les pièces produites en à peine une heure et demie, et que l'on peut même légitimement s'interroger sur le point de savoir s'il a lu le projet d'ordonnance qu'il a validé, alors qu'il l'a signé tel quel sans même corriger les erreurs matérielles qu'il contenait ; que le premier juge n'a ainsi pas rempli son office et que son ordonnance mérite donc l'annulation ; que cette annulation entraînant ipso facto l'annulation des opérations de visite et de saisie autorisées, le recours contre ces opérations devient sans objet ;
"alors que, le juge du second degré, lorsqu'il est saisi d'une décision portant autorisation de visites, l'est dans le cadre d'un appel ; que dès lors, au titre de l'effet dévolutif, le juge du second degré se doit, en tout état de cause, si même il estime devoir annuler l'ordonnance, s'interroger sur le bien-fondé de la requête de l'Administration à l'effet de déterminer si l'autorisation de visites, quelle qu'en soit la forme prise, est légalement justifiée ; qu'en s'abstenant de le faire, le juge du second degré a méconnu son office en violation des articles L. 450-4 du Code de commerce, 542, 561 et 562 du Code de procédure civile ;
"alors que, la pratique des ordonnances pré-rédigées par la partie requérante ne tend qu'à faciliter le travail du magistrat et non à orienter sa décision, qu'elle ne constitue pas une ingérence dans les pouvoirs dévolus à l'autorité judiciaire, et n'est nullement contraire au droit du justiciable à un tribunal indépendant et impartial ; qu'en se déterminant comme il l'a fait, quand les motifs et le dispositif de l'ordonnance rendue en application de l'article L. 450-4 du Code de commerce sont réputés établis par le juge qui l'a rendue et signée et que le nombre et l'importance des pièces produites ne peuvent à eux seuls laisser présumer que celui-ci s'est trouvé dans l'impossibilité de les examiner et d'en déduire l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles, le premier président, qui a statué par des motifs impropres à établir que le juge n'aurait pas rempli son office, a privé sa décision de base légale" ;
Vu l'article 561 du Code de procédure civile ; - Attendu que, selon ce texte, l'appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d'appel pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit ;
Attendu qu'après avoir énoncé que le premier juge s'était borné à reproduire les motifs de la requête de l'Administration sans examiner les pièces produites, l'ordonnance attaquée a annulé sa décision sans se prononcer elle-même sur le bien-fondé de la requête ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi et alors, au surplus, que les motifs et le dispositif d'une ordonnance sur requête sont réputés avoir été établis par le juge qui l'a rendue et signée, le premier président a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ; d'où il suit que la cassation est encourue ;
Et sur le second moyen de cassation, pris de la violation de l'article L. 450-4 du Code de commerce ;
"en ce que, l'ordonnance attaquée, après avoir annulé l'ordonnance déférée en ce qu'elle a autorisé des opérations de visite et de saisie dans les locaux de la société X, a ordonné la restitution immédiate à la société X des documents saisis dans ses locaux ;
"aux motifs que, selon l'article L. 450-4 du Code de commerce, le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; que cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite ; qu'il s'évince encore des articles 6 § 1 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme que le juge ne doit pas pouvoir être suspecté de partialité et qu'il ne peut être porté atteinte au respect du domicile que pour des motifs sérieux au regard de l'objet de la demande ; qu'en l'espèce, il ressort des pièces produites que la Direccte ayant convenu avec le juge des libertés et de la détention de lui présenter sa requête le 11 janvier 2011 à 14:30, elle lui a adressé, par e-mail du 5 janvier 2011, une copie de sa requête et un projet d'ordonnance ; que le 11 janvier 2011, à l'heure convenue, l'Administration a présenté officiellement sa requête et a transmis ses pièces ; que l'ordonnance a été rendue le jour même vers 16:00, conforme au projet de la Direccte, le juge se bornant à apposer de façon manuscrite son nom en première page de l'ordonnance prérédigée, ainsi qu'en dix-septième et dernière page, la date de l'ordonnance et la date avant laquelle les opérations autorisées devraient être effectuées ; que la pratique des ordonnances pré-rédigées par l'Administration qui, sous couvert de faciliter la tâche du magistrat, tend en réalité à orienter sa décision, est à proscrire absolument en ce qu'elle constitue une ingérence de l'Administration dans les pouvoirs dévolus à l'autorité judiciaire et est ainsi contraire au droit du justiciable à un tribunal indépendant et impartial ; que les dérives auxquelles conduit cette pratique sont ici manifestes, dès lors qu'il est évident que le premier juge n'a pas pu examiner sérieusement les pièces produites en à peine une heure et demie, et que l'on peut même légitimement s'interroger sur le point de savoir s'il a lu le projet d'ordonnance qu'il a validé, alors qu'il l'a signé tel quel sans même corriger les erreurs matérielles qu'il contenait ; que le premier juge n'a ainsi pas rempli son office et que son ordonnance mérite donc l'annulation ; que cette annulation entraînant ipso facto l'annulation des opérations de visite et de saisie autorisées, le recours contre ces opérations devient sans objet ;
"alors que, l'ordonnance du premier président de la cour d'appel est susceptible d'un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le Code de procédure pénale, que les pièces saisies sont conservées jusqu'à ce qu'une décision soit devenue définitive ; qu'en ordonnant la restitution immédiate à la société X des documents saisis dans ses locaux après avoir annulé l'ordonnance déférée, quand sa décision susceptible de pourvoi en cassation n'était pas encore définitive, le premier président de la cour d'appel a violé l'article L. 450-4 du Code de commerce" ;
Vu l'article L. 450-4 du Code de commerce ; - Attendu que, selon ce texte, les pièces saisies, par l'administration de la concurrence, sont conservées jusqu'à ce que la décision soit devenue définitive ;
Attendu qu'il résulte de l'ordonnance que le premier président a, après avoir annulé la décision du juge des libertés et de la détention, ordonné la restitution immédiate, à la société X, des documents saisis dans ses locaux ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, le premier président a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ; d'où il suit que la cassation est à nouveau encourue ;
Par ces motifs : casse et annule, en toutes ses dispositions, l'ordonnance susvisée du premier président de la Cour d'appel d'Orléans, en date du 8 novembre 2011, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, renvoie la cause et les parties devant le premier président de la Cour d'appel de Versailles, à ce désigné par délibération spéciale prise en chambre du conseil.