Livv
Décisions

Cass. crim., 27 février 2013, n° 11-88.470

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

President :

M. Louvel

Rapporteur :

M. Soulard

Avocat général :

M. Lacan

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, SCP Célice, Blancpain, Soltner, Me Ricard

Orléans, prés., du 8 nov. 2011

8 novembre 2011

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société X, contre l'ordonnance du premier président de la Cour d'appel d'Orléans, en date du 8 novembre 2011, qui a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant l'Administration de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à effectuer des opérations de visite et saisie de documents en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 du Code de commerce, 6 et 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, 591 et 593 du Code de procédure pénale, excès de pouvoir, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que, l'ordonnance attaquée a confirmé l'autorisation accordée au juge des libertés et de la détention de pratiquer des visites et des saisies dans les locaux occupés par la société X ;

"1°) alors qu'il résultait de l'ordonnance frappée d'appel que le juge des libertés s'était borné à apposer son nom manuscrit et sa signature sur une ordonnance pré-rédigée par l'Administration, sans avoir le temps matériel, en une heure et trente minutes, d'examiner les pièces produites ; qu'une telle pratique est contraire à l'exigence de procès équitable posée par la Convention européenne des Droits de l'Homme ;

"2°) alors que l'ordonnance attaquée, qui avait autorisé les visites et les saisies non seulement dans les locaux de l'exposante mais également dans ceux occupés par la société Y, a été annulée, par une ordonnance rendue le 8 novembre 2011 par le délégué du premier président de la Cour d'appel d'Orléans, en raison de la méconnaissance des exigences de la Convention européenne des Droits de l'Homme, au motif que le juge des libertés s'était borné à signer une ordonnance pré-rédigée sans avoir le temps matériel d'examiner les pièces produites par l'Administration ; que dès lors, le délégué du premier président ne pouvait maintenir cette même ordonnance en ce qu'elle avait autorisé les visites et saisies dans les locaux occupés par l'exposante ; qu'il a ainsi excédé ses pouvoirs" ;

Attendu que le moyen, nouveau et mélangé de fait en ce qu'il invoque pour la première fois devant la Cour de cassation des moyens de nullité non soulevés devant le juge du fond est, comme tel, irrecevable ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 du Code de commerce, 6 et 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que, l'ordonnance attaquée a confirmé l'autorisation accordée au juge des libertés et de la détention de pratiquer des visites et des saisies dans les locaux occupés par la société X ;

"aux motifs que, la société X soutient, en premier lieu, que le recours par l'Administration à la procédure de l'article L. 450-4 du Code de commerce était manifestement disproportionné, dès lors qu'elle n'avait pas jugé utile de solliciter l'autorisation de visiter les locaux de la société Z, pourtant suspectée par elle d'avoir présenté une "offre de couverture" pour la délégation de service public pour les services de transport départementaux de voyageurs, finalement obtenue par le "groupe" A (dont fait partie la société X) resté seul candidat ; mais que la société X est sans qualité pour contester le choix de l'Administration de solliciter l'autorisation de ne visiter que les locaux de l'un des auteurs présumés de pratiques anticoncurrentielles ; que, bien évidemment, la renonciation de l'Administration à visiter les locaux de la société Z, qui ne préjuge au demeurant en rien de ses initiatives ultérieures, surtout s'il apparaissait que l'effacement de la société Z a eu des contreparties dans d'autres départements, ne signifie nullement que la visite des locaux de la société X était inutile ; que le premier moyen doit donc être rejeté ;

"alors que le juge doit vérifier concrètement que la demande d'autorisation qui lui est présentée est fondée ; que la mesure sollicitée doit également être proportionnée ; que la circonstance selon laquelle l'Administration n'a pas jugé utile de solliciter une autorisation de visiter les locaux de l'ensemble des entreprises visées par l'enquête en cause, constitue une présomption de ce que ces mesures n'étaient pas nécessaires ; qu'en refusant de s'interroger sur la portée de cette présomption, le délégué du premier président a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 450-4 du Code de commerce" ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 du Code de commerce, 6 et 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que, l'ordonnance attaquée a confirmé l'autorisation accordée au juge des libertés et de la détention de pratiquer des visites et des saisies dans les locaux occupés par la société X ;

"aux motifs que, la société X prétend en deuxième lieu, que l'Administration n'aurait pas mis le premier juge en mesure d'effectuer un contrôle exhaustif de la demande d'autorisation de visite et saisie ; qu'ainsi, elle lui reproche de ne pas avoir transmis au premier juge le cahier des charges et le dossier de consultation de la délégation de service public, de même que les questions/réponses entre le conseil général et les candidats, ainsi qu'une annexe VI-1-4 complète, ou encore, s'agissant des marchés de services de transport des collégiens, de lui avoir fourni des cartes peu explicites ; mais que, selon l'article L. 450-4 du Code de commerce, la demande doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite ; qu'ainsi, à ce stade de la procédure, où il ne s'agit pas de démontrer l'existence des pratiques anticoncurrentielles, mais de justifier des motifs sérieux qu'a l'Administration de suspecter l'existence de telles pratiques, sans quoi il serait inutile de saisir le juge des libertés et de la détention, il importe peu que des pièces n'aient pas été produites ou que d'autres aient été incomplètes ou peu explicites, dès lors que la société X n'explique pas en quoi ces pièces étaient de nature à modifier l'opinion du premier juge sur la demande qui lui était présentée, et qu'au demeurant, ainsi qu'on va le voir, ces pièces n'avaient aucun intérêt ; que le deuxième moyen est donc encore rejeté ;

"1°) alors que, la demande de l'Administration doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur ; que l'Administration, tenue d'une obligation de loyauté, doit ainsi fournir au juge l'ensemble des éléments qui pourraient l'éclairer sur la nécessité d'accorder ou de refuser l'autorisation sollicitée ; que la cour d'appel ne pouvait donc, après avoir constaté que certains éléments en possession de l'Administration n'avaient pas été produits à l'appui de sa requête, juger valable l'autorisation demandée sans s'expliquer sur la portée de ceux-ci ;

"2°) et alors que, dans ses conclusions, la société X faisait notamment valoir que les pièces omises auraient permis au juge d'avoir une exacte connaissance de l'ampleur des prestations qui étaient demandées et d'apprécier la véracité des affirmations de l'Administration basées expressément sur des cartes alors même que celles-ci ne faisaient pas apparaître l'implantation des collèges ; que le délégué du premier président ne pouvait donc énoncer que la société exposante n'expliquait pas en quoi les pièces litigieuses auraient pu changer l'opinion du juge" ;

Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 du Code de commerce, 6 et 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que, l'ordonnance attaquée a confirmé l'autorisation accordée au juge des libertés et de la détention de pratiquer des visites et des saisies dans les locaux occupés par la société X ;

"aux motifs que, la société X fait, en troisième lieu, grief au premier juge d'avoir effectué un contrôle très superficiel des pièces qui lui avaient été transmises, pour, en définitive, reprenant les uns après les autres les différents marchés en cause, en conclure qu'aucune pratique anticoncurrentielle n'était établie ; mais que le juge des libertés et de la détention, pour fonder sa décision, n'est pas tenu d'examiner toutes les pièces produites par l'Administration, dès lors que certaines sont suffisamment pertinentes pour asseoir sa conviction du caractère sérieux des soupçons de l'Administration ; qu'en l'espèce, sont en cause trois marchés passés par le département du Loiret ou la ville d'Orléans pour le transport scolaire ou le transport privé de voyageurs, ainsi qu'une délégation de service public pour les transports départementaux de voyageurs ; que les trois marchés ont donné lieu à une répartition en lots, respectivement de vingt, cinq et deux ; que les vingt-sept lots ont fait l'objet d'une candidature unique ; que, si certes l'existence de candidatures uniques n'est pas en soi la preuve absolue d'une entente illicite en vue de se partager le marché, elle en constitue néanmoins une forte présomption lorsque, comme en l'espèce, ces candidatures uniques sont nombreuses et systématiques dans trois marchés distincts ; qu'en outre, s'agissant du marché passé par le département pour le service de transport privé, il convient d'observer que d'autres sociétés, telles la société Z ou la société B, avaient paru manifester un intérêt pour l'appel d'offres en retirant un dossier mais n'ont pas donné suite, alors que la première, ainsi qu'on le verra plus loin, avait laissé le champ libre au "groupe" A pour l'obtention de la délégation de service public et que la seconde était fortement soupçonnée d'entente illicite pour la passation des marchés de transport scolaire ; qu'encore, s'agissant du service départemental de transport de collégiens, on note, entre les marchés 2007/2008 et 2008/2009, des augmentations importantes de 15 à 25 % sur certains lots qui paraissent traduire la certitude de leurs attributaires de ne pas être concurrencés ; que, s'agissant de la délégation de service public, l'Administration a pu encore à juste titre s'étonner de l'attitude de la société Z qui, présentant une offre plus élevée que son concurrent, n'avait pas présenté de variante comme l'avait fait celui-ci, ni n'avait jugé utile de participer à la seconde séance de négociations du 7 mai 2009 ; que, de même, s'agissant du service de transport de la ville d'Orléans, se fondant sur l'estimation du marché qu'avait faite celle-ci, dont rien ne permet de douter de la pertinence, le premier juge a pu considérer que le dépassement de 35 % réclamé par les sociétés X et Y, candidats uniques, était un indice supplémentaire de pratiques anticoncurrentielles ; que, dans ces conditions, le premier juge a à bon droit accueilli la requête de l'Administration ;

"1°) alors que, le délégué du premier président ne pouvait considérer que le fait que certains lots aient fait l'objet d'une candidature unique constituait un indice de pratique anticoncurrentielle, sans rechercher si, comme le soutenait la société X, cette situation ne s'expliquait pas par le fait que les entreprises qui n'étaient pas déjà attributaires d'un lot n'avaient pas un intérêt commercial suffisant à investir dans un nouveau marché ;

"2°) alors que, de même, le comportement de la société Z, qui n'était pas visée par la demande d'autorisation, ne pouvait être prise en considération par les juges du fond à titre d'indice de pratiques anticoncurrentielles ;

"3°) alors qu'en énonçant que les augmentations de prix "paraissent traduire la certitude de leurs attributaires de ne pas être concurrencés", le délégué du premier président a énoncé un motif hypothétique ;

"4°) alors que, le juge des libertés ne pouvait considérer que l'augmentation des prix d'une année sur l'autre constituait un indice de pratique anticoncurrentielle, sans répondre au moyen de la société X, qui faisait valoir que cette augmentation était le fait d'une seule des entreprises concernées, la société Y, et ne pouvait être imputée à l'ensemble des entreprises du secteur" ;

Les moyens étant réunis ; - Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que le premier président de la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont il était saisi et caractérisé, s'étant référé, en les analysant, aux éléments d'information fournis par l'Administration, l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles justifiant la mesure autorisée ; d'où il suit que les moyens ne sauraient être admis ;

Et attendu que l'ordonnance est régulière en la forme ;

Rejette le pourvoi.