Livv
Décisions

Cass. com., 26 février 2013, n° 11-27.139

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

H&M (SARL), H&M AB (Sté)

Défendeur :

Emilio Pucci SRL (Sté), Williamson

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Rapporteur :

Mme Mandel

Avocat général :

Mme Batut

Avocats :

SCP Hémery, Thomas-Raquin, Mes Bertrand, Balat

Paris, pôle 1, ch. 2, du 6 juill. 2011

6 juillet 2011

LA COUR : - Sur le moyen unique : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 juillet 2011), que la société Emilio Pucci (la société Pucci), qui exerce ses activités dans le domaine de la création et de la distribution d'articles de prêt à porter et d'accessoires, a employé M. Williamson en qualité de directeur artistique de 2005 à 2008 ; qu'une collection de vêtements et d'accessoires, conçue par M. Williamson, pour le groupe H&M, a été diffusée en avril 2009 sous la dénomination "Matthew Williamson pour H&M" ; que faisant valoir que des annonces promotionnelles pour cette collection présentaient les articles comme émanant de la maison "Pucci" et que certains reproduisaient des modèles "Pucci", la société Pucci a fait assigner la société de droit suédois H&M Hennes et Mauritz AB et la société de droit français H&M Hennes et Mauritz (les sociétés H&M AB et H & M) ainsi que M. Williamson devant le Tribunal de grande instance de Paris pour contrefaçon de droits d'auteur et concurrence déloyale et parasitaire ;

Attendu que les sociétés H&M AB et H&M font grief à l'arrêt d'avoir rejeté l'exception d'incompétence territoriale qu'elles avaient soulevée, alors, selon le moyen : 1°) que l'article 2, 1 du Règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000 dispose que les personnes domiciliées sur le territoire d'un Etat membre doivent en principe être attraites devant les juridictions de cet Etat ; que si par exception, ces mêmes personnes peuvent aussi être attraites, en vertu de l'article 6, 1 du Règlement, lorsqu'il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l'un d'eux, c'est à la condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément ; que d'éventuelles divergences entre les décisions rendues par les différentes juridictions nationales ne les rendent pas pour autant contradictoires lorsqu'elles ne s'inscrivent pas dans le cadre d'une même situation de fait et de droit ; qu'il ne peut être conclu à l'existence d'une même situation de fait lorsque les défendeurs sont différents et que les actes de contrefaçon et de concurrence déloyale qui leur sont reprochés sont matériellement distincts et ont été commis sur le territoire d'Etats différents ; qu'il ne peut non plus être conclu à l'existence d'une même situation de droit lorsque les actions en contrefaçon doivent être appréciées au regard de droits substantiels différents ; que pour déclarer la juridiction française compétente, par application de l'article 6, 1 du Règlement du 22 décembre 2000, pour statuer sur les demandes formées contre la société suédoise H&M AB, la cour d'appel s'est fondée sur le seul fait que les demandes, mettant en cause des droits relatifs à des modèles sur lesquels la société Pucci prétendait détenir des droits d'auteur et relatifs à un style de vêtements, étaient dirigées contre la société suédoise H&M AB et sa filiale française et a retenu que ces demandes, qui reposaient sur la contrefaçon et la concurrence déloyale, avaient un fondement juridique similaire ; qu'en statuant de la sorte, en ignorant que les demandes, dirigées contre deux personnes morales distinctes, ne tendaient pas aux mêmes fins, la contrefaçon par reproduction des modèles n'étant imputée qu'à la société suédoise H&M AB, que les actes de concurrence déloyale étaient eux-mêmes matériellement différents, la société Pucci ayant reproché à la filiale française H&M d'avoir commercialisé les vêtements de la collection " Matthew Williamson pour H&M " et à la société suédoise H&M AB de les avoir fournis, et que les demandes devaient être examinées par le juge français et le juge suédois au regard de législations différentes, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à établir que les décisions qui seraient rendues par les juridictions nationales respectives des deux sociétés défenderesses s'inscrivaient dans une même situation de fait et de droit, a violé les articles 2, 1 et 6, 1 du Règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ; 2°) que dans des conclusions demeurées sans réponse, les sociétés H&M faisaient valoir que les actes de contrefaçon, consistant en la reproduction, dans le cadre d'une campagne promotionnelle dans la presse française et dans le magazine H&M été 2009 accessible sur le site internet de la société suédoise H&M AB, des droits d'auteur portant sur deux modèles de vêtements dont la société Pucci se disait titulaire ne pouvaient être imputés qu'à la seule société de droit suédois H&M AB, à l'initiative de laquelle avait été réalisée la campagne publicitaire et qui était seule propriétaire du nom de domaine, la société de droit français H&M n'ayant eu aucune part dans la commission de ces actes ; qu'elles faisaient valoir en outre que les actes de concurrence déloyale allégués, tenant à la commercialisation en France par la société de droit français H&M de vêtements de la collection " Matthew Williamson pour H&M " n'étaient pas imputables à la société de droit suédois H&M AB, les sociétés H&M ayant contesté que ces vêtements aient été fournis par la société de droit suédois H&M AB ; qu'en n'apportant aucune réponse à ces conclusions propres à démontrer que les décisions qui seraient rendues respectivement par les juridictions françaises et suédoises ne s'inscrivaient pas dans une même situation de fait et qu'il n'existait aucun risque que des décisions inconciliables, au sens de l'article 6, 1 du Règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000, soient rendues, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ; 3°) que dans ses conclusions devant la cour d'appel, la société Pucci n'imputait qu'à la seule société suédoise H&M AB d'avoir eu l'initiative de la campagne publicitaire dans la presse à l'occasion de laquelle auraient été reproduits les modèles sur lesquels elle revendiquait des droits et de la diffusion du magazine H&M été 2009 ayant servi de véhicule à la même reproduction sur le site internet dont cette société était le seul titulaire ; qu'elle n'imputait en revanche qu'à la seule société française H&M d'avoir commercialisé les vêtements de la collection " Matthew Williamson pour H&M ", la société suédoise H&M AB ayant selon elle fourni ces produits ; qu'en énonçant que les demandes présentées contre la société française H&M et la société suédoise H&M AB étaient " les mêmes " et que les demandes formées contre ces deux sociétés portaient sur la reproduction de deux modèles PUCCI et la représentation ainsi que la commercialisation de vêtements de M. Williamson, à l'origine d'une même situation de fait, la cour d'appel a méconnu les termes du litige tels qu'ils étaient fixés par ces conclusions en violation de l'article 4 du Code de procédure civile ; 4°) que l'action en contrefaçon et l'action en concurrence déloyale procèdent de causes différentes et ne tendent pas aux mêmes fins ; qu'en retenant l'existence d'un lien de connexité entre les actions en contrefaçon et en concurrence déloyale respectivement formées contre la société H&M AB et la société H&M, justifiant qu'il soit fait application de la compétence exceptionnelle prévue par l'article 6, 1 du Règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000, pour la raison que le fondement juridique des actions à l'encontre de ces deux sociétés était " similaire ", la cour d'appel a violé ce texte, en semble l'article 1382 du Code civil ; 5°) que la compétence prévue par l'article 6, 1 du Règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000, en faveur du tribunal du domicile d'un codéfendeur et au détriment de la compétence de principe du tribunal du domicile du défendeur, est une compétence exceptionnelle qui, aux termes du considérant n° 12 du Règlement ne peut être retenue qu'en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice ; que le choix arbitraire de la juridiction en fonction des seuls intérêts du demandeur (forum shopping), à le supposer démontré, est de nature à exclure qu'il soit dérogé à la compétence de principe du tribunal du domicile du défendeur et qu'il soit fait application de la compétence exceptionnelle prévue par l'article 6, 1 du Règlement ; qu'en déclarant inopérants les développements des sociétés H&M portant sur la volonté de la société Pucci, en vue de la seule satisfaction de ses intérêts personnels, de priver la société suédoise H&M AB de son for de compétence naturelle, la cour d'appel a violé les articles 2, 1 et 6, 1 du Règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ; 6°) qu'après avoir constaté que la réparation réclamée à la filiale française H&M était incluse dans la réparation "mondiale" réclamée à la société de droit suédois H&M AB et faisait partie de cette réparation, la cour d'appel devait en déduire que le lien étroit entre la juridiction et le litige, qui peut justifier, selon le considérant n° 12 du Règlement du 22 décembre 2000, qu'il soit fait exception, au profit du tribunal du domicile d'un codéfendeur, à la compétence de principe du tribunal du domicile du défendeur, désignait les juridictions suédoises comme seules compétentes, sans que la vue de faciliter une bonne administration de la justice justifie que la société de droit suédois H&M AB soit soustraite à son for naturel ; qu'en retenant la compétence des tribunaux français, la cour d'appel a violé pour cette raison encore les articles 1,1 et 6, 1 du Règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ;

Mais attendu, en premier lieu, que la société Pucci ayant, dans son assignation, imputé des actes de contrefaçon des mêmes modèles de vêtements tant à la société H&M AB qu'à la société H & M et fait état de ce que ces deux sociétés avaient cherché volontairement à créer une confusion dans l'esprit du public entre la collection "capsule" de vêtements et d'accessoires et le style Pucci et à profiter du savoir-faire et des investissements que la société Pucci consacrait chaque année à la création, à la présentation et à la promotion de plusieurs lignes de couture, c'est sans méconnaître les termes du litige que la cour d'appel a retenu que les demandes présentées contre les sociétés H&M AB et H&M s'inscrivaient dans une même situation de fait ;

Attendu, en deuxième lieu, que l'article 6, point 1, du règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000 s'applique lorsqu'il y a intérêt à instruire et à juger ensemble des demandes formées contre différents défendeurs afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément, sans qu'il soit nécessaire en outre d'établir de manière distincte que les demandes n'ont pas été formées à la seule fin de soustraire l'un des défendeurs aux tribunaux de l'Etat membre où il est domicilié ; que l'arrêt, qui relève par motifs adoptés que chacune des sociétés H&M était accusée séparément de contrefaçon des mêmes modèles de vêtements et des mêmes actes de concurrence déloyale et parasitaire, a pu en déduire, en l'absence d'harmonisation du droit d'auteur et de la concurrence déloyale au sein de l'Union, qu'il existait un risque de décisions inconciliables si les demandes étaient jugées séparément ;

Et attendu, enfin, que les sociétés H&M AB et H&M n'ayant pas contesté devant la cour d'appel la compétence du Tribunal de grande instance de Paris pour connaître des demandes de condamnations formées à l'encontre de la société H&M et de M. Williamson, le moyen, pris en sa sixième branche, est nouveau et mélangé de fait et de droit ; d'où il suit que le moyen, qui est irrecevable en sa sixième branche et manque en fait en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.