Cass. crim., 27 février 2013, n° 11-82.446
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Rapporteur :
M. Soulard
Avocat général :
Mme Valdès-Boulouque
Avocats :
SCP Célice, Blancpain, Soltner, Me Ricard
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société X, contre l'ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Douai, en date du 10 mars 2011, qui a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant l'administration de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à effectuer des opérations de visite et saisie de documents, en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; - Vu les mémoires en demande, en défense et complémentaire produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8-1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme, de l'article 102 du Code civil, des articles L. 450-1 et L. 450-4 du Code de commerce, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que, l'ordonnance attaquée (RG 10-08025) du 10 mars 2011 a rejeté le recours de la société X dirigé contre les ordonnances du juge des libertés et de la détention autorisant à procéder à des visites domiciliaires dans les locaux de ladite société ;
"aux motifs qu'à l'appui de son appel la société X reproche au juge de la liberté et de la détention de Lille de s'être borné à signer un projet d'ordonnance rédigé par la DIRECCTE, qui reproduit presque mot pour mot la requête émanée de cette dernière ; qu'elle en déduit que le premier juge qui a rendu son ordonnance le jour même où la requête lui a été présentée n'a pas pu, comme l'article L. 450-4 du Code de commerce lui en faisait l'obligation, vérifier que la demande d'autorisation dont il était saisi était fondée ; que sa décision doit donc être annulée (p. 2) (...) ; mais que les motifs et dispositif de l'ordonnance entreprise sont réputés avoir été établis par le juge qui l'a rendue et signée ; qu'il en va ainsi, alors même, que la décision s'approprie les motifs de la requête de l'Administration, reproduits dans un modèle d'ordonnance que le juge a adopté ; que, d'autre part, l'article L. 450-4 du Code de commerce ne prévoit aucun délai entre la présentation de la requête et le prononcé de la décision ; que le nombre de pièces produites ne saurait, en soi, laisser présumer que le juge s'est trouvé dans l'impossibilité de les examiner et d'en déduire l'existence possible de pratiques anticoncurrentielles ; qu'il est, dès lors, indifférent de rechercher si la requête datée du 18 mai 2010 et remise au premier juge le 21 mai suivant, jour auquel l'ordonnance a été rendue, avait été, comme la DIRECCTE l'affirme, communiquée au magistrat par voie informatique préalablement à sa remise matérielle ; que le moyen de nullité soulevé par la société X doit donc être écarté ;
1°) "alors que, le juge doit, au moins, donner l'image de l'impartialité en vertu de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et que cette exigence fondamentale n'est pas satisfaite lorsque, en présence d'une demande de nature à porter atteinte au domicile de l'entreprise, le juge des libertés et de la détention, dont il est établi qu'il a reçu une ordonnance pré-rédigée par l'administration poursuivante, se contente de motiver sa décision en reproduisant presque mot pour mot les termes de la requête ; qu'en refusant d'annuler l'ordonnance litigieuse tout en constatant qu'elle avait été rendue dans ces conditions, le premier président a violé ensemble les articles 6 et 8-1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme ;
2°) "alors qu'en vertu de l'article L. 450-4 du Code du commerce le juge doit "vérifier" que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; que la reproduction, en termes presque identiques, de la requête élaborée par le service d'enquête ne permet pas, en l'absence de tout élément susceptible de corroborer les données avancées par l'Administration, de s'assurer que le juge des libertés et de la détention a rempli son office ; qu'en se contentant d'affirmer que l'ordonnance entreprise devait être "réputée avoir été établie par le juge qui l'a rendue", sans relever le moindre indice du contrôle qu'aurait dû exercer le juge des libertés et de la détention sur le projet qui lui avait été soumis, le premier Président a violé par refus d'application le texte susvisé ainsi que l'article L. 450-4 du même Code" ;
Attendu que, pour écarter le moyen par lequel la société X faisait grief à la décision du premier juge de se borner à reproduire les termes de la requête dont il était saisi, l'ordonnance attaquée énonce que les motifs et le dispositif de ladite décision sont réputés avoir été établis par le juge qui l'a rendue et signée ;
Attendu qu'en statuant ainsi, le premier président n'a méconnu ni les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce ni les dispositions conventionnelles invoquées ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8-1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme, de l'article 102 du Code civil, des articles L. 450-1 et L. 450-4 du Code de commerce, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que, l'ordonnance attaquée (RG 10-08025) du 10 mars 2011 a rejeté le recours de la société X dirigé contre les ordonnances du juge des libertés et de la détention autorisant à procéder à des visites domiciliaires dans les locaux de ladite société ;
"aux motifs que, la société X observe que le premier juge, dès lors que les faits dénoncés par l'Administration avaient eu lieu entre février 2006 et 2008 et n'étaient, par conséquent, plus en train de se commettre, ne pouvait se contenter de présomptions de pratiques anticoncurrentielles pour justifier les visites domiciliaires qu'il a autorisées (p. 2) ; qu'il n'est pas contesté que les sociétés X, Y, Z et A sont toujours actuellement en activité et à la tête de leurs biens ; que les constatations faites par l'Administration, si elles portent sur des marchés d'exploitation de chauffage et de protection d'eau chaude sanitaire déjà conclus, qui remontent à une date nécessairement antérieure à la requête, ne s'inscrivent pour autant pas dans un contexte révolu puisque le dernier en date des marchés attribués par Y à X, intéressant le centre hospitalier de Doullens, prenait effet le 1er octobre 2008 pour une durée de huit ans et que le plus récent des marchés dans lesquels X, la Z et A avaient présenté, concurremment, des offres, passé avec la commune de Hem, a été attribué à la Z avec effet au 1er janvier 2009 pour une durée de cinq ans susceptibles d'être prolongée pour trois ans ; que le premier juge, considérant dans ces conditions, que rien ne permettrait de retenir que la commission des agissements frauduleux eût cessé, a, à bon droit estimé que les mesures sollicitées par l'Administration visaient à constater des infractions aux dispositions du livre IV du Code du commerce en train de se commettre ; qu'il a pu ainsi, valablement, autoriser les opérations de visite et de saisie sur la foi d'indices faisant présumer, en l'espèce, l'existence des pratiques dont la preuve était recherchée ;
"alors qu'en vertu de l'article L. 450-4, alinéa 2 du Code du commerce, c'est seulement lorsque la visite vise à permettre la constatation d'infractions aux dispositions du livre IV en train de se commettre que la demande d'autorisation peut ne comporter que les indices permettant de présumer l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée ; que, dès lors que la requête visait des appels d'offres et des marché intervenus entre février 2006 et décembre 2009, le premier président de la cour d'appel, qui a confondu les actes d'exécution des marchés et les actes relatifs à la passation de ceux-ci, ne pouvait, sans méconnaître la notion d'infraction en train de se commettre et sans violer le texte susvisé considérer que son champ d'application s'étendait aux actes d'exécution accomplis pendant toute la durée de chacun desdits marchés" ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8-1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme, de l'article 102 du Code civil, des articles L. 450-1 et L. 450-4 du Code de commerce, de l'article 593 du Code de procédure pénale, 1349 du Code civil, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que, l'ordonnance attaquée (RG 10-08025) du 10 mars 2011 a rejeté le recours de la société X dirigé contre les ordonnances du juge des libertés et de la détention autorisant à procéder à des visites domiciliaires dans les locaux de ladite société ;
"aux motifs que, le premier juge qui s'est référé, en les analysant exactement, aux éléments d'information fournis par la DIRECCTE et annexés à sa requête a, par des motifs circonstanciés et que la juridiction d'appel fait siens, apprécié de manière pertinente et concrète l'existence des présomptions de concertation et entente prohibée sur lesquelles se fondent les mesures autorisées ;
1°) "alors qu'en adoptant purement et simplement sur le fond les motifs de l'ordonnance attaquée, le premier président méconnaît le principe selon lequel les présomptions doivent reposer sur des faits établis à partir desquels le juge est autorisé à déduire des conclusions en rapport avec lesdits faits ; que, tel n'est pas le cas de la présomption d'entente déduite du seul constat que "les six marchés précédemment énumérés montrent une attribution systématique des marchés à la société X par le bureau d'étude Y" et de ce que "la notation opérée sur les offres remises par la société X était généralement très supérieure à celle attribuée aux autres soumissionnaires", faute pour le juge d'avoir caractérisé la moindre circonstance laissant supposer un accord de volonté entre l'entreprise et le bureau d'étude et d'avoir répondu aux conclusions de l'exposante faisant valoir que sa sélection sur les six marchés arbitrairement sélectionnés par les enquêteurs reposait toujours sur des performances, notamment en coût, supérieures à celles des concurrents ; qu'ainsi, en se bornant à relever le caractère "systématique" des six attributions susvisées, le juge des libertés et de la détention et le premier président n'ont nullement caractérisé un fait en rapport avec une présomption d'entente et ont violé ensemble les articles 1349 du Code civil, L. 450-4 du Code du commerce ainsi que le principe de la présomption d'innocence ;
2°) "alors que, concernant les autres marchés ni une "raréfaction de la concurrence sur les marchés du chauffage" ni le décalage entre le nombre de dossiers retirés et le nombre d'offres remises, "ni l'existence d'offres remises hors délais" ou affectés "d'erreurs ou d'oublis" ni le fait que la collectivité soit parfois réduite à ne recevoir "qu'une offre unique" (ordonnance p. 10), ce qui constitue les données objectives du marché en cause pendant la période considérée, ne permettent au juge des libertés et de la détention, en l'absence de tout indice de concertation, d'en déduire une présomption d'entente justifiant des mesures attentatoires au domicile des opérateurs ; qu'en statuant, comme il l'a fait, le premier président a violé de plus fort les articles L. 420-1-1°, 2° et L. 450-4 du Code du commerce ainsi que l'article 1349 du Code civil" ;
Les moyens étant réunis ; - Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que le premier président a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont il était saisi et caractérisé, s'étant référé, en les analysant, aux éléments d'information fournis par l'Administration, l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles justifiant la mesure autorisée ; d'où il suit que les moyens ne sauraient être admis ;
Et attendu que l'ordonnance est régulière en la forme ;
Rejette le pourvoi.