Cass. crim., 27 février 2013, n° 11-88.767
COUR DE CASSATION
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Conseil général des Hauts-de-Seine
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Rapporteur :
M. Bayet
Avocat général :
M. Lacan
Avocats :
SCP Piwnica, Molinié, SCP Nicolay, de Lanouvelle, Hannotin, SCP Coutard, Munier-Apaire, Me Foussard
LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par M. X et le Conseil général des Hauts-de-Seine, partie civile, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles, 9e chambre, en date du 9 septembre 2011, qui, pour participation à des ententes prohibées, trafic d'influence, corruption, recel et usage de faux, a condamné le premier à trois ans d'emprisonnement, dont trente mois avec sursis, 75 000 euros d'amende, a ordonné la publication de la décision, et qui, dans la même procédure, a partiellement débouté le second de ses demandes ; - Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I - Sur le pourvoi de M. X : - Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;
II - Sur le pourvoi du Conseil général des Hauts-de-Seine : - Vu les mémoires ampliatif, additionnel et complémentaire en demande, les mémoires en défense produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 420-1 du Code de commerce, 1382 du Code civil, 2, 3, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a débouté le Conseil général des Hauts-de-Seine de sa demande d'indemnisation au titre de son préjudice matériel ;
"aux motifs que la cour ne saurait suivre la partie civile en son raisonnement selon lequel elle devrait condamner les prévenus à " la restitution de l'intégralité des sommes perçues ", dès lors que les travaux objets du marché ont été entièrement et très correctement exécutés (ce qui n'est contesté par personne) et qu'une telle décision ferait bénéficier le Conseil général des Hauts-de-Seine d'un enrichissement indû ; que la cour rappelle que le délit d'entente anticoncurrentielle est susceptible de faire naître pour le maître d'ouvrage une hausse artificielle des prix, soit un préjudice matériel spécifique ; que la cour constate que l'appréciation faite par le tribunal de l'existence et de l'étendue d'un tel préjudice matériel ne repose sur aucun élément concret tiré du dossier ; que la cour constate qu'en l'espèce, l'estimation des prestations effectuées par la maîtrise d'œuvre (non contestée en amont par le conseil général) est supérieure de plus de 10 % au prix de référence du marché tel qu'attribué au groupement Y la moins-disante ; que la maîtrise d'œuvre n'a, à aucun moment, été mise en cause ou poursuivie à raison d'une appréciation frauduleuse et/ou concertée du marché concerné, lequel a été reconduit ; qu'en conséquence, la preuve n'est pas rapportée de l'existence pour le maître d'ouvrage d'un préjudice matériel qui résulterait des délits d'ententes anticoncurrentielles et complicité reprochés à MM. Z, X, A, B et C ni d'ailleurs d'autres délits reprochés à MM. Z et X ; qu'en effet aucun lien ne peut être fait en l'état de l'information judiciaire entre le trafic d'influence actif reproché à X et Michel Z envers les fonctionnaires D et E, non poursuivis, et l'obtention ou l'estimation du marché ;
"1°) alors que, le montant du préjudice qui doit être réparé est celui du dommage résultant de l'infraction ; que l'infraction pour laquelle les prévenus ont été condamnés consiste dans une entente entre plusieurs entreprises aux fins d'obtenir l'attribution du marché ; qu'en conséquence la partie civile s'est trouvée dans l'obligation de contracter avec la société Y du fait de l'atteinte à la libre concurrence du marché ; que le montant du préjudice correspond dès lors au montant du marché qui a été indûment octroyé à la société ; qu'en rejetant la demande d'indemnisation de la partie civile aux motifs que les travaux ont été correctement réalisés par la société Y, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants et n'a pas justifié légalement sa décision ;
"2°) alors que, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que la partie civile invoquait, dans ses conclusions régulièrement déposées, que le montant du préjudice ne pouvait pas être fondé sur le prix du marché qui a été illégalement fixé par les prévenus eux-mêmes ; que la cour d'appel a énoncé que le délit avait fait naître une hausse artificielle des prix et que les prévenus avaient faussé le jeu de la concurrence et obtenu l'attribution du marché en paraissant les moins-disants ; que cependant, la cour d'appel s'est fondée sur le prix du marché attribué à la société Y pour en déduire l'absence de préjudice pour la partie civile ; qu'en se fondant sur ces motifs contradictoires, et sans répondre à l'argument péremptoire de la partie civile, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
"3°) alors que, l'insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à leur absence ; qu'en retenant pour rejeter la demande d'indemnisation de la partie civile, l'absence de lien de causalité entre le trafic d'influence actif reproché à M. X et l'obtention ou l'estimation des marchés, quand il résulte des énonciations de l'arrêt qu'il existait entre les avantages proposés par M. X et l'influence des personnes chargées d'une mission de service public un lien de causalité certain qui s'est maintenu dans le temps, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
"4°) alors qu'une collectivité publique victime d'entente anticoncurrentielle est recevable à demander la réparation des préjudices qu'elle a subi du fait de cette entente dès lors que l'offre de couverture laissant apparaître une entreprise comme mieux-disante est susceptible de provoquer une hausse artificielle des prix ; que le montant du préjudice correspond alors à la différence entre le prix du marché obtenu à l'issue de l'entente et celui qui aurait été obtenu dans des conditions économiques normales ; que les juges du fond ont constaté que le délit d'entente anticoncurrentielle avait fait naître une hausse artificielle des prix ; qu'en conséquence, la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire ou mieux s'en justifier, en déduire l'absence de préjudice, privant ainsi la collectivité publique de son droit à la réparation intégrale de son préjudice" ;
Attendu que, pour évaluer le dommage découlant, pour la partie civile, des infractions dont les prévenus ont été déclarés coupables et retenir qu'il n'en résultait aucun préjudice matériel, l'arrêt attaqué prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, établissant sans insuffisance ni contradiction que les pratiques frauduleuses n'ont eu aucune incidence sur le prix des prestations, la cour d'appel a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette les pourvois.