Livv
Décisions

CA Montpellier, 2e ch., 12 juin 2012, n° 10-02797

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Cytobiotech (SARL)

Défendeur :

EMI - Editions de Medias Internationaux (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chassery

Conseillers :

M. Prouzat, Mme Olive

Avocats :

SCP Auche Hedou, Auche, SCP Gilles Argellies, Fabien Watremet, Mes Leboucher, Gaston, Calaudi

T. com. Montpellier, du 3 mars 2010

3 mars 2010

Faits et procédure - moyens et prétentions des parties :

La SARL Editions de Médias Internationaux (la société EMI), qui exerce une activité d'éditeur de presse, est entrée en contact, le 6 octobre 2008, avec la SAR Cytobiotech, société spécialisée dans le traitement de l'eau, par le biais d'un message publicitaire, adressé par voie de messagerie électronique, proposant la parution d'un encart publicitaire dans l'édition du magasine "Côté Santé" du mois de novembre 2008 au prix de 2 500 euros HT, plus un "publi-rédactionnel" offert dans le magasine de décembre 2008 / janvier 2009.

Un bon de commande n° 200801075 a été retourné, le 7 octobre 2008, par la société Cytobiotech à la société EMI, comportant les mentions suivantes :

"Surface : 1 page quadri sur la date de novembre + 1 page quadri sur la date déc / janv + rédactionnel offert à suivre

Eléments techniques : par transfert de fichier par mail.

Tarif : 2 500 Euros HT net la parution.

Nombre de parution : 2 + rédactionnel offert à suivre.

Prix HT : 2 500 euro net la parution."

Les deux pages commandées sont parues dans les éditions du magasine "Côté Santé" de novembre 2008 et de décembre 2008 / janvier 2009 et ont donné lieu à l'établissement de deux factures n° 262901 et 263050 des 19 octobre et 20 novembre 2008, totalisant 5 000 euros HT, que la société Cytobiotech a néanmoins refusé de régler, malgré une mise en demeure du 7 avril 2009, aux motifs que la facturation de deux parutions au lieu d'une procédait d'une supercherie de la part de l'éditeur, que le "publi-rédactionnel", promis, n'avait pas été publié et que le magasine ne se trouvait disponible dans aucun point de vente, alors qu'il lui avait été annoncée, dans l'email du 6 octobre 2008, une diffusion du magasine à 180 000 exemplaires par numéro.

La société EMI a obtenu, le 7 mai 2009, une ordonnance du président du Tribunal de commerce de Montpellier faisant injonction à la société Cytobiotech de lui payer la somme de 5 980 euros TTC, outre intérêts de droit ; cette dernière a formé opposition à ladite ordonnance, lui ayant été signifiée le 3 juin 2009.

Par jugement du 3 mars 2010, le tribunal, après avoir écarté le moyen soulevé en défense tiré de l'existence de manœuvres dolosives, a condamné la société Cytobiotech à payer à la société EMI la somme de 5 980 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 avril 2009, date de la mise en demeure, ainsi que la somme de 500 euros sur le fondement de l' article 700 du Code de procédure civile.

La société Cytobiotech a régulièrement relevé appel de ce jugement en vue de sa réformation par déclaration reçue le 8 avril 2010 au greffe de la cour.

Fixée initialement à l'audience du 4 octobre 2011, l'affaire a fait l'objet d'un renvoi devant le conseiller de la mise en état, tenant la requête en communication de pièces, déposée le 7 septembre 2011 par la société Cytobiotech.

Par ordonnance du 30 septembre 2011, le conseiller de la mise en état a enjoint à la société EMI de communiquer à la société Cytobiotech le retour de l'exemplaire de la déclaration préalable de dépôt légal correspondant à la revue "Côté Santé" du mois de novembre 2008 et du bimensuel de décembre 2008 et janvier 2009, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la signification de l'ordonnance.

La société Cytobiotech conclut au rejet des prétentions élevées à son encontre et demande à la cour de liquider à la somme de 18 100 euros l'astreinte prononcée par le conseiller de la mise en état, outre l'allocation de la somme de 3 500 euros sur le fondement de l' article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de son appel, elle fait essentiellement valoir que :

-la société EMI a usé de manœuvres dolosives, justifiant l'annulation du contrat, en affirmant, de façon mensongère, dans son offre du 6 octobre 2008, que le magasine "Coté Santé" était édité à 180 000 exemplaires, alors qu'en juin 2007, soit deux ans auparavant, le magazine n'était tiré qu'à 12 000 exemplaires et que malgré ses injonctions et l'ordonnance du conseiller de la mise en état, elle n'a communiqué ni le bon à tirer, ni la déclaration de dépôt légal lui ayant été retournée, relativement aux revues parues en novembre 2008 et en décembre 2008 / janvier 2009,

-le bon de commande, qui était pourtant censé valider l'offre promotionnelle de vente a été rédigé de façon ambiguë, dès lors que la somme de 5 000 euros n'y est pas indiquée, laissant à supposer que le prix était toujours de 2 500 euros, et que le "publi-rédactionnel", prévu pour le mois de décembre 2008, a été fortuitement transformé en "offert à suivre", de tels éléments caractérisant également un comportement dolosif de l'éditeur dans les conditions du démarchage publicitaire,

-en toute hypothèse, la société EMI n'a pas exécuté l'obligation, qu'elle avait contractée, de diffusion de la publicité sur 180 000 exemplaires mensuels.

La société EMI conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation de la société Cytobiotech à lui payer la somme de 1 500 euros en remboursement de ses frais irrépétibles ; elle soutient que la preuve du dol allégué n'est pas établie, que la société Cytobiotech a, en effet, signé le bon de commande du 7 octobre 2008 en toute connaissance de cause, qu'à l'exception de la parution du "publi-rédactionnel", suspendue en raison du défaut de paiement des factures, le contrat a été normalement exécuté et que toute restitution est d'ailleurs impossible ; elle ajoute que le nombre d'exemplaires tiré n'est pas l'objet du contrat en sorte qu'ayant exactement rempli ses obligations, elle ne saurait être tenue de justifier le nombre d'exemplaires tirés.

Subsidiairement, en cas d'annulation du contrat, elle demande que la société Cytobiotech soit condamnée à lui payer la somme de 5 980 euros outre intérêts, correspondant aux prestations exécutées.

Motifs de la décision :

Dans l'offre promotionnelle adressée à la société Cytobiotech, par e-mail du 6 octobre 2008, la société EMI a proposé la parution d'une page de publicité dans le numéro du magazine "Coté Santé" du mois de novembre 2008, à paraître le 25 octobre, tiré à 180 000 exemplaires, ainsi qu'un rédactionnel offert à suivre numéro décembre / janvier au prix de 2 500 euros HT au lieu de 9 000 euros HT, soit une puissance de 360 000 exemplaires sur trois mois de kiosques.

Cette offre faisait clairement apparaître que les numéros du magazine "Coté Santé" de novembre 2008 et de décembre 2008 / janvier 2009 étaient édités, chacun, à 180 000 exemplaires, ce qui permettait à la société Cytobiotech de faire paraître une publicité et un rédactionnel dans deux numéros, représentant un tirage total de 360 000 exemplaires, pour une présence de trois mois en kiosques, de novembre 2008 à janvier 2009.

A l'évidence, le chiffre du tirage de chacun des numéros du magazine "Coté Santé" a été, pour la société Cytobiotech, déterminante de sa décision de conclure un contrat de publicité avec la société EMI en vue de la promotion de ses produits, consistant essentiellement en des appareils de filtration, d'osmose et de régénération de l'eau destinée à la consommation, dans un magazine consacré aux femmes et traitant de sujets relatifs à la santé, à l'alimentation ou au bien-être ; l'efficacité, au plan des retombées commerciales, de la publicité à paraître était, en effet, d'autant plus grande, qu'était important le nombre d'exemplaires tirés de chaque numéro.

La société Cytobiotech s'est ainsi engagée, en signant dès le 7 octobre 2008, un bon de commande pour deux "pages quadri" dans les numéros de novembre 2008 et de décembre 2008 / janvier 2009, plus un rédactionnel gratuit à suivre, en considération de l'affirmation de la société EMI d'un tirage de chacun de ses numéros à 180 000 exemplaires, ce qui l'assurait de toucher un public relativement large pour la diffusion de ses produits, visant à améliorer la qualité de l'eau domestique.

Après la parution du numéro de décembre 2008 / janvier 2009, la société Cytobiotech s'est plainte, par courrier, auprès de l'éditeur de l'absence de résultat évident de l'action promotionnelle, affirmant avoir été trompée sur la nature de la prestation annoncée, notamment en ce qui concerne le nombre d'exemplaires imprimés, et a réclamé à la société EMI la preuve écrite émanant de son imprimeur, que la revue "Coté Santé" a bien été éditée à 180 000 exemplaires en novembre et en décembre.

La société EMI n'a fourni aucun élément permettant d'établir que les numéros 34 et 35 de la revue "Côté Santé", édités en novembre et décembre 2008, ont été imprimés, chacun, à au moins 180 000 exemplaires ; elle a soutenu ne pas être en mesure de produire le bon à tirer remis à l'imprimeur, mais n'a communiqué ni bon de commande, ni facture, ni attestation de l'imprimeur (Léonce Deprez) justifiant du tirage.

Par ordonnance du 30 septembre 2011, le conseiller de la mise en état lui a enjoint de communiquer, sous astreinte, le retour de l'exemplaire de la déclaration préalable de dépôt légal correspondant à la revue "Côté Santé" du mois de novembre 2008 et du bimensuel de décembre 2008 et janvier 2009 ; à cet égard, si l' article 2 de l' arrêté du 12 janvier 1995 (fixant les mentions obligatoires figurant sur les déclarations accompagnant le dépôt légal) pris en application du décret n° 92-1429 du 31 décembre 1993 modifié relatif au dépôt légal, énonce que la déclaration de l'éditeur doit notamment comporter, pour le dépôt des périodiques, le chiffre du tirage, il n'existe cependant aucune obligation pour l'éditeur d'effectuer, pour chaque publication périodique, une déclaration de dépôt légal ; celui-ci est, en effet, autorisé à grouper les déclarations en une déclaration globale annuelle, qui accompagne l'envoi du dernier numéro déposé dans l'année et mentionne le nombre de numéros correspondant à l'année de dépôt déclaré.

Il appartient à la société Cytobiotech, qui soutient que le contrat de publicité, objet du bon de commande du 7 octobre 2008, se trouve entaché de nullité, de rapporter la preuve par tous moyens, y compris par présomptions, du dol dont elle se prévaut, lié à l'existence d'un tirage de la revue "Coté Santé" inférieur à celui annoncé.

En premier lieu, la déclaration globale annuelle de dépôt légal, effectuée le 20 janvier 2009, par la société EMI mentionne, pour 10 numéros du magazine "Côté Santé" déposés au cours de l'année 2008, 1 350 000 exemplaires, soit 135 000 exemplaires en moyenne par numéro, chiffre inférieur de 25% au tirage de 180 000 exemplaires annoncé, étant observé que le tirage varie nécessairement au gré des saisons compte tenu des sujets traités et du lectorat.

La société Cytobiotech produit ensuite un extrait du site Internet www.taaj.fr (soins cosmétiques), faisant état, dans sa rubrique "revue de presse", d'un article consacré à "la beauté ayurvédique" paru dans le numéro de la revue "Côté Santé" de juin 2007 tiré à 12 000 exemplaires ; elle communique aussi des extraits du site www.mediabzz.com, site spécialisé dans le référencement d'annonceurs publicitaires, fournissant notamment une fiche technique de la revue "Coté Santé", dont il résulte un prix de 4500 euros pour une page quadri et un tirage à 30 000 exemplaires.

Ces éléments, auxquels s'ajoute la réticence suspecte de la société EMI à fournir le moindre justificatif sur le tirage des deux numéros en cause, sont de nature à établir que contrairement à ce qui avait été annoncé à la société Cytobiotech, dans l'e-mail du 6 octobre 2008, les numéros de la revue "Coté Santé" de novembre 2008 et de décembre 2008 / janvier 2009, n'ont pas été tirés à 180 000 exemplaires, chacun, mais à un chiffre bien inférieur.

Il a été indiqué plus haut que le chiffre du tirage avait été déterminant de la décision de la société Cytobiotech de contracter ; dès lors, en promettant, de façon mensongère, un tirage à 180 000 exemplaires de chacun des deux numéros de sa revue, dans lesquels devait paraître l'annonce publicitaire de la société Cytobiotech, la société EMI a usé de manœuvres dolosives, qui ont conduit celle-ci à s'engager, alors qu'elle ne l'aurait pas fait si elle avait su que le tirage allait être très en dessous de celui annoncé.

La preuve du dol étant rapportée, il convient de prononcer, par application des articles 1116 et 1117 du Code civil, la nullité du contrat de publicité, faisant l'objet du bon de commande du 7 octobre 2008 et de débouter, en conséquence, la société EMI de sa demande en paiement du prix des annonces publicitaires parues dans les numéros 34 et 35 de la revue "Côté Santé".

Il est de principe que la remise en état des parties, conséquence de la nullité, n'est pas subordonnée à la possibilité d'une restitution en nature, l'impossibilité d'une telle restitution se résolvant par une restitution par équivalent en valeur ; en l'occurrence, la société Cytobiotech se trouve dans l'impossibilité de restituer les prestations fournies par la société EMI ; aussi, il convient d'allouer à celle-ci une indemnité, égale à la valeur des prestations, qu'il convient de chiffrer à la somme de 500 euros.

Enfin, il n'y a pas lieu de liquider l'astreinte résultant de l'ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 30 septembre 2001, alors qu'il ne pesait sur la société EMI aucune obligation d'effectuer, pour chacun des deux numéros 34 et 35, une déclaration de dépôt légal.

Au regard de la solution apportée au règlement du litige, la société EMI doit être condamnée aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer à la société Cytobiotech la somme de 2000,00 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sur le fondement de l' article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Infirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Montpellier en date du 3 mars 2010 et statuant à nouveau, Prononce la nullité du contrat de publicité, objet du bon de commande du 7 octobre 2008, conclu entre la société EMI et la société Cytobiotech, Déboute, en conséquence, la société EMI de sa demande en paiement du prix des annonces publicitaires parues dans les numéros de la revue "Côté Santé" de novembre 2008 et de décembre 2008 / janvier 2009, Condamne la société Cytobiotech à payer à la société EMI la somme de 500 euros à titre d'indemnité, égale à la valeur des prestations exécutées, Rejette la demande aux fins de liquidation de l'astreinte résultant de l'ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 30 septembre 2001, Condamne la société EMI aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer à la société Cytobiotech la somme de 2000 euros sur le fondement de l' article 700 du Code de procédure civile, Dit que les dépens d'appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.