CA Orléans, 19 novembre 2012, n° 11-03194
ORLÉANS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Balegh
Défendeur :
Peron
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bureau
Conseillers :
Mmes Nollet, Hours
Avocats :
SCP Laval Lueger, SCP Desplanques Devauchelle, Mes Jevtic, Mercié
Le 11 avril 2009, Taounza Balegh a acquis d'André Peron un véhicule Renault Espace Alize 2.2 DT de 1999, immatriculé 9099 ZV 45, affichant 185 953 km au compteur, au prix de 5 900 euro.
Au motif que des dysfonctionnements étaient apparus très rapidement après la vente et que le véhicule s'était révélé affecté d'un vice caché, Taounza Balegh a, par acte du 24 novembre 2010, saisi le Tribunal de grande instance de Montargis pour voir prononcer la résolution de la vente et obtenir la restitution du prix, ainsi que l'indemnisation de son préjudice.
Par jugement du 19 août 2011, le tribunal, considérant que les dysfonctionnements constatés ne pouvaient être qualifiés de vices cachés au sens de l'article 1641 du Code civil et qu'il ne lui appartenait pas d'ordonner une expertise, qui ne ferait que suppléer la carence de la demanderesse dans l'administration de la preuve lui incombant, le tribunal a débouté Taounza Balegh de ses demandes et l'a condamnée aux dépens, ainsi qu'au paiement d'une indemnité de procédure de 350 euro.
Taounza Balegh a interjeté appel de cette décision.
Suivant conclusions du 22 juin 2012, elle en sollicite l'infirmation et demande à la cour, statuant à nouveau, de :
- prononcer la résolution de la vente pour vice caché de la chose vendue,
- condamner André Peron à lui rembourser le prix de vente de 5 900 euro,
- lui donner acte de ce qu'elle tiendra le véhicule à la disposition de ce dernier, aux fins de restitution,
- condamner André Peron à lui verser la somme globale de 3 289,43 euro à titre de dommages et intérêts, correspondant à l'indemnisation des frais de diagnostic sur véhicule (728,79 euro), des frais d'assurance (439,96 euro), des frais de recherche des causes de la panne (120,68 euro) et du préjudice de jouissance (2 000 euro),
subsidiairement,
- dire que le véhicule est affecté d'une non-conformité et prononcer la résolution de la vente sur ce fondement, avec les mêmes conséquences que ci-dessus,
plus subsidiairement,
- dire que son consentement a été vicié par le dol et annuler la vente de ce chef, avec les mêmes conséquences financières que ci-dessus,
à titre infiniment subsidiaire,
- ordonner une expertise, à l'effet de rechercher si le véhicule était ou non affecté au moment de la vente d'un vice caché ou d'une non-conformité, aux frais avancés de André Peron,
en tout état de cause,
- débouter André Peron de toutes ses demandes,
- le condamner à lui verser la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner André Peron aux dépens.
Taounza Balegh allègue que monsieur Martin, expert, a retenu que la partie supérieure du silencieux arrière du véhicule était affectée d'une corrosion perforante imputable à un vice caché existant au moment de la vente, que l'article 1641 du Code civil ne limite pas la garantie aux seuls vices rendant le véhicule impropre à son usage, mais s'applique aussi aux vices diminuant tellement cet usage que l'acquéreur n'aurait pas acheté le bien ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il les avait connus, que l'expert a, par ailleurs, indiqué que la fumée d'échappement présente dans le moteur et les difficultés de maintien du ralenti rendaient le véhicule impropre à l'usage auquel il était destiné, que les conditions de mise en œuvre de la garantie de vices cachés sont bien réunies, que la mention 'Vendu en l'état' laconiquement portée sur le certificat de cession ne décharge pas le vendeur de sa garantie, subsidiairement, que le véhicule vendu n'était pas conforme à celui auquel elle était en droit de prétendre eu égard au prix payé, plus subsidiairement encore que, en dissimulant l'existence des désordres dont le véhicule était affecté, André Peron s'est rendu coupable d'une réticence dolosive qui a eu pour effet de vicier son consentement, et, à titre infiniment subsidiaire, que, si la cour ne s'estimait pas suffisamment informée sur l'état du véhicule, il y aurait lieu d'ordonner une expertise.
Suivant conclusions du 22 mai 2012, André Peron sollicite la confirmation du jugement entrepris et la condamnation de Taounza Balegh aux dépens, ainsi qu'au paiement d'une indemnité de procédure de 3 000 euro.
Subsidiairement, dans l'hypothèse où une expertise serait ordonnée, André Peron demande à la cour de dire que celle-ci s'exécutera aux frais exclusifs de l'appelante et que l'expert aura aussi pour mission de rechercher si les conditions de gardiennage du véhicule depuis la vente ont pu entraîner des dégradations et, dans l'affirmative, de déterminer le coût des travaux nécessaires pour y remédier.
André Peron fait valoir que la mention "vendu en l'état", apposée sur le certificat de cession, est constitutive d'une clause de non-garantie qui s'oppose à l'exercice d'une action fondée sur les dispositions de l'article 1641 du Code civil, que, en tout état de cause, l'expert a lui-même relevé que la corrosion du silencieux arrière ne rendait pas le véhicule impropre à son usage, que, s'agissant de la fumée d'échappement présente dans le moteur et des difficultés de maintien du ralenti, il a indiqué que, pour en connaître la cause, il convenait d'établir un diagnostic dans le réseau Renault, mais que, alors que Taounza Balegh avait donné son accord au transfert du véhicule chez un agent de la marque, elle s'y est en définitive opposée, de sorte que l'origine exacte de ce désordre n'a pu être déterminée, et que, eu égard à l'âge et au kilométrage du véhicule, l'appelante devait savoir, en s'en portant acquéreur, qu'elle s'exposait à devoir supporter des frais de remise en état.
L'intimé allègue qu'un manquement à l'obligation de délivrance ne peut être invoqué lorsque, comme en l'espèce, la réclamation se fonde sur un dysfonctionnement technique du véhicule acheté, qu'il n'est aucunement démontré qu'il aurait eu connaissance des désordres avant la vente, celui affectant le silencieux n'ayant été mis à jour qu'après démontage et n'ayant pas été décelé par l'organisme de contrôle technique, et la preuve n'étant pas rapportée de ce que les autres désordres préexistaient à la vente, qu'aucun élément du dossier, enfin, ne justifie que soit ordonnée une expertise, étant observé que c'est Taounza Balegh, à qui incombait la charge de la preuve de l'existence des vices cachés, qui a interrompu les opérations de l'expertise amiable et contradictoire, empêchant ainsi la réalisation des investigations techniques jugées nécessaires par les experts, et qu'il est fort douteux que de telles investigations puissent désormais être utilement réalisées, le véhicule se trouvant abandonné à l'extérieur depuis trois ans.
SUR CE, LA COUR :
Attendu que la mention "vendu en l'état" portée sur l'acte de cession n'est pas suffisamment explicite pour qu'il puisse être considéré que les parties aient entendu par là-même exonérer le vendeur de toute garantie ;
Attendu que la garantie des vices cachés constitue l'unique fondement de l'action exercée pour défaut de la chose vendue la rendant impropre à sa destination normale ;
Que les désordres invoqués en l'espèce relèvent de cette garantie, et non d'un manquement du vendeur à son obligation de délivrance, ce dernier ayant bien remis à l'acquéreur un véhicule conforme aux spécifications convenues ;
Que, l'action en garantie des vices cachés n'étant, en revanche, pas exclusive de l'action en nullité pour dol, Taounza Balegh est recevable à agir, subsidiairement, sur ce fondement ;
Attendu qu'il incombe à Taounza Balegh, qui exerce l'action en garantie, de rapporter la preuve de l'existence et de la cause des vices cachés qu'elle allègue ;
Attendu qu'un expert a été missionné dans le cadre du contrat d'assurance "protection juridique" dont bénéficie l'intéressée ;
Que celui-ci a régulièrement convoqué aux opérations d'expertise André Peron, lequel y est intervenu assisté de son propre expert ;
Attendu qu'au cours des opérations d'expertise ainsi contradictoirement menées, l'expert a constaté la corrosion perforante du silencieux arrière ;
Qu'il a indiqué que celle-ci était imputable à un vice caché existant au moment de la vente, mais qu'elle ne rendait pas le véhicule impropre à l'usage auquel il était destiné ;
Attendu qu'il convient, en effet, de relever que le bien vendu était, en l'espèce, un véhicule de plus de dix ans d'âge ayant déjà parcouru 185 953 km;
Que, en acquérant un tel véhicule, Taounza Balegh ne pouvait ignorer qu'elle s'exposait à supporter des frais de remise en état, liés à l'usure normale du bien ;
Que le remplacement d'une partie du tuyau d'échappement, en raison de sa vétusté, relève de l'entretien normal du véhicule et ne constitue pas un défaut rendant le véhicule impropre à sa destination, ce d'autant plus que l'expert a précisé, en l'occurrence, que la corrosion n'était pas à l'origine des problèmes de fonctionnement du moteur ;
Attendu que l'expert a constaté, en second lieu, la présence de fumée d'échappement dans le compartiment moteur et des difficultés de maintien du moteur au ralenti ;
Que, en accord avec l'expert assistant la partie adverse, il a considéré que, pour connaître l'origine de ce désordre, il était nécessaire de contrôler la vanne EGR ;
Que, le garage Goncalves où Taounza Balegh avait fait déposer son véhicule ne souhaitant pas procéder à cette intervention, il a été convenu, d'un commun accord entre les parties de transférer le véhicule dans l'agence Renault la plus proche, en l'occurrence le garage Autominute Cigogne ;
Que, cependant, Taounza Balegh s'est opposée, dans un second temps et, selon ses dires, sur les conseils de son avocat, à ce transfert ;
Que, n'ayant pu mener à terme sa mission, l'expert a conclu que les défauts constatés (présence de fumée d'échappement dans le compartiment moteur et difficultés de maintien du moteur au ralenti) rendaient le véhicule impropre à l'usage auquel il était destiné et que, pour connaître l'origine de ces désordres et le coût nécessaire pour y remédier, il convenait d'établir un diagnostic dans le réseau Renault ;
Attendu, cependant, que l'expert ne pouvait, sans connaître l'origine des désordres, ni le coût des réparations nécessaires, affirmer, comme il l'a fait, que ceux-ci rendaient le véhicule impropre à sa destination normale ;
Que, seule, la cause du vice permet, en effet, de déterminer son antériorité par rapport à la vente et de savoir s'il résulte ou non de l'usure normale du véhicule, eu égard à son âge et à son kilométrage ;
Que l'importance des réparations à effectuer permet d'apprécier, au regard du prix de vente, si le vice rend ou non le véhicule impropre à un usage normal ;
Que, en l'état des constatations effectuées, il n'est donc pas démontré que les défauts susvisés seraient constitutifs d'un vice caché au sens de l'article 1641 du Code civil ;
Attendu que c'est Taounza Balegh, qui, par son opposition au transfert de son véhicule, dans le cadre des opérations d'expertise en cours, dans un établissement adapté, a empêché la réalisation contradictoire des investigations jugées nécessaires par l'expert mandaté par sa propre compagnie d'assurance ;
Que l'intéressée ne peut aujourd'hui tenter de remédier à sa carence, en produisant un diagnostic qu'elle a unilatéralement fait établir, a posteriori et de manière non contradictoire, par l'établissement initialement choisi par l'expert ;
Qu'elle ne peut davantage solliciter une mesure d'expertise judiciaire, alors que le véhicule se trouve remisé à l'extérieur depuis plus de trois ans et dans des conditions qui sont ignorées, de sorte que toute constatation qui pourrait être désormais faite serait sujette à caution quant à sa cause et son antériorité par rapport à la vente ;
Que la cour n'a pas à suppléer la carence de Taounza Balegh dans l'administration de la preuve qui lui incombe en ordonnant une telle expertise ;
Attendu que, dès lors qu'il n'est pas démontré que, au moment de la vente, le véhicule était affecté de vices cachés le rendant impropre à son usage, l'action de l'appelante ne peut prospérer, ni sur le fondement de la garantie des vices cachés, ni sur celui du dol, aucune dissimulation n'étant alors imputable au vendeur ;
Que c'est à bon droit que le premier juge a débouté Taounza Balegh de ses demandes ;
Que le jugement sera confirmé ;
Attendu que Taounza Balegh qui succombe supportera les dépens, ainsi que le paiement à son adversaire d'une indemnité de procédure de 1 500 euro ;
Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris, Y Ajoutant, Condamne Taounza Balegh à payer à André Peron la somme de mille cinq cents euros (1 500 euro), sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette le surplus des demandes, Condamne Taounza Balegh aux dépens et accorde à la SCP Desplanques-Devauchelle le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.