CA Douai, 1re ch. sect. 1, 4 février 2013, n° 12-03570
DOUAI
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Carpentier (Epoux)
Défendeur :
Boudens, Martin
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Merfeld
Conseillers :
Mmes Metteau, Doat
Avocats :
Mes Lacroix, Desbouis, Debruyne
Le 21 avril 2011, M. Régis Martin et Mme Marie Thérèse Boudens ont vendu à M. Dominique Carpentier et Mme Sylvie Mercier épouse Carpentier un véhicule automobile Renault de type Espace, affichant 131 180 kilomètres au compteur, moyennant le prix de 6 200 euro.
Un procès-verbal de contrôle technique en date du 21 octobre 2010 a été remis aux acquéreurs.
M. et Mme Carpentier ont fait procéder à un autre contrôle technique le 22 avril 2011, afin de permettre l'établissement d'un nouveau certificat d'immatriculation à leur nom.
Le véhicule est tombé en panne le 26 avril 2011 et a été remorqué jusqu'à un garage qui a constaté que le moteur était hors d'usage.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 29 avril 2011 demeurée sans réponse, M. et Mme Carpentier ont demandé à leurs vendeurs de reprendre le véhicule et de leur restituer le prix de vente.
Par acte d'huissier en date du 23 février 2012, M. et Mme Carpentier ont fait assigner M. Martin et Mme Boudens devant le juge des référés du Tribunal d'instance de Dunkerque, pour voir ordonner une expertise judiciaire.
Par ordonnance en date du 11 avril 2012, le juge des référés a débouté M. et Mme Carpentier de cette demande et les a condamnés aux dépens.
M. Dominique Carpentier et Mme Sylvie Mercier épouse Carpentier ont interjeté appel de cette ordonnance, le 20 juin 2012.
Ils demandent à la cour :
Vu l'article 145 du Code de procédure civile et les articles 1641 et suivants du Code civil,
- d'infirmer l'ordonnance
Statuant à nouveau,
- de désigner tel expert qu'il plaira, avec mission, notamment, de décrire les désordres dont est affecté le véhicule Renault Espace, d'en préciser la nature et l'origine et de déterminer le coût des travaux de remise en état.
Ils exposent que le procès-verbal de contrôle technique qui leur a été remis, daté du 21 octobre 2010, mentionnait l'existence de trois défauts, sans obligation de contre-visite, tandis que le contrôle technique effectué le 22 avril 2011 relevait quatre défauts à corriger avec obligation de contre-visite, outre six défauts à corriger sans obligation de contre-visite, que, cinq jours après la vente, le véhicule est tombé en panne et que le garagiste a conclu à une défaillance totale et définitive du moteur.
Ils font valoir que, conformément aux dispositions de l'article 145 du Code de procédure civile, ils justifient d'un motif légitime pour demander la mise en œuvre d'une mesure d'expertise, que les faits à établir sont pertinents et utiles et que leur prétention n'est pas manifestement vouée à l'échec.
Ils affirment que les vendeurs leur ont sciemment remis un contrôle technique ancien, mais valable le jour de la vente, pour que n'apparaissent pas les défauts du véhicule et que, le véhicule étant tombé en panne seulement cinq jours après la vente alors qu'il n'avait parcouru que 537 kilomètres depuis cette vente, il était affecté d'un vice existant lors de la vente, à tout le moins à l'état de germe.
Ils observent que la simple mention de "vente en l'état" ne permet pas d'exclure la garantie des vices cachés due par les vendeurs et que le vendeur est tenu des vices cachés quand bien même il ne les aurait pas connus, selon les termes mêmes de l'article 1643 du Code civil.
Ils ajoutent que le contrôle technique qui leur a été remis ne mentionne pas de problèmes de moteur, qu'ils ne fondent pas leur demande d'expertise judiciaire sur le second contrôle technique mais sur le fait que le véhicule était nécessairement atteint d'un vice caché existant à tout le moins à l'état de germe lors de la vente, que rien ne permet de dire que la panne moteur serait dûe à l'usure normale du véhicule, qu'ils ont acheté la voiture à un prix supérieur à celui du marché (6 200 euro alors que la cote était de 5 100 euro) et que la bonne foi n'exclut pas l'existence d'un vice caché.
M. Régis Martin demande à la cour de débouter M. et Mme Carpentier de toutes leurs demandes et de confirmer l'ordonnance de référé.
Il indique qu'il a régulièrement entretenu le véhicule, que les époux Carpentier ont pris possession du véhicule le 21 avril 2011 avec le contrôle technique du 21 octobre 2010, en toute connaissance de cause, et que c'est au vu du second contrôle technique qu'ils ont fait réaliser le 22 avril 2011 qu'ils sollicitent l'organisation d'une expertise au visa de l'article 145 du Code de procédure civile.
Il soutient que les défauts relevés dans le second contrôle technique sont liés au vieillissement du véhicule et à son usure normale et qu'ils n'ont rien à voir avec une panne moteur, que, lors de la vente, la voiture avait 7 ans et avait parcouru 131 180 kilomètres, que la vétusté d'un véhicule d'occasion n'est pas un vice caché, que la clause de non garantie résultant de la mention "vendu en l'état" est opposable à l'acheteur qui l'a acceptée en portant lui-même sa signature sur la carte grise.
Il fait observer qu'il est profane en matière automobile et que, avant que le véhicule ne tombe en panne, il avait proposé de prendre en charge les travaux nécessités par la contre-visite imposée par le second contrôle technique.
Conformément aux dispositions de l'article 902 du Code de procédure civile, M. et Mme Carpentier ont fait signifier leur déclaration d'appel à Mme Marie-Thérèse Boudens et l'ont assignée, par acte d'huissier en date du 23 juillet 2012, remis à sa personne.
Mme Boudens n'a pas constitué avocat.
Le présent arrêt sera dès lors réputé contradictoire.
SUR CE :
L'article 145 du Code de procédure civile énonce que, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
Le juge des référés a dit qu'il apparaissait que l'action des époux Carpentier était vouée à l'échec, de sorte qu'ils ne justifiaient d'aucun intérêt légitime à solliciter l'organisation d'une mesure d'expertise, au motif que :
- les parties étaient convenues d'une "vente en l'état", ce qui signifiait qu'elles avaient entendu exclure le jeu de la garantie des vices cachés
- qu'aucune pièce ne laissait présumer que M. Martin et Mme Boudens avaient pu connaître la défectuosité de la voiture
- que les deux procès-verbaux de contrôle technique ne relevaient aucun défaut affectant l'un des composants du moteur.
Or, les époux Carpentier établissent, d'une part que le contrôle technique réalisé le lendemain de la vente, le 22 avril 2011, a fait apparaître des défauts qui ne figuraient pas sur le procès-verbal de contrôle technique en date du 21 octobre 2010 qui leur avait été présenté, et notamment, cinq défauts devant être réparés avec l'obligation d'une contre-visite, d'autre part que, cinq jours après la vente et après avoir roulé pendant 537 kilomètres, le véhicule s'est trouvé immobilisé, ainsi qu'en atteste la fiche d'intervention rédigée le 26 avril 2011, mentionnant un "arrêt moteur".
Par ailleurs, il n'est pas démontré que l'action des époux Carpentier serait manifestement vouée à l'échec, puisque le vendeur, même non professionnel et même de bonne foi est tenu de la garantie des vices cachés, en application de l'article 1643 du Code civil, et que, par sa généralité, la mention de vente en "l'état" d'un véhicule automobile d'occasion, alors qu'étaient uniquement portés à la connaissance des acquéreurs les défauts révélés par le procès-verbal de contrôle technique du 21 octobre 2010, ne saurait en elle-même exclure la garantie légale des vices cachés.
Les époux Carpentier justifient ainsi d'un motif légitime de voir procéder à des mesures techniques d'investigation pour leur permettre d'établir la preuve des désordres et défauts affectant le véhicule acquis, l'empêchant actuellement de circuler.
Il convient d'infirmer l'ordonnance et d'ordonner l'expertise sollicitée.
Il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 964-2 du Code de procédure civile, résultant du décret n°2012-1451 du 24 décembre 2012 , entrées en vigueur le 28 décembre 2012, lendemain de la publication du décret, selon lesquelles la cour d'appel qui infirme une ordonnance de référé ayant refusé une mesure d'instruction peut confier le contrôle de la mesure d'instruction qu'elle ordonne au juge chargé de contrôler les mesures d'instruction de la juridiction dont émane l'ordonnance.
Par ces motifs : LA COUR, statuant par arrêt réputé contradictoire : Infirme l'ordonnance, Statuant à nouveau, Désigne M. Francisco Cruz, (...), en qualité d'expert, avec mission de : - convoquer les parties, - se faire remettre tous documents et pièces utiles à sa mission, - examiner le véhicule Renault Espace immatriculé 996 BPD 59 au lieu qui lui sera indiqué par M. et Mme Carpentier, - décrire les désordres dont il est affecté, - préciser la nature et l'origine de ces désordres, - donner son avis sur le caractère caché ou non du vice et sur son incidence quant à l'usage du véhicule ainsi que sur son antériorité par rapport à la vente, - déterminer le coût des travaux de remise en état, - fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre à la juridiction éventuellement saisie de déterminer s'il y a lieu les responsabilités encourues et d'évaluer les préjudices subis, - dresser un pré-rapport de ses opérations et répondre aux dires des parties, Confie le contrôle de cette expertise au juge chargé de contrôler les mesures d'instruction au Tribunal d'instance de Dunkerque, Dit que M. et Mme Carpentier devront consigner au greffe du Tribunal d'instance de Dunkerque la somme de 1 000 euro à valoir sur les honoraires de l'expert dans le délai d'un mois à compter de l'avis qui leur sera donné par le greffier de cette juridiction en application de l'article 270 du Code de procédure civile, Dit que l'expert devra déposer son rapport au greffe du Tribunal d'instance de Dunkerque dans le délai de trois mois à compter du jour où il aura été avisé de la consignation, Dit que chacune des parties conservera provisoirement la charge de ses dépens de première instance, Condamne M. Martin et Mme Boudens aux dépens d'appel.