CA Bordeaux, 1re ch. civ. B, 30 novembre 2012, n° 10-05340
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Noël-Nodée-Lanzetta (SCP) (ès qual.)
Défendeur :
Stephex Stables (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cheminade
Conseillers :
MM. Crabol, Boinot
Avocats :
SCP Combeaud, SCP Casteja-Clermontel, Jaubert, Mes Combedouzou, Morhange, Dassas
Vu le jugement rendu le 22 juillet 2010 par le Tribunal de grande instance de Bordeaux, au vu d'un rapport d'expertise judiciaire du 11 décembre 2006 réalisé par Christian Andurand, qui a déclaré la société à responsabilité limitée Le Haras des étangs recevable en une action introduite à l'encontre de la société de droit belge Stephex stables, mais qui l'a déclarée déchue, par application des articles 38 et 39 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises, de son droit d'invoquer le défaut de conformité d'un véhicule acheté par elle à cette société, qui a en conséquence rejeté l'ensemble de ses demandes, et qui l'a condamnée à payer une somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les dépens ;
Vu la déclaration d'appel de la société Le Haras des étangs du 25 août 2010 ;
Vu les conclusions d'intervention volontaire de la société civile professionnelle Noël-Nodée-Lanzetta, agissant en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Le Haras des étangs, signifiées et déposées le 28 juin 2011 ;
Vu les conclusions de la société Stephex stables, signifiées et déposées le 2 septembre 2011 ;
Vu l'ordonnance de clôture du 28 février 2012 ;
Discussion :
Selon facture du 5 mars 2004, la société de droit belge Stephex stables a vendu à la société de droit français Le Haras des étangs un camion destiné au transport de chevaux, de marque Volvo, type FL6, numéro de chassis YB1E5A2A7SB138436, pour un prix de 40 000 euro. Le 13 décembre 2004, la société Le Haras des étangs a revendu ce véhicule à Michel Dufour pour un prix de 70 564 euro TTC. Ayant constaté diverses anomalies, l'acquéreur a obtenu la mise en œuvre d'une expertise judiciaire, confiée à Christian Andurand et dont les opérations ont été étendues à la société Stephex stables. Dans son rapport, daté du 11 décembre 2006, l'expert a constaté que le véhicule présentait divers désordres mécaniques, concernant notamment le système de freinage qui n'était pas conforme aux prescriptions du constructeur, que le longeron gauche présentait une corrosion perforante et que le longeron droit et le plancher de la cellule arrière étaient également corrodés de manière importante, ce dont il a conclu que le camion était impropre à sa destination. Par jugement du 11 juin 2008, confirmé par un arrêt de la présente cour du 24 novembre 2009, le Tribunal de grande instance de Bordeaux a prononcé la résolution de la vente du 13 décembre 2004 sur le fondement de la garantie des vices cachés et a condamné la société Le Haras des étangs à payer diverses sommes d'argent à Michel Dufour.
Entre-temps, la société Le Haras des étangs avait fait assigner la société Stephex stables le 5 juillet 2007 devant le Tribunal de grande instance de Bordeaux, en garantie de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées contre elle au profit de Michel Dufour. Les deux instances n'ont pas été jointes et le tribunal a seulement statué sur l'action en garantie par le jugement déféré, rendu le 22 juillet 2010.
Dans cette décision, le premier juge a estimé que la vente conclue entre la société Stephex stables et la société Le Haras des étangs était régie par la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les contrats de vente internationale de marchandises qui avait été ratifiée tant par la Belgique que par la France, qu'il n'existait aucune clause d'exonération de garantie au profit du vendeur, mais que l'acquéreur, qui était un acheteur professionnel, qui n'avait pas fait examiner le véhicule dans le mois de sa réception et qui n'avait pas précisé la nature des défauts du véhicule dans l'assignation en référé qu'il avait fait délivrer à son vendeur le 22 mai 2005, dans les deux ans de la vente, était déchu, en application des articles 38 et 39 de la Convention, de son droit de se prévaloir du défaut de conformité du véhicule vendu.
La société Le Haras des étangs, qui a relevé appel et qui est désormais représentée par son liquidateur judiciaire, la société Noël-Nodée-Lanzetta, approuve le premier juge d'avoir estimé que le litige était soumis à la Convention de Vienne et qu'il n'existait aucune clause d'exclusion de garantie. En revanche, elle lui reproche de ne pas avoir tenu compte des dispositions de l'article 40 de la Convention qui interdisent au vendeur d'invoquer les articles 38 et 39 lorsqu'il connaissait le défaut de conformité de la chose et qu'il ne l'a pas révélé à l'acheteur. Soutenant que tel a été le cas en l'espèce, elle conclut à l'infirmation du jugement et à l'allocation de ses demandes.
La société Stephex stables approuve le premier juge d'avoir estimé que la Convention de Vienne était applicable en la cause et d'avoir déclaré la société Le Haras des étangs déchue de son droit d'invoquer les défauts de conformité de la chose vendue. A titre subsidiaire, elle fait valoir que la preuve du caractère caché des défauts de conformité invoqués n'est pas rapportée. Elle conclut au rejet des prétentions adverses.
C'est avec raison que le tribunal a constaté que la vente de marchandise litigieuse, conclue entre deux parties qui avaient leur établissement dans deux Etats différents ayant chacun ratifié la Convention de Vienne du 11 avril 1980, était de plein droit soumise aux dispositions de ce texte, par application de son article 1er, étant précisé que les parties ne prétendaient ni ne démontraient avoir convenu d'y déroger. Ce point ne fait l'objet d'aucune contestation.
C'est également à juste titre que le tribunal a estimé que la mention, dans la facture du 5 mars 2004, selon laquelle "le véhicule est vendu dans l'état où il se trouve bien connu par l'acheteur" ne pouvait constituer une clause d'exonération de la garantie du vendeur, dans la mesure où elle n'avait pas été approuvée par l'acquéreur et n'avait donc aucune valeur contractuelle.
Pour le surplus, il convient de rappeler les articles de la Convention de Vienne invoqués par les parties :
- article 35 3. : "le vendeur n'est pas responsable, au regard des alinéas a et d du paragraphe précédent, d'un défaut de conformité que l'acheteur connaissait ou ne pouvait ignorer au moment de la conclusion du contrat" ;
- article 38 1. : "l'acheteur doit examiner les marchandises ou les faire examiner dans un délai aussi bref que possible eu égard aux circonstances" ;
- article 39 1. "l'acheteur est déchu du droit de se prévaloir d'un défaut de conformité s'il ne le dénonce pas au vendeur, en précisant la nature de ce défaut, dans un délai raisonnable à partir du moment où il l'a constaté ou aurait dû le constater" ;
- article 39 2. : "dans tous les cas, l'acheteur est déchu du droit de se prévaloir d'un défaut de conformité, s'il ne le dénonce pas au plus tard dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle les marchandises lui ont été effectivement remises" ;
- article 40 : "le vendeur ne peut pas se prévaloir des dispositions des articles 38 et 39 lorsque le défaut de conformité porte sur des faits qu'il connaissait ou ne pouvait ignorer et qu'il n'a pas révélés à l'acheteur".
En l'espèce, s'il est exact que l'expert judiciaire ne s'est prononcé, quant à l'antériorité des vices qu'il a constatés, que par rapport à la date de la vente conclue entre la société Le Haras des étangs et Michel Dufour, il n'en a pas moins précisé que l'épaisseur de la corrosion perforante observée sur le longeron gauche (6,7 mm) ne se formait "qu'au cours de plusieurs années" (page 23, paragraphe 2 de son rapport). Il s'ensuit que cette corrosion, dans toute sa gravité, préexistait nécessairement à la vente conclue entre la société Stephex stables et la société Le Haras des étangs, antérieure de seulement neuf mois à la revente du véhicule à Michel Dufour.
Or, la société Le Haras des étangs produit la copie d'une lettre du 18 janvier 2011, rédigée en français, qui lui a été adressée par la société de droit allemand AK-Competition Gmbh et par laquelle cette société certifie avoir effectué, au cours du quatrième trimestre 2003, pour le compte de la société Stephex stables, "d'importants travaux de carrossage destinés à transformer un véhicule de type fourgon en véhicule de type bétaillère destiné au transport de 7 chevaux", précisant que le véhicule concerné était "un Volvo FL6, n° de chassis : YB1E5A2A7SB138436".
La société Stephex stables conteste toute valeur probante à cette lettre. Toutefois, elle ne produit aucune attestation de la société AK-Competition Gmbh, de nature à en démentir le contenu. Il est donc établi qu'elle a fait réaliser des travaux de transformation sur le véhicule litigieux avant de le vendre à la société Le Haras des étangs. A l'occasion de cette intervention, elle a nécessairement eu connaissance de l'existence de la corrosion ancienne et importante constatée par l'expert judiciaire. Cependant, elle ne justifie pas l'avoir révélée à son acheteur.
Par ailleurs, même si contrairement à ce qu'elle prétend, la société Le Haras des étangs était un acheteur professionnel, ce qui ressort de son objet social tel qu'il est énoncé à l'article 2 du contrat de société du 27 février 2001 ("toute activité liée au cheval ou à l'équitation en général, commercialisation de biens ou de services en rapport avec le cheval"), le défaut de conformité constitué par la corrosion n'était pas apparent pour elle à la date de la vente, dans la mesure où il était nécessaire de procéder à des investigations approfondies, telles que celles qui ont été réalisées au cours de l'expertise judiciaire, pour en prendre conscience.
Dès lors, la société Le Haras des étangs est fondée à se prévaloir des dispositions de l'article 40 de la Convention de Vienne, qui interdisent au vendeur de mauvaise foi d'opposer à l'acheteur de bonne foi les dispositions des articles 38 et 39 du même texte. Il est donc sans intérêt de rechercher si elle a ou non respecté les dispositions de ces articles.
Certes, la société Stephex stables justifie de ce que la société Le Haras des étangs a elle-même fait procéder à des travaux après la vente, ainsi qu'il résulte d'un certificat de montage d'une carrosserie établi par le Comptoir lorrain du camion à une date non précisée et faisant état du montage d'une carrosserie de bétaillère, pour le compte de la société Le Haras des étangs, sur un véhicule Volvo FKL615 dont le numéro d'identification était YB1E5A2A7SB138436. Il est certain qu'à l'occasion de ces travaux, elle a nécessairement eu connaissance de la corrosion présentée par le véhicule, mais qu'elle a néanmoins revendu celui-ci à Michel Dufour, au lieu de solliciter la garantie de son propre vendeur. Il s'ensuit, comme le souligne la société Stephex stables, que la présente cour, dans l'instance engagée par Michel Dufour, a estimé que lors de la vente à ce dernier, la société Le Haras des étangs avait une connaissance effective des vices de la chose vendu (page 5, paragraphe 1 de l'arrêt du 24 novembre 2009). Cependant, la mauvaise foi de la société Le Haras des étangs à l'égard de son acheteur a été sanctionnée par le jugement du 11 juin 2008 et par l'arrêt précité. Elle est postérieure à la vente conclue avec la société Stephex stables et ne saurait avoir pour effet de priver son auteur de son droit d'agir en garantie contre son propre vendeur, également de mauvaise foi.
Il y a donc lieu d'infirmer le jugement déféré et de condamner la société Stephex stables à garantir la société Le Haras des étangs des condamnations prononcées contre elle par les décisions précitées, dont le montant ne fait d'ailleurs l'objet d'aucune contestation, fût-ce à titre très subsidiaire. En revanche, il convient de rejeter une demande en paiement d'une somme de 30 564 euro au titre de "la perte de marge entre le prix d'achat du véhicule à Stephex stables d'un montant de 40 000 euros et le prix de revente à Mr Dufour Michel d'un montant de 70 564 euros" (page 14, paragraphe 2, des dernières conclusions de la société Noël-Nodée-Lanzetta, ès qualités), une telle prétention faisant double emploi avec la demande en garantie de la condamnation au paiement de la somme de 84 866,44 euro, représentant le prix payé par Michel Dufour, augmenté des frais liés à la vente et de frais de gardiennage du véhicule arrêtés au 28 novembre 2006 (70 564 euro + 14 302,24 euro). De même, il y a lieu de rejeter la demande en garantie de la somme de 14 302,24 euro au titre des frais liés à la vente, ce montant étant déjà inclus dans la somme de 84 866,44 euro, ainsi qu'il vient d'être dit.
La société Stephex stables succombant en toutes ses prétentions, elle sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel. Par ailleurs, il serait inéquitable que la société Noël-Nodée-Lanzetta, ès qualités, conserve à sa charge la totalité des frais irrépétibles exposés par elle à l'occasion de cette affaire. Il y a lieu de lui accorder une somme de 4 000 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs LA COUR : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Donne acte à la société Noël-Nodée-Lanzetta de son intervention volontaire en reprise d'instance, en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Le Haras des étangs ; Reçoit la société Le Haras des étangs en son appel ; Confirme le jugement rendu le 22 juillet 2010 par le Tribunal de grande instance de Bordeaux en ce qu'il a déclaré la société Le Haras des étangs recevable en son action introduite contre la société Stephex stables ; Le réforme pour le surplus, et statuant à nouveau : Condamne la société Stephex stables à garantir la société Noël-Nodée-Lanzetta, ès qualités, de toutes les condamnations en principal, intérêts et frais prononcées contre la société Le Haras des étangs au profit de Michel Dufour dans le jugement du Tribunal de grande instance de Bordeaux du du 11 juin 2008 , confirmé par l'arrêt de la présente cour du 24 novembre 2009, ainsi que dans cette dernière décision, à savoir des condamnations à payer les sommes de : - 84 866,44 euro, prix de vente du véhicule à Michel Dufour, augmenté des frais liés à la vente et de frais de gardiennage arrêtés au 28 novembre 2006 (70 564 euro + 14 302,24 euro), - 20 781,45 euro, montant de frais de gardiennage complémentaires pour la période du 28 novembre 2006 au mois d'octobre 2009, - 5 000 euro au titre du préjudice de jouissance de Michel Dufour, - 7 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute la société Noël-Nodée-Lanzetta, ès qualités, du surplus de ses demandes ; Condamne la société Stephex stables à payer à la société Noël-Nodée-Lanzetta, ès qualités, la somme de 4 000 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Stephex stables aux dépens de première instance et d'appel, et dit que ces derniers pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.