CA Nîmes, 1re ch. A, 29 janvier 2013, n° 11-03747
NÎMES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Boutrabach
Défendeur :
de Priester
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bruzy
Conseillers :
Mme Hebrard, M. Berthet
Avocats :
SCP Marion Guizard Patricia Servais, Mes de Palma, Roubaud
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 4 août 2011 Monsieur Badr Boutrabach a relevé appel d'un jugement rendu le 1er juin 2011 par le Tribunal de grande instance de Carpentras :
" ayant dit que le véhicule litigieux Renault Mégane 0925 ACZ 13 présente des désordres constitutifs du vice caché,
" ayant prononcé la résolution de la vente du dit véhicule conclue le 23 septembre 2007 entre lui-même, vendeur, et Monsieur Benjamin de Priester, acquéreur,
" l'ayant condamné à restituer à Monsieur Benjamin de Priester la somme de 4 000 euro correspondant au prix de vente versé et dit qu'il pourra récupérer son véhicule Renault Mégane 0925 ACZ 13,
- ayant débouté les parties de toutes leurs autres demandes et l'ayant condamné aux dépens y compris les frais d'expertises ainsi qu'à payer à Monsieur Benjamin de Priester la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans ses conclusions du 4 novembre 2011 auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, l'appelant sollicite la cour au visa des articles 1641 et suivants du Code civil, de juger son appel recevable, de constater que Monsieur Benjamin de Priester était averti du caractère apparent affectant le véhicule litigieux en précisant que la vente intervenait 'en l'état', que l'acheteur ne pouvait ignorer l'état réel du véhicule litigieux compte tenu de la nature des désordres et de leur caractère apparent, qu'il a pu se convaincre lui-même des problèmes de structure du véhicule en prenant connaissance du contrôle technique, de constater que l'expert Escuret n'a nullement donné son avis sur le point de savoir si les vices affectant le véhicule litigieux présentaient un caractère apparent ou non, de constater enfin que Monsieur Benjamin de Priester, eu égard à ses compétences professionnelles, ne pouvait ignorer l'état réel du véhicule et de le débouter purement et simplement de l'ensemble de ses demandes et prétentions, de réformer en conséquence le jugement en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente intervenue le 23 septembre 2007 et de condamner Monsieur Benjamin de Priester aux entiers dépens de l'instance ainsi qu'à lui payer la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans ses écritures en réplique du 23 décembre 2011 auxquelles il est également explicitement renvoyé, Monsieur Benjamin de Priester conclut au visa des dispositions des articles 1641, 1644 et 1645 du Code civil et du rapport de Monsieur Serge Escuret du 18 novembre 2002 au débouté de Monsieur Badr Boutrabach de ses demandes, à la confirmation de la décision entreprise sauf en ce qu'elle l'a débouté de sa demande fondée sur l'article 1645 du Code civil. Statuant à nouveau de ce chef, la Cour condamnera Monsieur Badr Boutrabach à lui payer la somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts en application de l'article 1645 du Code civil ainsi qu'à lui rembourser la somme versée à titre de provision pour l'expertise, soit la somme totale de 1 500 euro. Monsieur Badr Boutrabach supportera les entiers dépens de l'instance et lui versera la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'instruction de la procédure a été clôturée par ordonnance du 24 mai 2012 à effet différé du 25 octobre 2012.
SUR CE
Il est constant que le 23 septembre 2007 monsieur Badr Boutrabach a vendu "dans l'état", à Monsieur Benjamin de Priester, le véhicule Renault Mégane immatriculé 925 ACZ 13 moyennant le prix de 4 000 euro. Le procès-verbal de contrôle technique communiqué à l'acquéreur en date du 22 septembre 2007 faisait apparaître le constat de sept défauts à corriger sans obligation d'une contre-visite.
Monsieur Badr Boutrabach reproche au tribunal d'avoir prononcé la résolution de cette vente pour vices cachés alors même que la vente est intervenue "en l'état" et que Monsieur Benjamin de Priester, de par ses compétences professionnelles, ne pouvait ignorer les vices affectant le véhicule.
Monsieur Benjamin de Priester lui oppose la connaissance par Monsieur Badr Boutrabach des vices du véhicule, celui-ci ayant agi de concert avec le contrôleur technique pour tromper le potentiel acquéreur et lui ayant vendu en toute conscience un véhicule pouvant mettre sa vie en danger dans le seul but de percevoir des fonds. Il s'estime donc fondé à solliciter outre la résolution de la vente, l'attribution de dommages et intérêts que le tribunal lui a refusé.
Les vices cachés de la chose vendue qui l'affectent de telle sorte qu'ils la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, permettent à l'acquéreur qui les constate de demander l'annulation de la vente par application des articles 1641 et 1644 du Code civil.
Le défaut doit être occulte au jour de l'achat, la garantie des vices cachés ne couvrant pas les vices apparents ou connus de l'acheteur au jour où intervient la cession. La charge de la preuve en incombe à l'acquéreur.
Il est possible pour le vendeur non professionnel d'un véhicule d'occasion de s'exonérer d'une telle charge en prévoyant une clause expresse dans le contrat. Mais une telle clause invoquée en l'espèce par Monsieur Badr Boutrabach, ne peut être opérante que si le vendeur ignorait lui-même le vice avant la vente.
En l'espèce, l'expert Escuret conclut très clairement que les désordres évoqués par Monsieur Benjamin de Priester ont pu être vérifiés et que de nouveaux désordres ont été dévoilés.
Ainsi, il souligne que si au premier abord et pour un profane - et Monsieur Benjamin de Priester se présente bien comme tel car n'ayant aucune compétence particulière démontrée dans le domaine de l'automobile, le fait d'avoir un temps exploité une entreprise de lavage écologique de véhicules ne le transformant pas en spécialiste de la mécanique - l'aspect général du véhicule paraît moyen, un oeil averti décèle rapidement une dissymétrie générale de l'ensemble des éléments mobiles de carrosserie tel les mauvais ajustement des portières, positionnement des ailes-avant, fixation des bouclier avant et ailes ainsi que des optiques ou encore la déformation du pavillon, signifiant que le véhicule porte des séquelles d'un ou de graves accidents.
Un examen plus approfondi de la structure du véhicule a révélé plus particulièrement un bas de caisse déformé à plusieurs endroits, un tube d'échappement écrasé à l'arrière, une durite d'alimentation arrachée de son logement, un enfoncement du berceau du moteur, quatre traces de pinces de marbre de redressage témoignant du redressement de cette voiture, une désolidarisation de la structure de la traverse inférieure du côté avant droit qui ne peut être fortuite, un soufflé de direction gauche hors d'usage, une mauvaise fixation de radiateurs de climatisation, une absence du cache supérieur de la courroie de distribution, une mauvaise fixation du réservoir hydraulique, une défectuosité du tendeur de courroie, un déchirement de la tôle à l'intérieur du compartiment moteur, enfin des désordres dans l'habitacle du véhicule, tous désordres de structure qualifiés de graves par l'expert et susceptibles de mettre en danger la vie de l'utilisateur et de ses passagers.
Le caractère de dangerosité de ce véhicule est avéré, il est impropre à sa destination.
Ces désordres ont selon Monsieur Escuret pour origine deux accidents consécutifs, le premier plus grave que le second, dont les séquelles ont été réparées en dehors des règles de l'art. Les premières réparations ont été réalisées par un mauvais professionnel puisqu'il a été nécessaire de recourir à un marbre de redressage et les deuxièmes réparations s'apparentent à du mauvais bricolage.
L'expert conclut clairement qu'eu égard à la nature même des désordres constatés, ceux-ci préexistaient à la vente et peuvent être assimilés à des vices cachés.
Il indique très nettement que le vendeur du véhicule ne pouvait ignorer l'état réel de son véhicule et avait de connaissance des désordres présents sur le véhicule. Pour cet homme de l'art, certaines modifications avaient pour but de dissimuler les carences de structure du véhicule à l'image de l'utilisation de vis et des montages réalisés pour donner l'illusion que ce véhicule pourrait prétendre à ses qualités d'origine.
Il ajoute enfin que de par ses compétences et ses formations, le contrôleur technique ne pouvait ignorer les désordres de structure et de carrosserie. Ce véhicule n'aurait selon lui jamais dû bénéficier d'un contrôle technique sans obligation de contre-visite. Il est économiquement irréparable.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments, que Monsieur Benjamin de Priester, vendeur profane, auquel il avait seulement été indiqué au jour de la vente, l'imprécision du témoin Lagnaoui ne permettant pas d'affirmer que l'information de deux accidents successifs a été portée à la connaissance de l'acquéreur, que le véhicule avait subi un choc de trottoir, ce qui lui expliquait l'aspect général moyen du véhicule, ne pouvait, au seul vu du contrôle technique fourni, appréhender sans un examen plus approfondi de la structure même du véhicule, l'état réel de ce véhicule.
Les seuls vices apparents qu'il a ou aurait pu constater et les défauts révélés par le contrôle technique ne nécessitant aucune contre-visite, masquaient l'existence de vices plus importants affectant le véhicule qui ne pouvaient être observés qu'en hissant le véhicule sur un pont de visite et après démontage de certaines pièces.
Le seul fait que ce véhicule ne soit pas tombé en panne et que Monsieur de Priester ait pu effectuer 8 000 km, est sans influence sur la réalité des vices cachés dont il est atteint le rendant impropre à sa destination, voire dangereux pour ses occupants. Les dégradations - bris de glaces et crevaisons de pneus - dont a été victime ce véhicule depuis son acquisition par monsieur de Priester sont sans lien avec les vices préexistants.
Monsieur de Priester n'aurait pas acquis ce véhicule même à 4 000 euro, soit 1 500 euro au-dessous de son prix argus, s'il en avait connu tous les défauts et l'impropriété à sa destination.
Le jugement déféré qui a prononcé la résolution de la vente avec restitution du prix par le vendeur et du véhicule par l'acquéreur mérite confirmation.
Ainsi qu'il l'a été exposé plus haut, Monsieur Boutrabach n'ignorait rien de l'état réel de son véhicule et il a bénéficié d'un contrôle technique de complaisance.
Le fait de cacher volontairement à l'acquéreur l'état réel du véhicule vendu et de lui remettre un certificat de contrôle technique manifestement incomplet constitue des manœuvres sans lesquelles l'acquéreur n'aurait pas contracté. Ces manœuvres ont bien causé à Monsieur de Priester un préjudice puisqu'il a acquis un véhicule à l'état d'épave avec lequel il a roulé un temps en parfaite ignorance de sa dangerosité.
Ce préjudice sera réparé par l'octroi de la somme de 600 euro à titre de dommages et intérêts, somme au paiement de laquelle sera condamné Monsieur Boutrabach.
Par ces motifs : LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement, en matière civile, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté monsieur Benjamin de Priester de sa demande en paiement de dommages et intérêts ; Statuant à nouveau de ce chef, Condamne Monsieur Badr Boutrabach à payer à Monsieur Benjamin de Priester la somme de 600 euro à titre de dommages et intérêts ; Déboute les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires ; Condamne Monsieur Badr Boutrabach aux dépens d'appel avec distraction au bénéfice de la SCP Guizard-Servais ; Vu l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne Monsieur Badr Boutrabach à payer à Monsieur Benjamin de Priester la somme de 1 500 euro au titre de ses frais irrépétibles.