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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 7 mars 2013, n° 11-16439

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Textile Assistance (SARL)

Défendeur :

Galec (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Pomonti, Michel-Amsellem

Avocats :

Mes Couturier, Mouzon, Olivier, Janssens

T. com. Créteil, du 13 déc. 2007

13 décembre 2007

Faits constants et procédure

La société coopérative Groupements d'Achats des Centres Leclerc SC Galec (la société Galec) est la centrale nationale de référencement des magasins réunis au sein du groupement E. Leclerc. Elle a entretenu des relations commerciales avec la société Textile Assistance, chargée d'assurer une prestation de contrôle de conformité des articles vestimentaires commercialisés sous la marque, Tissaïa, marque de distributeur du groupement Leclerc. Ce travail consistait, à partir de janvier ou de juillet de chaque année, à établir un barème dimensionnel à partir des prototypes proposés par les fabricants afin de les rendre conformes aux normes standardisées communes aux professions textiles, puis à analyser les têtes de série, enfin à délivrer un certificat de conformité, aucune production ne pouvant être lancée sans son accord.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 23 septembre 2003, la société Galec, invoquant la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvait la société Textile Assistance à son égard, ainsi que la nécessité de réorganiser ses approvisionnements pour faire face à la concurrence, lui a demandé de prendre toutes dispositions pour remédier à cette situation dans les deux ans à venir et l'a informée que les relations commerciales prendraient fin, en toute hypothèse, le 31 décembre 2005.

Le 7 juillet 2004, la société Galec a confirmé à la société Textile Assistance qu'elle entendait réduire progressivement leur activité commune et mettre fin à leur relation commerciale après la collection printemps/été 2006.

Par acte du 9 août 2006, la société Textile Assistance a fait assigner la société Galec devant le Tribunal de commerce de Créteil aux fins d'obtenir le paiement de dommages-intérêts, notamment, pour rupture brutale de relations commerciales établies, ainsi que de diverses sommes au titre de factures impayées.

Par un jugement en date du 13 décembre 2007, le Tribunal de commerce de Créteil a :

- dit que la société Coopérative Groupements d'Achats des Centres Leclerc SC Galec n'a pas accordé de préavis véritable et suffisant à la société Textile Assistance en réduisant dès janvier 2004 le volume des affaires traitées avec cette dernière, qu'elle a ainsi violé les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et engagé sa responsabilité sur l'année 2004,

- débouté la société Textile Assistance de sa demande de réparation de son préjudice de ce chef, faute de justification,

- l'a déboutée de l'ensemble de ses autres demandes,

- débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire.

Vu l'arrêt en date du 3 décembre 2009 par lequel la Cour d'appel de Paris, statuant sur l'appel interjeté par la société Textile Assistance qui a :

- confirmé le jugement, mais seulement en ce qu'il retient la faute délictuelle du Galec pour rupture brutale d'une relation commerciale établie avec la société Textile Assistance et en ce qu'il rejette la demande de la société Textile Assistance en remboursement de frais de licenciement ainsi que ses demandes en paiement de factures,

- l'a infirmé en ce qu'il a limité à un an le préavis auquel aurait eu droit la société Textile Assistance et en ce qu'il rejette la demande de dommages et intérêts présentée par cette dernière à ce titre,

Et statuant à nouveau de ce chef, a :

- dit que le Galec a engagé sa responsabilité, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, en n'accordant pas à la société Textile Assistance un délai de préavis de deux ans à compter du 31 décembre 2003,

- l'a condamnée à payer à la société Textile Assistance une indemnité de 325 569 euros en réparation du préjudice subi,

- condamné le Galec à payer à la société Textile Assistance une somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et rejette sa demande formée à ce titre ; Vu l'arrêt du 7 juin 2011, rendu par la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation sur le pourvoi n° 10-12.095, formé par le Galec à l'encontre de l'arrêt précité qui l'a cassé et annulé mais seulement en ce qu'il a dit que la société Galec a engagé sa responsabilité, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, en n'accordant pas à la société Textile Assistance un délai de préavis de deux ans à compter du 31 décembre 2003 et en ce qu'il a condamné cette société à payer à la société Textile Assistance une indemnité de 325 569 euros en réparation du préjudice subi, et renvoyé l'affaire à la Cour d'appel de Paris autrement composée ;

Vu la déclaration de saisine de la cour de renvoi en date du 19 juillet 2011 par la société Textile Assistance ;

Vu les dernières conclusions, signifiées le 18 décembre 2012, par lesquelles la société Textile Assistance demande à la cour de :

- dire et juger la société Textile Assistance recevable et fondée en son appel du jugement du 13 décembre 2007 du Tribunal de commerce de Créteil,

- confirmer ce jugement en ce que le Tribunal a retenu le principe de responsabilité à la charge du Galec pour n'avoir " pas accordé de préavis véritable et suffisant à la société Textile Assistance en réduisant dès janvier 2004 le volume des affaires traitées avec cette dernière " d'où il résulte que le Galec " a ainsi violé les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et engagé sa responsabilité sur l'année 2004 ",

- le confirmer de même pour avoir retenu la référence à la marge brute dans ce même jugement pour déterminer le dédommagement consécutif aux fautes du Galec, qui " ne peut être qu'égal au profit perdu, à savoir la marge brute ",

- et infirmer pour le reste le jugement entrepris notamment en ce que le Tribunal a débouté " toutefois la société Textile Assistance de sa demande de réparation de son préjudice de ce chef " - c'est-à-dire en violation par le Galec de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce pour n'avoir pas accordé de préavis véritable et suffisant à la société Textile Assistance,

- dire et juger que les fautes du Galec au sens de l'article 1382 du Code civil et de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, ainsi que le lien de causalité entre ces fautes et les préjudices subis par la société Textile Assistance sont établis,

- condamner le Galec à réparer intégralement les préjudices subis par la société Textile Assistance, d'après ces deux textes précités et l'arrêt de la Chambre commerciale du 6 février 2007, et en conséquence,

- condamner le Galec à payer à la société Textile Assistance :

. la somme de 86 040 euros à titre de dédommagements revenant à la société Textile Assistance en réparation du préjudice subi par celle-ci au titre de la première année de préavis, et résultant des fautes commises par le Galec qui est déclarée, par ce jugement, responsable d'un non-respect du préavis légal sur l'année 2004, en violation de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, alors que le Galec aurait dû maintenir, pendant cette première année de la durée minimale de préavis, les relations dans leur état existant au jour de la notification du principe de la rupture, selon la mention du dernier alinéa de la page 10 de ce même jugement,

. et la somme de 239 529 euros représentant la variation c'est-à-dire la diminution de marge brute entre les exercices 2003 et 2005, qui doit être prise en compte au titre du dédommagement de la perte de cette seconde année de la durée minimale de préavis à l'engagement pris par le Galec dans sa lettre de rupture du 23 décembre 2003 de respecter une durée de préavis de deux ans courant jusqu'au 31 décembre 2005, durée de préavis minimale correspondant de plus aux usages professionnels et que le Galec n'a pas respecté pour les motifs développés ci-dessus.

Soit la somme de 325 569 euros.

Vu les arrêts précités du 23 avril 2003 et du 16 décembre 2008, accorder le doublement de la durée du préavis dès lors que, compte tenu des spécificités de l'intervention et des prestations de la société Textile Assistance :

Textile Assistance assumait réellement la conception de la fabrication et le contrôle de la réalisation technique de cette fabrication conformément à ses barèmes préétablis et ressortant de ses cahiers des charges,

et donc la relation commerciale portait sur la fourniture de services, par la société Textile Assistance, pour la fabrication et donc la fourniture des produits vendus sous marques Tissaïa du distributeur Galec,

- dire et juger en conséquence que la société Textile Assistance avait vocation à percevoir l'équivalent de sa marge brute de l'année 2003 du montant de 442 235 euros, également pour une durée complémentaire de deux ans qui aurait dû courir sur les années 2006 et 2007, du montant total, pour ces deux années, de 884 470 euros (= 442 235 euros) correspondant à deux fois la marge brute de 442 235 euros perçue en 2003,

- dire et juger que la rupture du 23 décembre 2003 a été brutale et fautive, pour avoir été assortie d'une réduction drastique d'activité dès le début du préavis et pour avoir été notifiée à contretemps,

- condamner en conséquence le Galec à payer à la société Textile Assistance, en plus de la somme de 352 569 euros visée ci-dessus, la somme de 884 470 euros au titre de la violation des dispositions de l'article 442-6, 5° du Code de commerce, donc en ce y inclus au titre du doublement de la durée du préavis, pour rupture de la relation commerciale établie portant sur la fourniture de produits sous marque Tissaïa du distributeur Galec

condamner le Galec à payer à la société Textile Assistance :

. la somme de 54 100,67 euros en règlement des factures numéros 4396 et 4397 d'abord cédées en bordereau Dailly avec notification par la Banque Populaire du Val de France au Galec le 30 janvier 2006 en application des articles L. 313-23 à L. 313-34 du Code monétaire et financier puis rétrocédées par cette banque à la requérante, la délivrance de l'assignation emportant signification de cette rétrocession de créance du 27 mars 2006, en application de l'article 1690 du Code civil,

- à payer à la société Textile Assistance la facture 4414 de 19 399,38 euros TTC dont le paiement était exigible au 10 avril 2006, outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation :

et sur la facturation des écarts sur encaissement, du montant de 7 314,93 euros, à payer ce montant de 7 314,93 euros à la société Textile Assistance,

- débouter la société Coopérative Groupements d'Achats des Centres Leclerc SC Galec de ses demandes, défenses, fins et conclusions,

- condamner la société Coopérative Groupements d'Achats des Centres Leclerc SC Galec au paiement d'une indemnité de 12 000 euros à la société Textile Assistance au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Textile Assistance soutient que la responsabilité de la société Galec est engagée car cette dernière a commis une faute en rompant les relations commerciales de manière brutale et abusive sans préavis véritable. Elle fait valoir que la cour d'appel peut se prononcer à nouveau sur l'ensemble du litige sur la base des motifs qu'elle développe et des demandes qu'elle forme sans être en aucune façon liée par une prétendue fixation définitive du préavis à une durée d'une année. Elle développe les raisons pour lesquelles la faute du Galec est engagée. Elle soutient que le préavis ne peut être limité à un an, que d'ailleurs le Galec s'était, dans sa lettre de rupture, engagé à un préavis de 2 ans et qu'en raison de son intervention dans la production de produits de marque de distributeur, le doublement du préavis de 2 ans aurait dû conduire à lui accorder quatre années de préavis. Elle estime à ce titre que la Cour de cassation a mal interprété l'arrêt d'appel cassé, puisque ce dernier avait fixé le préavis à deux ans en raison de la durée de deux ans fixée par la lettre de rupture et non au titre du doublement d'une durée de un an. Elle soutient que l'activité que lui fixait le Galec lui a imposé une exclusivité de fait et que, de plus, la rupture est intervenue à contretemps, c'est-à-dire immédiatement après une augmentation importante d'activité.

Elle conteste s'être placée d'elle-même en position de dépendance économique envers la société Galec. Elle fait valoir que cette société doit la dédommager de tous les préjudices résultant de cette rupture brusque et abusive de la relation commerciale établie. Sur ce point, elle rappelle qu'il résulte de la jurisprudence que le préjudice est constitué par la perte de marge brute. Elle soutient encore que la société Galec s'est engagée, dans la lettre de rupture, à la faire bénéficier de deux années de préavis, qu'elle doit donc être indemnisée dans cette mesure et bénéficier du remboursement du profit perdu au titre de la seconde année de préavis. Enfin, elle invoque à nouveau les chefs de préjudices rejetés par la cour d'appel dans l'arrêt du 3 décembre 2009 dont elle demande réparation.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 7 janvier 2013, par lesquelles la société Galec demande à la cour de :

- dire la société Textile Assistance mal fondée en son appel,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et en particulier en ce qu'il a retenu que le délai de préavis dû à la société Textile Assistance était d'une année,

- faire droit à l'appel incident de la société Galec sur ce dernier point et statuant à nouveau,

- dire et juger qu'en application des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, la société Textile Assistance n'est pas fondée à demander le doublement du délai de préavis auquel elle pouvait prétendre,

- dire et juger, à titre principal, que la société Textile Assistance n'a subi aucun préjudice du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies,

- dire et juger, à titre subsidiaire, que le préjudice dont pourrait se prévaloir la société Textile Assistance ne saurait être supérieur à la somme de 28 300 euros HT,

- ordonner à la société Textile Assistance la restitution de la somme de 335 569 euros à compter de la date de la décision à intervenir, avec intérêts de droit à compter de la même date, et ordonner la capitalisation des intérêts, dans les termes de l'article 1154 du Code civil, à compter de la même date,

- débouter la société Textile Assistance de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société Textile Assistance à verser à la société Coopérative Groupements d'Achats des Centres Leclerc SC Galec, la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Galec soutient que la cassation n'est intervenue qu'en ce que l'arrêt d'appel avait retenu que la société Textile Assistance avait droit au doublement du préavis auquel elle pouvait prétendre et dans cette seule mesure. Elle fait valoir, qu'en conséquence, l'arrêt est devenu définitif en ce qu'il a fixé à un an ce préavis que la cour d'appel a ensuite doublé par une interprétation erronée de l'article L. 442-6 I, 5°. Dès lors, les demandes de la société Textile Assistance portant sur une nouvelle appréciation de la durée du préjudice sont dépourvues de fondement.

Elle soutient qu'elle avait proposé un délai de préavis de deux ans dans la seule mesure où son désengagement était progressif, mais qu'elle n'a pas accepté un tel délai si celui-ci devait s'accomplir dans les conditions d'exercice plein du contrat. Elle affirme ensuite qu'un préavis d'une année pour quatorze années de relations commerciales est conforme à la jurisprudence.

Elle prétend par ailleurs que le préjudice allégué par la société Textile Assistance ne saurait correspondre à une perte de chiffre d'affaires et que les demandes indemnitaires relatives à la perte de marge brute ne sont pas fondées, celle-ci ne pouvant prétendre qu'à une perte de résultat net dans la mesure où l'appréciation au regard de la marge brute adaptée aux activités de négoce n'a pas économiquement de sens s'agissant d'activités de service.

Elle fait enfin valoir que la société Textile Assistance doit assumer sa part de responsabilité dans la réalisation du préjudice dont elle se prévaut car celle-ci s'est en effet elle-même placée dans un état de dépendance économique envers elle.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Motifs

Sur l'étendue de la cassation par l'arrêt du 7 juin 2011

L'arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 7 juin 2011, casse et annule l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris le 3 décembre 2009, mais seulement en ce qu'il a dit que la société Galec a engagé sa responsabilité, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, en n'accordant pas à la société Textile Assistance un délai de préavis de deux ans à compter du 31 décembre 2003 et en ce qu'il a condamné cette société à payer à la société Textile Assistance une indemnité de 325 569 euros en réparation du préjudice subi.

Ainsi la cassation n'a pas atteint les dispositions de l'arrêt du 3 décembre 2009 par lesquelles cette cour a confirmé le jugement en ce qu'il a retenu la faute délictuelle de la société Galec pour rupture brutale d'une relation commerciale établie avec la société Textile Assistance et en ce qu'il a rejeté la demande de cette société en remboursement de frais de licenciement ainsi que ses demandes en paiement de facture. Dès lors, la cour saisie comme cour de renvoi ne saurait statuer à nouveau sur l'existence d'une faute commise par la société Galec dans la rupture des relations commerciales et ne peut donc statuer sur la qualification d'une faute, " au sens de l'article 1382 du Code civil " commise par la société Galec dans la rupture des relations commerciales. Elle ne saurait non plus se prononcer sur les demandes de condamnations au paiement des factures n° 4396, 4397, 4414 et les écarts sur encaissement à concurrence de 7 314,93 euros qui ont été rejetées par le jugement du 13 décembre 2007, puis par la cour d'appel le 3 décembre 2009, par un arrêt désormais définitif sur ces points.

Par ailleurs, la censure qui s'attache à un arrêt de cassation est limitée à la portée du moyen qui lui sert de base et laisse subsister les dispositions non attaquées par le pourvoi, sauf dans les cas d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire. En l'espèce, la cassation est intervenue au visa du premier moyen, pris en ses deux branches. Ce moyen, dont la rédaction est jointe à l'arrêt produit, portait uniquement sur la question du doublement de la durée minimale de préavis par rapport à celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. La première branche soutenait que le mécanisme de doublement n'était pas applicable à la fourniture de prestations de service, ces prestations s'incorporeraient-elles dans le cycle de fabrication de produits sous marque de distributeur. La seconde branche faisait valoir que le mécanisme du doublement ne pouvait être appliqué pour d'autres raisons que la fourniture de produits de marque de distributeur, telles la durée des relations commerciales, la situation de dépendance économique, le caractère saisonnier de l'activité ou encore l'embauche de personnel supplémentaire. C'est donc bien seulement cette analyse que la Cour de cassation a sanctionnée par un motif de violation de la loi.

Les dispositions cassées de l'arrêt d'appel sont celles dont l'énoncé est rappelé ci-dessus et par lesquelles la cour d'appel a dit que la société Galec aurait dû fixer à la société Textile Assistance un préavis de deux ans et fixé le montant des dommages-intérêts en conséquence. Cependant, quand bien même l'application du mécanisme de doublement, inapplicable au cas d'espèce, soit le seul motif de cassation, celle-ci ne peut laisser subsister la disposition de l'arrêt d'appel infirmant le jugement " en ce qu'il limite à un an le préavis auquel aurait eu droit la société Textile Assistance (...) " indivisible de la partie cassée. Il s'en suit que la cour autrement composée, en cour de renvoi doit statuer à nouveau sur la durée du préavis qu'aurait dû respecter la société Galec et sur le montant des dommages-intérêts qui réparera le non-respect du délai de préavis.

Sur le délai de préavis

L'arrêt de cassation précité a, ainsi qu'il a été relevé précédemment, considéré que l'application aux entreprises de prestations de services pour la fourniture de produits sous marque de distributeur du mécanisme de doublement de la durée de préavis prévue par l'article L. 442-6 I, 5° n'était pas conforme à cette disposition. En conséquence, il est inopérant de s'interroger à nouveau, comme le souhaiterait la société Textile Assistance, sur le point de savoir dans quelle mesure les prestations qu'elle offre s'intègrent dans la production des vêtements sous la marque de distributeur Tissaïa et tous les moyens qu'elle développe ensuite sur la durée du préavis en conséquence de cette intégration sont inopérants.

La société Textile Assistance fait valoir, en premier lieu, que par la lettre de rupture du 23 décembre 2003, la société Galec s'est engagée à lui accorder un délai de préavis de deux ans, ce que conteste celle-ci, en soutenant que ce délai de deux ans était accordé dans la circonstance d'une diminution progressive des fournitures de services.

Les 3e et 4e paragraphes de cette lettre énoncent que " (...) le contrôle de conformité et la mise au point des produits Tissaïa seront transférés à moyen terme (2 ans) à notre pôle technique interne Siplec, ce qui va entraîner progressivement une baisse de chiffre d'affaires de votre société. Par ailleurs, je vous confirme que la marque Tissaïa est arrêtée sur le rayon junior en 2004, ces deux évolutions dans notre stratégie de marque propre se traduiront par une baisse d'activité de votre société avec le Galec d'environ 30 % dès la saison de l'hiver 2004.

En toute hypothèse, nous vous informons que nos relations commerciales prendront fin le 31 décembre 2005 (...)". Il résulte donc clairement des termes de cette lettre que la société Galec souhaitait réduire progressivement ses relations commerciales avec la société Textile Assistance pendant deux ans et à l'issue de cette durée, mettre définitivement un terme à leurs relations. Dans ces circonstances, il est établi que celle-ci n'a offert à la société Textile Assistance un préavis de deux ans que dans la mesure où leurs échanges diminueraient pendant cette durée et qu'elle n'a donc pas implicitement reconnu que la société Textile Assistance avait droit, même sans désengagement progressif, à un préavis de deux ans.

Sur la durée raisonnable de préavis

La durée du préavis de rupture d'une relation commerciale doit, aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, être fixée en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des usages du commerce. Il résulte de la jurisprudence que l'appréciation de cette durée doit tenir compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce (voir en ce sens, notamment, Cass. com. 3 mai 2012, Bull. civ. IV n° 85 et arrêt cité).

La société Textile Assistance soutient que les relations commerciales avec le groupement d'achat de l'enseigne Leclerc ont débuté en 1989, ce que ne conteste pas la société Galec. Les relations entre les parties, qui ont été rompues par la société Galec en décembre 2003, auront donc duré 14 ans.

La société Galec ne conteste pas non plus que la société Textile Assistance se soit trouvée dans une situation de dépendance envers elle, ce qu'elle a reconnu d'ailleurs dans sa lettre de rupture, ses critiques portant seulement sur les responsabilités de la société Textile Assistance dans cette situation qu'elle aurait elle-même choisie. Par ailleurs, l'appelante fait valoir que la rupture serait intervenue à contretemps c'est-à-dire juste après une augmentation importante d'activité imposée par la société Galec.

Il résulte du tableau retraçant les montants des prestations entre les années 2000 et 2006 que la rupture annoncée en décembre 2003 faisait effectivement suite à une notable augmentation d'activité (+ 13,74 % de 2002 par rapport à 2001 et + 30,01 % de 2003 par rapport à 2002). La société Galec qui conteste ces chiffres tout en reconnaissant néanmoins que l'augmentation d'activité a été réelle, soutient que la société Textile Assistance, qui avait jusqu'alors travaillé avec des sous-traitants, aurait pu continuer à procéder de la sorte et ne se trouvait pas dans l'obligation d'embaucher du personnel. La société Textile Assistance démontre par une attestation de son expert-comptable que sa politique de désengagement envers les sous-traitants au profit de l'accroissement des emplois a débuté à partir de 2002. Il ne saurait lui être reproché d'avoir procédé de la sorte alors que la société Galec n'allègue et encore moins ne démontre qu'elle lui aurait signalé ou permis de comprendre que les montants de commandes n'étaient que ponctuels ou qu'ils n'étaient pas destinés à durer.

S'agissant de l'exclusivité consacrée par la société Textile Assistance à la société Galec, il résulte d'une attestation établie par Mme Beaucourt, responsable commerciale du marché adulte, dans le département textile achats de la société Galec, que les prestations fournies par la société Textile Assistance représentaient " (...) une charge de travail très importante ", une " cadence soutenue " accomplie dans " des délais tendus du fait de la demande croissante de la politique Leclerc d'augmenter le nombre de produits Tissaïa ". Cependant, ces constats ne démontrent pas que la société Textile Assistance se serait, à la demande de la société Galec, exclusivement consacrée aux prestations demandées par elle, cette preuve n'étant pas davantage rapportée par l'utilisation par Mme Beaucourt, à deux reprises, des termes " mandat exclusif " qu'elle appuie d'un astérisque. Par ailleurs, quand bien même les demandes de la société Galec auraient été importantes ou en croissance, rien n'empêchait la société Textile Assistance d'embaucher du personnel pour répondre à cette demande et se diversifier afin de se mettre à l'abri des conséquences d'une éventuelle rupture des relations commerciales, aléa inhérent à la vie des affaires.

Enfin, la société Textile Assistance invoque la spécificité des services rendus par elle à la société Galec nécessitant des connaissances techniques particulières. Elle précise à ce sujet qu'elle avait participé à la mise au point d'un barème de gradation des modèles, qu'elle était responsable du lancement des productions et des contrôles techniques des collections tout au long du processus de fabrication. Toutefois, elle ne démontre là encore nullement que la société Galec lui aurait demandé de lui consacrer l'exclusivité de son activité et si, ainsi qu'elle le soutient, les gradations des modèles de la marque Tissaïa étaient propres à ces modèles, elle n'établit pas la preuve de ce qu'elle n'avait pas la possibilité de proposer un quelconque des services correspondant à son savoir-faire à d'autres distributeurs de vêtements.

Ainsi, les relations commerciales entre les parties ont duré 14 ans, la rupture est intervenue de manière brutale après avoir connu une hausse notable qui avait conduit la société Textile Assistance à embaucher du personnel supplémentaire et sans que lui soit donné de signe de ce que cette augmentation n'était que ponctuelle. Par ailleurs, si cette rupture est intervenue alors que la société Textile Assistance se trouvait en situation de dépendance de fait vis-à-vis de la société Galec, il n'est pas démontré que celle-ci ait demandé l'exclusivité des prestations de la société Textile Assistance, ni que les spécificités techniques du travail accompli empêchaient celle-ci de diversifier son activité pour se garantir des conséquences d'une diminution des commandes de la société Galec, voire d'une rupture. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, le préavis qu'aurait dû respecter la société Galec est fixé à 12 mois. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Sur l'indemnisation du préjudice

Ainsi qu'il a été retenu précédemment, l'arrêt rendu par la Cour de cassation dans cette affaire a réservé l'application du mécanisme de doublement de la durée de préavis prévu par l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce aux seuls cas de ruptures brutales de relations commerciales portant sur la fourniture, stricto sensu, de produits sous marque de distributeur. Cette application stricte du mot " fourniture " n'est ni antinomique ni contradictoire avec l'application faite par la Cour de cassation des termes " relation commerciale établie " dont la généralité permettait une interprétation plus étendue et notamment leur application aux relations de prestations de services. Quoi qu'il en soit, il résulte de l'arrêt du 7 juin 2011 que le bénéfice de ce mécanisme ne peut être revendiqué par la société Textile Assistance qui commercialisait en l'espèce des services et ce quand bien même ces services eussent-ils concerné une fourniture de produits sous marque de distributeur.

Contrairement à ce que soutient la société Galec, l'arrêt précité ayant cassé la disposition de l'arrêt du 3 décembre 2009 relative au montant des dommages-intérêts, la cour de renvoi doit se prononcer à nouveau sur ce montant au regard des éléments et demandes qui lui sont soumis.

L'indemnisation de la rupture brutale d'une relation commerciale porte sur le gain manqué du fait de la brutalité de la rupture, c'est-à-dire par la marge brute qu'elle aurait réalisé si le préavis avait été respecté. La société Textile Assistance soutient, dans certains de ses développements, que la notification de la rupture le 23 décembre 2003 est intervenue après une première rupture partielle puisque les commandes pour l'été 2004, en juillet 2003, ont été moins importantes que celles qui avaient été faites pour l'été 2003. Elle reconnaît cependant en page 37 de ses conclusions que " le préavis, quelle que soit sa durée, aurait dû comporter une activité d'une ampleur similaire à l'activité réalisée au cours de l'année 2003 précédant la notification de rupture le 22/12/2003 ". C'est donc bien à cette date que doit être apprécié le point de départ de la rupture.

En l'espèce, la société Textile Assistance a continué à fournir des services à la société Galec pendant les années 2004 et 2005. Dans la mesure où le préavis de rupture doit se réaliser dans les mêmes conditions de flux que les années précédentes, il convient d'évaluer le préjudice au regard de la perte de marge brute pour l'année 2004 pendant laquelle la société Textile Assistance aurait dû bénéficier d'une marge brute équivalente à la moyenne de celle des deux années précédentes.

La société Textile Assistance produit à ce sujet une attestation de son expert-comptable certifiant que la marge brute réalisée par celle-ci a été de 442 235 euros en 2003, de 356 195 euros en 2004 et de 202 706 euros en 2005. L'expert-comptable atteste au surplus d'une perte de marge brute qui s'élève à 86 040 euros entre les exercices 2003 et 2004 et à 153 489 euros entre les exercices 2004 à 2005.

Cependant, ainsi que le fait observer la société Galec, les données figurant dans les " états des soldes intermédiaires de gestion ", fournis par la société Textile Assistance (pce. 72), permettent de constater que la marge brute ainsi alléguée est égale au chiffre d'affaires réalisé par année, déduction faite du montant total de la sous-traitance. Or, ce qui correspond à la marge brute pour une entreprise de négoce de produits (prix de vente des produits prix de vente des achats de ceux-ci) ne peut se calculer au regard des mêmes données pour une activité de services, dont le profit résulte du prix de vente des services, déduction faite de la charge de leur mise en œuvre pour l'entreprise. Cette analyse, contrairement à ce que soutient la société Textile Assistance, n'introduit aucune disparité entre les entreprises de services et celles de fourniture de biens, mais au contraire, permet de traiter de façon similaire les préjudices qu'elles peuvent subir en cas de rupture brutale des relations commerciales.

Il convient, dans ces conditions, de se référer au montant de l'excédent brut d'exploitation qui correspond à la valeur ajoutée (marge brute globale - autres achats et charges externes) déduction faite des coûts liés au personnel. Or les documents précités (états des soldes intermédiaires de gestion) permettent de constater que l'excédent brut d'exploitation a été de 85 324 euros pour l'année de 2003 et de 137 700 euros pour 2004, année au cours de laquelle le préavis a été partiellement exécuté. Cette hausse de l'excédent brut réalisé montre que la société Textile Assistance a su rapidement se réorganiser et s'adapter, afin de réduire les pertes que représentaient les diminutions de commandes de la société Galec. Cependant, il n'en demeure pas moins que celle-ci devait, ainsi qu'il a été rappelé dans les développements précédents et ainsi qu'elle l'a admis, confier à sa partenaire, pendant le préavis, une activité d'une ampleur similaire à l'activité réalisée au cours de l'année précédente, soit l'année 2003. Il convient, en conséquence, de considérer que le préjudice de la société Textile Assistance résulte de la perte d'excédent brut d'exploitation qu'elle aurait dû réaliser si la société Galec lui avait confié autant d'activité en 2004 qu'en 2003. La société Textile Assistance soutient dans ses conclusions qu'elle a subi en 2004 une baisse de chiffre d'affaires par rapport à 2003 de 28 %, ce que ne conteste pas la société Galec. Ce taux de perte, représentatif de la baisse des commandes de la société Galec, appliqué à l'excédent brut d'exploitation pour 2003 permet de fixer le préjudice résultant de la rupture brutale à 23 890 euros (85 324 X 28 %).

Le jugement sera donc réformé en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation de la société Textile Assistance et la société Galec sera condamnée à payer à la société Textile assistance la somme de 23 890 euros.

Sur les autres demandes

Ainsi qu'il a été relevé dans les développements précédents consacrés l'étendue de la cassation par l'arrêt du 7 juin 2011, les dispositions de l'arrêt du 3 décembre 2009 rejetant les demandes en paiement des frais relatifs aux licenciements des salariés, ainsi que des factures n° 4396, 4397, 4414 et 4415 est devenu définitif en raison de ce que la cassation n'est que partielle. La société Textile Assistance ne peut donc présenter à nouveau les mêmes demandes.

Sur la demande de restitution de la somme de 335 569 euros formée par la société Galec

Le présent arrêt valant titre, il n'y a pas lieu de se prononcer sur la demande de restitution de la somme de 335 569 euros formée par la société Galec. Il convient néanmoins de préciser que les intérêts produits par cette somme, déduction faite de la somme de 23 890 euros, due à compter du mois suivant le prononcé de l'arrêt, se capitaliseront dans les conditions prévues par l'article 1154 du Code civil ;

Au regard de l'ensemble des éléments du dossier, il n'y a pas lieu de prononcer de condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Créteil le 13 décembre 2007 entre les parties, mais seulement en ce qu'il a débouté la société Textile Assistance de sa demande de réparation de son préjudice du chef de la rupture brutale, faute de justification ; Condamne la société coopérative Groupements d'Achats des Centres Leclerc, SC Galec, à verser à la société Textile Assistance la somme de 23 890 euros en réparation de son préjudice ; Dit que la somme versée par la société coopérative Groupements d'Achats des Centres Leclerc SC Galec à la société Textile Assistance qui devra être restituée en exécution du présent arrêt, déduction faite du montant de la condamnation prononcée ci-dessus, produira intérêts dans le mois suivant son prononcé dans les conditions de l'article 1154 du Code civil ; Rejette toutes les autres demandes plus amples des parties ; Dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société coopérative Groupements d'Achats des Centres Leclerc, SC Galec aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.