CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 28 février 2013, n° 11-07982
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Midi Pyrénées Communication (SARL)
Défendeur :
SFR (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mmes Pomonti, Michel-Ansellem
Avocats :
Mes Fisselier, Leloup, Fertier, d'Alès, Aynès
FAITS CONSTANTS ET PROCEDURE
La société Française du Radiotéléphone (la société SFR), qui exploite un réseau de téléphonie mobile ouvert au public, diffuse et commercialise les abonnements à son réseau soit directement, soit par la grande distribution spécialisée ou généraliste, soit par des commerçants indépendants multimarques, soit par des commerçants indépendants dits "Partenaires".
Ces commerçants "Partenaires" se voient concéder par la société SFR, l'usage de la marque SFR et d'une enseigne "Espace SFR", associée à un concept de point de vente bénéficiant d'aménagements et de publicité sur le lieu de vente spécifique, au moyen d'un contrat de distribution dit "Contrat Partenaire". En contrepartie de cette concession d'enseigne, les commerçants "Partenaires" s'engagent à ce que 80 % des abonnements souscrits par l'intermédiaire de leur point de vente soient des abonnements SFR. Ils restent libres en revanche de revendre le matériel et les accessoires de téléphonie mobile de leur choix ou de développer des activités ou lignes d'autres produits.
La société Midi Pyrénées Communication (la société MPC), créée en 1998 par M. Cheminard, a été l'un de ces commerçants "Partenaires" et elle a exploité ses points de vente sous l'enseigne "Espace SFR" à partir de l'année 2000. À la suite de différents litiges, la société SFR a conclu, le 25 mars 2003, avec la société Midi Pyrénées Communication de nouveaux contrats "Partenaires", portant sur les trois magasins exploités par cette dernière, pour une durée initiale de 3 ans, reconductible tacitement pour une durée de 2 ans, avec une faculté de résiliation moyennant un préavis de 3 mois, sans pouvoir mettre un terme à l'un quelconque de ces nouveaux contrats à l'issue de la première période de 3 ans, garantissant ainsi à la société MPC 5 ans de partenariat contractuel.
Le 31 décembre 2008, la société SFR a décidé, en raison de la dégradation de leurs relations, de ne pas renouveler, à leur échéance, les contrats de distribution conclus avec la société MPC. Celle-ci a, par acte du 16 décembre 2009 , fait assigner la société SFR devant le Tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir la requalification en contrat d'agence commerciale de deux des contrats de distribution dits "Contrats Partenaires". Elle a aussi demandé la condamnation de la société SFR au paiement d'une indemnité de fin de contrat d'un montant de 1 196 928 euros, faute de renouvellement des contrats à leur échéance par cette dernière.
Par un jugement en date du 15 mars 2011, le Tribunal de commerce de Paris a :
- débouté la société Midi Pyrénées Communication de l'ensemble de ses demandes,
- condamné la société Midi Pyrénées Communication à payer à la société SFR la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires.
Vu l'appel interjeté le 27 avril 2011 par la société MPC contre ce jugement.
Vu les dernières conclusions, signifiées le 12 décembre 2012, par lesquelles la société Midi Pyrénées Communication demande à la cour de :
- déclarer recevable l'appel formé par la société Midi Pyrénées Communication,
- la recevant en son appel, réformer dans toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 15 mars 2011 et statuant à nouveau,
- dire et juger que les contrats du 25 mars 2003 entre la société SFR et la société Midi Pyrénées Communication relatifs respectivement au point de vente de la (...) et au point de vente de la (...) sont des contrats de mandat,
- dire et juger que ce sont des contrats de mandat d'intérêt commun répondant aux exigences des articles L. 143-1 et suivants du Code de commerce et par conséquent des contrats d'agence commerciale,
- dire et juger que la société Midi Pyrénées Communication a présenté dans l'année de la cessation des contrats la demande d'indemnité de cessation de contrat prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce,
- condamner en conséquence la société SFR à verser à la société Midi Pyrénées Communication la somme de 1 196 928 euros avec intérêts de droit du 16 décembre 2009,
- ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1154 du Code civil,
- rejeter toutes demandes, fins et conclusions de la société SFR,
- condamner la société SFR à verser à la société Midi Pyrénées Communication la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Subsidiairement,
- vu l'article 267 du Traité Européen, soumettre à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante :
"Le droit communautaire, et plus particulièrement la directive du Conseil 86-653 du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants, doit-il être entendu en ce sens que la qualité d'agent commercial selon la dite directive est refusée au professionnel qui, chargé de négocier des opérations au nom et pour le compte du commettant, ne peut aucunement modifier le tarif, décidé par le commettant, de ces opérations".
La société Midi Pyrénées Communication soutient que le contrat "partenaire" est un mandat et que celui-ci est un mandat d'intérêt commun car le cocontractant de SFR a pour mission de placer pour le compte de celle-ci des abonnements ou droits d'accès au service. Elle en conclut qu'elle doit bénéficier du statut d'agent commercial.
Dans le cas où la cour aurait un doute sur le sens qu'il convient de donner au verbe "négocier" qui permet de qualifier l'octroi du statut d'agent commercial, la société MPC l'invite à soumettre à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle énoncée dans le dispositif de ses conclusions.
En application du statut d'agent commercial, elle revendique le paiement de l'indemnité de cessation du contrat et soutient que le montant de l'indemnisation doit correspondre au montant de deux années de commissions.
Vu les dernières conclusions, signifiées le 18 décembre 2012, par lesquelles la société SFR demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce du 15 mars 2011 dont appel,
En conséquence,
A titre principal,
- dire et juger que les Contrats Partenaires conclus entre la société SFR et la société Midi Pyrénées Communication ne permettaient pas à cette dernière ni de conclure, ni de négocier des contrats au nom et pour le compte de la société SFR,
- dire et juger que les critères du contrat d'agence commerciale et/ou du mandat d'intérêt commun ne sont pas réunis au cas d'espèce,
En conséquence,
- débouter la société Midi Pyrénées Communication de sa demande de requalification des contrats partenaires en contrats d'agence commerciale et/ou en mandat d'intérêt commun,
A titre subsidiaire,
- dire et juger que la société Midi Pyrénées Communication a valablement renoncé au statut d'agent commercial,
- dire et juger que cette renonciation satisfait les conditions posées par les dispositions de l'article L. 134-15 du Code de commerce,
En conséquence,
- débouter la société Midi Pyrénées Communication de sa demande de requalification des Contrats Partenaires en contrats d'agence commerciale,
A titre très subsidiaire,
- dire et juger que le quantum de la demande de la société Midi Pyrénées Communication au titre de l'indemnité de fin de contrat n'est pas justifié,
En conséquence,
- débouter la société Midi Pyrénées Communication de sa demande de paiement de deux années de commission au titre d'indemnité de fin de contrat d'agence commerciale,
En tout état de cause,
- dire et juger que les Contrats Partenaires ne sont pas constitutifs d'une entente prohibée,
En conséquence,
- débouter la société Midi Pyrénées Communication à verser à la société SFR la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société SFR soutient que les qualifications de mandat d'intérêt commun et d'agence commerciale doivent être écartées car la société SFR n'a jamais confié à la société MPC de mandat d'accomplir un quelconque acte juridique en son nom et pour son compte. En outre, elle précise que la société MPC n'a disposé d'aucun pouvoir de négociation, ce qui exclut d'autant plus la qualification du contrat d'agence commerciale.
Elle fait valoir que la demande de la société MPC de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne n'est pas utile car il n'existe aucun débat réel sur le sens à donner à l'article 1.2 de la Directive, tel que transposé en droit français.
Elle fait ensuite valoir qu'il a été démontré que la société Midi Pyrénées Communication a renoncé expressément à se prévaloir du statut d'agent commercial par la signature des contrats qui stipulaient de façon claire qu'il ne s'agissait en aucun cas de contrats d'agence commerciale au sens de la loi du 25 juin 1991.
Elle considère également que la demande financière de la société MPC est injustifiée car celle-ci ne justifie pas du montant de sa demande d'indemnité et par ailleurs elle a commis des erreurs dans la méthode de calcul.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Sur l'existence d'un mandat d'intérêt commun
Le contrat "Partenaire" précise en son article 2 qu'il a pour objet de confier au partenaire "la diffusion des services de radiotéléphonie publique" exploités par la société SFR, "ainsi que les tâches liées à l'enregistrement des demandes d'abonnement aux dits services sur le réseau (...) de SFR". Il est prévu à l'article 5.1 que "le Partenaire s'engage à n'apporter aucune modification que ce soit, aux tarifs et conditions fixés par SFR pour la souscription des abonnements aux Services", qu'il s'engage à veiller à la qualité de l'accueil réservé à ses clients, à "(...) enregistrer les demandes d'abonnement et à respecter les procédures établies et communiquées par SFR en matière de prise d'abonnements et de gestion des cartes SIM. Il utilise les formulaires et documents remis par SFR. (...) Il remet les cartes SIM aux abonnés aux services. À ce titre, il intervient en qualité d'intermédiaire entre l'abonné et SFR et ne peut en aucun cas s'engager vis à vis des abonnés de SFR, ou conclure, tout contrat, au nom et pour le compte de SFR". Par ailleurs, le Partenaire "(...) s'engage à effectuer la collecte et la vérification matérielle des informations contractuelles recueillies auprès des futurs abonnés, et nécessaires à l'obtention des abonnements et ce, conformément aux procédures invoquées par SFR". De son côté SFR "(...) ouvre au Partenaire l'accès aux serveurs télématiques ou informatiques qui permettent d'enregistrer les demandes d'abonnements relatives à l'utilisation des Services visés à l'article 3 du (...) contrat" et "(...) assure la gestion des dossiers d'abonnés aux Services, la gestion du plan de numérotation, l'ouverture et la fermeture des numéros d'abonnés et valide les demandes d'abonnements souscrites par l'intermédiaire du Partenaire, dès lors que celles-ci sont conformes aux critères visés à l'article 5.4".
L'ensemble de ces dispositions démontre que la société MPC était un intermédiaire entre la société SFR et sa clientèle, mais qu'elle n'accomplissait pour elle aucun acte juridique. En effet, son rôle consistait principalement à présenter les options de contrat de service de la société SFR, à recueillir les demandes d'abonnement et à les transmettre à la société SFR, laquelle si elle s'engage à satisfaire les demandes d'abonnements souscrites par le Partenaire, garde néanmoins la possibilité de rejeter les demandes qui n'ont pas été souscrites dans le respect des procédures. La société MPC qui fait valoir qu'elle a pour mission essentielle de convaincre les consommateurs de souscrire un abonnement SFR plutôt que ceux des concurrents, puis de faire souscrire les abonnements, ne peut se prévaloir à ce sujet d'accomplir un acte juridique au nom de la société SFR dans la mesure où le contrat précise sur ce point que le Partenaire "enregistre les demandes d'abonnement" et que rien ne démontre qu'elle ait fait autre chose que recueillir les informations et documents nécessaires à l'enregistrement de la demande et les transmettre ensuite à la société SFR.
Dans ces conditions, le contrat partenaire ne peut être qualifié de mandat contrairement à ce que soutient la société MPC et celle-ci ne peut donc soutenir avoir exercé un mandat d'intérêt commun.
N'étant pas mandataire de la société SFR, la société MPC ne peut non plus prétendre au bénéfice du statut d'agent commercial, puisque que l'article L. 134-1 du Code de commerce qui énonce que "L'agent commercial est un mandataire qui à titre de profession indépendante (...) est chargé de façon permanente de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels de commerçants ou d'autres agents commerciaux (...)" subordonne la qualification d'agent commercial à la qualité de mandataire.
Par ailleurs et surabondamment, il convient de relever que les termes du contrat relevés ci-dessus démontrent que la société MPC n'avait aucun pouvoir pour modifier les termes, les conditions ou les tarifs des abonnements qu'elle présentait aux clients et que son rôle, qu'elle revendique d'ailleurs, consistait à convaincre les clients de la supériorité des abonnements SFR par rapport à ceux des concurrents. Si, ainsi que l'appelante le soutient, le sens du verbe négocier ne saurait se limiter à la seule possibilité de baisser les prix, il n'en demeure pas moins, sans qu'il soit nécessaire de poser une question préjudicielle a cet égard à la Cour de justice de l'Union européenne, que ce terme implique cependant une possible discussion entre parties sur les conditions du contrat afin d'aboutir, éventuellement, aux termes de concessions réciproques, à un accord qui les satisfasse. Or, ainsi qu'il a déjà été relevé, la société MPC ne disposait, contractuellement et dans les faits, d'aucun pouvoir pour modifier les conditions et clauses des abonnements, elle ne pouvait donc accorder une quelconque concession et, dans ces conditions, ne pouvait négocier les contrats pour le compte de la société SFR.
En conséquence, la société MPC ne peut prétendre au paiement de l'indemnité de cessation de contrat et le jugement déféré doit être confirmé.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société SFR l'intégralité du montant des frais non compris dans les dépens qu'elle a du exposer pour faire valoir ses droits. En conséquence la société MPC sera condamnée à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Rejette les plus amples demandes des parties, Condamne la société Midi Pyrénées Communication à payer à la société Française du radiotéléphone- SFR la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Midi Pyrénées Communication dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.