CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 7 mars 2013, n° 12-04392
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Toaster (SARL)
Défendeur :
Hewlett-Packard France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mmes Pomonti, Michel-Amsellem
Avocats :
Mes Galland, Altabef, Couturier, Behr
FAITS CONSTANTS ET PROCÉDURE
La société Hewlett Packard France (la société HP France) a pour activité principale la commercialisation et la distribution de produits de marque HP (ordinateurs, imprimantes et serveurs, notamment) et services associés, à destination du grand public et des professionnels.
La société Toaster, créée en 1997, a notamment pour activité le marketing direct. Elle a, après avoir participé à un appel d'offres initié en avril 2009, signé le 4 août 2009 un contrat-cadre de prestation de services d'une durée de deux ans avec la société de droit néerlandais Hewlett Packard Europe BV (la société HP Europe), dont le siège est situé à Genève, ce contrat étant soumis au droit suisse et contenant une clause attributive de juridiction au profit des tribunaux commerciaux de Genève.
La société Toaster soutient qu'en exécution de ce contrat-cadre, la société Hewlett Packard France (HP France) lui a passé directement, continuellement et régulièrement commande pendant plus de treize ans.
La société Toaster se prévaut d'une réduction, voire d'une absence de commandes de la part de la société HP France à compter du 22 mars 2010 pour soutenir qu'il y a eu une rupture brutale et abusive de ses relations commerciales établies avec la société HP France.
Par acte du 22 juillet 2010, la société Toaster a été autorisée à assigner à bref délai la société HP France, ce qu'elle a fait par acte du 29 juillet 2010 devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de la voir condamner à l'indemniser des conséquences de la rupture qu'elle estime brutale et abusive de la relation contractuelle.
Par jugement du 25 février 2011, le Tribunal de commerce de Paris a rejeté la demande de mise hors de cause de la société HP France et s'est déclaré compétent.
Par un jugement en date du 20 janvier 2012, le Tribunal de commerce de Paris a :
- dit la société Toaster recevable,
- dit qu'il n'y a pas eu rupture brutale et abusive de la part de la société HP France,
- débouté la société Toaster de l'ensemble de ses demandes au titre de la rupture brutale et abusive,
- dit qu'il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- dit qu'il n'y a pas lieu à ordonner l'exécution provisoire,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires aux présentes dispositions.
Vu l'appel interjeté le 7 mars 2012 par la société Toaster contre cette décision.
Vu les dernières conclusions, signifiées le 17 septembre 2012, par lesquelles la société Toaster demande à la cour de :
- accueillir la société Toaster en ses demandes,
- l'y dire bien fondée,
En conséquence,
Sur les exceptions de procédure,
- dire la société HP France irrecevable en son appel incident,
- subsidiairement, la dire mal fondée.
Au fond,
A titre principal,
- réformer le jugement du Tribunal de commerce de Paris le 20 janvier 2012, et statuant à nouveau,
- dire et juger que la société HP France a rompu brutalement et abusivement la relation contractuelle la liant depuis treize ans avec la société Toaster,
- condamner la société HP France à verser la somme de 807 160 euros, en réparation du préjudice subi au titre du gain manqué par la société Toaster,
- condamner la société HP France à verser la somme de 180 346 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi des pertes d'exploitation de la société Toaster,
- condamner la société HP France à verser la somme de 70 000 euros en réparation du préjudice moral et de l'atteinte à l'image subis de la société Toaster,
- condamner la société HP France à verser la somme de 56 600 euros en réparation des frais d'étude et perte d'exploitation subi de la société Toaster dans le cadre de la compétition de juin 2009,
- condamner la société HP France à verser la somme de 70 000 euros en réparation du préjudice subi par la société Toaster à raison de l'exécution de mauvaise foi du contrat,
A titre subsidiaire,
- avant-dire droit, désigner tel expert judiciaire qui lui plaira avec pour mission de :
- entendre les parties et tous sachants,
- se faire remettre tous documents utiles à l'exécution de sa mission,
- recueillir tous éléments de nature à permettre à la cour d'apprécier les différents préjudices subis par la société Toaster, et, notamment, d'établir le chiffre d'affaires réalisé avec la société HP France, depuis le début de leur relation contractuelle,
- déterminer la marge brute réalisée par la société Toaster, sur cette même période,
- recueillir tous les éléments nécessaires pour apprécier la valeur du fonds de commerce exploité par la société Toaster,
- plus généralement de répondre à tous dires et réquisitions des parties,
- dire que l'expert pourra se faire assister par tout sapiteur de son choix,
- fixer le montant de la consignation à valoir sur les honoraires de l'expert et ordonner leur consignation par la société HP France,
- condamner la société HP France à verser la somme de 100 000 euros à titre de provision sur les condamnations à intervenir,
En tout état de cause,
- dire et juger que ces condamnations porteront intérêt au taux légal à compter du 26 mars 2010 et ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du Code civil,
- ordonner l'exécution provisoire dans constitution de garantie,
- condamner la société HP France à verser la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Toaster soutient que, le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 25 février 2011 n'a pas fait l'objet de contredit de sorte qu'il a acquis force de chose jugée et que la société HP France est irrecevable en son appel incident. Elle fait valoir, qu'en tout état de cause, la clause de compétence et de choix de loi est inapplicable.
Elle considère également qu'elle n'a jamais reçu commande et facturé d'autre entité du groupe HP que la société HP France, de sorte qu'elle a bien intérêt à agir contre cette dernière. Elle estime ensuite être victime d'une rupture fautive par la société HP France de relations commerciales continues établies depuis treize ans et que les fautes ainsi commises lui ont occasionné des préjudices.
Enfin, elle sollicite, à titre subsidiaire, une expertise pour permettre l'appréciation des différents préjudices subis par la société Toaster, et, notamment, l'établissement du chiffre d'affaires réalisé avec la société HP France, depuis le début de leur relation contractuelle.
Vu les dernières conclusions, signifiées le 16 novembre 2012, par lesquelles la société HP France demande à la cour de :
A titre principal,
- constater que la société Toaster invoque une rupture du contrat-cadre conclu avec la société HP Europe,
En conséquence,
- déclarer le Tribunal de commerce de Paris incompétent du fait de la clause limitative attributive de compétence aux juridictions commerciales de Genève et une clause de choix de loi,
- dire recevable l'appel incident formé par la société HP France,
Subsidiairement,
- dire irrecevable l'action de la société Toaster contre la société HP France pour défaut d'intérêt à agir, en raison du contrat conclu avec la société HP Europe en août 2009,
En tout état de cause,
- infirmer le jugement avant-dire droit du Tribunal de commerce de Paris du 25 février 2011 en toutes ses dispositions,
A titre subsidiaire,
- constater qu'aucune rupture par la société HP France du contrat de référencement conclu entre la société HP Europe et la société Toaster le 4 août 2009 n'est intervenue,
- constater l'absence de toute démonstration d'une violation par la société HP France des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce,
- constater l'absence de dépendance économique de la société Toaster à l'égard de la société HP France,
- constater l'absence de toute démonstration d'un préjudice effectif,
En conséquence,
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 20 janvier 2012 en toutes ses dispositions,
- débouter la société Toaster de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
En tout état de cause,
- condamner la société Toaster à payer à la société HP France la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société HP France estime que le Tribunal de commerce de Paris ne pouvait se déclarer compétent pour statuer mais devait appliquer la loi contractuelle et renvoyer le litige à la compétence des juridictions commerciales de Genève.
Subsidiairement, elle demande sa mise hors de cause compte tenu du défaut d'intérêt à agir de la société Toaster à son encontre et constate que le contrat avec la société HP France a été résilié et remplacé par le contrat avec la société HP Europe, après participation de la société Toaster à l'appel d'offres de la société HP Europe. Selon elle, toutes les commandes passées par la suite sont régies par les termes de ce nouveau contrat.
Elle fait valoir que la loi suisse s'applique et estime qu'elle ne saurait être sanctionnée sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce. Enfin, elle considère que la société Toaster ne démontre pas de préjudice sérieux, en l'absence de chiffres fiables et vérifiables.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
La société HP France forme un appel incident contre le jugement avant-dire droit rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 25 février 2011, en estimant qu'il ne pouvait se déclarer compétent mais devait appliquer la loi contractuelle et renvoyer le litige à la compétence des juridictions commerciales de Genève.
La société Toaster soutient que cet appel incident est irrecevable car la société HP France aurait dû, en application de l'article 80 alinéa 1 du Code de procédure civile, former contredit dans les quinze jours du prononcé de la décision et que, faute de l'avoir fait, ce jugement a acquis force de chose jugée.
L'article 80 alinéa 1 du Code de procédure civile dispose que "lorsque le juge se prononce sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, sa décision ne peut être attaquée que par la voie du contredit, quand bien même le juge aurait tranché la question de fond dont dépend la compétence."
Par son jugement avant-dire droit du 25 février 2011, le Tribunal de commerce de Paris a :
- rejeté la mise hors de cause de la société HP France,
- dit l'exception d'incompétence recevable mais mal fondée,
- s'est, en conséquence, déclaré compétent et a renvoyé la cause à l'audience du 16 mars 2011.
Le tribunal s'est donc, non seulement prononcé sur sa compétence, mais également sur la recevabilité de l'action de la société Toaster à l'égard de la société HP France qui soulevait le défaut d'intérêt à agir à son encontre de la société Toaster. En conséquence, le tribunal a partiellement statué sur le fond du litige, de sorte que seul l'appel était possible et que donc l'appel incident formé par la société HP France est recevable.
La société HP France fait valoir que la seule relation contractuelle existant entre les parties s'est déroulée en application du contrat-cadre intitulé "EMEA Master Standard Services Agreement" signé entre la société HP Europe et la société Toaster le 4 août 2009.
C'est également ce qu'admet la société Toaster qui affirme que les relations qu'elle entretenait avec la société HP France "depuis plus de treize ans" intervenaient dans le cadre de contrats successifs portant sur diverses prestations "telles que prévues, en dernier lieu, par un contrat-cadre en date du 4 août 2009, intitulé EMEA Master Standard Services Agreement". Elle précise que "ces contrats prenaient la forme de conventions-cadres conclues avec la société Hewlett Packard Europe BV qui définissaient les multiples obligations et contraintes pesant sur le prestataire (...)."
La société HP France entend donc se prévaloir de l'article 18.4 du contrat-cadre du 4 août 2009, qui dispose qu'un "différend né relativement à l'interprétation ou à l'application du présent Contrat sera soumis aux Tribunaux de commerce de Genève" et qu'il y a lieu à application de la loi suisse.
Mais, le champ d'application de la clause est cantonné aux seuls litiges relatifs à l'interprétation ou à la mise en œuvre du contrat alors que la demande de la société Toaster en indemnisation pour rupture brutale de relations commerciales établies a un fondement délictuel et repose sur des dispositions d'ordre public.
Il convient en effet de rappeler que des relations commerciales établies peuvent exister entre des sociétés qui ne seraient pas liées par un contrat et que des relations commerciales peuvent perdurer après la cessation d'un contrat. En l'espèce, il importe peu qu'il existe un contrat-cadre entre les sociétés HP Europe et Toaster dans la mesure où sont en cause les relations commerciales entre les sociétés HP France et Toaster. Il n'y a donc pas lieu à application de la clause de compétence et de choix de loi.
Les relations de collaboration commerciale entre les sociétés HP France et Toaster ont eu pour lieu d'exécution le territoire français et ont donc un lien suffisant avec la France pour que l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce français, qui constitue une loi de police, s'impose aux relations entre les parties.
Dès lors, les conditions de la rupture peuvent être examinées au regard des dispositions de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce français, aux termes desquelles, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale.
Enfin, la société HP France ne saurait soutenir que la société Toaster n'aurait pas d'intérêt à agir contre elle au motif que cette dernière fonderait son action sur le contrat-cadre conclu avec la société HP Europe alors que les dispositions de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce visent expressément la rupture d'une relation commerciale établie et non la rupture d'une relation contractuelle.
D'ailleurs, l'ensemble des bons de commande et des factures produits concernent la société HP France et non la société HP Europe avec laquelle la société Toaster a, certes, eu une relation contractuelle mais aucune relation commerciale, de sorte que cette dernière a bien un intérêt à agir contre la société HP France.
Au vu des pièces du dossier et des conclusions des parties, il y a lieu d'observer les éléments suivants :
1) la société Toaster ne démontre des relations commerciales continues que depuis l'année 2000, comme cela résulte de son grand livre qui n'est produit qu'à partir d'avril 2000, de sorte que la relation commerciale a duré 9 années ;
2) les bons de commande et les factures produits démontrent qu'il s'agit bien de relations continues, régulières et d'une intensité certaine, entrant incontestablement dans le cadre des relations commerciales établies prévues à l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce ;
3) la pièce n° 3 de la société Toaster ne constitue pas, comme elle le soutient à tort, une attestation de son expert-comptable mais consiste en un simple tableau sans aucune valeur probante puisqu'il ne comporte ni nom, ni date, ni signature, de sorte qu'il n'en résulte pas la preuve d'une relation commerciale à compter de 1997.
La société Toaster affirme qu'en l'espèce la rupture a consisté en une diminution, tout d'abord significative, puis totale, des volumes de commandes par rapport à ceux enregistrés antérieurement.
Elle affirme en effet n'avoir enregistré que 13 commandes entre le 1er octobre 2009 et le 30 juin 2010 correspondant à un chiffre d'affaires de 81 690 HT contre 291 918 en moyenne sur la même période pour les trois dernières années. Elle ajoute qu'en 2010, la société HP France n'a passé quasiment aucune commande et n'a pratiquement pas généré de chiffre d'affaires alors qu'elle avait reçu 83 commandes en 2009, 111 en 2008 et 67 en 2007 générant un chiffre d'affaires respectif de 368 377 en 2009, 509 632 en 2008 et 414 149 en 2007. Elle précise que la dernière commande passée par la société HP France date du 22 mars 2010.
Ces chiffres ne sont pas contestés par la société HP France qui réplique qu'il n'existait entre les parties aucun engagement de volume de commande ni d'achat et, qu'en tout état de cause, la relation contractuelle n'a pas été rompue et que c'est la société Toaster qui a refusé de participer à un nouvel appel d'offres.
Pour déterminer si la rupture a été brutale, il convient de reprendre la chronologie de la fin des relations entre les parties.
Il convient tout d'abord de rappeler que les chiffres cités ci-dessus établissent que les commandes ont fortement baissé à compter du 1er octobre 2009. La société HP France affirmait cependant à la société Toaster que des commandes allaient bientôt lui être adressées, lui demandant parallèlement un effort financier (cf. échange de courriels entre les 2 sociétés du 12 novembre 2009). Faute de commandes et suite aux interrogations du gérant de la société Toaster, il lui a été demandé verbalement de participer à une nouvelle compétition "RFP PSG co-marketing", ce que la société Toaster a refusé, par un e-mail du 20 janvier 2010, estimant que : "la prestation demandée à l'agence choisie sera, à 80 %, de la gestion de process, du suivi administratif, de la logistique (...), et pour une petite part de la création". La société Toaster ajoute : "Comme évoqué, et dans le cas d'un besoin spécifique à la France, Toaster est tout à fait à même de vous proposer toute la partie création du co-marketing HP, associé pour cela avec l'agence "terrain" de votre choix (...). Je vous remercie néanmoins vivement de votre consultation. Par ailleurs, je suis à votre disposition pour que nous examinions ensemble, certainement avec Olivier Gillet, la raison pour laquelle le chiffre d'affaires réalisé avec PSG depuis que nous avons gagné le dernier RFP pour la France est si bas".
Le gérant de la société Toaster a relancé son contact au sein de la société HP France par courriel du 9 février 2010 puis, suite à l'indication que Olivier Gillet allait le contacter prochainement, à nouveau par courriel du 17 février 2010 en ces termes : "J'espère que vos congés se sont bien passés. J'attends impatiemment de rencontrer Olivier pour comprendre pourquoi notre CA est quasi inexistant après avoir gagné cette compétition. J'espère que cette situation est provisoire et que nous pourrons redémarrer notre activité avec vous de manière normale. J'ai cru comprendre que nos compétences étaient appréciées, j'espère que c'est toujours le cas".
Finalement, par un courriel du 25 février 2010, M. Gillet de la société HP France écrivait à la société Toaster : "Nous avons subi sur le marché du PC l'an dernier une importante crise à laquelle nous avons dû faire face et réagir. Nous sommes à ce stade en train de finaliser cette grande transformation au sein du PSG qui a démarré courant de l'été dernier. Cette transformation a vu l'éclatement de la structure commerciale canal de distribution et la reprise des ventes par chaque Bus. Dans ce changement, PSG a décidé de réorienter ses investissements marketing non plus sur des activités d'animation et de communication vers le canal de distribution mais plutôt vers de la communication vers les clients finaux à travers de grandes campagnes médiatiques. C'est la raison principale qui fait que finalement toutes nos activités de marketing direct pour lesquelles vous étiez sollicités s'arrêtent les unes derrière les autres. Je suis sincèrement désolé car c'est vous qui prenez de plein fouet les conséquences de nos décisions et ce malgré le travail de qualité que vous avez réalisé au cours de ces dernières années".
C'est ce courriel qui constitue l'information par la société HP France à la société Toaster de la rupture des relations commerciales. En effet, l'intimée ne saurait arguer de ce que la société Toaster serait à l'origine de la rupture en refusant de participer à un nouvel appel d'offres et la demande de participation à ce nouvel appel d'offres en janvier 2010 ne peut constituer le point de départ du préavis alors que cette demande n'a pas été faite par écrit et que l'échange entre les parties relaté ci-dessus démontre que la société Toaster n'a jamais été informée, avant le 25 février 2010 d'une rupture ou même d'un risque de rupture des relations commerciales existant entre les parties depuis 9 ans.
Au demeurant, comme l'a exprimé le gérant de la société Toaster dans son e-mail du 2 mars 2010, tout en lui confirmant la qualité du travail fourni, on lui a annoncé du jour au lendemain un changement d'orientation de la politique de communication en France, alors que la société Toaster avait été sélectionnée fin août, à la suite d'un appel d'offres ayant engendré une importante compétition, avec un contrat qui devait s'appliquer à partir d'octobre 2010. Comme il le souligne :
"Pourquoi avoir organisé cette compétition qui nous a pris plus de trois mois avec un très important travail à fournir pour nous annoncer aujourd'hui que nous ne réalisons plus de chiffre d'affaires avec HP".
Dès lors qu'il n'y a plus eu de commande à partir du 22 mars 2010, et que les commandes étaient quasiment inexistantes depuis le début de l'année 2010, force est de constater qu'aucun préavis n'a été accordé par la société HP France à la société Toaster ce qui est inacceptable pour une relation commerciale établie de 9 années, les circonstances ci-dessus rappelées accentuant le caractère brutal de cette rupture imprévisible au regard des relations qu'entretenaient les parties.
La société HP France fait preuve de mauvaise foi quand elle soutient qu'il n'y a pas eu de rupture alors que, de fait, elle n'a plus passé aucune commande depuis le 22 mars 2010 et qu'en outre, il est établi, notamment par le courriel de Mme Veillet du 19 février 2010, que toutes les campagnes passaient désormais par l'agence Rapp.
Ce comportement est d'autant moins acceptable que le représentant de la société HP France reconnaît que la grande transformation au sein du PSG a démarré au courant de l'été précédent, de sorte qu'elle avait parfaitement la possibilité d'en avertir sa partenaire commerciale en respectant un préavis lui permettant de se réorganiser. La société HP France ne saurait se prévaloir, pour justifier de sa brusque décision, de son changement de politique commerciale ou d'une évolution à la baisse du marché du PC, dès lors que cela ne la dispensait pas d'avoir à respecter un préavis raisonnable. Enfin, il est indéniable qu'il existait une dépendance de la société Toaster vis-à-vis de la société HP France, même si celle-ci avait diminué en 2008/2009, puisque le pourcentage de son chiffre d'affaires réalisé avec HP par rapport à son chiffre d'affaires total était de 77,55 % pour l'exercice clos au 31.03.06, de 71,85 % pour l'exercice clos au 31.03.07, de 65,63 % pour l'exercice clos au 31.03.08 et de 44,15 % pour l'exercice clos au 31.03.09, selon les chiffres certifiés conformes par l'expert-comptable de la société figurant en pièce n° 16.
Il convient de rappeler que le fournisseur ne peut obtenir réparation que du préjudice entraîné par le caractère brutal de la rupture et non du préjudice découlant de la rupture elle-même. La durée de la relation commerciale établie, les circonstances de la rupture et la relative dépendance de la société Toaster à l'égard de la société HP France justifient un préavis de 9 mois. La société HP France doit donc être condamnée à indemniser la société Toaster à concurrence de 9 mois de marge brute, correspondant à la durée du préavis dont elle n'a pas bénéficié.
Les éléments produits sont suffisants pour évaluer la marge brute perdue et il est inutile de recourir à une expertise, qui n'a d'ailleurs été sollicitée qu'à titre subsidiaire. Il résulte de la pièce n° 16 susvisée que sur les trois derniers exercices d'activité réelle entre les parties (exercices clos au 31.03.07, au 31.03.08 et au 31.03.09) la marge brute réalisée par la société Toaster avec la société HP France a été respectivement de 308 077 , 469 978 et 335 228 , soit une moyenne annuelle de 371 094 .
Pour un préavis de 9 mois, la marge brute était donc de 278 320 . S'agissant de dommages et intérêts, les intérêts au taux légal sur cette somme ne courent qu'à compter du présent arrêt. Il convient d'en ordonner la capitalisation en application de l'article 1154 du Code civil.
La société Toaster ne peut demander l'indemnisation d'autres préjudices qui sont liés à la rupture et non à sa brutalité (pertes d'exploitation, atteinte à l'image de marque, préjudice moral). Par ailleurs, la société Toaster ayant demandé l'indemnisation de son préjudice sur le fondement délictuel de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce ne peut en outre invoquer le fondement contractuel pour demander une indemnisation supplémentaire.
L'équité commande d'allouer à la société Toaster une indemnité de 10 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : Et, adoptant ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Declare recevable l'appel incident formé par la société Hewlett Packard France contre le jugement avant-dire droit du Tribunal de commerce de Paris du 25 février 2011, Confirme le jugement avant-dire droit du Tribunal de commerce de Paris du 25 février 2011, En conséquence, Rejette l'exception d'incompétence soulevée par la société Hewlett Packard France, Déclare l'action de la société Toaster recevable, Infirme le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 20 janvier 2012, sauf en ce qu'il a déclaré la société Toaster recevable, Statuant à nouveau, Condamne la société Hewlett Packard France à payer à la société Toaster la somme de 278 320 avec les intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies, Ordonne la capitalisation en application de l'article 1154 du Code civil, Deboute les parties de leurs plus amples demandes, Condamne la société Hewlett Packard France à payer à la société Toaster la somme de 10 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Hewlett Packard France aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.