CJUE, 4e ch., 21 février 2013, n° C-123/11
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
A Oy
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Bay Larsen
Avocat général :
Mme Kokott
Juges :
Mmes Toader, Prechal, MM. Bonichot (rapporteur), Jaraiunas
Avocat :
Me Blomqvist
LA COUR (quatrième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation des articles 49 TFUE et 54 TFUE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'une procédure engagée par A Oy (ci-après "A"), société de droit finlandais, à l'encontre de la décision de la keskusverolautakunta (commission fiscale centrale) selon laquelle A ne pourrait, dans le cadre d'une fusion avec une filiale suédoise, déduire fiscalement les pertes de cette dernière.
Le cadre juridique
Le droit international
3 L'article 7, paragraphe 1, de la convention des pays nordiques relative à la prévention de la double imposition en matière d'imposition du revenu et du patrimoine, conclue à Helsinki le 23 septembre 1996 (SopS 26-1997) stipule :
"Les bénéfices d'une entreprise d'un État contractant ne sont imposables que dans cet État, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre État contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre État mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables à cet établissement stable."
Le droit finlandais
4 La loi 360-1968 sur l'imposition des revenus provenant d'activités économiques [Laki elinkeinotulon verottamisesta (360-1968)], qui visait notamment à transposer la directive 2009-133-CE du Conseil, du 19 octobre 2009, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'États membres différents, ainsi qu'au transfert du siège statutaire d'une SE ou d'une SCE d'un État membre à un autre (JO L 310, p. 34), précise le cadre juridique de la fusion/absorption des sociétés.
5 L'article 52 a, point 2, de cette loi définit la notion de fusion en ces termes :
"Par fusion on entend l'opération par laquelle :
[...]
2) une société absorbée transfère, par sa dissolution sans liquidation, l'ensemble de son patrimoine, actif et passif, à la société absorbante qui détient l'intégralité des actions représentant le capital de la société absorbée ou à une société anonyme détenue intégralement par une telle société."
6 La loi 1535-1992 relative à l'impôt sur le revenu [tuloverolaki (1535-1992)], du 30 décembre 1992 (ci-après la "loi relative à l'impôt sur le revenu") précise le régime fiscal des pertes des sociétés.
7 L'article 117 de cette loi prévoit que la perte constatée résultant de l'activité économique est déduite des revenus de l'activité économique des années suivantes.
8 L'article 119, paragraphes 1 et 2, de ladite loi précise :
"La perte résultant de l'exercice fiscal économique et agricole est déduite des résultats des activités économiques [...] pendant les dix exercices qui suivent au fur et à mesure où des revenus sont générés.
On entend par "perte résultant d'activités économiques" le résultat déficitaire calculé selon la [loi 360-1968 sur l'imposition des revenus provenant d'activités économiques] [...]".
9 L'article 123, paragraphe 2, de cette même loi prévoit les conditions dans lesquelles la société absorbante peut reprendre fiscalement les pertes de la société absorbée dans les termes suivants :
"Après que des personnes morales ont fusionné [...], la personne morale absorbante a le droit de déduire de son revenu imposable la perte subie par la personne morale qui a été absorbée [...] de la manière décrite aux articles 119 et 120, si la personne morale absorbante ou ses actionnaires ou membres, ou la personne morale et ses actionnaires ou membres ensemble, possédaient dès le début de l'exercice déficitaire plus de la moitié des actions ou des parts de la personne morale absorbée ou scindée."
Le litige au principal et les questions préjudicielles
10 A est une entreprise finlandaise spécialisée dans le commerce de meubles. A possède une filiale en Suède (ci-après "B") dont elle détient la totalité du capital et qui exerce en Suède une activité similaire dans trois locaux commerciaux qu'elle loue. A ne dispose pas elle-même d'autres filiales ou succursales en Suède.
11 À la suite de pertes commerciales, B a fermé ses trois points de vente, l'un au mois de décembre 2007, les deux autres au mois de mars 2008. B n'avait pas l'intention de poursuivre d'activités commerciales en Suède, mais elle demeurait tenue par des baux de location à long terme de deux locaux commerciaux. Son déficit s'est élevé à 44,8 millions de SEK pour la période allant de 2001 à 2007.
12 À la suite de la cessation des activités de B, A a envisagé de procéder à une fusion avec cette filiale. Cette opération serait justifiée d'un point de vue économique et permettrait notamment de transférer à A les baux conclus par B. En outre, il s'agirait d'une procédure transparente et facile à mettre en œuvre, qui permettrait de simplifier la structure du groupe.
13 Au terme de cette opération, les ressources, dettes et obligations résiduelles de B devraient être transférées à A et la société mère ne disposerait plus de filiale ni d'établissement stable en Suède.
14 A a présenté à la keskusverolautakunta une demande de décision préalable portant sur la question de savoir si, une fois cette opération réalisée, elle pourrait déduire les pertes de B conformément à l'article 123, paragraphe 2, de la loi relative à l'impôt sur le revenu.
15 Par sa décision préalable du 25 mars 2009, la keskusverolautakunta a répondu par la négative au motif que les pertes de B ont été constatées en application de la législation fiscale suédoise. Elle estime que ces pertes ne peuvent, dès lors, relever du champ d'application de l'article 119 de la loi relative à l'impôt sur le revenu.
16 A a contesté cette décision devant le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême) en se prévalant notamment de la liberté d'établissement.
17 La juridiction de renvoi constate que, dans l'hypothèse où une société résidente absorbe une société finlandaise, elle peut déduire fiscalement les pertes de cette dernière dans les conditions énoncées aux articles 119 et 123 de la loi relative à l'impôt sur le revenu, sous réserve que l'opération n'ait pas été réalisée dans le seul but d'obtenir un avantage fiscal.
18 Cette juridiction souligne que, en revanche, la loi finlandaise ne donne pas d'indication sur les conditions dans lesquelles il pourrait être procédé à cette déduction lorsque la société absorbée est située dans un autre État membre.
19 Ladite juridiction se demande, dès lors, si la législation finlandaise ne contient pas une restriction à la liberté d'établissement et, dans l'affirmative, si celle-ci peut être considérée comme justifiée par les raisons d'intérêt général invoquées par les autorités finlandaises, tirées de la nécessité pour les États membres de préserver une répartition équilibrée de leur pouvoir d'imposition et de se prémunir contre les risques de double utilisation des pertes et d'évasion fiscale.
20 C'est dans ces conditions que le Korkein hallinto-oikeus a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions suivantes :
"1) Les articles 49 TFUE et 54 TFUE exigent-ils qu'une société absorbante puisse, dans son imposition, déduire les pertes résultant d'une activité exercée, pendant les années qui ont précédé la fusion, dans un autre État membre par la société absorbée, qui y était établie, dès lors que la société absorbante ne dispose pas d'un établissement fixe dans l'État de résidence de la société absorbée et que les règles nationales autorisent une société absorbante à déduire les pertes d'une société absorbée si celle-ci est une société nationale ou si les pertes sont nées dans un établissement fixe situé sur le territoire national?
2) En cas de réponse affirmative à la première question, les articles 49 TFUE et 54 TFUE ont-ils une incidence sur le point de savoir si le montant de la perte déductible doit être calculé selon la législation fiscale de l'État de résidence de la société absorbante ou s'il convient de considérer comme des pertes déductibles les pertes subies par la société absorbée dans son État de résidence et constatées selon la législation de cet État?"
Sur la première question
21 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si les articles 49 TFUE et 54 TFUE s'opposent à ce qu'une législation d'un État membre exclue qu'une société mère résidente ait, à la suite d'une fusion avec une filiale établie sur le territoire d'un autre État membre, la possibilité de déduire de son revenu imposable des pertes subies par cette dernière, au titre d'exercices fiscaux antérieurs à la fusion, alors que cette législation nationale accorde une telle possibilité lorsque la fusion est réalisée avec une filiale résidente.
22 À titre liminaire, il convient de constater que la directive 2009-133 n'envisage pas la question de la reprise des pertes éventuelles de la société absorbée dans une telle situation.
23 Par ailleurs, les gouvernements allemand, finlandais, italien et du Royaume-Uni font valoir que la liberté d'établissement n'est pas applicable au cas faisant l'objet du litige au principal au motif que la société absorbée a cessé son activité économique avant la fusion et que cette restructuration est en réalité uniquement motivée par la recherche d'un avantage fiscal, consistant dans la déduction des pertes de la filiale absorbée du revenu imposable de la société mère absorbante.
24 À cet égard, il convient tout d'abord de rappeler que les opérations de fusions transfrontalières, à l'instar des autres opérations de transformation de sociétés, répondent aux nécessités de coopération et de regroupement entre sociétés établies dans des États membres différents. Elles sont ainsi considérées comme constituant des modalités particulières d'exercice de la liberté d'établissement, importantes pour le bon fonctionnement du marché intérieur, et relèvent donc des activités économiques pour lesquelles les États membres sont tenus au respect de la liberté d'établissement prévue à l'article 49 TFUE (arrêt du 13 décembre 2005, SEVIC Systems, C-411-03, Rec. p. I-10805, point 19).
25 Il y a lieu ensuite de constater que, dans les circonstances de l'affaire au principal, la création par A d'une filiale B en Suède résulte de l'exercice par la première de son droit à la liberté d'établissement, ce qui a pour conséquence l'application des articles 49 TFUE et 54 TFUE.
26 Enfin, le fait qu'une opération de fusion serait uniquement motivée par des considérations fiscales et que, par ce biais, les sociétés concernées tenteraient en réalité de se soustraire abusivement à l'emprise de leur législation nationale ne saurait, à lui seul, être de nature à écarter l'application de ces dispositions.
27 En effet, la question de l'application de ces articles est distincte de celle de savoir si un État membre peut prendre des mesures pour empêcher que, en recourant aux possibilités offertes par le traité, certains de ses ressortissants ne tentent de se soustraire abusivement à l'emprise de leur législation nationale (voir, en ce sens, arrêt du 9 mars 1999, Centros, C-212-97, Rec. p. I-1459, point 18).
28 Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de considérer que la liberté d'établissement s'applique dans une situation telle que celle au principal.
Sur l'entrave à la liberté d'établissement
29 Dès lors que la liberté d'établissement s'applique dans l'affaire au principal, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent toutefois exercer celle-ci dans le respect du droit de l'Union (voir, notamment, arrêt du 13 décembre 2005, Marks & Spencer, C-446-03, Rec. p. I-10837, point 29 et jurisprudence citée).
30 La liberté d'établissement, que l'article 49 TFUE reconnaît aux ressortissants de l'Union, comprend, conformément à l'article 54 TFUE, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d'un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement au sein de l'Union, le droit d'exercer leur activité dans l'État membre concerné par l'intermédiaire d'une filiale, d'une succursale ou d'une agence (voir, notamment, arrêts du 21 septembre 1999, Saint-Gobain ZN, C-307-97, Rec. p. I-6161, point 35, et du 25 février 2010, X Holding, C-337-08, Rec. p. I-1215, point 17).
31 À cet égard, la possibilité offerte par le droit finlandais pour une société mère résidente de prendre en compte les pertes d'une filiale résidente lorsqu'elle fusionne avec cette dernière constitue pour la société mère un avantage fiscal.
32 L'exclusion d'un tel avantage dans les rapports entre une société mère résidente et sa filiale établie dans un autre État membre est de nature à rendre l'établissement dans ce dernier État moins attrayant et donc de la dissuader d'y créer des filiales.
33 Pour qu'une telle différence de traitement soit compatible avec les dispositions du traité FUE relatives à la liberté d'établissement, il faut qu'elle concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou qu'elle soit justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général (voir, par analogie avec la libre circulation des capitaux, arrêt du 12 décembre 2006, Test Claimants in the FII Group Litigation, C-446-04, Rec. p. I-11753, point 167). Il résulte de la jurisprudence de la Cour que la comparabilité d'une situation transfrontalière avec une situation interne doit être examinée en tenant compte de l'objectif poursuivi par les dispositions nationales en cause (voir, par analogie, arrêt du 18 juillet 2007, Oy AA, C-231-05, Rec. p. I-6373, points 36 à 38).
34 En droit fiscal, la résidence des contribuables est un facteur qui peut justifier des différences de traitement entre contribuables résidents et contribuables non-résidents, mais il n'en va toutefois pas toujours ainsi. En effet, admettre que l'État membre d'établissement puisse, dans tous les cas, appliquer un traitement différent en raison du seul fait que le siège d'une société est situé dans un autre État membre viderait l'article 49 TFUE de son contenu (voir, notamment, arrêt Marks & Spencer, précité, point 37).
35 À cet égard, la situation, d'une part, d'une société mère résidente qui souhaite fusionner avec une filiale résidente et bénéficier dans ce cadre de la possibilité de déduire fiscalement les pertes de celle-ci et, d'autre part, celle d'une société mère résidente qui souhaite faire la même opération avec une filiale non-résidente sont, au regard de l'objectif de la législation fiscale telle que celle en cause au principal, qui vise à faire bénéficier la société mère de l'avantage fiscal consistant en la possibilité pour celle-ci de déduire fiscalement les pertes encourues par la filiale, objectivement comparables.
36 Les gouvernements allemand et du Royaume-Uni font toutefois valoir que le refus d'admettre la déduction fiscale des pertes ne constitue pas une restriction à la liberté d'établissement dès lors que, ainsi qu'il ressort des constatations de la juridiction de renvoi reprises au point 17 du présent arrêt, un refus de déduction du revenu imposable des pertes de la société absorbée aurait également été opposé, dans les mêmes circonstances, si la fusion avait eu lieu avec une filiale résidente, au motif que l'opération est uniquement motivée par l'obtention d'un avantage fiscal.
37 Il revient cependant à la seule juridiction nationale d'apprécier si tel est le cas dans l'affaire au principal. Dans l'affirmative, A ne pourrait pas, en effet, faire valoir de différence de traitement entre les sociétés résidentes et celles qui ne le sont pas.
38 En l'absence de précision supplémentaire dans la décision de renvoi, il revient en tout état de cause à la Cour de se prononcer également sur la question de savoir si, dans l'hypothèse où le refus de déduction des pertes serait fondé sur un autre motif, la différence de traitement à l'égard des sociétés non-résidentes est justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général.
39 À cette fin, il convient de vérifier si cette différence de traitement est propre à garantir la réalisation de l'objectif invoqué et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci (voir, en ce sens, arrêt Marks & Spencer, précité, point 35).
Sur la justification de l'entrave
40 Les gouvernements ayant présenté des observations devant la Cour sont d'avis que la différence de traitement en cause au principal est justifiée par la nécessité de préserver la répartition du pouvoir d'imposition entre les États membres et de faire obstacle aux risques de double emploi des pertes ainsi que d'évasion fiscale.
41 S'agissant, tout d'abord, de la nécessité de préserver une répartition du pouvoir d'imposition entre les États membres, celle-ci peut être de nature à justifier une différence de traitement lorsque le régime examiné vise à prévenir des comportements de nature à compromettre le droit d'un État membre d'exercer sa compétence fiscale en relation avec les activités réalisées sur son territoire (voir, en ce sens, arrêts du 29 mars 2007, Rewe Zentralfinanz, C-347-04, Rec. p. I-2647, point 42, et Oy AA, précité, point 54).
42 Ainsi, la préservation de la répartition du pouvoir d'imposition entre les États membres pourrait rendre nécessaire l'application, aux activités économiques des sociétés établies dans l'un de ces États, des seules règles fiscales de celui-ci, en ce qui concerne tant les bénéfices que les pertes (arrêt Marks & Spencer, précité, point 45).
43 En effet, donner aux sociétés la faculté d'opter pour la prise en compte de leurs pertes dans l'État membre de leur établissement ou dans un autre État membre compromettrait sensiblement une répartition équilibrée du pouvoir d'imposition entre les États membres (voir arrêt Oy AA, précité, point 55), dans la mesure où les assiettes d'imposition s'en trouveraient modifiées, à concurrence des pertes transférées, dans ces deux États.
44 En ce qui concerne, ensuite, le risque de double emploi des pertes, il y a lieu de relever qu'un tel risque est effectivement encouru si, dans le cadre d'une fusion telle que celle en cause au principal, la société mère établie dans un autre État membre bénéficie de la possibilité de déduire de ses revenus imposables les pertes de la filiale absorbée. Ce risque est écarté par une règle excluant cette possibilité (voir, en ce sens, arrêt Marks & Spencer, précité, points 47 et 48).
45 S'agissant, enfin, du risque d'évasion fiscale, la possibilité de transférer les pertes d'une filiale non-résidente à une société résidente lors d'une fusion comporte le risque que ce type de restructuration soit organisée au sein d'un groupe de sociétés afin que les pertes soient prises en compte dans les États membres appliquant les taux d'imposition les plus élevés et dans lesquels, par conséquent, la valeur fiscale des pertes est la plus importante (voir, en ce sens, arrêt Marks & Spencer, précité, point 49).
46 Au vu de ces éléments de justification, pris ensemble, il y a lieu d'admettre que la législation d'un État membre qui exclut, dans le cadre d'une fusion telle que celle en cause au principal, la possibilité pour la société mère établie dans cet État membre de déduire de ses revenus imposables les pertes de la filiale absorbée, établie dans un autre État membre, d'une part, poursuit des objectifs légitimes compatibles avec le traité et relevant de raisons impérieuses d'intérêt général et, d'autre part, est propre à garantir la réalisation de ces objectifs (voir, en ce sens, notamment, arrêt Marks & Spencer, précité, points 51).
47 Néanmoins, il doit encore être vérifié qu'une telle législation ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs (voir, en ce sens, notamment, arrêt Marks & Spencer, précité, point 53).
48 En ce qui concerne la proportionnalité de l'entrave à la liberté d'établissement, il convient, d'une part, de relever que le fait d'accorder à la société mère la possibilité de prendre en compte les pertes de sa filiale non-résidente, dans le cadre d'une fusion transfrontière, n'est a priori pas de nature à permettre à la société mère de choisir librement d'une année à l'autre le régime fiscal applicable aux pertes de ses filiales (voir, a contrario, arrêt X Holding, précité, point 31).
49 Il ressort, d'autre part, de la jurisprudence de la Cour qu'une mesure restrictive telle que celle en cause dans l'affaire au principal va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'essentiel des objectifs poursuivis dans une situation où la filiale non-résidente a épuisé les possibilités de prise en compte des pertes qui existent dans son État de résidence (voir, en ce sens, arrêt Marks & Spencer, précité, point 55). Il revient à la société mère de démontrer que tel est le cas (voir, en ce sens, arrêt Marks & Spencer, précité, point 56).
50 En ce qui concerne l'affaire au principal, il ressort certes des éléments du dossier transmis à la Cour que le droit suédois prévoit la possibilité de faire valoir, aux fins du calcul de l'assiette imposable, les pertes d'un assujetti lors d'exercices fiscaux futurs.
51 Toutefois, A a fait valoir que, une fois l'opération de fusion réalisée, B sera liquidée, et qu'elle ne disposera plus de filiale ni d'établissement stable en Suède. Ainsi, ni l'une ni l'autre de ces deux sociétés ne sembleraient avoir la possibilité de faire valoir, en Suède, après la fusion, les pertes de B subies dans cet État membre avant cette opération.
52 Pour autant, ces circonstances spécifiques ne sauraient, à elles seules, être susceptibles de démontrer l'absence de toute possibilité de prise en compte des pertes qui existent dans l'État de résidence de la filiale.
53 Ainsi, plusieurs États membres intervenus à la procédure estiment, au contraire, que la possibilité d'une prise en compte des pertes de B en Suède continue d'exister. Le gouvernement allemand fait ainsi valoir que ces pertes peuvent être soustraites des recettes, certes minimes, que B continue de percevoir en Suède. Il ajoute que cette société est toujours engagée dans des baux qui peuvent être cédés. Le gouvernement français soutient également que le droit suédois permet aux sociétés de faire valoir des pertes lors d'exercices antérieurs ou à l'occasion de l'imposition de plus-values réalisées sur les éléments d'actif et de passif de la société absorbée. Le gouvernement italien fait valoir que la Suède a le droit d'évaluer les biens transférés et d'imposer la société absorbée sur le bénéfice ainsi réalisé.
54 Il revient, dès lors, à la juridiction nationale de déterminer si A a effectivement apporté la preuve que B a épuisé toutes les possibilités de prise en compte des pertes qui existent en Suède.
55 Dans l'hypothèse où la juridiction de renvoi conclurait que cette preuve a été apportée, il serait contraire aux articles 49 TFUE et 54 TFUE d'exclure la possibilité pour A de déduire de son revenu imposable dans son État de résidence les pertes subies par sa filiale non-résidente dans le cadre de l'opération de fusion en cause au principal.
56 Compte tenu de ce qui précède, il convient de répondre à la première question posée que les articles 49 TFUE et 54 TFUE ne s'opposent pas, dans les circonstances de l'affaire au principal, à une législation nationale qui exclut la possibilité pour une société mère qui fusionne avec une filiale établie dans un autre État membre, et qui a cessé son activité, de déduire de son revenu imposable les pertes subies par cette filiale au titre des exercices antérieurs à la fusion, alors que cette législation nationale accorde une telle possibilité lorsque la fusion est réalisée avec une filiale résidente. Une telle législation nationale est néanmoins incompatible avec le droit de l'Union si elle n'offre pas à la société mère la possibilité de démontrer que sa filiale non-résidente a épuisé les possibilités de prise en compte de ces pertes et qu'il n'existe pas de possibilités qu'elles puissent être prises en compte dans son État de résidence au titre d'exercices futurs soit par elle-même, soit par un tiers.
Sur la seconde question préjudicielle
57 Par sa seconde question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande à la Cour de préciser, dans le cas où l'application du droit de l'Union autoriserait la société mère à prendre en compte les pertes de sa filiale non-résidente dans le cadre d'une fusion telle que celle en cause au principal, si ces pertes devraient être déterminées en application du droit de l'État membre de résidence de la société mère ou en application de celui de l'État de résidence de la filiale.
58 À cet égard, il convient tout d'abord de constater que, en l'état actuel du droit de l'Union, la liberté d'établissement n'implique pas, par principe, l'application d'une loi déterminée aux calculs des pertes de la filiale absorbée reprises par la société mère, dans une opération telle que celle en cause au principal.
59 En revanche, le droit de l'Union s'oppose à ce que ces modalités de calcul soient de nature à constituer une entrave à la liberté d'établissement. Il en résulte que, en principe, ce calcul ne doit pas aboutir à une inégalité de traitement avec le calcul qui aurait été opéré, dans le même cas de figure, pour la reprise des pertes d'une filiale résidente.
60 Une telle question ne saurait toutefois être envisagée de manière abstraite et hypothétique, mais doit faire l'objet, le cas échéant, d'une analyse au cas par cas.
61 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la seconde question que les règles de calcul des pertes de la filiale non-résidente aux fins de leur reprise par la société mère résidente, dans une opération telle que celle en cause au principal, ne doivent pas constituer une inégalité de traitement avec les règles de calcul applicables si cette fusion avait été opérée avec une filiale résidente.
Sur les dépens
62 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :
1) Les articles 49 TFUE et 54 TFUE ne s'opposent pas, dans les circonstances de l'affaire au principal, à une législation nationale qui exclut la possibilité pour une société mère qui fusionne avec une filiale établie dans un autre État membre, et qui a cessé son activité, de déduire de son revenu imposable les pertes subies par cette filiale au titre des exercices antérieurs à la fusion, alors que cette législation nationale accorde une telle possibilité lorsque la fusion est réalisée avec une filiale résidente. Une telle législation est néanmoins incompatible avec le droit de l'Union si elle n'offre pas à la société mère la possibilité de démontrer que sa filiale non-résidente a épuisé les possibilités de prise en compte de ces pertes et qu'il n'existe pas de possibilités qu'elles puissent être prises en compte dans son État de résidence au titre des exercices futurs soit par elle-même, soit par un tiers.
2) Les règles de calcul des pertes de la filiale non-résidente aux fins de leur reprise par la société mère résidente, dans une opération telle que celle en cause au principal, ne doivent pas constituer une inégalité de traitement avec les règles de calcul applicables si cette fusion avait été opérée avec une filiale résidente.