CA Aix-en-Provence, 2e ch., 14 mars 2013, n° 11-11663
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Beaulieu Automobiles (SARL), Rafoni (ès qual.)
Défendeur :
Kia Motors France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Aubry-Camoin
Conseillers :
MM. Fohlen, Prieur
Avocats :
Selarl Liberas Buvat Michotey, SCP Courtois Roman, SCP Badie Simon-Thibaud Juston, Me Pariente
Faits - Procédure - Demandes :
La SAS Kia Motors France vendeur d'automobiles Kia, par lettre du 12 février 2004 suivie d'un accord du 24 de la SARL Beaulieu Automobiles ayant pour gérant Monsieur Michel Daumas, a consenti à celle-ci, déjà concessionnaire des automobiles Rover, la qualité de concessionnaire agréé dans le cadre de son réseau européen fondé sur la distribution sélective, mais avec une période d'adaptation à ses critères de sélection dits "standards".
A la suite d'un rapport d'audit du Bureau Veritas du 15 février 2005 la société Kia a informé le 28 la société Beaulieu que celle-ci ne respectait pas ces critères plus particulièrement ceux de surface, et qu'elle ne ferait plus partie de son réseau si le 31 mars ce non-respect persistait. La résiliation des relations a été notifiée par la première société à la seconde les 16 mars et surtout 1 avril 2005 avec effet à cette dernière date.
Le 26 juin 2008 la société Kia a assigné la société Beaulieu devant le Tribunal de commerce de Salon-de-Provence, qui par jugement du 18 septembre 2009 a :
* dit que les parties n'étaient pas liées par un contrat de réparateur/concessionnaire Kia, mais par des accords définissant le processus d'agrément de la candidature de la société Beaulieu à cette qualité ;
* dit que cette candidature a été rejetée pour cause de non-conformité à plusieurs critères, et que les conditions du contrat de distribution sélective ne peuvent pas être seules invoquées pour contester la décision de la société Kia de ne pas intégrer la société Beaulieu dans son réseau ;
* dit que les accords ont été exécutés totalement, et ne qualifie pas la rupture des relations entre les parties d'abusive ;
* condamné la société Beaulieu à payer à la société Kia la somme de 142 372 85 TTC, avec intérêts au taux légal à compter du 26 juin 2008 et capitalisation de ceux-ci en application de l'article 1154 du Code civil ;
* condamné la société Beaulieu à cesser, sous astreinte de 500 de jour de retard passé un délai de 15 jours après la signification de la présente décision, de reproduire de quelque manière que ce soit les marques et logos Kia et notamment toute utilisation de ce logo pour quelconque usage interne, externe et documentaire que ce soit ;
* se réserve le droit de liquider cette astreinte ;
* débouté la société Beaulieu de ses demandes reconventionnelles ;
* condamné la même à payer à la société Kia la somme de 5 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
* ordonné l'exécution provisoire. La demande d'arrêt de cette dernière a été rejetée par ordonnance de référé du 23 novembre 2009.
La SARL Beaulieu Automobiles a régulièrement interjeté appel. Elle a été mise en redressement judiciaire le 11 janvier 2010, puis en liquidation judiciaire le 17 janvier 2011. L'instance a été radiée par ordonnance du 4 mai 2011, et réenrôlée le 24 juin suivant. Par conclusions du 22 mai 2012 cette société et son liquidateur judiciaire Maître Dominique Rafoni soutiennent notamment que :
- c'est par erreur que le tribunal a considéré qu'il résultait du rapport d'audit qu'elle-même ne respectait pas les critères exigés par la société Kia ; le seul grief formulé (la surface n'est que de 248 m² au lieu de 300 m²) était connu à la signature du contrat le 12 février 2004 ; le minimum de 300 m² a été décidé à compter du 1 janvier 2006 ; cette société ne pouvait donc rompre sans préavis raisonnable ;
- les critères de sélection n'ont pas été précis et identifiables ; la société Kia l'a autorisée à débuter son activité, et le prétendu critère de surface ne pouvait être susceptible d'être validé faute de demande administrative, projet de financement, etc. ; elle-même n'a pas eu de délai suffisant pour remédier aux non-conformités constatées ;
- la résiliation sans préavis est abusive ;
- son préjudice comprend la perte de bénéfices (3 à 5 ans de perte de marge brute de 15 % annuels), le coût des licenciements, et les investissements initiaux pour les activités vente et réparation.
Les appelantes demandent à la cour, vu les articles 1134 et suivants du Code civil, le règlement communautaire CE n° 1400-2002 du 31 juillet 2002, les articles 70 du Code de procédure civile et L. 622-7 du Code de commerce, de réformer partiellement le jugement et de :
- donner acte à la société Beaulieu de ce qu'elle reconnaît devoir à la société Kia la somme de 142 372 85 TTC, et en conséquence fixer la créance de celle-ci à la liquidation judiciaire de celle-là à ladite somme ;
- donner acte à la société Beaulieu de ce qu'elle a exécuté le jugement s'agissant de la non-utilisation des marques et logos Kia ;
- dire et juger que la société Kia a rompu abusivement le contrat du 12 février 2004 la liant à la société Beaulieu ;
- dire et juger que la même est fautive de n'avoir pas respecté un délai raisonnable de préavis de résiliation ;
- condamner cette société à réparer le préjudice de la société Beaulieu et à régler à Maître Rafoni ès qualité la somme de 491 174 à titre de dommages et intérêts ;
- condamner la société Kia au paiement de la somme de 10 000 correspondant à 50 % du coût de restructuration de la société Beaulieu ;
- condamner la même au paiement de la somme de 14 950 correspondant au montant des investissements réalisés par la société Beaulieu au profit de la société Kia de façon inutile ;
- dire et juger qu'il y a lieu d'ordonner la compensation avec la créance de la société Kia ;
- condamner la société Kia au paiement d'une somme de 5 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Concluant le 7 janvier 2013 la SAS Kia Motors France, qui a déclaré le 25 janvier 2010 sa créance au passif de la société Beaulieu, répond notamment que :
- comme tout candidat à son réseau cette société s'est vue consentir une période d'adaptation pour régulariser son dossier, même si elle a pu débuter ses fonctions ; la même a dû mettre en place avant le 30 juin 2004 les mesures nécessaires pour respecter les standards, et sa nomination comme concessionnaire est soumise à la condition résolutoire de non-respect des critères de sélection, ce qu'elle a accepté ;
- elle-même n'avait pas à invoquer cette condition à la date butoir précitée ; elle a régulièrement informé la société Beaulieu de son obligation de respecter les standards ; et elle avait parfaitement le droit de se prévaloir de la clause après avoir relevé le non-respect de ses normes ;
- elle a respecté les règles applicables en matière de distribution sélective automobile : les critères n'étaient ni imprévisibles ni non identifiables, et connus de la société Beaulieu avant l'engagement de celle-ci du 12 février 2004 ; la surface à retenir n'est pas de 300 m² applicable à compter du 1er janvier 2006, mais celle du 1er avril 2005 soit 250 m² (vente véhicules neufs) et 150 m² (réparation) ; il y a eu respect du mécanisme de sélection ; l'audit a permis à la société Beaulieu d'avoir une parfaite connaissance des non-conformités relevés par celui-ci ; ces dernières concernent non seulement la surface de vente mais également divers autres points (absences de parking pour la clientèle, d'aire de livraison, d'exposition de véhicules neufs en intérieur, d'identification extérieure de la concession ; non-respects de la surface à l'extérieur pour exposer les véhicules neufs, et des stocks de véhicules) ; la société Beaulieu a bénéficié d'un délai du 24 février 2004 au 31 mars 2005, soit 13 mois, pour satisfaire aux critères ;
- la clause résolutoire exclut tout préavis ; elle-même a régulièrement et à bon droit rompu les accords ;
- le préjudice de la société Beaulieu n'est pas établi : perte de marge non justifiée, licenciements bien postérieurs à la rupture, investissements ne devant rester à la charge d'elle-même.
L'intimée demande à la cour, vu les articles 1134 et 1184 du Code civil, de :
- confirmer le jugement et de condamner ses adversaires à la somme de 15 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- à titre subsidiaire et si la cour venait à juger le caractère fautif de la rupture des relations commerciales :
. débouter ses adversaires de leurs préjudices ;
. ordonner la compensation entre les sommes mises à la charge de la société Kia avec la créance que cette dernière détient sur la société Beaulieu et inscrite au passif de la liquidation judiciaire.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 janvier 2013.
Motifs de l'arrêt :
Aucune des deux parties ne critique le principe de la dette de la société Beaulieu à hauteur de la somme de 142 372 85 TTC au profit de la société Kia ; la liquidation judiciaire de celle-là permet le remplacement de sa condamnation par la fixation de la créance de celle-là.
Le contrat liant la société Kia et la société Beaulieu résulte de la lettre de la première du 12 février 2004, acceptée par la seconde le 24 ; il n'est pas la "relation commerciale établie" de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce dont la rupture nécessite un préavis écrit minimum, mais un contrat de nomination en qualité de concessionnaire automobile agréé pour véhicules neufs "soumis à la condition résolutoire impérative suivante : la vérification par Kia Automobiles France que votre candidature remplisse l'ensemble des critères de sélection qui vous sont communiqués ci-joint" ; par suite l'absence et/ou l'insuffisance de ces critères a pour effet d'anéantir rétroactivement toute relation juridique sans possibilité pour la société Beaulieu d'obtenir une indemnisation puisque cette absence et/ou insuffisance lui sera entièrement imputable.
Le contrat précité impartissait à cette société un délai jusqu'à fin juin 2004, soit un peu plus de 4 mois, pour respecter les critères précités dénommés "standards" et détaillés dans l'annexe 2 du contrat de concession ; or l'audit de l'intéressée réalisé par le Bureau Veritas à la demande de la société Kia le 15 février 2005, c'est-à-dire plus de 7 mois après cette date limite ce qui laissait largement le temps à la société Beaulieu de se mettre en conformité, met en évidence l'insuffisance de certains standards en raison des points faibles suivants :
- Manque de surface (show-room, atelier, parking client, VN, VO, ...).
- Organisation atelier et magasin (propreté, rangement, identification).
- Stock de véhicules.
- "Identification".
Le problème de surface sur lequel insiste la société Beaulieu n'est qu'un élément de cette insuffisance tant pour cet audit que pour la société Kia, et de plus la première société ne critique nullement la réalité des autres points faibles relevés par l'audit.
Par conséquent c'est à bon droit que le tribunal de commerce, pour les motifs précités et pour les autres que la cour adopte, a justifié la décision de la société Kia de ne pas agréer la société Beaulieu en qualité de concessionnaire des automobiles Kia. Le jugement longuement et correctement motivé est par suite confirmé.
Enfin la liquidation judiciaire de la société Beaulieu fait obstacle à la demande de la société Kia au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Décision : LA COUR, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire. Confirme le jugement du 18 septembre 2009 sauf à remplacer la condamnation de la SARL Beaulieu Automobiles pour la somme de 142 372 85 TTC par la fixation de la créance de la SAS Kia Motors France. Rejette toutes autres demandes. Condamne la SARL Beaulieu Automobiles aux dépens d'appel, avec application de l'article 699 du Code de procédure civile.