CA Bordeaux, 1re ch. civ. A, 11 mars 2013, n° 11-06224
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Guerrier, Bouclier National de l'Habitat (SARL)
Défendeur :
Kilp, Lempek, Lagarde, Christophe Mandon (Selarl)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Roussel
Conseillers :
MM. Sabron, Lippmann
Avocats :
SCP Luc Boyreau, SCP Michel Puybaraud, Mes Sebban, Horrenberger
La société National Attax, ayant une activité d'assainissement des bois œuvrés (traitement anti-termites et traitement anti-xylophages), d'isolation et de démoussage des toitures a été constituée le 17 février 2003.
Son slogan commercial, mentionné sur certains de ces documents commerciaux était "le bouclier de votre patrimoine", avec représentation graphique d'un bouclier.
M. Guerrier a été engagé par elle, en qualité d'attaché technico-commercial, le 25 mai 2007 et il a démissionné à effet du 21 janvier 2009.
M. Lempek et M. Kilp, embauchés aux mêmes fonctions le 6 et le 31 octobre 2008 ont quitté la société en janvier 2009.
Le 5 mars 2009, la société Bouclier National de l'Habitat, ayant une activité similaire à la société National Attax, a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés, ayant pour cogérant Messieurs Guerrier et Kilp.
Reprochant à la société Bouclier National de l'Habitat de s'être livrée à leur détriment à des faits de contrefaçon de droits d'auteur et de concurrence déloyale, la société National Attax et son gérant, M. Lagarde, l'ont faite assigner, ainsi que Messieurs Guerrier, Kilp et Lempek, par actes des 9 et 10 septembre 2009, devant le Tribunal de grande instance de Bordeaux, afin d'obtenir réparation de leurs préjudices.
La société National Attax a été placée en liquidation judiciaire par jugement rendu par le Tribunal de commerce de Bordeaux le 10 février 2010.
La Selarl Christophe Mandon a repris la procédure en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société National Attax.
Par jugement rendu le 13 septembre 2011, le Tribunal de grande instance de Bordeaux a débouté la Selarl Christophe Mandon et M. Lagarde de leurs demandes afférentes à la contrefaçon de droits d'auteur, a déclaré fondées leurs demandes sur la concurrence déloyale et a condamné in solidum la société Bouclier National de l'Habitat et Messieurs Guerrier, Kilp et Lempek à leur payer à chacun, la somme de 5 000 euro, en réparation de leurs préjudices matériels et moraux respectifs, outre la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Bouclier National de l'Habitat et M. Guerrier ont relevé appel de cette décision.
Dans leurs dernières conclusions déposées le 4 mai 2012, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé plus ample des moyens et prétentions d'appel de la société Bouclier National de l'Habitat et de M. Guerrier, ceux-ci concluent à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes relatives à la contrefaçon de droits d'auteur et à son infirmation en ce qui concerne la condamnation pour concurrence déloyale.
Ils demandent de voir constater que la preuve de l'existence de faits de concurrence déloyale n'est pas rapportée et de voir, en conséquence, débouter le liquidateur et M. Lagarde de toutes leurs demandes.
Ils sollicitent la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Ils font essentiellement valoir à ces fins que :
- la société National Attax a commis des actes de dénigrement à leur encontre, au moyen notamment d'une diffusion massive de courriers diffamatoires et mensongers auprès de clients potentiels,
- cette attitude a fait l'objet d'une procédure devant le tribunal de commerce et d'un jugement rendu le 30 mars 2010, frappé d'appel, condamnant la société National Attax à payer à la société Bouclier National de l'Habitat la somme de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts,
- aucune confusion n'étant possible quant à la dénomination des sociétés et aux documents commerciaux, aucune atteinte aux droits d'auteur et aucune contrefaçon ne peut leur être reprochée,
- ils n'ont jamais cherché à se faire passer pour les employés de leur ancien employeur lors des démarches effectuées auprès des clients et aucun acte de concurrence déloyale n'est caractérisé à leur rencontre,
- la société National Attax connaissait des difficultés financières bien avant la création de la société Bouclier National de l'Habitat et il n'est démontré l'existence d'aucun préjudice qui leur soit imputable.
Dans leurs dernières conclusions déposées le 4 juillet 2012, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé plus ample des moyens et prétentions d'appel de la Selarl Christophe Mandon et de M. Lagarde, ceux-ci concluent à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a retenu des actes de concurrence déloyale et à son infirmation en ce qui concerne des faits de contrefaçon de droits d'auteur.
Ils demandent de voir condamner in solidum la société Bouclier National de l'Habitat et Messieurs Guerrier, Kilp et Lempek à leur payer la somme de 15 000 euro au titre de préjudice moral subi par la société National Attax, celle de 50 000 euro au titre du préjudice patrimonial, celle de 300 000 euro au titre du préjudice économique et financier, celle de 15 000 euro au titre du préjudice moral subi par M. Lagarde en son nom personnel et celle de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Ils sollicitent, de plus, de voir, sous astreinte, interdire l'utilisation sous forme de dénomination sociale ou sous toute autre forme des termes "bouclier national", de la représentation graphique d'un bouclier et des formulaires de devis litigieux, et de voir ordonner la destruction des documents contrefaisants.
À l'appui de leurs demandes, ils font essentiellement valoir que :
- en utilisant une dénomination sociale présentant des similitudes avec celle de la société National Attax, en reprenant le dessin d'un bouclier et en reproduisant de façon quasi identique les devis de cette société, la société Bouclier National de l'Habitat a porté atteinte à leur droit d'auteur, leur causant un préjudice à la fois moral et patrimonial,
- en utilisant le fichier clientèle de la société National Attax et en reprenant la tarification interne de cette dernière, la société Bouclier National de l'Habitat a commis des faits de concurrence déloyale, renforcés par le départ simultané et concerté de plusieurs de ses anciens employés,
- M. Lagarde a dû faire face à de graves difficultés suite aux agissements de ses anciens salariés, avant de se résoudre à un dépôt de bilan, et il subit un préjudice moral à titre personnel.
Messieurs Kilp et Lempek ont été régulièrement assignés, selon procès-verbal de recherches infructueuses, et n'ont pas constitué avocat.
Il sera statué par arrêt de défaut.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 janvier 2013.
Sur ce,
1 - Sur les faits de contrefaçon.
La société National Attax fonde sa demande sur l'article L. 335-3 du Code de la propriété industrielle aux termes duquel constitue un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une œuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis et réglementés par la loi.
Il ressort de l'examen de l'ensemble des éléments du dossier que les premiers juges ont effectué de ce chef une exacte analyse des faits de la cause et une juste appréciation du litige en droit, constatant l'absence de contrefaçon.
Il s'avère, en effet, qu'il ne peut être valablement soutenu l'existence d'une confusion possible entre la dénomination National Attax et la dénomination Bouclier National de l'Habitat alors qu'elles n'ont en commun que le terme "National", très fréquemment utilisé dans l'appellation d'une société ou de son enseigne.
De même, l'utilisation d'un bouclier dans le logo de la société Bouclier National de l'Habitat ne constitue pas un élément en soi original et n'est pas un élément essentiel pour caractériser la société.
Aucune association conjointe d'idées, de termes et de dessins propres à constituer, par suggestion ou similitude, une contrefaçon n'apparaît constituée en l'espèce.
Quant à la reproduction alléguée de devis, il apparaît qu'il s'agit de documents commerciaux courants, dénués d'une originalité suffisante pour constituer une œuvre de l'esprit.
Dans ces conditions, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société National Attax et M. Lagarde de ce chef de demande, en adoptant pour le surplus les motifs pertinents des premiers juges.
2 - Sur les faits de concurrence déloyale.
Il ressort des éléments de la cause que trois salariés de la société National Attax, Messieurs Guerrier, Kilp et Lempek ont quitté, quasiment simultanément, cette société, en janvier 2009, et que la société Bouclier National de l'Habitat a été créée, avec pour cogérants M. Guerrier et M. Kilp, et un début d'activité dès le 2 mars 2009, selon extrait K bis.
Alors que M. Guerrier a démissionné de la société National Attax par lettre du 20 janvier 2009, à effet du 31 janvier 2009, il a, dès le 3 janvier 2009, dans le cadre de ses fonctions pour la société National Attax, effectué des démarchages de clients pour le compte de la société Bouclier National de l'Habitat.
Ainsi, Mme Jeanne Marty a, par lettre du 22 juin 2009, indiqué avoir eu la visite de M. Nicolas Guerrier, le 3 janvier 2009 pour effectuer un contrôle de garantie suite à une intervention de la société National Attax du 21 novembre 2008 et précise que celui-ci lui a proposé de procéder au démoussage de l'ensemble de sa toiture, ce qui a été fait les 17 et 18 février 2009 et réglé par chèques au nom de M. Guerrier.
Ces dires sont corroborés par un devis établi par M. Guerrier, le 3 janvier 2009, au nom de la société Bouclier National de l'Habitat pour le client, Jeanne Marty, pour un montant de 3 941,23 euros, dont un acompte était versé le jour même et par une facture établie par la société Bouclier National de l'Habitat, le 2 mars 2009 (pièce 14 des appelants).
Le client, M. Visade, indique, dans un courrier en date du 22 juin 2009, avoir eu la visite en avril 2009, de M. Lembek, intervenant pour la société Bouclier National de l'Habitat.
Il ressort d'un courrier du 2 juin 2009 de M. Thévaux que M. Guerrier est venu chez lui pour vérifier le travail anti-termites réalisé par la société National Attax et l'a invité à faire exécuter d'autres travaux, ce qu'il a accepté. Ce client précise qu'il avait auparavant reçu en un appel téléphonique se référant à la société National Attax pour le travail par elle exécuté le 4 juin 2008.
Il apparaît ainsi que Messieurs Guerrier, Kilp et Lempek ont utilisé leur connaissance de la société National Attax, leur anciens employeurs, pour exploiter, au profit d'une société concurrente, dont Messieurs Guerrier et Kilp étaient cogérants et M. Lempek, salarié, son fichier clients, créant la confusion chez les clients qui croyaient, pour certains, traiter avec la société National Attax.
M. Guerrier a même commencé à démarcher les clients pour le compte de la société qu'il allait créer alors qu'il était encore salarié de la société National Attax.
De plus, les documents commerciaux utilisés, s'ils ne constituaient pas des actes de contrefaçon, étaient cependant, de par la ressemblance notamment des devis utilisés par la société National Attax, de nature également à créer la confusion dans l'esprit des clients.
Il apparaît ainsi que Messieurs Guerrier, Kilp et Lempek ont utilisé des manœuvres fautives visant à détourner la clientèle de la société National Attax et que ces agissements ont causé un préjudice à cette dernière du fait de la perte de clients ainsi engendrée.
Au vu de ces considérations, il apparaît que les faits de concurrence déloyale reprochés à Messieurs Guerrier, Kilp et Lempek sont constitués et que le jugement déféré doit être confirmé de ce chef.
3 - Sur les préjudices.
Si les résultats de la société National Attax étaient positifs pour l'exercice clos le 31 décembre 2008, avec un résultat net comptable de 1 199 euro et une rémunération du gérant de 280 730 euro, il n'est produit aucune pièce comptable relativement à l'exercice 2009, ce qui ne permet pas d'établir que sa mise en liquidation est totalement imputable aux agissements de la société Bouclier National de l'Habitat.
Dans ces conditions, et au vu des circonstances de la cause, il convient d'allouer à la Selarl Christophe Mandon, es qualité de mandataire judiciaire de société National Attax, en réparation du préjudice financier et moral subi par cette dernière, la somme de 25 000 euro qui sera supportée in solidum par la société Bouclier National de l'Habitat et Messieurs Guerrier, Kilp et Lempek.
M. Lagarde a subi un préjudice moral personnel du fait des agissements des anciens salariés de la société qu'il dirigeait et des tracasseries liées à la procédure. Il lui sera alloué la somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts.
Les premiers juges ont effectué une juste application de l'article 700 du Code de procédure civile et il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la Selarl Christophe Mandons et de M. Lagarde la somme de 1 000 euro, à chacun, au titre des frais irrépétibles d'appel.
La société Bouclier National de l'Habitat et Messieurs Guerrier, Kilp et Lempek, qui succombent dans leurs prétentions essentielles, doivent être déboutés de ce chef de demande et condamnés aux entiers dépens.
Il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes d'interdiction d'utilisation des termes Bouclier National, de la représentation graphique de bouclier et des devis en cause et de destruction de documents contrefaisants.
Par ces motifs : - Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts alloués. - Le réformant partiellement de ce chef, condamne in solidum la société Bouclier National de l'Habitat et Messieurs Guerrier, Kilp et Lempek à payer à la Selarl Christophe Mandon, es qualités de liquidateur judiciaire de la société National Attax, la somme de 25 000 euro à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et financier et à payer à M. Lagarde la somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral. - Y ajoutant, condamne in solidum la société Bouclier National de l'Habitat et Messieurs Guerrier, Kilp et Lempek à payer à la Selarl Christophe Mandons, es qualités de liquidateur judiciaire de la société Bouclier National de l'Habitat, et à M. Lagarde la somme de 1 000 euro, à chacun, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. - Déboute les parties du surplus de leurs prétentions. - Condamne in solidum la société Bouclier National de l'Habitat et Messieurs Guerrier, Kilp et Lempek aux dépens d'appel dont distraction au profit de la SCP Michel Puybaraud.