CA Angers, ch. com. A, 12 mars 2013, n° 11-02945
ANGERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Confédération générale du logement et de la consommation
Défendeur :
Carrefour Hypermarchés (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rauline
Conseillers :
Mmes Van Gampelaere, Monge
Avocats :
SCP Chatteleyn, George, Mes Nguyen, Langlois, Montaigne, Moreau-Margotin
EXPOSE DU LITIGE
L'hypermarché Carrefour de Saint-Malo ayant fait distribuer du 17 novembre au 19 décembre 2009 des catalogues proposant des offres commerciales portant sur des ordinateurs dont la taille des écrans était spécifiée en pouces et non en centimètres, la Confédération générale du logement et de la consommation d'Ille-et-Vilaine (CGLC 35) a fait assigner la société Carrefour Hypermarchés devant le président du Tribunal de grande instance de Saint-Malo statuant en référé sur le fondement des dispositions de l'article L. 111-1 du Code de la consommation, du décret n° 61-561 du 3 mai 1961 et de l'article R. 643-2 du Code pénal pour voir ordonner sous astreinte qu'il soit mis fin à la distribution des catalogues non conformes ainsi que la diffusion dans la brochure Carrefour et la publication dans divers journaux, à ses frais, d'un extrait de la décision à intervenir et entendre condamner la société à lui payer une provision de 20 000 euros à valoir sur le préjudice collectif des consommateurs.
Ce magistrat a dit n'y avoir lieu à référé par une ordonnance du 10 décembre 2009.
Par un arrêt du 31 août 2008, la Cour d'appel de Rennes, infirmant l'ordonnance, a déclaré l'action de la CGLC 35 irrecevable au motif qu'elle ne justifiait pas d'une habilitation à agir en justice, l'arrêté préfectoral du 14 novembre 2005 ayant été délivré à la CGL 35, distincte de la CGLC 35.
Cette décision a été cassée par un arrêt de la Cour de cassation en date du 20 octobre 2011 au visa de l'article L. 421-1 du Code de la consommation en ce qu'il résultait des énonciations de l'arrêt que la modification des statuts n'avait affecté aucun des éléments constitutifs de l'objet social en considération desquels l'agrément avait été accordé en sorte que, sous sa nouvelle dénomination, la CGLC 35 pouvait continuer à se prévaloir de cet agrément.
La Cour d'appel d'Angers, désignée comme cour de renvoi, a été saisie par la CGLC 35 par déclaration du 5 décembre 2011.
Les parties ont conclu. L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 janvier 2013.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions en date du 14 janvier 2013, la CGLC 35 demande à la cour d'infirmer l'ordonnance du 10 décembre 2009 et, au visa des articles 808 et 809 du Code de procédure civile, L. 421-2 et L. 421-6 du Code de la consommation, de :
- déclarer recevable son action,
- constater les manquements de la société Carrefour Hypermarchés aux dispositions de l'article L. 111-1 du Code de la consommation, du décret n° 61-561 du 3 mai 1961 et de l'article R. 643-2 du Code pénal,
- la condamner à cesser la distribution des brochures non conformes et à retirer de la circulation toutes les brochures portant des mentions ne respectant pas ces dispositions sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir,
- la condamner à lui fournir l'ensemble des documents comptables et financiers certifiés sur le nombre de catalogues imprimés et diffusés sur la région de Saint-Malo sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir pendant deux mois à l'issue duquel il sera à nouveau fait droit,
- la condamner à diffuser dans la brochure Carrefour, à ses frais, pendant un mois, un extrait de la décision par les mêmes voies et en quantité égale à celles utilisées pour la distribution du dépliant illicite et dans les mêmes proportions éditoriales et d'impression (une page) et la même situation sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir pendant deux mois à l'issue duquel il sera à nouveau fait droit,
- publier l'arrêt à intervenir, d'une part, dans le journal Ouest-France, édition régionale, d'autre part, dans le pays malouin, enfin, dans un journal consumériste à la requête de la CGLC 35 et aux frais de la société Carrefour Hypermarchés, le coût de ces publications étant limité à 1 500 euros, et ce sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir pendant deux mois à l'issue duquel il sera à nouveau fait droit,
- afficher de manière apparente la décision à intervenir dans les locaux de la société Carrefour Hypermarchés à l'accueil, à l'entrée du magasin, dans un format suffisamment visible et lisible des consommateurs, pendant une durée d'un mois sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir pendant deux mois à l'issue duquel il sera à nouveau fait droit,
- publier, aux frais de la société Carrefour Hypermarchés, de manière très apparente, la décision à intervenir sur son site Internet site du magasin de Saint-Malo pendant une durée d'un mois sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir pendant deux mois à l'issue duquel il sera à nouveau fait droit,
- rejeter l'ensemble des demandes présentées par la société Carrefour Hypermarchés,
- la condamner à lui payer 20 000 euros à titre de provision au titre de l'indemnisation du préjudice collectif des consommateurs en application de l'article 1382 du Code civil du Code de la consommation et de l'article 809 du Code de procédure civile, 20 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
Elle expose que le pouce n'est plus pratiqué que par trois pays dans le monde alors que le système métrique relève du système international et que le décret du 3 mai 1961, modifié en 2003 puis en 2009, ne prévoit que des dérogations limitativement énumérées et prohibe toute autre unité de mesure, sauf à l'ajouter à l'unité légale. Elle soutient que, contrairement à ce qui a été jugé, l'urgence existait en raison de la durée de validité des catalogues litigieux, la période des fêtes de fin d'année 2009, et que l'interdiction desdits catalogues ne se heurtait à aucune contestation sérieuse, la juridiction des référés permettant précisément d'éviter que des pratiques illicites perdurent. Elle conclut à l'existence d'un trouble manifestement illicite résultant du non-respect de la réglementation, trouble qui perdure au-delà de la période mentionnée sur le catalogue, d'une part, parce que les catalogues distribués demeurent en circulation, d'autre part, parce que la société Carrefour n'a pas cessé cette pratique illicite comme en témoignent les catalogues des années suivantes. Elle répond qu'un usage, à le supposer établi, ne fait pas partie de la hiérarchie des normes et ne peut abroger une loi ou un décret et qu'une réponse ministérielle n'a pas davantage de valeur juridique. Elle dément l'existence d'un tel usage en produisant divers documents de fabricants utilisant le pouce et le centimètre. Elle estime que la taille des écrans des téléphones portables ou des GPS étant exprimée en centimètres, il n'y a aucune raison de ne pas le faire pour les ordinateurs, le cas échéant en mentionnant les deux unités de mesure et que l'intimée est de mauvaise foi à soutenir que le décret de 1961 ne s'appliquerait pas aux personnes morales de droit privé alors qu'il ne contient aucune dérogation, seule de nature à fonder une telle exclusion. Selon elle, un consommateur ne sait pas ce que représente le pouce et ne peut déceler une éventuelle discordance de la taille de l'écran avec celle qui est annoncée, information d'autant plus importante que les écrans d'ordinateur permettent désormais de regarder des films. Elle réitère sa demande de provision au motif que l'unité métrique est la seule reconnue en France, qui sert de référence à tous les consommateurs et sollicite la condamnation sous astreinte de l'intimée à lui communiquer tous éléments lui permettant de connaître le nombre de catalogues distribués dans le département d'Ille-et-Vilaine pour que la juridiction saisie au fond d'une demande d'indemnisation puisse se prononcer en connaissance de cause.
Dans ses dernières conclusions en date du 9 janvier 2013, la société Carrefour Hypermarchés demande à la cour d'écarter des débats les pièces 1 à 10 de la CGLC 35 qui ne lui ont pas été communiquées dans le cadre de l'instance après renvoi, de confirmer l'ordonnance déférée, de débouter la CGLC 35 de l'ensemble de ses demandes, de la condamner à lui payer 20 000 de dommages intérêts pour appel abusif, une amende civile et 20 000 en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
Elle rappelle que le juge des référés doit se placer à la date à laquelle il rend sa décision. Or, le catalogue litigieux valait pour une période donnée. Il existe, par ailleurs, une contestation sérieuse en ce que l'article 9 du décret du 3 mai 1961 prévoit que l'interdiction d'emploi d'unités de mesure autres que l'unité légale ne s'applique qu'aux contrats administratifs et aux autorités officielles, ce dont il résulte qu'elle ne concerne pas les personnes morales de droit privé. Elle conteste en tout état de cause l'application de ce texte à la cause en faisant valoir que la pratique de mesurer les écrans informatiques en pouces est généralisée, comme cela résulte des pièces qu'elle verse aux débats, et donc comprise des consommateurs d'ordinateurs. Elle précise que la revue 60 millions de consommateurs emploie ce terme dans ses articles et que le ministère de l'Economie admet son utilisation dans une réponse ministérielle de 2009. Selon elle, les consommateurs trouveront toujours une personne dans le magasin pour les renseigner en cas de besoin. Elle conclut à l'absence de dommage imminent, lequel est lié à la notion d'urgence, et de trouble manifestement illicite compte tenu de cet usage généralisé. Elle considère que la mesure sollicitée sera devenue inopérante à la date à laquelle la cour statuera, le catalogue le plus récent ayant expiré fin 2012, et qu'il est impossible de retirer de la circulation les catalogues distribués depuis plusieurs années. Elle souligne le peu de clarté des mots "brochure Carrefour" et "mêmes proportions éditoriales et d'impression" et la "même situation" et des mesures d'affichage sollicitées. Elle estime injustifiées les mesures de publication au regard des faits de l'espèce et l'incertitude du site Internet visé faute de lien hypertexte. Elle s'oppose à la communication de documents comptables et financiers et à l'octroi d'une provision en l'absence de preuve d'un quelconque préjudice collectif et qualifie de déraisonnable la somme réclamée au regard de la jurisprudence alors même que l'appelante ne défend qu'un intérêt purement local et non régional ou national. Selon elle, cette dernière ne pouvait sérieusement croire en ses chances de voir prospérer son appel et a donc commis un abus du droit d'agir en justice, ajoutant que l'usage dont elle se prévaut a été reconnu par quatre arrêts de la cour d'appel de Rennes.
MOTIFS
1°) Sur la recevabilité des pièces n° 1 à 10 de la CGLC
L'intimée demande que soient écartées des débats les pièces n° 1 à 10 de l'appelante au motif qu'elles ne lui ont pas été communiquées bien qu'elles figurent sur le bordereau annexé à ses conclusions.
La communication des pièces est un élément essentiel de la loyauté des débats et les pièces produites en première instance doivent à nouveau être communiquées en appel depuis le décret du 9 décembre 2009. Le bordereau annexé aux conclusions laisse seulement présumer que les pièces ont été communiquées à la partie adverse. En l'espèce, l'intimée le conteste, l'appelante ne répond pas à cette prétention.
En l'absence de preuve du caractère effectif de la communication, les pièces n° 1 à 10 de l'appelante seront écartées des débats.
2°) Sur le fond
L'appelante fonde sa demande sur les articles 808 et 809 du Code de procédure civile. Toutefois, son argumentation reposant sur la méconnaissance par l'intimée du décret du 3 mai 1961 ayant rendu obligatoire en France le système métrique, c'est l'article 809 qui a vocation à s'appliquer, la violation manifeste de la règle de droit étant de nature à caractériser un trouble manifestement illicite.
Dès lors, les conditions de l'urgence et de l'absence de contestation sérieuse n'étant pas applicables, il n'y a pas lieu d'examiner si elles sont remplies.
Lorsque la mesure sollicitée n'a pas été ordonnée, la cour doit se placer à la date à laquelle elle statue pour apprécier la réalité du trouble ou du risque allégué et elle détermine librement la mesure qui lui paraît la mieux appropriée pour y mettre fin. L'intimée ne peut donc se retrancher derrière les dates de validité des offres commerciales contenues dans ses catalogues pour conclure à l'absence de trouble manifestement illicite et au caractère inopérant des mesures sollicitées par l'appelante. En l'espèce, la seule mesure de nature à faire cesser le trouble, s'il était avéré, serait d'interdire la distribution de catalogues contenant des ordinateurs dont la dimension des écrans est exprimée en pouces, ce que l'appelante demande en réalité lorsqu'elle écrit cesser la distribution des brochures "non conformes", et ce jusqu'à ce que le juge du fond statue.
L'article 1er du décret du 3 mai 1961 relatif aux unités de mesure et au contrôle des instruments de mesure dispose que le système de mesures obligatoires en France est, sous réserve des dérogations prévues à l'article 4, le système métrique décimal à sept unités de base dont la première est le mètre. L'article R. 643-2 du Code pénal punit l'utilisation de poids ou mesures différents de l'amende prévue pour les contraventions de 3e classe, outre la confiscation pour les personnes morales. Il n'est pas sérieux, de la part de la société Carrefour, de feindre l'ignorer en dénaturant un autre article du décret.
L'appelante est également fondée à soutenir que la dimension de l'écran est une caractéristique essentielle d'un ordinateur pouvant donner lieu à une pratique commerciale trompeuse au sens de l'article L. 121-1 du code de la consommation.
De son côté, la société Carrefour justifie son action par la pratique généralisée du pouce établie, selon elle, par les documents publicitaires d'autres enseignes ou les pages de sites de vente par Internet (ses pièces 12 à 18 et 20 à 23), un extrait du magazine 60 millions de consommateurs d'octobre 2009 consacré aux ordinateurs portables ne s'exprimant qu'en pouces ainsi qu'une réponse du ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi à une question parlementaire, publiée le 24 septembre 2009, évoquant une tolérance à condition que les indications fournies aux consommateurs soient loyales.
Si la pratique de quatre concurrents et de trois sites de vente en ligne ne permettent pas d'établir une pratique généralisée, d'autres professionnels utilisant à la fois le pouce et le centimètre, comme cela résulte des pièces produites par l'appelante, il n'en reste pas moins que les pièces produites par la société intimée démontrent, d'une part, que le pouce est utilisé par d'autres, y compris par le magazine édité par l'Institut national de la consommation, d'autre part, qu'il existe une tolérance des pouvoirs publics, la réponse ministérielle permettant de penser que les services de la DGCCRF placés sous l'autorité du ministre de l'Economie et chargés du respect de cette réglementation ont reçu pour consigne de ne pas dresser de procès-verbal d'infraction dans cette situation.
C'est à tort que l'appelante invoque la hiérarchie des normes et l'absence de modification des textes rappelés plus haut. En effet, la méconnaissance des textes législatifs et réglementaires est insuffisante pour caractériser un trouble manifestement illicite. Encore faut il que la règle de droit ait été violée dans des conditions justifiant, sans contestation possible, qu'il soit mis fin à l'acte perturbateur.
En l'espèce, la tolérance du pouvoir réglementaire pour l'utilisation du pouce empêche de retenir que la diffusion d'un catalogue mentionnant la dimension des ordinateurs en pouces constitue un trouble manifestement illicite justifiant une mesure telle que celle énoncée plus haut.
L'ordonnance déférée qui a dit n'y avoir lieu à référé ne peut donc qu'être confirmée par substitution de motifs.
3°) Sur les autres demandes
La demande de provision sera rejetée, l'obligation étant sérieusement contestable au regard de ce qui précède, de même que celle relative à la communication des documents financiers et comptables devant justifier du nombre de catalogues distribués, le préjudice collectif des consommateurs étant un préjudice moral, nécessairement indépendant de ce chiffre.
L'appelante n'a commis aucun abus en inscrivant un nouvel appel à la suite de l'arrêt de la cour de cassation qui lui a donné satisfaction. La demande de dommages intérêts pour appel abusif sera donc rejetée.
Les dispositions de l'ordonnance relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.
L'appelante, qui succombe en ses prétentions, sera condamnée aux dépens d'appel. En revanche, ceux de l'arrêt cassé seront à la charge de l'intimée qui avait soulevé le moyen d'irrecevabilité qui a été censuré par la Cour de cassation.
Compte tenu de la situation respective des parties, il ne sera pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'intimée en cause d'appel.
Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, après renvoi de cassation : Ecarte des débats les pièces n° 1 à 10 figurant sur le bordereau de pièces annexées aux dernières conclusions de la CGCL 35, Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions, Déboute la société Carrefour Hypermarchés de ses demandes de dommages-intérêts et d'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Carrefour Hypermarchés aux dépens de l'arrêt cassé, Condamne la CGCL 35 aux dépens de la présente instance d'appel, Dit qu'ils seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.