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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 7 mars 2013, n° 11-06738

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Alimentation chiens et chats (SARL)

Défendeur :

Mortier, Croc Délice (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Aubry-Camoin

Conseillers :

MM. Fohlen, Prieur

Avocats :

SCP Badie Simon-Thibaud Juston, SCP Magnan, Me Bichon

T. com. Fréjus, du 28 févr. 2011

28 février 2011

FAITS - PROCEDURE - DEMANDES :

La SARL Alimentation chiens et chats (ACC), qui vend les produits nutritifs pour chiens et chats de marque Husse, a par contrat du 15 mars 2005 consenti à Monsieur Denis Mortier une franchise pour la distribution exclusive de ceux-ci dans le canton de Fréjus. Selon l'article 15.2 du contrat et pendant un an à compter de la résiliation du contrat le franchisé n'est pas autorisé à exercer directement ou indirectement une activité concurrente à celle du franchiseur, sauf à payer une somme de 45 735 euro.

Par lettre du 30 avril 2009 Monsieur Mortier s'est considéré comme délié de tout engagement au titre du contrat de franchise, aux motifs que la société ACC ne respecte pas son exclusivité territoriale par suite des interventions de vendeurs à domicile indépendants (VDI), et a racheté une marque concurrente qui distribue des produits moins chers. Le 11 septembre suivant cette société a contesté tout manquement en précisant que les VDI sont recrutés par les franchisés eux-mêmes et que ceux-ci sont commissionnés sur les ventes par ceux-là, et a rappelé l'interdiction de concurrence pesant sur lui.

Le 5 janvier 2009 ont été signés les statuts de la SARL Croc Délice ayant pour associés l'épouse et la fille de Monsieur Mortier, et pour objet notamment la vente d'aliments et accessoires pour animaux de compagnie.

Le 24 mars 2010 la société ACC a assigné Monsieur Mortier et la société Croc Délice devant le Tribunal de commerce de Fréjus, qui par jugement du 28 février 2011 a :

* condamné Monsieur Mortier à payer à la société ACC la somme de 556 euro 57 pour commissions de service mensuelles jusqu'à l'issue du contrat, outre intérêts au taux légal à compter du 17 février 2009 ;

* condamné celui-là à payer à celle-ci la somme de 1 912 euro 50, outre intérêts au taux légal à compter du jour de la demande ;

* débouté la société ACC de ses demandes de voir Monsieur Mortier et la société Croc Délice condamnés à lui payer les sommes de 10 000 euro et de 45 735 euro outre intérêts ;

* débouté Monsieur Mortier ;

* condamné ce dernier à payer la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SARL Alimentation chiens et chats a les 12 avril et 3 mai 2011 régulièrement interjeté appel en limitant ce dernier aux dispositions du jugement l'ayant déboutée de ses demandes de condamnation solidaire de ses 2 adversaires à lui payer les sommes de 10 000 euro et de 45 735 euro. Par conclusions du 6 juillet suivant elle soutient notamment que :

- Monsieur Mortier a commercialisé des produits médiocres et concurrents de Husse avant sa sortie du réseau le 30 avril 2009, et détourné ainsi la clientèle d'elle-même qui a subi une perte de chiffre d'affaires ;

- il a poursuivi son activité illicite (achat et revente de produits concurrents, livraison à domicile) durant toute l'année interdite, par l'intermédiaire de la société Croc Délice constituée le 5 janvier précédent entre son épouse et sa fille mais dont il est l'animateur réel.

L'appelante demande à la cour, vu les articles 1134, 1147, 1152 et 1382 du Code civil, de condamner solidairement ses 2 adversaires à lui payer les sommes de :

- 10 000 euro en principal, assortie des intérêts au taux légal à compter du jour de la demande, au titre de la réparation des préjudices subis du fait de la violation par Monsieur Mortier de ses obligations contractuelles avant la résiliation du contrat de franchise, et de la faute délictuelle de la société Croc Délice ;

- 45 735 euro en principal (clause pénale), assortie des intérêts au taux légal à compter du jour de la demande, au titre de la réparation du préjudice subi du fait de la violation par Monsieur Mortier de son obligation de non-concurrence post-contractuelle, et de la faute délictuelle de la société Croc Délice ;

- 5 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

et d'inclure dans les dépens les frais relatifs à l'obtention et à l'exécution du procès-verbal de constat des 3 et 29 décembre 2009.

Concluant le 25 janvier 2013 la SARL Croc Délice et Monsieur Denis Mortier répondent notamment que :

- la société ACC, qui s'était dans le contrat de franchise interdite d'installer un autre point de vente sur le territoire concédé, a cependant développé 2 modes parallèles de distribution de ses produits (les VDI et les distributeurs), ce qui réduit à néant l'exclusivité territoriale prétendument concédée au franchisé ;

- Monsieur Mortier ignorait ces 2 modes lors de la signature du contrat de franchise.

Les intimés demandent à la cour, vu les articles 1134 et 1147 du Code civil, de :

- prononcer l'annulation du contrat de franchise ;

- débouter la société ACC ;

- reconventionnellement condamner celle-ci à rembourser à Monsieur Mortier la somme de 8 957 euro 27 TTC comprenant :

- 3 934 euro 07 TTC au titre du droit d'entrée,

- 3 934 euro 07 TTC pour commissions de service mensuelles ;

- condamner la société ACC au paiement de la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue à l'audience le 28 janvier 2013.

MOTIFS DE L'ARRET :

Les 3 attestations communiquées par la société ACC ne suffisent pas à démontrer une action concurrente de Monsieur Mortier et de la société Croc Délice au cours de l'exécution du contrat de franchise, et la première est par suite déboutée de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 10 000 euro.

Un huissier de justice a constaté le 29 décembre 2009 que Monsieur Mortier stocke dans un hangar dont il a la libre disposition des aliments pour chiens de marque autres que Husse telles que Proline, Pronature 21, First Choice et Josera, et que ces produits ont été facturés à la société Croc Délice. L'implication de Monsieur Mortier, au cours de l'année suivant la rupture du 30 avril 2009, dans une société de membres de sa famille qui vend des produits concurrents à ceux de la société ACC caractérise la violation de la clause de non-concurrence stipulée au contrat de franchise du 15 mars 2005. Et la société Croc Délice commet une faute délictuelle en participant à la violation de cette clause. C'est donc à tort que le tribunal de commerce a débouté la société ACC de sa demande d'indemnité à hauteur de la somme de 45 735 euro stipulée au contrat. Cependant cette somme constitue une clause pénale au sens de l'article 1152 du Code civil, et son montant est manifestement excessif eu égard à l'importance des fautes commises par Monsieur Mortier et par la société Croc Délice, ce qui conduit la cour à la réduire à 10 000 euro.

Les 16 juillet et 8 août 2008 la société ACC a rappelé la règle selon laquelle les VDI doivent respecter les secteurs géographiques des franchisés auxquels ils sont rattachés ; cette règle, qui s'applique également aux distributeurs indépendants de cette société également rattachés aux franchisés de celle-ci, est stipulée dans les contrats régissant ces 2 professions rattachées ; et Monsieur Mortier ne démontre pas que ces contrats ont été établis postérieurement au 30 avril 2009 date à laquelle il s'est séparé de la société ACC. Par suite Monsieur Mortier, comme l'a justement décidé le tribunal de commerce, n'est pas fondé à reprocher à la société ACC une mauvaise exécution du contrat de franchise par rapport aux VDI et aux distributeurs indépendants, ni à demander l'annulation du contrat de franchise et le remboursement des sommes qu'il a versées.

Enfin ni l'équité, ni la situation économique de Monsieur Mortier et de la société Croc Délice, ne permettent de rejeter la demande faite par la société ACC au titre des frais irrépétibles d'appel.

Décision : LA COUR, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire. Infirme le jugement du 28 février 2011 uniquement pour avoir débouté la SARL Alimentation chiens et chats de sa demande à hauteur de 45 735 euro, et condamne in solidum Monsieur Denis Mortier et la SARL Croc Délice à payer la somme de 10 000 euro, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation. Condamne en outre in solidum les mêmes à payer une indemnité de 5 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel. Rejette toutes autres demandes. Condamne in solidum Monsieur Denis Mortier et la SARL Croc Délice aux dépens d'appel, avec application de l'article 699 du Code de procédure civile.