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Décisions

CA Amiens, 5e ch. soc. cabinet a, 5 mars 2013, n° 12-03824

AMIENS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Gil

Défendeur :

CSF (Sté), Carrefour Proximité France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Aaron

Conseillers :

Mmes Hauduin, Leclerc-Garret

Avocats :

Mes Florentin, Beurtheret, Demeyere

Cons prud'h. Compiègne, du 10 mars 2011

10 mars 2011

Vu le jugement en date du 10 mars 2011 par lequel le Conseil de prud'hommes de Compiègne, statuant dans le litige opposant Monsieur Nelson Gil aux sociétés CSF et SAS Carrefour Proximité France (anciennement dénommée Prodim), s'est déclaré matériellement incompétent au profit de la juridiction arbitrale prévue par les conventions conclues entre les sociétés défenderesses et la SARL Nels Distrib gérée par Monsieur Gil ;

Vu la déclaration motivée de contredit faite par Monsieur Nelson Gil et enregistrée au greffe du conseil de prud'hommes le 24 mars 2011 ;

Vu le rétablissement de l'affaire au rôle de la cour après radiation administrative prononcée pour défaut de diligences des parties par arrêt du 5 juillet 2011 ;

Vu les conclusions et observations orales des parties à l'audience des débats du 18 décembre 2012 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en demande et en défense au contredit ;

Vu les conclusions dites récapitulatives n° 3 enregistrées au greffe le 18 décembre 2012, régulièrement communiquées et soutenues oralement à l'audience, aux termes desquelles, le demandeur au contredit, faisant valoir pour l'essentiel que la clause compromissoire inscrite dans les conventions signées avec la société Nels Distrib ne saurait faire obstacle à la compétence prud'homale pour statuer sur les droits individuels qu'il revendique en tant que personne physique sur le fondement des articles L. 7321-1 et suivants du Code du travail, dès lors qu'eu égard aux conditions réelles, constitutives d'un état de subordination, dans lesquelles il exerçait son activité, l'ensemble des conditions d'application de l'article L. 7321-2 étaient réunies, sollicite l'infirmation du jugement déféré et demande la cour, statuant à nouveau et évoquant, de déclarer la juridiction prud'homale matériellement compétente, condamner solidairement les sociétés Carrefour Proximité France et CSF à lui payer les sommes reprises au dispositif de ses écritures devant lui être allouées à titre de rappel de salaire, heures supplémentaires, indemnités de préavis et de licenciement, congés payés sur préavis, dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, contrepartie financière de clause de non-concurrence, indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre la remise de bulletins de paie correspondant à la période du 14 avril 2005 au 27 juillet 2007, d'un certificat de travail et d'une attestation Assedic conformes ;

Vu les conclusions en date du 17 décembre 2012, régulièrement communiquées et reprises oralement à l'audience, par lesquelles la société Carrefour Proximité France (anciennement Prodim), invoquant l'irrecevabilité pour cause de tardiveté du contredit, réfutant à titre subsidiaire les moyens et arguments développés pour tenter d'établir la compétence prud'homale, aux motifs notamment qu'il n'est justifié ni d'un contrat de travail au sens de l'article L. 1221-1 du Code du travail ni des conditions d'application de l'article L. 7321-2 du même Code susceptibles de justifier la compétence de la juridiction prud'homale et de faire échec à l'application de la clause compromissoire d'arbitrage, sollicite la confirmation du jugement déféré en ce que celui-ci s'est déclaré matériellement incompétent au profit de la juridiction arbitrale désignée conventionnellement, outre la condamnation du demandeur à lui payer une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions enregistrées au greffe le 17 décembre 2012 régulièrement communiquées et soutenues oralement à l'audience, par lesquelles la société CSF, reprenant in limine litis le moyen d'irrecevabilité du contredit soulevé par la société Carrefour Proximité France et développant au fond sur la compétence les mêmes moyens tirés d'une part de l'absence de justification d'un contrat de travail de droit commun et d'autre part de la non réunion des critères d'application de l'article L. 7321-2 du Code du travail, faisant valoir que la clause compromissoire régulièrement souscrite entre les sociétés CSF et Carrefour Proximité France et la société Nels Distrib gérée par Monsieur Gil doit recevoir sa pleine et entière application, demande à titre principal à la cour de déclarer le contredit irrecevable, subsidiairement, confirmant le jugement déféré, se déclarer incompétente ratione materiae au profit de la juridiction arbitrale stipulée à l'article 13 du contrat d'approvisionnement du 14 avril 2005, condamner le demandeur à lui payer une indemnité par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Sur ce, LA COUR

Attendu qu'il convient concernant les faits et de la genèse des relations des parties de se reporter à l'exposé qu'en donne le jugement déféré ;

Qu'il sera seulement rappelé qu'après avoir occupé différentes fonctions salariées dans le domaine de la grande distribution, Monsieur Nelson Gil, désireux de donner une nouvelle orientation à sa carrière, a pris attache en 2003 avec la société Prodim (devenue Carrefour Proximité France SAS) dans la perspective de reprendre l'exploitation d'un fonds en location-gérance ;

Qu'après avoir effectué un stage de formation, il a créé en mars 2005 avec son épouse la SARL "Nels Distrib" pour l'exploitation d'un fonds à l'enseigne "Shopi" situé à Guiscard dans l'Oise ;

Que le 14 avril suivant, la SARL Nels Distrib a conclu avec la société Prodim un contrat de location-gérance pour l'exploitation de ce fonds, outre différents contrats commerciaux annexes (contrat de franchise, contrat de fidélisation, contrat "nouveau système d'information Shopi", contrat de prestations spécifiques, contrat de sous-mandat et de back-office de proximité) ;

Que concomitamment et à la même date la SARL Nels Distrib a conclu avec la société Champion Supermarchés France (CSF) plusieurs contrats (contrat d'approvisionnement, convention de stocks, convention de ristourne "achats et fidélité", convention "de ristourne système transitoire"), les époux Gil se portant par ailleurs conventionnellement caution solidaire à titre personnel pour garantir le paiement des marchandises fournies à la société Nels Distrib ;

Que par différents actes en date du 27 avril 2007, les parties, à savoir la SARL Nels Distrib d'une part et les sociétés Prodim et CSF d'autre part ont mis fin d'un commun accord à leurs relations contractuelles et résilié amiablement les différents contrats les unissant ;

Attendu qu'à la suite de cette résiliation amiable, Monsieur Nelson Gil et son épouse ont saisi dans le cadre d'actions distinctes le Conseil de prud'hommes de Compiègne de demandes diverses, prétendant avoir en réalité été liés aux sociétés Prodim et CSF par un contrat de travail de droit commun ou à tout le moins s'être trouvés en situation de prétendre au bénéfice du statut de gérants de succursales défini aux articles L. 7321-1 et suivants (L. 781-1 ancien et s.) du Code du travail ;

Attendu que statuant par jugement du 10 mars 2011 sur l'action engagée par Monsieur Nelson Gil, le conseil de prud'hommes s'est déclaré matériellement incompétent pour connaître des demandes de l'intéressé au profit des juridictions arbitrales prévues par les conventions commerciales conclues entre la société Nels Distrib d'une part et les sociétés Carrefour Proximité France (Prodim) et Champion Supermarchés France (CSF) d'autre part ;

Attendu concernant la recevabilité contestée du contredit qu'il ressort des pièces et documents concordants du dossier que la procédure de contredit a été régulièrement introduite dans le délai de 15 jours suivant le prononcé du jugement par déclaration motivée enregistrée au greffe du conseil de prud'hommes le 24 mars 2011 ;

Que la radiation de l'affaire du rôle des affaires en cours prononcée par arrêt du 5 juillet 2011, simple mesure d'administration judiciaire ayant pour effet non pas de mettre fin à l'instance mais simplement d'en suspendre le cours, est dépourvue d'incidence sur la recevabilité du contredit régulièrement formé dans les formes et délais impartis, contredit dont la cour demeure valablement saisie, à défaut de péremption, suite au rétablissement de l'affaire au rôle des affaires en cours, peu important qu'à cette occasion et pour des raisons purement administratives l'affaire ait été dotée d'un nouveau numéro d'enregistrement ; que le rétablissement de l'affaire au rôle s'analyse donc comme une reprise d'instance et non comme l'introduction d'une nouvelle instance de contredit susceptible d'être déclarée irrecevable pour cause de tardiveté ;

Attendu que le moyen d'irrecevabilité du contredit soulevé par les sociétés défenderesses doit dans ces conditions être rejeté ;

Attendu que pour écarter la compétence de la juridiction prud'homale les premiers juges ont successivement considéré que Monsieur Gil n'établissait pas s'être personnellement trouvé dans un état de subordination juridique caractéristique d'un contrat de travail de droit commun vis-à-vis des sociétés Prodim et CSF et qu'il ne justifiait pas par ailleurs avoir exercé son activité dans des conditions lui permettant de revendiquer le statut de gérant de succursale tel que défini à l'article L. 7321-2 du Code du travail ;

Attendu que cette solution repose sur de justes considérations de fait et de droit, procédant d'une exacte appréciation de la valeur et de la portée des éléments de fait et de preuve du dossier, qui, à défaut d'être utilement critiqués en cause d'appel, ne peuvent qu'être approuvées ;

Qu'il ressort en effet des éléments concordants du dossier que les relations des parties se sont inscrites dans le cadre de contrats commerciaux conclus entre personnes morales distinctes, à savoir d'une part la SARL Nels Distrib et d'autre part les sociétés Prodim (Carrefour Proximité France) et Casino Supermarchés France (CSF), sans qu'il soit objectivement démontré que Monsieur Nelson Gil se serait vu imposer la création d'une société commerciale "écran" ou "fictive" à seule fin de dissimuler la véritable nature des relations des parties, à savoir un contrat de travail de droit commun qui aurait lié personnellement Monsieur Gil aux sociétés Prodim et CSF, contrat dont l'existence n'est aucunement démontrée, à défaut du moindre élément permettant notamment de considérer que l'intéressé aurait été soumis de façon directe ou indirecte, au travers d'ordres, directives ou contrôles, aux pouvoirs de direction ou disciplinaire des sociétés Prodim ou CSF, dans des conditions susceptible de traduire l'existence d'un lien de subordination juridique caractéristique d'un contrat de travail de droit commun ;

Attendu que si le gérant n'a pas l'obligation de prouver préalablement la fictivité de sa société ou l'existence d'un lien de subordination juridique pour pouvoir revendiquer le bénéfice des dispositions des articles L. 7321-1 et suivants du Code du travail (L. 781-1 ancien) encore faut-il, pour pouvoir utilement prétendre à l'application du Code du travail et corrélativement à la compétence prud'homale, qu'il justifie des conditions d'application de l'article L. 7321-2, ce qui suppose démontré la réunion de quatre critères cumulativement exigés par le texte, à savoir en premier lieu l'existence d'une activité essentielle de vente de marchandises ou de denrées, en deuxième lieu la fourniture exclusive ou quasi exclusive de ces marchandises ou denrées par une seule entreprise industrielle ou commerciale, en troisième lieu l'exercice de l'activité dans un local fourni ou agréé par cette entreprise, enfin l'exercice de l'activité aux conditions et prix imposés par ladite entreprise ;

Que selon les termes de l'article L. 7321-2 du Code du travail, les dispositions de ce Code qui visent les apprentis, ouvriers, employés, travailleurs sont en effet applicables aux personnes dont la profession consiste essentiellement à recueillir les commandes ou à recevoir des objets à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d'une seule entreprise industrielle ou commerciale, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par ladite entreprise ;

Attendu qu'il résulte de ces dispositions qui définissent le statut de gérant de succursale que s'il l'une ou l'autre des conditions exigées cumulativement fait défaut, les dispositions du Code du travail sont inapplicables ce qui exclut par voie de conséquence nécessaire la compétence de la juridiction prud'homale, sans qu'il y est lieu de s'attacher aux énonciations des conventions passées ;

Attendu qu'il ressort en l'espèce des éléments concordants du dossier, comme relevé par les premiers juges, que Monsieur Gil était lié au travers de sa société par contrats distincts à deux personnes morales différentes pour la fourniture des prestations différentes, en l'occurrence les sociétés Prodim (devenue Carrefour Proximité France) et CSF ; que si la société CSF assurait l'approvisionnement en marchandises sans toutefois bénéficier d'une clause d'exclusivité, cette société ne fournissait en revanche pas le local et n'imposait à Monsieur Gil ni ses prix de vente, ni ses conditions d'exploitation ; que de son côté, la société Prodim, assurait les prestations classiques d'un franchiseur, sans fourniture de marchandises, et se contentait de conseiller des prix sans les imposer, tout en ne disposant vis-à-vis de Monsieur Gil d'aucune autorité ni d'aucun pouvoir de contrôle sur les conditions dans lesquelles celui-ci exerçait son activité professionnelle ;

Attendu qu'en l'état les conditions d'application requises cumulativement par l'article L. 7321-2 du Code du travail n'étant pas réunies, Monsieur Gil ne pouvait utilement revendiquer le statut de gérant de succursale relevant du Code du travail et partant la compétence des juridictions prud'homales pour connaître des litiges ou différends susceptibles de l'opposer aux sociétés Carrefour Proximité France (anciennement Prodim) et Champion Supermarchés France (CSF) au titre de l'exécution et de la rupture de leurs relations contractuelles ;

Attendu qu'à la faveur de ces considérations et des motifs non contraires des premiers juges, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a écarté la compétence des juridictions prud'homales au profit des juridictions arbitrales prévues par les contrats commerciaux conclus entre la société Nels Distrib et les sociétés Carrefour Proximité France (anciennement Prodim) et Champion Supermarchés France (CSF) ;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges ; Déclare recevable mais mal fondé le contredit formé par Monsieur Nelson Gil ; Confirme en tant que de besoin le jugement déféré en ce que celui-ci a déclaré les juridictions prud'homales incompétentes au profit de la juridiction arbitrale désignée conventionnellement pour connaître des demandes présentées par Monsieur Nelson Gil à l'encontre des sociétés Carrefour Proximité France (anciennement Prodim) et Champion Supermarchés France (CSF) ; Condamne Monsieur Nelson Gil à payer aux sociétés Carrefour Proximité France et Champion Supermarchés France et à chacune d'entre elles une indemnité de 1 500 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires ; Condamne Monsieur Nelson Gil aux dépens afférents à la procédure de contredit.