CA Bordeaux, 2e ch. civ., 12 mars 2013, n° 11-01315
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Atac (SAS)
Défendeur :
Sofibor (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme O'yl
Conseillers :
M. Bancal, Mme Rouger
Avocats :
SCP Michel Puybaraud, Mes Labory Moussie, Behr, Hontas
La SAS Atac exploite un hypermarché 42 rue Emile Counord à Bordeaux sous l'enseigne « Simply Market » tandis que la SAS Sofibor exploite à environ 1 km 200 un hypermarché sous l'enseigne Leclerc, esplanade Saint-Louis à Bordeaux;
Du 2 au 10 avril 2009 la SAS Atac a réalisé une opération de publicité comparative en exposant à l'entrée de son magasin un caddy rempli de divers articles sur lequel une pancarte a été installée portant la mention « Comparez ! » et affichant deux tickets de caisse agrandis, l'un émanant de « Simply Market » d'un montant total de 50 47 et l'autre émanant de l'hypermarché Leclerc exploité par la SAS Sofibor d'un montant total de 55,20 .
La SAS Sofibor a sur autorisation du président du Tribunal de commerce de Bordeaux fait dresser le 10 avril 2009 un constat par huissier de justice ;
Au résultat de ce constat la SAS Sofibor a fait assigner la SAS Atac devant le Tribunal de commerce de Bordeaux pour qu'il soit jugé que cette publicité était illicite et trompeuse et constitutive de concurrence déloyale ; elle demandait sa condamnation au paiement de la somme de 387 931 au titre du préjudice économique et de la somme de 100 000 au titre du préjudice moral ; elle sollicitait en outre l'affichage du jugement dans l'enceinte du magasin Simply Market et sa publication dans le journal Sud Ouest ainsi que le bénéfice des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par le jugement critiqué le Tribunal de commerce de Bordeaux a :
- condamné la SAS Atac à payer à la SAS Sofibor une somme de 25 000 de dommages intérêts outre 1500 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- débouté la SAS Sofibor de sa demande de publicité du jugement ;
- ordonné l'exécution provisoire ;
La SAS Atac qui a relevé appel de ce jugement demande à la cour de :
- juger que la publicité qu'elle a réalisée est licite au sens des articles L. 121-8 et L. 121-1 du Code la consommation
- juger que la SAS Sofibor ne démontre pas l'existence d'un préjudice
- infirmer le jugement déféré
- condamner la SAS Sofibor à lui restituer la somme de 25 000
- faire application de l'article 700 dommages-intérêts Code de procédure civile à hauteur de 5 000 ;
La SAS Sofibor qui forme appel incident demande à la cour de :
- juger que la publicité comparative mise en œuvre par la SAS Atac était illicite car contraire aux exigences légales et au surplus trompeuse et constitutive de concurrence déloyale
- condamner la SAS Atac à lui payer une somme de 387 931 en réparation de son préjudice économique
- la condamner à lui payer la somme de 100 000 en réparation de son préjudice moral
- ordonner la publication intégrale de l'arrêt à intervenir sur les lieux de vente au même endroit où le chariot présentant les produits illicitement comparés était présent et ce pendant un mois à compter de la signification à intervenir ainsi que dans le journal Sud Ouest aux frais de la SAS Atac
- confirmer le jugement sur l'indemnité allouée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
- y ajoutant, condamner la SAS Atac à lui payer la somme de 10 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
SUR LES GRIEFS
La SA Sofibor fonde ses demandes indemnitaires sur le caractère illicite de la publicité comparative organisée par la SAS Atac (article L. 121-8 et suivants du Code de la consommation), sur son caractère trompeur (articles L. 121-1 et suivants du Code de la consommation) et sur la concurrence déloyale (article 1382 du Code civil) ;
Les pratiques commerciales déloyales sont interdites ; une pratique commerciale est déloyale lorsque lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé à l'égard d'un bien ou d'un service ;
Selon l'article L. 128-1 du Code de la consommation « toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent n'est licite que si :
- elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur
- elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif
- elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services dont le prix peut faire partie » ;
L'article L. 121-1 du code de la consommation dispose : « une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l'une des circonstance suivantes :
(...)
- lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants :
* l'existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service
* les caractéristiques essentielles du bien ou du service à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l'usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service ;
* le prix, le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien et du service
* la portée des engagements de de l'annonceur, la nature, le procédé ou le motif de la vente ou de la prestation de service ».
Enfin en vertu de l'article 1382 du Code civil « tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer » ;
Il est acquis que les deux parties sont en situation de concurrence ;
Le constat dressé à la requête de la SAS Sofibor le 10 avril 2009 met en évidence les éléments suivants :
D'une part les produits objets de cette publicité comparative sont représentatifs d'un panier moyen ; ils répondent aux mêmes besoins et sont aisément comparables s'agissant de produits de consommation courante présentant les mêmes caractéristiques essentielles ; ils sont en outre en nombre suffisant pour permettre une généralisation ;
D'autre part s'il est exact que sur le ticket de caisse « Leclerc » sont notés 23 articles et 24 sur celui de « Simply Market », ceci est dû au fait que parmi le panel de produits sélectionnés ont été retenus pour « Simply Market » 2 paquets de trois rouleaux d'essuie-tout de la marque Okay et pour le magasin « Leclerc » un paquet de six rouleaux d'essuie-tout de la même marque, produits pouvant être considérés comme équivalents ou substituables ;
Par ailleurs l'huissier de justice a établi que deux produits se trouvant dans le caddy exposé, à savoir un paquet de coquillettes de la marque Panzani et le vin AOC « château Barreyre 2007 » de même que l'essuie-tout trois rouleaux de marque Okay ne se trouvaient pas en rayon ; il ne peut en être fait grief à la SAS Atac puisqu'il est plausible que ces produits aient été épuisés : le constat a été dressé en fin de journée et la SAS Atac justifiant en avoir passé une commande au mois de mars 2009 ;
Mais plusieurs produits de comparaison du magasin « Simply Market » (Atac) figurant sur le ticket de caisse agrandi et exposé ne se trouvaient pas dans le chariot de comparaison ; il en est ainsi de :
- un paquet de cookies au chocolat
- un pain de mie
- un paquet de farine
- une bouteille d'huile de tournesol
- un paquet de riz « Névada »
- un paquet de café expresso
- deux bouteilles de limonade
- de tranches de jambon emballé
- un paquet de couches pampers
- une pizza surgelée
- une baguette
- un camembert
aucun produit de boucherie qu'il provienne de « Simply Market » ou du magasin « Leclerc » ne s'y trouvait non plus ;
Or le consommateur doit être mis en mesure d'apprécier les caractéristiques des produits comparés telles que leur qualité, leur composition, leur poids, leur contenance, la reproduction des seuls tickets de caisse ne permettant pas une telle appréciation ; l'absence notamment de produits provenant du magasin « Simply Market » ne permettait pas à l'évidence une telle comparaison ;
Certes comme le soutient la SAS Atac une partie du contenu du chariot nécessairement en libre accès a pu être prise ou déplacée par des clients ; mais il lui appartenait afin que cette publicité comparative remplisse son rôle à savoir permettre au consommateur de vérifier objectivement les caractéristiques essentielles des produits dont la comparaison lui était proposée de faire en sorte que ceux-ci soient à sa disposition pendant toute la durée de cette publicité ; en effet le fait que les tickets de caisse soient datés du 2 avril 2009 ne lui interdisait pas de remplacer les produits disparus par des produits identiques qui pendant la durée de la publicité comparative ne pouvaient qu'avoir le même prix ;
En outre il ressort du constat d'huissier que trois produits se trouvant dans le chariot de comparaison coûtaient plus cher en rayon que sur les tickets de caisse exposés :
- la pizza Buitoni four à pierre à 2,41 au lieu de 2,15
- les oeufs Jumbo à 1,63 au lieu de 1,30
- la margarine Primevère à 1,73 au lieu de 1,45
La SAS Atac fait valoir qu'au 2 avril 2009 ils avaient bien le prix indiqué sur les tickets de caisse exposés de même que 15 jours auparavant et que les prix des produits peuvent varier en fonction des réassortiments ;
L'opération de publicité comparative mise en œuvre n'étant pas achevée au moment où l'huissier de justice a diligenté sa mission, la SAS Atac se devait d'afficher les mêmes prix sur les tickets de caisse comparatifs exposés à l'entrée de son magasin que dans ses rayons ;
Ne le faisant pas elle est l'auteur d'une publicité trompeuse ;
De plus alors que figure sur le ticket de « Simply Market » un vin d'appellation Bordeaux AOC « château Barreyre », sur celui du magasin Leclerc est mentionné un vin d'appellation Cahors ; le vin se trouvant dans le caddie est un vin de pays d'oc ; cette comparaison est illicite : l'article L 121-10 du code de la consommation dispose en effet « pour les produits bénéficiant d'une appellation d'origine ou d'une indication indication géographique protégée, la comparaison n'est autorisée qu'entre des produits bénéficiant chacun de la m^me appellation ou de la m^me indication »;
Enfin il ne peut être ignoré que selon la société Panel Nielsen la SAS Sofibor pratique globalement depuis 2006 des prix inférieurs à ceux pratiqués par sa concurrente ;
Il est ainsi établi que la SAS Atac a enfreint les règles de loyauté de la concurrence et a commis des actes de concurrence déloyale en procédant à une publicité comparative illicite et trompeuse ;
SUR LE PREJUDICE
La SAS Atac fait valoir que la SAS Sofibor n'a subi aucun préjudice résultant de cette publicité au cas où celle ci serait jugée illicite et/ou trompeuse; à cet effet elle relève que son chiffre d'affaires et sa fréquentation baissent de manière constante depuis trois ans et en déduit qu'il n'y a aucun lien de causalité entre le préjudice qu'elle invoque et la publicité comparative qu'elle a mise en œuvre ;
La SAS Sofibor qui forme appel incident demande la condamnation de la SAS Atac au paiement des sommes de :
- 387 931 en réparation de son préjudice économique ;
- 100 000 en réparation de son préjudice moral ;
elle sollicite en outre la publication intégrale de l'arrêt à intervenir sur les lieux de vente au même endroit où se trouvait le chariot présentant les produits illicitement comparés et ce pendant un mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ainsi que dans le journal Sud Ouest ;
La publicité comparative illicite ou trompeuse, constitutive de concurrence déloyale, est par nature génératrice d'un trouble commercial et entraine nécessairement un préjudice ;
Ainsi que l'a relevé à juste titre le Tribunal de commerce de Bordeaux le chiffre d'affaires et la fréquentation de l'hypermarché Leclerc exploité par la SAS Sofibor sont en baisse constante depuis le début de l'année 2009 comme en témoignent les pièces versées aux débats ; il ressort de l'examen de ces pièces que cette baisse n'a pas été plus accusée au mois d'avril 2009 date du prétendu fait générateur que les mois précédents et que bien au contraire elle a été moindre ;
Aussi le préjudice évalué à hauteur de la perte de marge (387 931 ) ne peut être lié aux opérations de publicité comparative de la SAS Atac ;
En conséquence c'est avec pertinence que le premier juge prenant en considération la perte d'image et le préjudice moral occasionnés par ces pratiques illicites et déloyales a fixé à la somme de 25 000 le montant de la réparation à allouer à la SAS Sofibor ;
La demande de publication et d'affichage a été rejetée à juste titre compte tenu de leur disproportion par rapport aux faits ;
Le jugement déféré sera en conséquence confirmé ;
L'équité commande en outre de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la SAS Sofibor à hauteur de 5 000 ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé par sa mise à disposition au greffe, confirme le jugement déféré, Y ajoutant, condamne la SAS Atac à payer à la SAS Sofibor une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, la condamne aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.