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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 23 janvier 2013, n° 11-02529

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Renault (SAS)

Défendeur :

Vergely (Epoux), Sonoma (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cousteaux

Conseillers :

Mmes Pellarin, Salmeron

Avocats :

SCP Rives Podesta, SCP Dessart Sorel Dessart, SCP Château, Selarl M Avocats, Mes Guennec, Diallo

TGI Toulouse, du 22 avr. 2011

22 avril 2011

EXPOSÉ DES FAITS :

Les époux Vergely ont acquis le 12 février 2008 auprès du concessionnaire Peugeot, la société Sonoma, un véhicule Renault Scenic d'occasion immatriculé 987 AYH 51 au prix de 14 900 euros financé à hauteur de 7 400 euros au moyen d'un crédit. Cet achat bénéficiait d'une garantie contractuelle d'une durée de 12 mois et les époux Vergely avaient souscrit un contrat d'assurance auprès de la société RAC.

Le véhicule a subi une panne dès le 3 novembre 2008 et a été remorqué dans le cadre de la garantie Peugeot Assistance dans un garage à Limoges.

Une expertise amiable mandatée par la société RAC a été confiée au cabinet Limousin Expertises qui a rendu son rapport le 2 décembre 2008.

Un règlement amiable ne pouvant aboutir, les époux Vergely ont saisi le juge des référés du Tribunal de grande instance (TGI) de Reims qui a ordonné le 18 février 2009 une expertise confiée à M. Granger.

Ce dernier a remis son rapport le 6 octobre 2009.

Par acte d'huissier du 23 novembre 2009, les époux Vergely ont fait assigner devant le TGI de Reims la société Sonoma sur le fondement de la garantie des vices cachés.

Le tribunal s'est déclaré incompétent territorialement et a renvoyé le litige devant le TGI de Toulouse par jugement du 9 février 2010.

Par acte du 23 juillet 2010, la société Sonoma a appelé en cause le constructeur du véhicule litigieux la SAS Renault aux fins de garantie.

Le juge de la mise en état a ordonné la jonction des instances par ordonnance du 10 septembre 2010.

Par jugement du 22 avril 2011, le Tribunal de grande instance de Toulouse a :

- condamné la société Sonoma à payer aux époux Vergely les sommes suivantes :

- 7 767,84 euros au titre des travaux de remise en état du véhicule,

- les frais de gardiennage,

- 16 508,77 euros au titre des frais de location d'un véhicule de remplacement somme arrêtée au 3 janvier 2011 et qui courront sur justificatifs des dits frais jusqu'à restitution aux époux Vergely de leur véhicule,

- 1 000 euros de dommages-intérêts,

- 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la SAS Renault à relever et garantir des condamnations prononcées à son encontre,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement à hauteur des frais de réparation, de gardiennage du véhicule et de location dans la limite de 8 000 euros

- condamné la SAS Sonoma aux dépens qui comprendront les frais d'expertise.

Par déclaration en date du 23 mai 2011, la SAS Renault a relevé appel du jugement.

La clôture est intervenue le 20 novembre 2012.

MOYENS DES PARTIES

Par conclusions notifiées le 20 octobre 2011 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, la SAS Renault demande d'infirmer le jugement et de débouter la société Sonoma de son action récursoire.

A titre subsidiaire, elle demande de désigner un expert pour procéder selon les règles de l'art à l'expertise du véhicule et de condamner la société Sonoma à lui régler 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir qu'elle n'a jamais participé aux expertises amiable et judiciaire dans le présent litige. En outre, elle n'a été mise en cause que quelques semaines avant l'audience de plaidoirie.

Elle relève dans l'expertise amiable de M. Toribio qu'aucune trace d'entretien ni carnet ni étiquette ni historique constructeur ne permet de vérifier le bon entretien du véhicule. Selon elle, aucun défaut de fabrication n'est justifié ni démontré.

L'expert judiciaire Granger fait des conclusions hypothétiques : l'hypothèse la plus plausible sur l'origine de la détérioration des coussinets de la ligne d'arbre peut être une avarie momentanée de lubrification et ce lors de la détérioration du turbo compresseur. Or, il est dans l'incapacité d'examiner le turbocompresseur remplacé de nombreux mois auparavant et alors que le véhicule a parcouru 31 000 km et l'expert qui n'a pu faire de constatations techniques formule un avis en se référant à des pages de lecture sur différents sites internet. Une telle méthode de raisonnement ne permet pas d'expliquer les éventuels dysfonctionnements constatés. L'expert aurait dû faire appel au constructeur dans le cadre de son expertise.

Par ailleurs, il est indispensable que l'entretien du véhicule soit réalisé conformément aux préconisations du constructeur dans la mesure où une qualité d'huile usagée ou un filtre à air encrassé contribue à détériorer prématurément le palier lubrifié de la turbine de turbocompresseur. Aucune des vérifications indispensables n'a été effectuée. Il convient d'infirmer le jugement sur la condamnation à garantie.

A titre subsidiaire, elle rappelle qu'elle ne peut indemniser que des préjudices directs ; il convient d'écarter le paiement du crédit pour le financement du véhicule, les préjudices pour résistance abusive de la société Sonoma, les cumuls de préjudices comme frais de location et préjudices de jouissance.

Enfin, sur la durée de l'immobilisation du véhicule, la 2ème chambre civile dans un arrêt 8 juillet 1987 a rappelé qu'il fallait tenir compte de délais normaux pour faire procéder aux constatations contradictoires et à la remise en état du véhicule : la durée d'immobilisation normale du véhicule en l'espèce prenait fin au 15 novembre 2009 (6 semaines après le dépôt du rapport de l'expert judiciaire du 6 octobre 2009).

Par conclusions notifiées le 29 octobre 2012 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, Jean-Philippe et Patricia Vergely demandent de confirmer le jugement et, y ajoutant, de réactualiser le montant des préjudices soit 11 000 euros au titre de la réparation, 20 328,97 euros au titre des frais de location, condamner la société Sonoma à leur verser 5 000 euros de dommages-intérêts pour préjudice moral et 5 000 euros pour résistance abusive et 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur les frais de réparation, le devis réactualisé du Garage Limousin porte à 11 000 euros la remise en état du véhicule.

Les époux Vergely continuent encore aujourd'hui à subir les frais de location de véhicule et en justifient par factures soit 20 328,97 euros.

Sur les frais de gardiennage du véhicule, ce dernier est toujours stationné au même endroit : cette somme a été arrêtée à 11 500 euros au 3 novembre 2008 jusqu'au 4 août 2011. Ils sont facturés à 12 euros TTC par jour, la société Sonoma devra régler les dits frais jusqu'à reprise du véhicule après réparation.

Par conclusions notifiées le 27 septembre 2011 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, la SAS Sonoma demande de réformer le jugement et de débouter les époux Vergely de leurs demandes et, à titre subsidiaire, de condamner la SAS Renault à la relever et garantir de toutes les condamnations prononcées contre elle et notamment les frais irrépétibles et les dépens et condamner la SAS Renault à lui verser 2 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle rappelle qu'elle a fait une proposition d'indemnisation un mois après le dépôt du rapport d'expertise amiable portant sur le remplacement à l'état neuf de l'intégralité du moteur.

Elle considère que l'existence d'un vice caché antérieure à la vente n'est pas établie notamment sur la détérioration du turbocompresseur avant la vente par la Sonoma.

Le défaut constaté provient soit d'un défaut de construction du turbocompresseur non décelable par le vendeur même professionnel soit à des préconisations de vidanges par le constructeur non adaptés soit à un défaut d'entretien de la part des époux Vergely dans le respect régulier des vidanges préconisées.

Sur l'appel en garantie de la SAS Renault, elle rejette les critiques de cette dernière sur son assignation tardive et retient qu'elle est mise en mesure de critiquer le rapport d'expertise judiciaire sur les aspects techniques mentionnés.

Sur l'indemnisation demandée, elle fait observer que le véhicule a été acheté d'occasion pour le prix de 14 900 euros TTC et la valeur argus du véhicule au moment de la panne était de 5 450 euros ; or, le tribunal a accordé 24 276,61 euros dont 7 767,84 euros au titre des réparations.

Elle demande une attestation sur l'honneur des époux Vergely sur le fait qu'ils ne sont pas indemnisés par ailleurs au titre des frais de déplacement pour couvrir les frais de location.

Elle conteste toute résistance abusive alors que sa proposition d'indemnisation a été rejetée.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la garantie des vices cachés :

L'action des époux Vergely contre la société Sonoma est fondée sur la garantie des vices cachés.

Selon l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il les avait connus.

Il appartient à celui qui invoque l'existence des vices cachés de rapporter la preuve du vice, de son caractère dissimulé et de son antériorité à la vente.

Dans ce cadre, selon l'article 1644 du Code civil, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de faire restituer le prix ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix, telle qu'elle sera arbitrée par experts.

En application des dispositions de l'article 1645 du dit Code, si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur.

En revanche, en application de l'article 1646 suivant, si le vendeur ignorait les vices de la chose, il n'est tenu qu'à la restitution du prix et à rembourser à l'acquéreur les frais occasionnés par la vente.

Il ressort du rapport d'expertise judiciaire que le vice à l'origine de la panne est la détérioration des coussinets au niveau du turbocompresseur du moteur et que cette détérioration est, selon l'expert judiciaire reprenant les conclusions de l'expert amiable, une conséquence de l'intervention pour laquelle le turbocompresseur a été remplacé (à environ 31 000 kilomètres) ou d'un mauvaise tenue de l'huile (cf. page 8 du rapport d'expertise).

Selon l'expert judiciaire, le vice existait à l'état latent au moment de la vente du véhicule par la SAS Sonoma aux époux Vergely et n'était pas apparent. En effet, eu égard à la faiblesse des kilomètres parcourus depuis l'acquisition du véhicule (20 000 km), les époux Vergely ne peuvent être à l'origine d'un défaut d'entretien et notamment de l'utilisation d'une huile de mauvaise qualité.

L'existence d'un vice caché antérieure à la vente est donc établie. La SAS Sonoma est donc tenue à garantie en qualité de vendeur.

Les époux Vergely ont choisi de conserver le véhicule et sollicitent le remboursement des frais de réparation et de l'ensemble des préjudices directs liés à l'existence du dit vice.

En qualité de professionnel de la vente de véhicules d'occasion, la SAS Sonoma est tenue de connaître les vices affectant la chose vendue et doit garantir l'ensemble du préjudice provoqué par le vice affectant la chose vendue en application de l'article 1645 du Code civil.

Sur les préjudices :

Il y a lieu de faire droit à la demande de réparation du véhicule dont le montant a été actualisé depuis l'évaluation faite par l'expert judiciaire en 2009, à défaut de critiques précises de la facture produite en pièce n° 51. Il y a lieu d'allouer les 11 000 euros demandés de ce chef.

S'agissant des frais de location d'un véhicule de remplacement et de frais de gardiennage du véhicule litigieux, la SAS Sonoma ne peut dénoncer un enrichissement sans cause des époux Vergely par remboursement de tels frais qui n'auraient pas existé s'ils avaient accepté leur offre dès février 2009 de remplacement du moteur à l'état neuf avec garantie constructeur de deux ans.

En revanche, en ne faisant pas procédé à la réparation du véhicule après le jugement confortant les conclusions de l'expertise alors qu'ils demandaient la réduction du prix et non son intégralité contre restitution du véhicule et en laissant augmenter les frais consécutifs au vice caché du fait de la prolongation du contentieux dans des proportions excessives par rapport à la valeur du bien, les époux Vergely ont eu une attitude déraisonnable et ont ainsi contribué à l'ampleur du préjudice dont ils demandent réparation. Ils ne seront remboursés qu'à hauteur de 50 % des frais de location de véhicule et de gardiennage à partir d'avril 2011.

Par ailleurs, les époux Vergely ont produit, comme la partie adverse le leur demandait, en pièce n° 48 une attestation sur l'honneur en date du 22 novembre 2011 précisant qu'ils n'ont bénéficié d'aucun remboursement à titre de frais de déplacement pouvant couvrir les frais de location qu'ils ont dû supporter.

L'expert a évalué les frais de location à la date de dépôt de son rapport à 6 956,68 euros et le jugement a alloué 16 508,77 euros au titre des dits frais. Les époux Vergely demandent 3 820,98 euros supplémentaires. Les justificatifs sont produits et sont précis et lisibles contrairement aux affirmations de la société Sonoma.

Il leur sera donc alloué 16 508,77 + 3 820,98 / 2 = 18 419,26 euros au titre des frais de location de véhicule.

Le montant des frais de gardiennage n'a pas été fixé dans le dispositif du jugement du 22 avril 2011 ; l'expertise judiciaire n'apporte aucun élément sur ce type de préjudice ni de frais. Enfin, les seules pièces produites pour justifier de ce préjudice sont les pièces 45, 46 et 51. Or, ces pièces sont contradictoires puisque le devis n° 9010 du Garage Limoges Diffusion automobiles est relatif à des frais de gardiennage du 1er février 2011 au 5 août 2011 pour 915 jours à 10,03 euros HT alors que le véhicule est mentionné "entré le 23 septembre 2011" et un second devis de même numéro est complété par des frais de gardiennage de 70 jours du 26 octobre 2011 au 3 janvier 2012 avec les mêmes contradictions sur la période antérieure.

Toutefois, la société Sonoma ne conteste pas le fait que le véhicule ayant fait l'objet d'un dépannage le 3 novembre 2008 a été conduit dans les ateliers du Garage Limoges Diffusion et y est demeuré ensuite ; par ailleurs, les devis produits comportent une erreur matérielle puisque la période de 915 jours de facturation qui se termine le 5 août 2011 correspond à des frais de gardiennage à compter du 1er février 2009 et non 2011.

La cour alloue donc, au visa des seuls devis produits, l'indemnisation des frais de gardiennage à compter du 1er février 2009 jusqu'au jugement du 22 avril 2011 dans leur intégralité soit 811 jours x 12 euros TTC = 9 732 euros) et à 50 % pour les frais du 23 avril 2011 au 3 janvier 2012 (soit 256 jours x 12 euros TTC par jour / 2 = 1 536 euros TTC).Au delà du 3 janvier 2012 aucun devis n'est produit.

La SAS Sonoma devra régler aux époux Vergely au titre des frais de gardiennage 9 732 + 1 536 = 11 268 euros.

En revanche sur le préjudice moral, la cour estime que le préjudice n'est pas suffisamment justifié et infirme le jugement de ce chef.

Sur la demande de dommages-intérêts pour la résistance abusive, il ne saurait être reproché à la société Sonoma de ne pas s'être acquittée de la réparation des préjudices demandée immédiatement et d'avoir engagé un appel incident contre sa condamnation en paiement, dès lors qu'elle avait fait une proposition d'indemnisation qui a été refusée par les demandeurs et qu'elle a pu estimer à bon droit que le rapport d'expertise était critiquable devant une juridiction. Par ailleurs, la résistance a une action en justice constitue un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à réparation que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi insuffisamment caractérisé en l'espèce.

Il convient de débouter les époux Vergely de leur demande de dommages intérêts pour résistance abusive.

- sur l'appel en garantie de la SAS Sonoma à l'encontre de la SAS Renault :

La SAS Sonoma fonde son action sur la garantie des vices cachés mais n'établit ni que le vice à l'origine de la panne est dû à un défaut incombant au constructeur ni qu'il existait avant qu'elle-même acquiert ledit véhicule.

Il convient de la débouter de sa demande en garantie et d'infirmer le jugement de ce chef.

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné la SAS Sonoma aux dépens de première instance y compris les frais d'expertise, Et statuant à nouveau, Dit que la SAS Sonoma est tenue à la garantie des vices cachés, Condamne la SAS Sonoma à verser aux époux Vergely : - 11 000 euros au titre de la remise en état du véhicule après actualisation du devis, - 18 419,26 euros au titre des frais de location de véhicule, - 11 268 euros au titre des frais de gardiennage, Déboute les époux Vergely de leurs demandes de dommages-intérêts pour préjudice moral et résistance abusive, Déboute la SAS Sonoma de son appel en garantie de la SAS Renault, Condamne la SAS Sonoma aux dépens d'appel avec distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Vu l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SAS Sonoma à payer aux époux Vergely la somme de 3 000 euros, Condamne la SAS Sonoma à verser à la SAS Renault la somme de 1 500 euros.