CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 3 septembre 2010, n° 09-03200
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Rambourg
Défendeur :
La Martinière Groupe (SA), Louis Audibert (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Girardet
Conseillers :
Mmes Darbois, Saint-Schroeder
Avoués :
SCP Roblin - Chaix de Lavarene, SCP Garnier
Avocats :
Mes Gitton, Amblard
Par contrat en date du 21 février 2003, Patrick Rambourg, auteur de divers ouvrages, s'est engagé à remettre à la société La Martinière Groupe, le 14 juin 2004 au plus tard, un manuscrit intitulé provisoirement "De la cuisine à la gastronomie", dont il avait remis la table des matières et un chapitre rédigé ; il était convenu entre les parties que l'éditeur bénéficiait d'une option de 3 mois à l'issue desquels, si l'option n'était pas levée, chaque partie reprenait sa liberté.
Après une remise tardive de son manuscrit à la fin du mois de septembre 2005, l'éditeur leva l'option et convint avec l'auteur, le 27 septembre 2005, d'un avenant au contrat portant sur la fixation de la rémunération de l'auteur et la substitution à la société La Martinière de la société Louis Audibert en tant qu'éditeur, société dissoute depuis lors, dont les parts ont été réunies depuis le 28 novembre 2007 entre les mains de la société La Martinière Groupe. Le manuscrit fut publié en octobre 2005.
Faisant grief à l'éditeur de diverses coquilles dans l'ouvrage publié et contestant les conditions de l'exploitation de celui-ci comme la validité de l'option laissé à l'éditeur, qualifiée de purement potestative et abusive, Patrick Rambourg assigna les sociétés La Martinière et Audibert devant le Tribunal de grande instance de Paris en annulation et subsidiairement, en résiliation du contrat et sollicita l'allocation de dommages et intérêts ;
Par jugement en date du 10 février 2009, le tribunal rejeta l'ensemble de ses demandes et le condamna à verser à son éditeur la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les dernières écritures en date du 20 mai 2010 de Patrick Rambourg qui fait grief aux premiers juges d'avoir violé le principe du contradictoire pour solliciter l'annulation de la décision entreprise ; subsidiairement, il conclut à l'annulation du contrat et de son avenant en relevant en première part que l'éditeur a violé son obligation d'information et de conseil, en seconde part que l'article IV-2 est une clause substantielle purement potestative, en troisième part que les clauses 1 et 11 violent l'article L. 132-1 du Code de la consommation notamment et qu'elles doivent être réputées non écrites ; plus subsidiairement, il conclut à la résiliation du contrat en raison des manquements de l'éditeur à ses obligation, et sollicite en tous cas, la condamnation de l'intimée à lui verser les sommes de 200 000 euros en réparation de son préjudice patrimonial et de 200 000 euros en réparation de son préjudice moral,
Vu les dernières écritures en date du 25 mai 2010 de la société La Martinière Groupe qui soutient qu'aucun des moyens tendant à l'annulation du contrat n'est fondé et que la demande de résiliation ne l'est pas davantage car elle n'a manqué à aucune de ses obligations.
Sur ce,
Sur la recevabilité de Patrick Rambourg :
Considérant que l'intimée soulève à la fin de ses dernières écritures l'irrecevabilité de Patrick Rambourg à agir en contrefaçon compte tenu de son adhésion à la SCAM dont il justifie la première fois devant la cour ;
Mais compte tenu que cette irrecevabilité, à la supposer établie alors que l'adhésion de l'appelant est postérieure aux faits incriminés, ne saurait affecter la recevabilité des demandes de l'appelant tendant à poursuivre à titre principal, l'annulation et, à défaut, la résiliation, du contrat litigieux.
Sur la nullité du jugement :
Considérant que pour rejeter le moyen tendant à l'annulation du contrat sur le fondement des clauses abusives qu'il recèlerait, le tribunal a précisé que les dispositions d'ordre public du Code de la consommation et celles d'ordre public du Code de propriété intellectuelle commandaient que celles-ci reçoivent application dans le domaine qui leur est respectivement réservé ;
Considérant que contrairement à ce que se borne à avancer l'appelant, le tribunal a répondu, sans encourir le grief d'une violation du principe de la contradiction, à la demande qui lui était faite d'appliquer les dispositions du Code de la consommation sur les clauses abusives, le rappel de leur caractère d'ordre public auquel il procède n'étant pas un motif soulevé d'office, mais étant rendu nécessaire par la détermination et l'analyse des dispositions législatives applicables, détermination et analyse sur lesquelles les parties ont pu s'exprimer ;
Que la demande d'annulation ne peut qu'être rejetée.
Sur la formation du contrat :
Considérant que l'appelant, sans soutenir que son consentement initial aurait été vicié, avance que la dissimulation par la société La Martinière Groupe des difficultés que connaissait la société Audibert, constitue une fraude et que la contrainte qu'elle lui aurait imposée pour renégocier à la baisse ses redevances constitue un manquement de l'éditeur à l'exécution loyale de ses obligations ;
Mais considérant que ces griefs ne sont aucunement fondés dès lors que l'existence d'une dissimulation frauduleuse n'est étayée par aucun fait, l'appelant ayant été informé lors de la signature de l'avenant, de la substitution d'éditeur ; que s'agissant de la réduction des redevances, force est de relever que l'appelant ne précise pas quelle serait la nature de cette contrainte ni qu'elle aurait été son objet ;
Qu'enfin et contrairement à ce qu'il prétend, si l'éditeur est tenu d'une obligation de loyauté et de bonne foi à l'égard de l'auteur, il n'est pas tenu lors de la définition des termes du contrat d'édition, d'une obligation de conseil que le Code de la propriété intellectuelle n'organise ni ne prévoit ;
Sur l'existence d'une clause potestative :
Considérant que l'appelant soutient que la clause prévue à l'article IV-2 par laquelle l'éditeur "se réserve d'apprécier si les manuscrits conviennent bien au public et au but visé" qui dans la négative permettrait d'imposer des modifications, voire une nouvelle rédaction, serait purement potestative au sens de l'article 1174 du Code civil ;
Mais considérant que, comme le rappellent les premiers juges par des motifs que la cour fait siens, l'éditeur ne dispose que d'une option de trois mois à l'issue desquels, si l'option n'est pas levée, les parties reprennent leur liberté ; qu'il est d'ailleurs prévu que dans ce cas, en contrepartie de son travail non suivi de publication, l'auteur conservera les sommes déjà versées selon l'article II du contrat ;
Que ce n'est que dans l'hypothèse où un autre éditeur désirerait publier son travail que cet éditeur devrait alors rembourser à l'intimée les sommes qu'elle aurait versées ;
Que les conditions de l'article 1174 du Code précité ne sont donc pas réunies ;
Sur l'existence de clauses abusives :
Considérant que l'appelant fait valoir que le contrat serait en tout cas nul car l'universalité des droits cédés par l'auteur aux termes des articles I et II apparaît comme significativement déséquilibrée au regard de l'absence totale d'obligation stipulées à la charge de l'éditeur portant sur les moyens mis en œuvre pour exploiter lesdits droits ;
Qu'il en déduit que de telles dispositions conclues entre un professionnel de l'édition et un auteur qui n'est pas familier des contrats d'édition, tombent sous le coup de l'article L. 132-1 du Code de la consommation qui énonce que :
"Dans les contrats conclus entre professionnels et non- professionnels sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat".
Mais considérant que le contrat d'édition qui relève certes du droit commun des contrats et notamment de l'article 1135 du Code Civil est défini par les dispositions des articles L. 132-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle qui viennent spécifier les obligations respectives de l'auteur et de l'éditeur et les limites des cessions auxquelles peut consentir l'auteur en énonçant des exigences qui composent, ensemble, un ordre public de protection de l'auteur ;
Que les dispositions précitées du Code de la consommation qui organisent la protection des consommateurs dans leurs rapports avec des professionnels, ont vocation à s'appliquer à des conventions dont l'objet est la vente d'un produit ou la prestation d'un service ;
Que tel n'est pas le cas du contrat d'édition ;
Sur la demande de résiliation du contrat :
Considérant que Patrick Rambourg fait grief à l'intimée d'avoir manqué à ses obligations en omettant de lui faire signer un bon à tirer en sorte qu'il n'a pas pu consentir à la publication de l'épreuve d'imprimerie et constater les coquilles qui l'affectaient, en négligeant d'assurer à l'œuvre une exploitation et une promotion éditoriale satisfaisantes, en lui rendant des comptes partiels et en ne l'informant pas du nombre d'exemplaires fabriqués ainsi que de l'état des stocks ;
Considérant s'agissant de l'absence non contestée de bon à tirer, que le tribunal souligne pertinemment que l'auteur a été associé à la relecture des épreuves comme en témoignent les courriels qu'il a échangés courant septembre 2005, étant observé que le contrat auquel renvoie l'article L. 132-11 du Code de la propriété intellectuelle, ne fait pas de la signature par l'auteur d'un bon à tirer une condition de la publication ;
Que par ailleurs, la remise manifestement tardive du manuscrit a mis l'éditeur dans la nécessité d'éditer l'ouvrage dans des délais très courts pour permettre sa sortie au moment des fêtes de fin d'année ;
Qu'enfin les coquilles dénoncées portent sur quelques erreurs ponctuelles et mineures typographiques "Siècles des Lumières" en 4ème de couverture, alors que la même référence est en minuscule dans le corps de l'ouvrage ; que l'appelant ne caractérise d'ailleurs pas le préjudice qu'elles auraient pu lui causer ;
Considérant qu'en ce qui concerne l'exploitation de l'œuvre et sa promotion, il s'avère que le livre a été tiré en 4000 exemplaires et a été placé en librairie en décembre 2005 ; qu'aucun ouvrage n'aurait été vendu en 2007 ;
Mais considérant que l'importance de son tirage montre déjà l'intérêt que l'éditeur lui portait ; que si Patrick Rambourg s'est employé à promouvoir son œuvre, il ne conteste pas que l'éditeur a assuré une diffusion presse de l'ouvrage, l'a présenté dans les mois qui ont suivi sa sortie dans des salons et s'est également soucié de sa promotion en obtenant la parution de quelques articles dans la presse en 2006 ;
Considérant que dans ces conditions, l'absence de vente de l'ouvrage plus d'un an après sa sortie, ne saurait être imputée à une faute de l'éditeur, qui au regard des usages de sa profession, n'apparaît pas avoir manqué à son obligation d'assurer à l'œuvre une exploitation permanente suivie conformément aux prescriptions de l'article L. 132-12 du Code de la propriété intellectuelle ;
Considérant que s'agissant de l'obligation de reddition des comptes, l'auteur fait grief à l'éditeur de l'incohérence et du retard des états qui lui ont été rendus ; qu'il incrimine également le pilonnage de l'essentiel des stocks dans le cadre d'un "allégement" de 1999 exemplaires auquel il a été procédé sans qu'il en ait été informé alors même qu'il avait demandé à l'éditeur de ne pas procéder à cette opération ;
Considérant qu'il n'est pas contestable que les redditions de comptes sont intervenues avec retard, en août 2006, puis au 30 Juillet 2007 avec la mention de l'état des stocks ; que toutefois, l'état des comptes arrêtés au 31 décembre 2006 n'a pas été contesté (cf. pièces 16, 17 et 18 de l'intimée) nonobstant leur caractère sommaire et le peu de lisibilité de l'état des stocks ;
Que les premiers juges ont donc pertinemment rejeté ce premier moyen ;
Considérant que le 5 mai 2009, l'appelant a reçu un relevé de droits d'auteur faisant état d'un stock de 2126 exemplaires au 31 décembre 2007 et d'un allégement de 1999 exemplaires, signifiant par la même que l'éditeur avait pris la décision de supprimer la plus grosse partie du stock en 2008, l'année passée ;
Considérant que selon les dispositions contractuelles (art V-5 et art V-6) l'éditeur "a le droit, sans que le contrat soit pour autant résilié, de pilonner une partie de ce stock, ces opérations pourront avoir lieu à tout moment, à charge pour l'éditeur d'en tenir les justificatifs à la disposition de l'auteur. L'auteur sera informé de tout pilonnage important d'ouvrages neufs ; un certificat attestant de la destruction des exemplaires sera tenu à sa disposition" ;
Considérant qu'en procédant courant 2008, au pilonnage de la quasi-totalité du stock sans en aviser l'auteur, l'éditeur a manqué à son obligation d'information et a engagé sa responsabilité contractuelle ;
Que si ce manquement ne saurait justifier la résiliation du contrat d'autant que les autres griefs allégués ont été rejetés, il demeure qu'il commande une réparation sous forme de dommages et intérêts.
Sur la réparation :
Considérant que bien que l'appelant n'individualise pas le préjudice que lui cause la violation des dispositions contractuelles précitées, il n'est cependant pas contestable qu'elle ne lui a pas permis de se porter acquéreur de tout ou partie du stock comme envisagé à l'article V-6 ;
Que son préjudice sera réparé par l'allocation de la somme de 1 500 euros ;
Considérant en revanche que le seul manquement retenu ne justifie pas de faire droit à la mesure de publication sollicitée ;
Sur l'article 700 du Code de procédure civile :
Considérant que l'équité commande de condamner l'intimée à verser à l'appelant la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles et à supporter les entiers dépens.
Par ces motifs : Rejette la demande d'annulation du jugement déféré, Confirme ledit jugement en ce qu'il a rejeté les demandes d'annulation et, subsidiairement, de résiliation du contrat d'édition, Y ajoutant, Déclare Patrick Rambourg recevable à agir en contrefaçon, Dit qu'en procédant au pilonnage de l'essentiel des stocks de l'ouvrage sans en informer l'auteur, la société La Martinière Groupe a engagé sa responsabilité contractuelle et la condamne à verser à Patrick Rambourg la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts, Rejette toute autre demande, La condamne en outre à verser à l'appelant la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens qui seront recouvrés dans les formes de l'article 699 du même code.